Discours de M. Jacques CHIRAC Président de la République au mondial de l'automobile 2002

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Porte de Versailles - Paris, vendredi 27 septembre 2002

Monsieur le Président, cher Pierre, Mesdames et Messieurs,

Je voudrais d'abord m'associer sans réserve au compliment et à l'hommage qui a été rendu par votre président à toutes celles et à tous ceux qui ont participé, à commencer par les constructeurs et à l'ensemble des médias, au succès de cette nouvelle manifestation de l'automobile.

Et c'est vrai que pour être depuis longtemps un visiteur du salon, je trouve que, chaque fois, il est un peu plus beau, un peu plus prestigieux, et je dirai, s'agissant des Français pour la France, un peu plus exceptionnel.

Alors, il n'y a qu'une catégorie que le président a oublié de mentionner dans ces remerciements, ce sont les organisateurs. Toutes celles et tous ceux qui ont permis la réalisation de cet ensemble magnifique, le commissaire général, naturellement, avec le président mais aussi tous leurs collaborateurs et je voudrais exprimer ma reconnaissance, mon estime à l'ensemble de ces collaborateurs.

Je suis naturellement heureux d'inaugurer avec vous l'édition 2002 du Mondial de l'Automobile. C'est vrai, nous en tirons gloire. C'est en terme de fréquentation et d'importance, le plus important du monde. Il témoigne de la place que l'automobile tient dans la vie des Français, dans la culture nationale française. Il donne aussi la mesure de l'importance économique de ce secteur fortement exportateur qui représente pour notre pays plus de 2 millions d'emplois.

Après plusieurs années exceptionnelles, la conjoncture récente a été un peu moins favorable à l'industrie automobile. Cela n'a pas empêché l'audace et l'innovation d'être plus que jamais présentes et au rendez-vous de ce Salon. C'est pour moi une satisfaction de pouvoir mesurer la vitalité de l'industrie automobile, en général, et de l'industrie française, en particulier, une industrie qui compte notamment deux des plus grands constructeurs mondiaux, et aussi de découvrir les nouveautés que les constructeurs et les équipementiers européens et du monde entier dévoilent ici, aujourd'hui, en exclusivité.

Cette année, j'avais souhaité placer un peu ma visite sous le signe de deux impératifs qui s'imposent de plus en plus à tous, et notamment aux jeunes : c'est le respect de l'environnement et la sécurité routière. Et je n'ai pas été déçu. Il y a là en effet deux exigences majeures pour que l'automobile continue à s'affirmer comme un instrument de progrès, d'émancipation et de bien-être pour les hommes et pour les femmes. * L'automobile participe depuis plus d'un siècle -le premier salon date d'un peu plus d'un siècle- au développement économique des pays industrialisés. Elle a accompagné leur évolution sociale, en renforçant la liberté individuelle et en favorisant une prodigieuse démocratisation des transports.

La voiture est évidemment devenue particulièrement indispensable en milieu rural, où elle a fait évoluer en profondeur l'aménagement du territoire.

Quant aux villes, il faut bien sûr s'interroger sur la place qu'y occupe l'automobile et sur les nuisances qui l'accompagnent, ne serait-ce que pour répondre aux questions qui se posent.

Chacun prend conscience aujourd'hui du gaspillage de temps et d'énergie et des lourdes conséquences pour l'environnement, provoquées à certaines heures par la saturation de la circulation.

Pour être efficaces, les solutions ne peuvent pas être inspirées uniquement par la contrainte : elles doivent prendre en compte toutes les fonctions de l'automobile.

Défions-nous des solutions uniques ! Les modes de transports individuels et collectifs sont naturellement complémentaires. Il n'y a pas lieu et il ne faut pas les opposer.

La politique de transports et les règles de partage de la voirie doivent tenir compte de toutes les situations, et notamment de la situation des personnes à mobilité réduite, de celle des personnes qui travaillent loin de chez elles ou qui habitent loin des lieux de chanlandises, des commerces, et bien sûr de la situation des familles, toutes situations pour lesquelles les transports collectifs, il faut le dire, ne sont pas toujours et même souvent adaptés.

Il faut faciliter la cohabitation des transports individuels et collectifs. Il faut multiplier les possibilités de passer de l'un à l'autre, par exemple par des parkings relais. La liberté de circulation ne doit pas être restreinte mais développée par des transports en commun sûrs et attractifs et par leur combinaison intelligente avec l'automobile. * Pour continuer à servir au mieux nos concitoyens, l'automobile, je crois, devra, comme l'ensemble des moyens de transport, se faire aussi, et j'ai vu que c'était un souci constant chez le constructeurs aujourd'hui, plus respectueuse de l'environnement. Et de ce point de vue, des progrès non négligeables ont été réalisés. Il en reste encore beaucoup à faire.

Sans méconnaître l'importance des défis à relever en matière de pollutions sonores ou de traitement des déchets liés à l'automobile, trois domaines, me semble-t-il, nécessitent une action déterminée et soutenue. Et j'ai observé avec plaisir qu'ils étaient intégrés dans les préoccupations de l'ensemble des constructeurs. Je veux parler des pollutions locales, des émissions de gaz à effet de serre et de l'insuffisante diversification des sources d'énergie dans le secteur des transports.

Nos concitoyens se montrent de plus en plus soucieux des problèmes causés par les pollutions locales. En fait, contrairement à ce que l'on croit, la qualité de l'air s'améliore progressivement dans nos villes sous l'effet de la réduction de la pollution industrielle, notamment en matière de production d'énergie, c'est particulièrement vrai à Paris et aussi du rajeunissement du parc automobile. Mais l'augmentation des maladies respiratoires est préoccupante, en particulier chez les personnes sensibles, jeunes enfants ou personnes âgées.

Les gaz d'échappement ne sont pas les seuls responsables de cette situation, bien sûr. Mais leur action se cumule avec celle d'autres pollutions domestiques, liées à l'usage de produits ménagers, à la prolifération des parasites ou à l'emploi de certains matériaux de construction.

Pour faire face à cet enjeu, les constructeurs et l'industrie pétrolière ont mené un important travail d'adaptation : carburants moins soufrés, pots catalytiques, filtres à particules, nous en avons vu ce matin, et c'est un grand progrès, optimisation des moteurs, et d'autres techniques encore. Ces avancées se diffusent progressivement avec le renouvellement du parc automobile et se traduisent heureusement par la baisse des niveaux d'émission rejetés par les véhicules neufs.

Il faut incontestablement continuer sur cette voie. Depuis sa création, l'automobile n'a cessé de gagner en puissance et en fiabilité. Elle peut, elle doit encore progresser, mais en privilégiant désormais le respect de l'environnement, comme les constructeurs européens ont commencé à le faire depuis plusieurs années. Nous avons vu ce matin quelques témoignages particulièrement significatifs et prometteurs. C'est un domaine dans lequel l'effort des constructeurs d'automobiles doit se poursuivre et doit évidemment encore s'amplifier.

Nous savons tous les risques que les émissions de gaz à effet de serre font peser sur l'évolution du climat et sur la préservation de l'environnement.

Il ne faut pas baisser la garde : toutes les prévisions indiquent que si rien n'était fait, le secteur des transports continuerait à accroître ses émissions de dioxyde de carbone, qui est le principal gaz à effet de serre, malgré les engagements volontaires des constructeurs européens.

J'attends pour ma part des constructeurs qu'ils intensifient, comme on a pu en voir un certain nombre de témoignages ce matin, leurs recherches pour permettre une baisse de la consommation, et ainsi de l'émission de dioxyde de carbone : les pistes sont nombreuses, qu'il s'agisse des moteurs thermiques à meilleur rendement, de l'allègement des véhicules, de l'usage des techniques hybrides ou des batteries de haute performance, bien d'autres techniques encore.

Il est également indispensable de diversifier les combustibles utilisés. Notre économie est devenue de plus en plus dépendante des transports. Et ce secteur est lui-même très dépendant de la seule ressource pétrolière, qui est pour l'essentiel d'ailleurs extérieure à l'Europe.

Nous sommes depuis plusieurs semaines dans une nouvelle période, hélas, d'incertitude sur les cours du pétrole. Cela doit nous aider à comprendre la menace structurelle que représente l'insuffisante diversification de nos sources d'énergie.

Cette diversification est d'autant plus nécessaire que nous serons de plus en plus nombreux, notamment du fait de la croissance du parc automobile mondial, et en particulier dans les pays en développement, à partager une ressource pétrolière que nous savons parfaitement limitée.

Il est donc vital d'explorer toutes les pistes permettant d'utiliser d'autres formes d'énergie. Je pense en particulier au gaz naturel, aux biocarburants, pour lesquels je milite depuis longtemps, à l'hydrogène, aux carburants de synthèse, à l'électricité, dès lors que sa production ne s'accompagne pas d'émissions de dioxyde de carbone... J'ai vu sur le salon quelques réalisations très brillantes, très prometteuses, et je voudrais en féliciter les promoteurs.

Il y a quelques jours s'est terminée près de Paris une course automobile d'un genre particulier puisqu'elle a mis en compétition exclusivement des véhicules propres et innovants. Je suis heureux que notre pays puisse accueillir ce type d'initiatives, qui permettent aux constructeurs de tester leurs dernières avancées.

Au-delà de l'évolution des véhicules, le passage à d'autres énergies supposera aussi de réfléchir aux nouvelles infrastructures qui seraient nécessaires pour leur distribution.

C'est un investissement lourd, très lourd. C'est un défi majeur que les constructeurs devront relever dans la durée, en association avec les distributeurs d'énergie. Les enjeux sont tels que seules des coopérations internationales permettront de les relever et d'avancer. * Le défi de la sécurité routière, deuxième grand défi, s'impose aussi à nous et de façon tout aussi urgente.

Vous le savez, j'ai souhaité faire de la lutte contre l'insécurité routière l'un des chantiers du quinquennat.

Les résultats de la France dans ce domaine sont parmi les plus mauvais en Europe. Ils stagnent depuis plusieurs années. C'est une honte pour notre pays.

La violence routière est intolérable. Les moins de vingt-cinq ans en sont les principales victimes. Pour les jeunes, les accidents de la route sont la première cause de mortalité.

Il n'y a pourtant aucune fatalité à ce que chaque week-end, chaque grand départ, soit endeuillé par autant d'accidents tragiques.

C'est pourquoi j'ai souhaité une action de rupture par rapport à la situation actuelle. Elle passe à la fois par la répression et par la prévention. Tous les moyens doivent être mis en oeuvre : améliorer les infrastructures, à travers le repérage et l'élimination des points noirs, mais aussi renforcer la sécurité des véhicules et faire évoluer le comportement des conducteurs.

Cela commence par la formation. Parce que l'expérience de la route s'acquiert progressivement, le permis de conduire lui-même devrait tout naturellement devenir progressif.

Au-delà des aspects purement techniques, la formation doit s'étendre à la psychologie des conducteurs. Il faut beaucoup d'expérience, beaucoup de maîtrise de soi pour déjouer les pièges de la fatigue, de l'énervement ou tout simplement de la vitesse. Notre dispositif de formation doit prendre en compte ces éléments, plus qu'il ne le fait aujourd'hui, en insistant non seulement sur le droit que représente le permis de conduire, mais aussi sur la responsabilité qui pèse sur chaque conducteur.

Ceux qui prennent le volant doivent être en permanence en capacité de conduire. Il faut que chacun prenne conscience de ses limites, qu'elles soient liées à la fatigue, à l'absorption nécessaire de médicaments ou tout simplement à l'âge.

Il va de soi aussi que les comportements les plus contraires à la sécurité routière doivent être dénoncés et beaucoup plus lourdement sanctionnés, qu'il s'agisse de la vitesse sur les routes, de l'alcoolisme ou de la consommation de drogues. Et je veux vous dire que je condamne ceux qui font de la vitesse un argument de vente, comme je condamne ceux qui sous-estiment les conséquences de l'alcool ou des drogues chez les conducteurs.

Au-delà des actions de prévention, tous les conducteurs doivent acquérir la certitude qu'ils ont les plus grandes chances d'être contrôlés et sévèrement sanctionnés s'ils transgressent les règles. Les pouvoirs publics ont pour mission de faire respecter ces règles, telles qu'elles sont écrites et enseignées. Les moyens de remplir cette mission leur seront donnés.

Le Gouvernement a engagé le 17 septembre dernier une grande concertation, à travers les Assises nationales de la sécurité routière et il présentera prochainement ses premières décisions.

Et puisque je suis ici au Mondial de l'automobile, je voudrais dire un mot aussi de la fiabilité des véhicules. Le renforcement de leur sécurité active et passive et de la protection des piétons en cas de choc relève des constructeurs. Je crois que tout le monde a pris conscience des progrès importants qui ont déjà été faits - nous en avons vu de nombreux témoignages ce matin-. J'en ai vu quelques illustrations, notamment sur les stands. Et je me réjouis que la première voiture à avoir obtenu 5 étoiles aux tests EURO-NCAP soit une voiture française.

Mais ces progrès ne doivent pas donner au conducteur l'illusion qu'il peut prendre plus de risques parce qu'il se sentirait mieux protégé. Même si l'effet ne se fait pas sentir ou ne se fait sentir qu'à long terme, au rythme du renouvellement du parc, il faut développer les outils qui permettent au conducteur d'être conscient à chaque instant de sa responsabilité et de l'exercer. Le conducteur doit rester en permanence conscient de sa vitesse, nous avons vu, là encore, ce matin, des progrès extrêmement spectaculaires et intéressants. Pour ce qui concerne les véhicules, les discussions ont lieu au niveau européen, pour d'évidentes raisons d'harmonisation. Je souhaite que l'Europe ne reste pas inactive dans ce domaine, d'autant plus qu'elle s'est fixé des objectifs ambitieux de réduction de la mortalité routière à 10 ans. * Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

L'automobile touche à tous les aspects, en réalité, de notre vie. Pour améliorer notre environnement, pour faire reculer l'insécurité routière, pour préserver les vies humaines et pour donner à l'automobile une place raisonnable dans le système de transport, je voudrais lancer en quelque sorte un appel à la responsabilité de chacun.

Responsabilité des constructeurs, qui oeuvrent pour l'amélioration des véhicules et la réduction de leurs nuisances.

Responsabilité des collectivités locales, qui définissent les plans d'urbanisme et les aménagements routiers.

Responsabilité de l'État, qui assure le respect des règles.

Responsabilité de chaque Française et de chaque Français qui, par ses choix d'acheteur, par son comportement d'usager de l'automobile, peut agir concrètement sur les émissions de polluants et sur la sécurité routière.

Une prise de conscience nationale, je crois, est en marche, notamment au niveau des plus jeunes, en particulier dans notre pays. J'ai confiance que la France saura se porter aux avant-postes d'un développement plus respectueux de la sécurité et de la préservation de notre planète. Je vous remercie.