Le discours de Jacques Chirac à Doha

Allocution de Jacques Chirac lors de l’inauguration du 9ème forum de Doha pour la démocratie, le développement et le libre échange, le 3 mai 2009.

dohaVotre Altesse royale, cher Ami,
Messieurs les Premiers Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

La démocratie,il faut la construire dans la vie des peuples.

Je remercie son Altesse l’Emir du Qatar de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous.
Vous qui êtes des artisans de la démocratisation. Des artisans pleins d’expérience. Des
artisans attentifs à l’âme des peuples. Des artisans lucides quant aux oppositions à surmonter.
Nous le savons, face à vous, les forces de l’extrémisme sont à l’oeuvre. Elles cherchent à
enfermer les peuples dans l’ignorance et la soumission. Et cette prison, elles commencent à la
construire autour des femmes. Les extrémistes endoctrinent également une jeunesse en quête
de repères. Ils lui proposent comme idéal le retour à une société qui n’a jamais vraiment
existé. Ils détournent son énergie vers la violence. Et parfois vers la violence la plus
inhumaine : le terrorisme.

Vous mesurez la puissance de ces forces hostiles. Vous êtes le rempart contre cette barbarie
de notre temps. Vous êtes des résistants de la modernité. Et je suis honoré de me trouver
parmi vous.

Permettez-moi de partager avec vous quelques convictions tirées de mon expérience. Des
convictions qui continuent à inspirer l’action de la fondation que j’ai créée pour agir au
service de la paix et du dialogue des cultures.
La première, c’est qu’il ne peut pas y avoir de démocratie sans un certain équilibre au sein de
nos sociétés.

La mondialisation a, certes, contribué à réduire la pauvreté extrême. Et nous devons nous en
féliciter. Mais elle a, dans le même temps, accru les inégalités. De manière brutale.
Il y a désormais une minorité qui participe à la vie du monde, qui en saisit les opportunités,
qui en maîtrise les langues et les technologies.
Et une majorité, qui reste sur place, comprend mal ce qui se passe, voit ses habitudes
ébranlées et se demande de quoi sera fait l’avenir de ses enfants.
Je ne parle pas seulement des très pauvres qui vivent toujours dans des conditions indignes de
l’humanité.

Je parle aussi des gens modestes. Paysans, artisans, fonctionnaires, petits commerçants, ils ont
du mal à vivre. L’alimentation, la santé, le logement, l’éducation, tout est devenu onéreux.
Comment peuvent-ils s’en sortir ?
Autour d’eux, ils voient la nature disparaître, la campagne s’urbaniser, les quartiers se
dégrader.
La crise économique actuelle les rend encore plus vulnérables. C’est pourquoi, j’ai demandé
lors du G20, de ne pas oublier les pauvres dans les plans de relance. Je suis heureux d’avoir
été partiellement entendu. Maintenant, il faut que les actes suivent les mots.
L’insatisfaction des milieux modestes n’a pas de frontières ; elle n’est pas le propre d’une
culture ou d’un continent. Et ne nous y trompons pas : c’est à ces milieux modestes que
s’adressent aujourd’hui les extrémistes. C’est à eux qu’ils proposent de tourner le dos à la
modernité. A eux qu’ils proposent le repli sur soi et le rejet de l’autre.
Ils augmentent leur peur ; ils attisent leur colère. Cette dynamique de l’extrémisme n’est pas
propre au monde de l’Islam. Elle n’est pas le produit d’une incompatibilité entre les cultures.
Vous le savez, je n’ai jamais cru au choc des civilisations. L’insatisfaction vis-à-vis de la
mondialisation est de toutes les latitudes. Son exploitation par les extrémistes aussi. Elle
explique pourquoi, même dans les démocraties les mieux établies, il faut rester vigilant.
C’est aux milieux modestes que nous devons ensemble apporter d’autres solutions que celles
de la radicalisation.

Parmi ces solutions, il y a l’éducation. Une éducation de qualité, accessible. Une éducation à
l’esprit critique, aux sciences, aux technologies, aux moyens modernes de communication.
Une éducation respectueuse des autres cultures.
Je salue sur ce point, les efforts remarquables de la Fondation du Qatar, de sa Présidente Son
Altesse Sheikha Mozah Bint Nasser Al-Missned pour faire de votre pays une vitrine des
savoirs les plus modernes.

Je serais heureux que nos deux Fondations coopèrent pour faire de l’éducation la pierre
d’angle des efforts en faveur de la démocratisation, de la Paix.
Parmi les solutions pour lutter contre l’extrémisme, il y a aussi la construction d’une nouvelle
civilisation urbaine : une ville propre, une ville respectueuse de l’environnement. Une ville où
l’accès à l’eau, à la santé, aux espaces de détente ne soit pas réservé à ceux qui en ont les
moyens.

La majorité de la population de la planète vit désormais dans les villes. Or, elles ne
constituent pas un cadre de vie acceptable pour leurs habitants.
Nous sommes ici plusieurs maires et anciens maires. Nous pouvons vous le dire : la qualité de
la ville est essentielle pour l’équilibre de la société.

C’est pourquoi les nouvelles formes d’architecture et d’urbanisme -et certaines s’inventent
ici- auront un impact pour l’ensemble du monde.

Ma conviction c’est aussi qu’il est vain de parler de démocratie sans comprendre comment les
différentes cultures, les différentes langues, peuvent être également respectées et transmises.
A favoriser ce qui semble le plus immédiatement utile à la vie économique, on perd le sens de
ce qui est le plus important pour un monde où les cultures différentes doivent coexister avec
une dignité égale : la patience d’apprendre. Il faut du temps pour comprendre l’autre. Du
temps pour comprendre sa culture. Du temps pour l’apprécier à sa juste valeur. Du temps pour
ouvrir son esprit. Oui, nous devons retrouver la patience de l’humanisme.

C’est le sens de l’action que conduit la fondation que j’ai créée. Pour finir, je veux vous dire
qu’il ne peut pas y avoir de démocratie sans une meilleure organisation du monde.
Avec une participation plus large de tous les pays, avec une coopération renforcée autour des
grands objectifs du Millénaire, avec davantage de transparence, l’injustice ne pourra plus
servir de prétexte à ceux qui veulent propager la haine.

Chacun a un rôle a jouer : les Etats, bien sûr, les entreprises, les associations, les fondations,
les médias. L’ensemble de la société.

Mes Chers amis du Qatar,
Vous avez la chance d’avoir une diplomatie active au service de la paix. La chance d’avoir,
avec la Fondation du Qatar, une institution pionnière qui contribue à préparer le monde de
demain. La chance, aussi, d’être un centre qui influence l’opinion internationale. Vous
contribuez ainsi à une nouvelle étape de la démocratisation du monde.
Je vous remercie.

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