Interview télévisée de M. Jacques CHIRAC, Président de la République accordée à China Central Télévision (CCTV)

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Mercredi 25 octobre 2006.

QUESTION – Monsieur le Président, on connaît votre intérêt pour l'histoire des civilisations, notamment orientales. Quels conseils donneriez-vous pour l'exploration et la préservation du patrimoine culturel en Chine, et quelles sont les expériences de la France dans ce domaine ?

LE PRESIDENT- La Chine a une très longue histoire, une très ancienne civilisation et, par conséquent, elle a des traces tout à fait exceptionnelles de cette histoire et de cette civilisation. D'où le caractère fascinant de tout ce qui fait la culture de la Chine, depuis les débuts de l'écriture jusqu'à la période contemporaine.

Je n'ai, sans aucun doute, aucune leçon à donner aux Chinois, qui ont d'excellents archéologues, de grands savants, et qui n'ont pas besoin de conseils. Si vous me demandez simplement une appréciation, je dirais que la Chine a intérêt à légaliser davantage son système, de façon certes, à protéger très efficacement tout ce qui est important, mais aussi à permettre certaines exportations qui, sinon, se font, hélas, de façon anormale. Et cela, ce n'est pas très bon. Donc, il faut essayer de maîtriser ces sorties illégales de pièces chinoises de Chine.

Et puis il y a tout ce qui concerne les fouilles. Je crois que la Chine est sage de ne pas vouloir trop faire, rapidement, notamment en ce qui concerne les tombes royales et impériales. Il y a intérêt à attendre un peu d'avoir les moyens nécessaires pour pouvoir faire ces fouilles considérables, qui auront un grand impact sur la culture mondiale, dans des conditions techniques optimales et avec les moyens suffisants. Je pense, en particulier, au tombeau du premier empereur, QIN SHIHUANGDI, qu'on avait imaginé pouvoir ouvrir, mais qu'on a eu la sagesse de ne pas ouvrir pour attendre des jours meilleurs. Je crois que c'est une sage disposition, surtout pour un site qui est destiné à devenir la huitième merveille du monde.

QUESTION – C'est votre quatrième visite en tant que Président français ; quels sont les objectifs de ce déplacement ?

LE PRESIDENT- C'est d'abord une perspective politique : la Chine prend une part de plus en plus importante dans la vie du monde. Comme on le voit, notamment, dans sa participation à des opérations de maintien de la paix de l'ONU, par exemple au Liban, récemment.

D'autre part, son développement économique est tout à fait extraordinaire et donne à l'économie chinoise une place de plus en plus importante dans le monde. Par conséquent, il est légitime d'avoir des relations aussi fortes que possible, tant politiques qu'économiques et culturelles, entre l'Europe et la Chine et, en particulier, entre la France et la Chine. C'est mon ambition dans mes relations avec la Chine.

QUESTION – La France et la Chine sont deux pays qui jouent un rôle très important dans les affaires internationales. Quels sont aujourd'hui pour elles les nouveaux enjeux en matière de stratégie internationale ? Comment ces deux pays peuvent-ils renforcer leur dialogue ?

LE PRESIDENT- La France et la Chine sont deux pays qui souhaitent la paix et la stabilité dans le monde, pour bien des raisons. Nous avons donc le même objectif. On voit, à cet égard, que la Chine est de plus en plus sensible aux problèmes internationaux. On l'a vu avec son rôle dans l'affaire de la Corée du Nord, dans l'affaire de l'Iran, dans l'affaire du Liban, ou encore par sa présence de plus en plus importante et souhaitable en Afrique, avec le prochain sommet Chine-Afrique. Dans le monde entier, la présence chinoise s'affirme, avec des objectifs qui sont également ceux de la France, c'est-à-dire des objectifs de stabilité et de paix dans le monde.

QUESTION – La Chine apprécie beaucoup votre soutien à la politique " d'un pays, deux systèmes ". Récemment, le dirigeant de Taiwan, M. CHEN SHUI-BIAN a exprimé une nouvelle fois sa détermination à obtenir l'indépendance de l'île. Quel est votre sentiment à ce propos ?

LE PRESIDENT- Vous savez, il y a très longtemps que nous avons affirmé la position de la France, qui n'a pas varié : pour des raisons à la fois historiques, géographiques, économiques, politiques, nous sommes pour l'unicité de la Chine et nous ne changerons pas d'avis.

QUESTION – Ces dernières années, les échanges commerciaux entre la Chine et la France, entre la Chine et l'Union européenne, ont parfois donné lieu à des tensions. On se souvient de la taxation très élevée sur les chaussures, imposée par Bruxelles pour maintenir l'équilibre des marchés. Il y a, bien sûr d'autres exemples. Comment harmoniser l'économie chinoise avec l'économie européenne et, d'après vous, quand l'Union européenne va-t-elle reconnaître le statut d'économie de marché de la Chine.

LE PRESIDENT- Nous sommes favorables à la reconnaissance par l'Union européenne du statut d'économie de marché, et la France l'a dit très clairement.

Dans le même esprit, nous sommes également favorables à la suppression de cet anachronisme que représente l'embargo.

A partir de là, les relations économiques entre l'Europe et la Chine posent des problèmes de concurrence. Il faut que la compétition soit aussi loyale que possible et, à cet égard, la Chine a pris -et elle les respecte- des engagements quand elle est entrée à l'OMC. Nous avons surtout un problème avec la Chine- et avec d'autres pays d'ailleurs, notamment asiatiques-, qui est celui de la contrefaçon. Il pose une vraie difficulté d'ordre politique et économique. Je sais que les autorités chinoises y sont sensibles et essayent de lutter contre le développement de cette contrefaçon. Je souhaite qu'elles y arrivent.

QUESTION – La France reste attachée à la levée de l'embargo sur les ventes d'armes de l'Union européenne vers la Chine ?

LE PRESIDENT- Je vous ai dit : j'y suis favorable. Nous plaidons au sein de l'Union européenne, pour la levée de l'embargo, parce que je considère que cet embargo relève d'un anachronisme qui n'est plus à l'ordre du jour.

QUESTION – En 2007, l'Union européenne comptera 27 pays membres. Comment jugez-vous l'avenir de l'Union européenne et sa relation avec la Chine ?

LE PRESIDENT- L'Union européenne, obéit au même principe que celui que j'évoquais tout à l'heure pour la Chine, c'est-à-dire un enracinement de la paix, de la stabilité dans le monde et de la démocratie. Dans ce contexte, je souhaite que l'Union européenne et la Chine développent -ce qui est d'ailleurs largement le cas- des rapports constants dans tous les domaines, notamment culturels, économiques et politiques, avec la Chine.

QUESTION – Quel sera le rôle de l'Union européenne dans le monde et celui de la France au sein d'une Union européenne élargie ?

LE PRESIDENT- La vocation de l'Union européenne est de renforcer la paix, la stabilité et la démocratie dans le monde. L'Europe, qui s'est beaucoup battue dans l'histoire, veut chasser la guerre. C'est également l'objectif de la Chine. Par conséquent, nous avons des objectifs communs. Evidemment, nous avons dans le domaine des modalités de mise en œuvre de la démocratie des problèmes que nous évoquons tout naturellement. Mais j'observe que la décision de la Chine de reconnaître le Pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques est un pas important dans la bonne direction, et je m'en réjouis.

QUESTION – Monsieur le Président, je vous remercie beaucoup pour cet entretien et un dernier mot pour le peuple chinois.

LE PRESIDENT- C'est un mot d'abord d'estime pour un grand peuple, pour un pays qui, incontestablement, sera l'un des plus importants et peut-être le plus important dans le monde de demain. Un peuple appuyé sur une très vieille culture -nous en avons parlé-, sur un ensemble de valeurs traditionnelles historiques qui lui donnent force et dynamisme, qui a connu comme tous les pays des difficultés d'adaptation au monde moderne, mais qui, si j'en crois en particulier l'ambition affirmée par le 11e plan, d'une part, et par les déclarations du Président HU JINTAO dans le cadre de l'évolution harmonieuse, d'autre part, me paraît faire face aussi bien que possible à ces difficultés.

QUESTION – Je vous souhaite une visite pleine de succès et un bon voyage.

LE PRESIDENT- Je vous remercie.