Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la présentation des voeux du Corps diplomatique.

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Palais de l'Elysée, le jeudi 4 janvier 2001


Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames, Messieurs,

Monsieur le Nonce,

Les paroles que vous venez de prononcer m'ont beaucoup touché. Je vous en remercie et je vous adresse à mon tour mes meilleurs voeux : ceux que je forme pour votre personne ainsi que mes souhaits pour le bon accomplissement de la mission que vous a confiée Sa Sainteté le pape Jean-Paul II.

Et je vous prie de transmettre au Saint Père les sentiments déférents et affectueux du peuple français. Nous garderons en mémoire son pélerinage en Terre Sainte, qui a fortement marqué le grand Jubilé de l'an 2000. Ses gestes symboliques ont frappé les esprits et ont rappelé au monde l'inestimable valeur de la réconciliation et du dialogue.

Mes voeux très chaleureux s'adressent également à vous, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, à vos familles, à vos proches. Ils vont aussi vers vos chefs d'État, dont beaucoup sont des amis personnels. Ils vont enfin vers les pays et vers les peuples que vous représentez à Paris, où nous avons le plaisir de vous accueillir.




Avant de nous tourner vers l'avenir, comme il est de tradition en ces circonstances, jetons un regard sur l'année qui vient de s'achever.

Il y a un an, alors que la France se préparait à exercer la présidence de l'Union, j'avais évoqué devant vous mes espoirs pour l'Europe. Une lourde tâche nous attendait : nous avions reçu mandat de parvenir à un accord sur la réforme des institutions. Les Quinze, à Amsterdam, n'avaient pu conclure, tant les obstacles étaient considérables. Ces obstacles, à Nice, ensemble nous les avons surmontés. Nous avons réussi à trouver le difficile équilibre entre représentativité et efficacité. Au-delà des polémiques ou des interrogations, je le répète : le traité conclu est le meilleur accord possible compte tenu des contraintes qui existaient. Il répond à notre première préoccupation : conserver à l'Union sa capacité de décider, après que l'Europe aura procédé à un élargissement sans précédent.

Nous avons ainsi rempli nos engagements. Et je me réjouis que les pays candidats aient bien accueilli les résultats de Nice. Je l'ai dit à Dresde le 3 octobre dernier, à l'occasion du 10e anniversaire de la réunification de l'Allemagne, notre plus proche partenaire en Europe : nous attendons avec impatience ces peuples qui vont nous rejoindre. Ils se préparent avec détermination à l'adhésion. Notre concours ne leur fera pas défaut.

Une fois de plus les Européens ont su relever le défi. Ils l'ont fait en alliant ambition et réalisme et en posant, dès l'étape franchie, des jalons pour l'avenir. C'est ainsi que l'Europe avance, n'en déplaise aux sceptiques.

Jetons un regard sur les évolutions depuis Helsinki, marquées par les progrès réalisés de Lisbonne à Nice, et constatons que l'Europe s'est affirmée.

L'Europe est aujourd'hui plus forte. Elle a franchi une étape majeure dans la mise en oeuvre de sa politique étrangère et de défense. Le Comité politique et de sécurité, cheville ouvrière du dispositif mis en place, a été inscrit dans le traité. L'ambition européenne de se doter, dès 2003, des moyens de projeter 60 000 hommes sur un théâtre d'opérations a été acquis à Nice et a donc donné à la réforme toute sa crédibilité.

J'ai déjà pu constater qu'à Moscou, à Washington ou en Asie, ces développements suscitent un véritable intérêt. Ils vont permettre de nourrir le dialogue que l'Union conduit avec ses grands partenaires, dialogue qui préfigure l'organisation du monde multipolaire de demain.

L'Europe se renforce aussi en affirmant qu'elle est une communauté de valeurs avant d'être une communauté d'intérêts. Défendue par les élus européens et nationaux, défendue par la société civile, la Charte des droits adoptée à Nice a une portée politique dont on n'a pas encore mesuré toute l'ampleur. Elle donne au projet européen un sens nouveau. Elle donne aux citoyens européens une raison supplémentaire de vivre ensemble leur aventure commune.

Confortée dans son modèle social, l'Europe est aussi plus assurée de son économie. Son taux de croissance est le plus favorable depuis dix ans, la coordination des politiques économiques s'approfondit au sein de l'Ecofin et de l'Eurogroupe et c'est avec confiance que nous nous préparons à cet événement majeur que sera, dans un an, l'entrée de l'euro dans la vie quotidienne des citoyens européens.

Plus forte enfin, parce qu'elle se rapproche des citoyens. L'Europe répond mieux à leurs besoins de protection. C'est le sens de l'action qui a été conduite ces derniers mois pour accroître la sécurité maritime, la sécurité alimentaire, la lutte contre le crime organisé. Ce sera le sens de l'action de la présidence suédoise qui a fait de l'environnement l'une de ses priorités. Nous connaissons son engagement dans ce domaine, nous lui faisons confiance et nous lui offrons naturellement tout notre concours.

C'est à elle aussi qu'il revient de lancer le débat sur l'avenir de l'Europe en engageant la réflexion sur la délimitation des compétences entre l'Union et les États ; la réorganisation des traités, pour les rendre plus clairs aux yeux des citoyens ; le statut de la Charte des droits fondamentaux et le rôle des parlements nationaux. Je m'en réjouis car ces thèmes rejoignent ceux que j'avais évoqués en juin dernier devant le Bundestag en esquissant les contours d'une future constitution européenne, portée par une vision de l'avenir qui donnera sa plénitude à l'Europe des peuples.


L'année 2000 restera aussi dans les mémoires comme une année de progrès pour la démocratie. D'abord dans les Balkans où, dès le mois de janvier, les bonnes nouvelles sont venues de Croatie. Les élections législatives, suivies de celle du Président MESIC, ont éclairé le paysage. Et puis, le peuple serbe a pris en main son destin. L'élection de M. KOSTUNICA, la transition, de haute lutte mais sans effusion de sang, furent sa victoire. Victoire sur MILOSEVIC et son odieuse politique, attentatoire à la dignité et aux droits de l'Homme.

La France, qui a beaucoup agi dans les Balkans et payé un lourd tribut dans le combat contre la barbarie, a encouragé, avec l'Union européenne, cette évolution. À son initiative, le Sommet de Zagreb, le 24 novembre dernier, a montré aux États des Balkans occidentaux que la voie de l'Europe leur était ouverte. Ce rapprochement va de pair avec les progrès de la démocratie, avec les réformes mais aussi avec la coopération entre les États de la région, coopération qui peut désormais se développer.

Au Kosovo, les élections municipales ont exprimé les aspirations modérées de la majorité, ceci contre les tenants de la violence. Restons fermement attachés à la résolution 1244 du Conseil de sécurité. Elle établit, dans les circonstances présentes, les conditions de la stabilité. Si d'autres évolutions devaient avoir lieu, elles ne pourraient résulter que du dialogue, dans le respect des principes démocratiques et le souci de la stabilité régionale.

Les progrès sont aussi venus d'Afrique avec le retour à l'ordre constitutionnel au Niger et l'alternance exemplaire au Sénégal, comme d'ailleurs au Ghana. Dans d'autres pays, le peuple s'est également exprimé, rappelant que, nulle part, on ne pouvait aujourd'hui ignorer sa volonté.

En Amérique latine enfin, nous nous sommes réjouis du renouveau démocratique au Pérou. Dans ce pays de grande culture, l'aspiration populaire à la liberté et à l'état de droit a triomphé de la confiscation du suffrage et du bien public.

Ainsi, sur plusieurs continents, la démocratie a-t-elle marqué de nouveaux points. Au-delà des cultures et des traditions, les valeurs sur lesquelles elle repose, inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme, reçoivent, en ce début de siècle, un nouvel écho. Le Sommet du Millénaire, réuni en septembre dernier à l'initiative du Secrétaire général des Nations Unies, y a contribué. Faisons en sorte que l'écho se propage. Déjà les Francophones, réunis à Bamako en octobre dernier, ont porté fortement ce message.




Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs, tournons maintenant nos regards vers la nouvelle année. Des crises persistent ou menacent. Il faudra accentuer nos efforts en faveur d'un monde plus stable, mieux organisé, plus solidaire et respectueux des générations futures.

Parmi les conflits régionaux, celui du Proche-Orient est au coeur de nos préoccupations. Une nouvelle fois, les passions se sont enflammées, déchaînant la violence, creusant le fossé d'incompréhension réciproque qu'Israéliens et Palestiniens avaient pourtant, ces dernières années, commencé de combler.

À Camp David, l'on n'a jamais été aussi près de la paix. Des tabous sont tombés, des solutions ont été esquissées. Une discussion, ouverte et prometteuse, a eu lieu sur Jérusalem.

Ne laissons pas cet inestimable acquis se dissoudre. Appelons encore et toujours à la conclusion, le plus tôt possible, des négociations de paix ! Les résolutions du Conseil de sécurité en ont tracé le cap. Madrid et Oslo leur ont donné un élan que nous devons entretenir. C'est dans cet esprit que travaille le Président Clinton auquel je tiens à rendre hommage. Qu'il soit assuré de l'appui de la France dans son effort.

La disponibilité de l'Union européenne est entière. À Berlin et à Charm El Cheikh, elle a confirmé l'équilibre de ses positions et la pertinence de son action. Elle peut apporter, aux côtés des États-Unis, dont le rôle est naturellement irremplaçable, une contribution utile et même décisive en accompagnant la conclusion et la mise en oeuvre d'un accord.

Mais la paix ne se fera pas non plus sans la Syrie ni le Liban. Pour être durable, elle doit être globale.

Les acquis des négociations courageuses engagées après la Conférence de Madrid à l'initiative d'Yitzhak RABIN et d'Hafez El ASSAD constituent une base solide pour conduire à un accord. L'objectif de la France est d'aider la Syrie et Israël à surmonter leur méfiance réciproque et à renouer les fils du dialogue.

Cette paix tant souhaitée devra également préserver l'équilibre, la cohésion et la stabilité du Liban, et lui permettre de recouvrer son entière et pleine souveraineté.


Au-delà des efforts de règlement des crises, notre objectif est l'édification d'un monde plus sûr. Cela exige que nous poursuivions, en 2001, les efforts de non prolifération nucléaire et balistique.

En Irak, la reprise des inspections et la mise en place du contrôle à long terme des armements doivent être engagées sans plus attendre pour permettre la suspension puis la levée des sanctions. Leur maintien, pour la dixième année, en frappant durement des populations innocentes et déjà trop éprouvées, pose un problème politique mais aussi moral. Nous devons parvenir rapidement à un accord au Conseil de sécurité pour préciser les conditions de l'application de la résolution 1284, et nous devons convaincre l'Irak qu'il n'existe pas d'alternative à la mise en oeuvre de cette résolution.

Dans la péninsule coréenne, il faut que la politique pleine de sagesse du Président KIM Dae-Jung trouve sa contrepartie dans la concrétisation des engagements qui ont été pris par Pyongyang.

Et plus largement, notre action doit tendre à préserver les équilibres stratégiques qui sont essentiels à la stabilité du monde et qui ont été si difficilement acquis.


L'année qui s'annonce sera marquée par l'arrivée à la Maison Blanche du Président BUSH. Les États-Unis occupent une place majeure sur la scène internationale et sont un partenaire naturel de l'Union européenne. Français et Américains sont des alliés de toujours.

Au-delà des nombreux sujets de coopération que nous partageons, je souhaite que cette année soit l'occasion de développer une relation plus mûre entre l'Union européenne et les États-Unis. J'ai évoqué ce sujet lors du Sommet du 18 décembre à Washington. L'affirmation d'une politique étrangère et de défense européenne offre l'occasion de faire de la relation euro-atlantique un partenariat adulte, plus confiant et mieux équilibré, qui donne toute sa vitalité à notre alliance.

Elle offre aussi l'occasion de développer la coopération avec la Russie dont le rôle est essentiel, avec celui de l'Union européenne et des États-Unis, pour la stabilité et la sécurité du continent européen.

Les élections présidentielles en Russie, au début de l'année dernière, ont enraciné la voie démocratique tracée naguère par Boris ELSTINE. Les réformes pour asseoir l'état de droit sont en cours dans ce très grand pays. Elles exigent détermination et persévérance. Je me réjouis que la visite du Président POUTINE à Paris, cet automne, ait permis de restaurer pleinement le cadre privilégié dans lequel, depuis toujours, s'inscrit la relation russo-française.




Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,

Les frontières s'estompent. Les interdépendances se généralisent. Le monde est aujourd'hui engagé dans une même aventure, aussi risquée que prometteuse ; dans une communauté de destin où, de plus en plus, chacun est devenu responsable de la sécurité et de la prospérité de tous. Ce monde a besoin de plus de solidarité, de règles et de principes. 2001 sera ponctuée de rendez-vous qui seront autant d'occasions à saisir pour progresser résolument dans cette voie.

Nous devons en priorité nous entendre sur la mise en oeuvre du protocole de Kyoto pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Je le redis avec force : il y a urgence. Notre responsabilité devant les générations à venir est immense. La France, avec l'Union européenne, continuera à plaider auprès des autres pays industrialisés, et notamment les États-Unis, pour parvenir à la prochaine réunion du COP 6, en Allemagne, à un bon accord. C'est possible. C'est une affaire de volonté et de responsabilité.

La même détermination devra nous guider à Bruxelles, en mai prochain, lors de la nouvelle conférence consacrée aux pays les moins avancés. Comment favoriser dans ces pays une croissance forte et durable ? Un consensus s'est dégagé, en leur faveur, autour de quelques idées de bon sens : l'annulation de leurs dettes, l'ouverture à leurs exportations, la priorité à l'éducation, à la santé, à la bonne gouvernance. Mais ces efforts risquent d'être vains sans une relance parallèle de l'aide publique au développement. Je le rappellerai à Bruxelles avec la plus grande insistance.

Puis à New York, en juin, les Nations Unies se rassembleront pour mieux lutter contre le sida. Loin d'être éradiquée, la pandémie s'étend, partout dans le monde. Pour la maîtriser, il faut accentuer les efforts de prévention. Pour que les malades du sud puissent être soignés comme ceux du nord, il faut rassembler tous les concours. Tel est l'objet de la Conférence dont la France a pris l'initiative dans le cadre des Nations Unies et qui réunira, en décembre, gouvernements, organisations internationales, ONG et laboratoires pharmaceutiques.

Nous devrons nous interroger également, cinq ans après le Sommet mondial de l'alimentation, sur l'insuffisance de progrès dans la lutte contre la faim : la malnutrition touche aujourd'hui plus de 800 millions d'êtres humains. Au même moment, l'Occident souffre des effets d'une alimentation trop industrialisée et les inquiétudes liées aux effets des organismes génétiquement modifiés sur la santé et sur l'environnement ne se sont pas dissipées. Nous devrons aborder ces questions, au G8 de Gênes, inspirés par le principe de précaution et en gardant à l'esprit qu'il faudra, demain, nourrir des milliards d'hommes en plus.


Nous devrons enfin, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, poursuivre la réflexion sur les améliorations à apporter à l'organisation de la société internationale. Éparpillées dans différentes instances multilatérales, les questions globales ne sont pas traitées pour l'heure avec suffisamment de cohérence et les pays du sud demeurent insuffisamment associés à la recherche et à la mise en oeuvre de solutions.

Je reste convaincu qu'un sommet restreint mais représentatif de la diversité du monde permettrait de donner l'impulsion nécessaire, de dégager des priorités et de favoriser une approche coordonnée des problèmes liés à la mondialisation. Si cette proposition faisait son chemin, la France serait prête à organiser une telle réunion en 2003, année où elle exercera la présidence du G8.

L'entreprise de démocratisation du monde passe aussi par une meilleure association de la société civile à l'élaboration de la loi internationale. ONG, syndicats, fédérations d'entreprises, du sud comme du nord, ont des vues à faire valoir. Il est de notre intérêt à tous que cette association s'instaure dans la transparence et dans la responsabilité en s'appuyant sur un dialogue organisé, en tous les cas mieux organisé. Tel sera, en ce qui concerne le développement durable, l'objet du rassemblement mondial qu'accueillera la France à la veille de "Rio+10".




Monsieur le Premier ministre Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,

Vous le voyez, la France poursuit, avec constance et en prenant des initiatives, son action pour l'émergence d'un monde multipolaire, un monde mieux organisé, où l'apport de chaque continent, de chaque État mais aussi de la société civile contribuera à la richesse de l'ensemble. Ce monde, où s'exprimera toute la diversité des espérances de nos peuples, n'en sera que plus pacifique. C'est une grande ambition. Mais j'ai l'espoir qu'étant largement partagée, nous pourrons la faire avancer ensemble. Et c'est le voeu que je forme pour nous tous en ce début d'année.

Je vous remercie.