Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du trentième anniversaire du Centre national d'Art et de Culture – Georges Pompidou.

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Centre Georges-Pompidou - Paris, le mercredi 31 janvier 2007

Monsieur le ministre,
Madame, chère Claude Pompidou,
Monsieur le président, cher Bruno Racine,
Mesdames, messieurs,

Voici, c'est vrai, exactement trente ans, le Centre Georges-Pompidou ouvrait ses portes à son public. Ce fut comme un coup de tonnerre, dont l'écho résonne encore dans les consciences. Le monde avait les yeux fixés sur Paris. Ici, dans le cœur historique de la capitale, il se passait quelque chose de nouveau, d'inouï, de sensationnel.

Et puis il y eut le succès, l'énorme, l'incroyable succès populaire. La foule des visiteurs qui accouraient pour visiter le Centre comme pour la découverte en quelque sorte d'un nouveau monde, et recouvrait ainsi sous son flot immense les médiocres polémiques qui avaient entouré sa naissance. Un succès qui, trente ans après, ne s'est pas démenti.

Aujourd'hui, je veux d'abord saluer tous les acteurs de cette magnifique, de cette extraordinaire aventure. Je pense notamment à Robert Bordaz et à sa vaillante équipe, au regretté Pontus Hulten, formidable directeur du musée national d'Art moderne, à Jean-Jacques Aillagon, qui a fait entrer le Centre dans le XXIe siècle. Et bien sûr je pense à son président, Bruno Racine, et à toute son équipe, qui le font vivre aujourd'hui avec un engagement sans faille. A toutes et à tous, je tiens à dire mon estime et ma reconnaissance.

Je veux également remercier chaleureusement les donateurs, les mécènes, les artistes, qui soutiennent le Centre avec tant de passion et de générosité.

Mais, vous le comprendrez ma gratitude se tourne surtout vers vous, Madame, chère Claude Pompidou. Depuis l'origine, je peux en témoigner, vous avez suivi, accompagné, épaulé le Centre. Vous n'avez jamais transigé sur les principes, mais vous avez toujours encouragé le mouvement avec enthousiasme. Ce Centre, en réalité, vous doit énormément, et chacun le sait. Du fond du cœur, je veux vous en remercier et vous dire mon admiration et mon affection.

Je veux, bien sûr, enfin rendre hommage au Président Georges Pompidou, qui a imaginé cette institution nouvelle, qui l'a voulue avec ardeur et passion, qui a vaincu tous les obstacles pour engager ce magnifique projet dont le sort ne lui a -hélas !- pas permis de voir l'extraordinaire réussite.

Ce n'est pas sans émotion que j'évoque ici sa mémoire. Je n'ai jamais oublié tout ce que je lui dois, à tous égards. Comme chef du gouvernement, j'ai défendu, c'est vrai, son héritage pour que le Centre triomphe des petitesses et des calculs. Aujourd'hui, dans ce lieu où tout parle de lui, c'est d'abord à cet homme exceptionnel que je pense.

Georges Pompidou était un être profondément généreux. Il aimait faire partager ses passions, sa culture, qui était immense, sa curiosité toujours en éveil. Il aimait les gens : les artistes, les intellectuels, mais aussi les humbles, la foule immense des anonymes. Il aimait son époque, puissante, brûlante d'énergie, souvent brutale, une époque dont il savait mieux que personne les fractures, les inquiétudes, les fragilités.

Le projet du Centre procédait, chez lui, d'une profonde réflexion politique. Dix ans après la fondation par André Malraux du ministère des Affaires culturelles, il répondait à l'exigence d'un nouvel essor de l'action de l'Etat en faveur de la culture. Au lendemain des événements de mai 1968, il voulait miser sur l'autonomie et l'initiative de l'individu pour démocratiser la création la plus contemporaine et, plus largement, pour moderniser en profondeur le pays. Le Centre se voulait enfin un acte de foi en l'avenir, l'expression d'un dynamisme français, reposant non seulement sur notre économie, mais aussi sur les talents et l'élan de nos créateurs.

Trente ans après, on mesure tout ce que cette ambition avait de visionnaire. On peut aussi constater l'éclatante réussite du Centre Georges-Pompidou.

Une réussite qui est d'abord celle de ce bâtiment de Renzo Piano et Richard Rogers. Adopté par les Parisiens, il a inscrit la modernité au cœur de la capitale, et contribué à instaurer un rapport nouveau entre l'art et la ville. Trente ans après son ouverture, il a préservé son pouvoir d'étonnement et sa force symbolique, et il a démontré sa capacité à se transformer.

Réussite ensuite sur le plan international. La création du Centre Georges-Pompidou répondait à un défi d'envergure : permettre à Paris de tenir son rang, face au nouveau phare de la création qui s'était allumé à New York. Aujourd'hui, les résultats sont incontestables. L'IRCAM, fondé par Pierre Boulez, s'est imposé comme une référence mondiale. Le musée national d'art moderne s'est hissé aux tout premiers rangs. Et si la France demeure un pôle actif dans le domaine des arts plastiques, c'est pour une large part à l'existence du Centre Georges-Pompidou que nous le devons.

Car le Centre a contribué à réconcilier l'art et la société. Immense succès public, avec près de deux cents millions de visiteurs à ce jour, il a su toucher un public plus large et plus divers et créer des liens nouveaux avec les créateurs. Et ce succès a fait école et engagé un vaste mouvement de diffusion de l'art contemporain sur tout notre territoire. Un mouvement dont le Centre prend toute sa part avec la création de l'antenne de Metz, et qui ouvrira ses portes en 2008 dans un remarquable bâtiment conçu par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines.

Cette brillante réussite repose sur un socle solide : celui des principes fondateurs, voulus par le Président Pompidou. Trente ans plus tard, ils conservent ses principes, toute leur actualité. Ils demeurent la clé des défis et des conquêtes de l'avenir.

Le premier principe, c'est la diversité des disciplines, des approches et des publics. La vocation du Centre a toujours été de la mettre en mouvement. Il doit rester cette institution unique où le visiteur est sans cesse confronté à une multiplicité de propositions et où l'effervescence créatrice ignore et dépasse les cloisonnements entre les disciplines et entre les publics.

Le deuxième principe fondateur, c'est le mouvement. Depuis l'origine, le Centre Georges-Pompidou se place à la pointe avancée de l'évolution de l'art et des idées. Son territoire privilégié, c'est l'avenir. En découle une exigence permanente de dépassement, que l'accélération de l'histoire ne fait que rendre plus impérieuse. C'est cette exigence qu'incarne votre initiative, cher Bruno Racine, de créer un Institut de recherche et d'innovation, pour défricher les nouveaux territoires de la révolution numérique.

Le troisième principe du Centre, c'est l'ouverture au monde. D'emblée, porteur de l'idéal d'un universalisme partagé, il s'est voulu un lieu d'échanges entre la scène française et le monde. Il s'agissait à la fois de favoriser le rayonnement de la création française à l'étranger, et de l'enrichir constamment d'influences nouvelles. Le Centre a ainsi anticipé sur le dialogue des cultures, dont l'importance n'a cessé depuis de s'affirmer, et il a pris une longueur d'avance dans la prise en compte de l'art non-occidental.

En imaginant ce grand vaisseau, le Président Pompidou savait qu'il n'était pas voué à naviguer sur une mer calme mais qu'il lui faudrait sans cesse affronter des défis nouveaux. Ceux qui se présentent aujourd'hui sont immenses.

Le premier défi, c'est celui de la révolution technologique. L'âge numérique est porteur d'enjeux considérables pour la Bibliothèque publique d'information, qui doit conforter son extraordinaire succès en développant son offre sur Internet. Plus largement, l'âge du virtuel invite les institutions culturelles à repenser leurs propositions pour continuer de séduire le public.

Dans ce nouveau contexte, le Centre Georges-Pompidou doit préserver la richesse et la pluralité de son offre, pour toucher les publics les plus nombreux et les plus variés. Il doit aussi continuer de créer l'événement avec de grandes expositions pluridisciplinaires, qui donnent du sens et des repères. Enfin, pour continuer d'attirer un public divers et nombreux, il doit retrouver le sens de la gratuité, comme il le fait en ce moment avec sa belle exposition "Hergé" : le Président Pompidou avait voulu qu'elle fût l'un de ses principes fondateurs ; il reste et elle reste une grande idée pour l'avenir.

Le deuxième défi, c'est celui de l'espace, puisque le bâtiment de Piano et Rogers est désormais utilisé au maximum de sa capacité. Aujourd'hui, le Centre n'a pas la possibilité de présenter une vue complète de la scène artistique française. Il y a là une lacune importante, que tout le monde s'accorde à reconnaître.

Or, le Palais de Tokyo offre des espaces parfaitement adaptés, inutilisés depuis des années. Le Centre Georges-Pompidou, dont c'est la mission et la vocation, va donc piloter leur rénovation et leur mise en valeur en vue d'y assurer dès 2009 la présentation d'artistes confirmés de la scène française, dans les domaines des arts plastiques, du design, de la vidéo, du cinéma. Cette mission sera complémentaire du travail remarquable du Site de Création contemporaine, dont l'action pour promouvoir la scène émergente est essentielle et dont l'autonomie sera naturellement garantie.

Ce développement s'inscrira nécessairement dans une perspective européenne et internationale. Il y a là, pour le Centre, des défis nouveaux et majeurs. Le monde actuel est plus complexe. De nouveaux pôles s'affirment. C'est pourquoi les projets de développement du Centre en Asie sont fondamentaux.

L'implantation d'une antenne dans cette partie du monde, et de préférence en Chine, puissance majeure qui a vocation à devenir, je devrais dire à redevenir, un foyer absolument majeur de la création artistique mondiale, permettra au Centre de développer des compétences irremplaçables pour nourrir des échanges plus vivants avec cette partie du monde. Dans le même esprit, il est nécessaire de mener une réflexion sur la présence du Centre en Russie, en Inde, en Afrique et en Amérique du Sud.

Chère Madame, ma chère Claude,
Mesdames, messieurs,

Georges Pompidou a imaginé le Centre parce qu'il savait qu'une France moderne, qui tient son rang et qui rayonne dans le monde, c'est une France qui mise sur l'énergie de ses créateurs et sur la vitalité de sa culture.

Dans les semaines qui viennent, à l'approche d'échéances décisives pour notre pays, on va beaucoup parler de la France. Dans ce débat qui s'ouvre, il faut parler beaucoup de la culture.


Car la France ne serait sans aucun doute pas la France sans une grande ambition culturelle. Notre pays est riche d'un patrimoine exceptionnel, de grandes institutions artistiques, reconnues partout à l'étranger. Dans tous les domaines, il demeure un foyer vivant de création. Ce sont des atouts de premier ordre dans le monde d'aujourd'hui.

Un monde instable, complexe, où les destins des peuples se mêlent comme jamais. Un monde où le dialogue des cultures est une nécessité vitale, pour que les différences soient un facteur d'enrichissement et de progrès et non d'incompréhension et de conflit. Un dialogue renouvelé qui est indissociable de l'affirmation forte de nos valeurs et de notre culture.

Sachons donc les défendre. Soyons fiers de notre modèle, qui fait de la culture un grand enjeu politique, au sens le plus noble du terme. Sachons le faire vivre. C'est pour cela que la France a fait reconnaître dans l'enceinte de l'UNESCO le droit de chaque Nation à définir ses propres politiques culturelles. Un droit qu'il faut maintenant conforter, consolider, notamment en relevant tous les défis du numérique. Les enjeux sont immenses, et le combat toujours à livrer, pour que la culture ne soit pas abandonnée sans frein aux forces du marché.

Dans ce domaine, les pouvoirs publics, et d'abord l'Etat, doivent faire preuve d'audace et ne pas hésiter à investir pour l'avenir : c'est ce que nous avons fait avec le musée du quai Branly, c'est ce que nous faisons avec le nouveau Centre des archives de Pierrefitte, le département des Arts de l'islam, le Louvre-Lens dont nous parlions tout à l'heure, la Cité nationale d'histoire de l'immigration ou le futur grand auditorium de La Villette. Loin de la frilosité malthusienne de quelques faux bons esprits, il faut inscrire la culture dans une perspective résolue de développement, pour qu'elle aille aux devants du public le plus large.

C'est dans le même esprit que nous devons aussi prendre appui sur nos atouts pour faire rayonner notre culture hors de nos frontières. Il n'y a là nul impérialisme de notre part, mais au contraire la conviction que l'on s'enrichit au contact de l'Autre. Sachons donc aller à sa rencontre dans un esprit d'ouverture et de générosité.

Sur ces voies exigeantes, le Centre Georges-Pompidou a vocation à éclairer le chemin. Car sa raison d'être est de dépasser toutes les frontières : celles qui continuent de se dresser à l'intérieur de nos sociétés comme celles qui séparent les nations entre elles. Son ambition, l'ambition du Centre, est d'être toujours en mouvement pour incarner le paradoxe un paradoxe voulu par le Président Pompidou : le pari réussi de créer une institution en charge de l'utopie.

Je vous remercie.