Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, de M. Tony BLAIR, Premier ministre de Grande-Bretagne, et de M. Lionel JOSPIN, Premier ministre à l'issue du sommet franco-britannique.

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Londres, Royaume Uni, le jeudi 29 novembre 2001

M. BLAIR - Je voudrais tout d'abord dire que ce sommet a été bien entendu un sommet constructif, un sommet qui montre encore une fois combien la relation franco-britannique est forte. Au cours des dernières années, j'ai vu que nos pays se rapprochaient réellement et je vois aujourd'hui que nous avons des positions très communes sur un grand nombre de sujets.

Bien entendu, aujourd'hui, nous avons commencé par évoquer la situation internationale. Il y a eu aujourd'hui une messe dite en mémoire des victimes britanniques des attentats du 11 septembre. C'était une messe très émouvante et je crois que ceci nous donne une nouvelle fois l'occasion de nous souvenir de tous ceux qui ont perdu la vie, d'exprimer à nouveau notre solidarité avec eux et avec leurs familles et cela me donne encore une fois l'occasion de remercier l'attitude allante et courageuse de la France dans les derniers mois, dans les dernières semaines, en Europe, oui, mais également de par le monde. Ceci a renforcé notre détermination à combattre le terrorisme international.

En plus de ces questions, nous avons évoqué la politique européenne de défense, une politique commune qui est vraiment menée et conduite par le moteur franco-britannique. Nous avons également évoqué le sommet de Laeken. Là encore, les visions française et britannique sont très proches l'une de l'autre. Nous avons évoqué un certain nombre de sujets bilatéraux, à savoir les questions d'immigration, bien entendu, des questions sur lesquelles nous travaillons en étroite collaboration. Et puis nous avons évoqué des questions internationales qui nous inquiètent tous deux et qui nous intéressent tous deux. Permettez-moi encore une fois de dire qu'à l'occasion de ce sommet, j'ai vu à nouveau que nous avions un grand nombre de positions communes. C'est encore plus vrai depuis le 11 septembre, mais c'était déjà très vrai avant et je crois que, nos deux pays travaillant ensemble, c'est un très bon signe pour le monde et un très bon signe pour l'Europe dans son ensemble. Voilà, Jacques et Lionel, bienvenue ici, merci encore d'être avec nous, nous sommes ravis de vous avoir à nos côtés, si vous voulez nous dire quelques mots.

LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord remercier le Premier ministre britannique pour un accueil qui nous touche toujours et dans un contexte qu'il a parfaitement défini : celui d'une relation sans nuages entre nos deux pays. Il a parfaitement résumé ce que nous avons dit, ce qui me dispensera d'entrer dans le détail. S'agissant de la situation internationale, de la lutte contre le terrorisme, qui est une lutte qui sera longue et qui doit être totale, s'agissant du problème de l'Afghanistan et des succès de l'offensive américaine en Afghanistan, nous sommes entièrement d'accord, S'agissant de notre vision de la défense européenne, c'est à dire de la poursuite d'un processus que nous avons engagé ensemble à Saint-Malo et qui doit trouver une étape importante à Laeken, nous n'avons pas non plus de divergences de vues.

En ce qui concerne l'équilibre, notamment, des relations entre la Russie et l'Europe d'une part, la Russie et l'OTAN d'autre part, nous sommes aussi sur la même ligne. En ce qui concerne l'Europe, nous avons tenu à rendre hommage au discours prononcé à Birmingham par le Premier ministre et nous nous sommes réjouis du caractère ambitieux de sa vision pour l'Europe de demain et pour la place, qui ne peut être qu'éminente, naturellement, de l'Angleterre dans cette Europe. S'agissant enfin des problèmes de la préparation de Laeken, il est apparu clairement, notamment en examinant ensemble le projet de la Présidence belge auquel nous avons rendu hommage, que notre vision était vraiment très proche, très proche.

Dernier point que nous avons évoqué, en dehors des problèmes bilatéraux, c'est le problème de l'Afrique : il nous est apparu que nous avions là parfois quelques divergences de vues, concernant essentiellement la région des Grands Lacs, et je me réjouis que nos deux ministres des Affaires étrangères, M. STRAW et M. VEDRINE, aient décidé de faire ensemble un voyage dans cette région qui, j'en suis sûr, nous permettra de mieux coordonner nos actions au service de la paix qui est naturellement notre seule ambition.

LE PREMIER MINISTRE - (Non encore disponible)

M. BLAIR - Bien, merci Lionel, nous allons pouvoir prendre quelques questions même si nous n'allons pas pouvoir prendre trop de temps puisque nous avons un dîner ensuite. Alors, trois questions du côté français, trois questions du côté britannique pour commencer. Un journaliste français tout d'abord, peut-être ? Je sais qu'il y a des journalistes britanniques qui ont levé leur main mais ils ne sont pas français ceux-là !

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Monsieur Tony BLAIR, vous semblez en harmonie parfaite ce soir, alors je voudrais vous poser une question peut-être un peu plus légère. Monsieur le Président, vous avez 69 ans aujourd'hui et cet anniversaire provoque énormément de commentaires. Nous voudrions seulement connaître les vôtres.

LE PRÉSIDENT - Oh, je ferais peu de commentaires si ce n'est pour dire que j'ai été l'objet d'un certain nombre d'attentions, que ces attentions m'ont touché de même que l'exquise gentillesse britannique en particulier. Et d'ailleurs, j'ai moi-même prévu pour tout à l'heure d'apporter ma contribution à cette gentillesse, aussi bien à l'intention du Premier ministre britannique que de son merveilleux fils Léo et aussi, bien entendu, parce que nous approchons des fêtes de Noël, à l'intention du Premier ministre français.

M. BLAIR - Je lui souhaite bon anniversaire.

QUESTION - Permettez-moi de vous demander, Monsieur le Premier ministre et Monsieur le Président, deux choses. Premièrement, êtes-vous particulièrement préoccupés par un changement de l'attention américaine, c'est à dire de passer à l'Irak ? Deuxièmement, qu'en est-il des déclarations que nous entendons selon lesquelles nos alliés en Afghanistan ont exécuté des prisonniers ?

M. BLAIR - Premièrement, en ce qui concerne l'action que nous menons en Afghanistan, nous avons décidé de nous concentrer tout d'abord sur l'Afghanistan. Nous n'avons pas fini et je crois qu'il faut donc que nous concluions cette étape, que nous continuions à travailler sur les aspects politiques et humanitaires qui sont très importants et, comme je l'ai dit à de nombreuses reprises déjà et je n'ai pas grand chose à y ajouter, il y a peut-être d'autres sujets que nous pouvons évoquer, que nous pourrons débattre dans une phase ultérieure. Néanmoins, ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est de nous assurer que les travaux que nous avons engagés, ceux que nous avons commencés en Afghanistan soient vraiment conclus. Tant que nous n'avons pas éliminé ce réseau en Afghanistan, nous n'aurons pas fini.

En ce qui concerne l'exécution des prisonniers, nous avons dit à de nombreuses reprises que les prisonniers doivent être traités correctement et convenablement. Et je voudrais juste vous mettre en garde sur un point : il y a toutes sortes de rapports, d'informations qui circulent mais nous ne savons pas lesquels sont fiables, lesquels sont véridiques. Et je crois qu'avant de nous prononcer, de faire des commentaires, il faut connaître les faits. Alors, c'est vrai, la situation est délicate mais je crois que, si l'on regarde la situation, si l'on regarde ce qui s'est passé dans les dernières semaines, on peut très honnêtement et très réellement être surpris par tout ce que nous avons réussi à obtenir et à faire dans les dernières semaines. Au départ, ce que nous voulions, c'était nous assurer que l'Afghanistan ne pourrait pas être un havre de terrorisme pour les terroristes du monde entier. Et je crois que nous sommes en train d'arriver à cela. En ce qui concerne les prisonniers, je l'ai dit, je le répète, nous avons toujours incité l'Alliance du Nord a les traiter convenablement, en accord avec nos convictions. Mais en ce qui concerne les informations selon lesquelles des prisonniers ont été exécutés, je crois qu'il nous faut savoir exactement quels ont été les faits avant de nous prononcer.

QUESTION - Monsieur le Premier ministre BLAIR, Monsieur le Premier ministre JOSPIN, il y a peut être un petit nuage en ce moment sur les relations franco-britanniques avec la construction d'un troisième aéroport parisien pour lequel le gouvernement français a décidé d'un site sur lequel se trouve un cimetière militaire britannique. Donc j'aimerai savoir si vous en avez discuté, si vous êtes parvenus à un accord ?

M. BLAIR - Eh bien non, nous n'en avons pas parlé. C'est vrai, ces questions sont évoquées en ce moment mais je suis sûr que nous allons pouvoir en parler et régler le problème de façon satisfaisante.

LE PREMIER MINISTRE - (non encore disponible)

QUESTION - M. BROWN, le Chancelier de l'échiquier britannique, nous dit et nous répète que, suite au rapport qui a été fait, le système britannique de financement du système de santé est le meilleur. On nous dit également que les Français sont en train de se rapprocher du système britannique. Est-ce que vous êtes d'accord ?

M. BLAIR - Alors, comme vous le savez, il y a un débat très vif en ce qui concerne le système de santé public, pour essayer de l'améliorer. Mais je crois que chaque pays a le droit d'organiser sa sécurité sociale, son service de santé comme il l'entend. Je suis sûr qu'il y a des leçons à tirer de l'un à l'autre, mais je crois que, voilà, ce n'est peut être pas la peine de s'étendre aujourd'hui.

QUESTION - Depuis 10 ans maintenant, deux premiers ministres britanniques, un travailliste, un conservateur, vous les avez appelés ici à Londres votre ami Tony et votre ami John, ont tous les deux affiché la volonté de situer la Grande-Bretagne au coeur de l'Europe. Une question innocente, pour votre anniversaire : est-ce que vous diriez quand même que tout gouvernement britannique reste toujours un peu inspiré par le dicton de Winston Churchill qui disait :"Lorsque je dois choisir entre le continent et le grand large, je choisis toujours le grand large" ? Et ce choix du grand large, est-ce qu'il n'est pas dirigé surtout maintenant vers les Etats-Unis ? Merci et bon anniversaire.

LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord souligner la qualité, depuis très longtemps, des relations entre les dirigeants britanniques et les dirigeants français. C'est vrai, et il y a là probablement plus qu'une opportunité politique. Il y a une espèce de conviction que nous sommes deux pays parmi d'autres qui, par leur histoire, leur humanisme, leur culture, ont quelque chose à apporter au monde. C'est dans cet esprit, je crois, que se sont, toujours dans les bons moments et dans les moins bons moments, négociées les relations entre l'Angleterre et la France. Et ça continue. A partir de là, vous nous dites, en prenant l'histoire : le continent et le grand large. Je n'ai pas besoin de vous dire le respect que je porte à Winston Churchill. Mais vous avez observé certainement que nous avons, depuis cette réflexion, changé de siècle. Vous avez du également remarquer que plus de cinquante sont passés depuis cette affirmation et que le monde a profondément changé, que nous sommes dans un monde qui, de plus en plus, va s'articuler autour de quelques grands pôles de pouvoir, de culture, de décision, la Chine, l'Inde, la Russie, l'Amérique du Nord naturellement, demain l'Amérique du Sud, l'Afrique, je l'espère, un jour et en tous les cas, immédiatement, et c'est une nécessité absolue, l'Europe. Si bien qu'aujourd'hui, pour un Anglais, opter pour le grand large, c'est-à-dire en réalité pour l'avenir, c'était ça que voulais dire Churchill, opter pour le grand large, c'est opter pour l'Europe, ce n'est pas opter pour les vagues. C'est opter pour des réalités concrètes. C'est-à-dire une Europe solide et déterminée à avoir un rôle primordial dans le monde de demain.

QUESTION - Il semble que l'Alliance du Nord a réexaminé sa position selon laquelle elle s'opposait autrefois à l'envoi de troupes dans le nord de l'Afghanistan. Est-ce que le Président et le Premier ministre vont maintenant pouvoir réfléchir à la possibilité d'envoyer des troupes françaises et britanniques pour stabiliser la situation ?

M. BLAIR - Comme vous le savez, nous sommes prêts à aider et, de toutes les manières possibles, à faire de notre mieux. Je crois qu'il est un peu trop tôt pour spéculer sur la situation. Mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, je crois qu'avant de me prononcer, je préfère réellement connaître les faits et savoir ce qui se passe et ce qui se dit. Enfin, pour conclure, je voudrais juste dire que ce qui se passe en Afghanistan, nos actions en Afghanistan, ont été commencées et lancées en grande partie et premièrement par les Etats-Unis. Mais je voudrais encore une fois rendre hommage à l'aide de la France, à son rôle dans la coalition, à l'aide qu'elle nous a apportée et c'est vraiment essentiel. Nous voyons, je crois, aujourd'hui en Afghanistan, que la coalition est une coalition forte et efficace tant et si bien que nous avons des raisons aujourd'hui d'espérer que l'avenir de l'Afghanistan et l'avenir de la population afghane s'améliorent. Je vous remercie.