Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République à l'occasion de la réunion informelle des chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne.

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Lahti – Finlande, le vendredi 20 octobre 2006

LE PRESIDENT - Je voudrais d'abord, parce que c'est légitime et parce que c'est mérité, remercier la présidence finlandaise qui nous reçoit aujourd'hui de façon chaleureuse pour ce Sommet informel, qui a été un peu dans l'esprit et dans le prolongement du Sommet d'Hampton Court.

C'était une réunion utile qui avait pour objet, essentiellement, d'examiner l'élan qu'il convient de donner à nouveau à l'Europe des projets.

Nous avons abordé trois thèmes au cours de ce déjeuner : l'énergie, avec notamment la préparation à 27 de nos entretiens de ce soir avec le Président POUTINE ; l'immigration ; et la situation au DARFOUR, sur le rapport de Tony BLAIR. Cet après-midi, comme vous le savez, nos travaux ont été consacrés aux problèmes liés à l'innovation et à la compétitivité dans l'Union européenne.

La mise en place d'une politique européenne de l'énergie sera l'un des grands enjeux de la présidence allemande qui va débuter au début de l'année prochaine. Vous le savez, la France apportera tout son soutien, à la présidence allemande dans ce domaine.

J'ai notamment proposé d'aller de l'avant sur trois sujets, que je considère prioritaires, et qui ont été tout à fait approuvés par la présidence allemande. D'une part, l'efficacité énergétique, d'autre part, le développement des biocarburants de deuxième génération ainsi que du charbon propre ; et, troisièmement, naturellement, la lutte contre le changement climatique qui s'impose, de plus en plus, comme l'une des priorités dans les réflexions actuelles internationales, notamment de l'Union européenne.


Nos échanges sur les aspects extérieurs d'une politique, d'une diplomatie énergétique de l'Europe, ont été fructueux. En mettant en cohérence les interventions extérieures de l'Union, c'est-à-dire la PESC, la politique commerciale, le volet extérieur de la politique européenne de l'environnement, en mettant cela ensemble, nous pouvons espérer progresser positivement vers une politique énergétique européenne équilibrée, en développant une stratégie d'ensemble avec nos fournisseurs. J'ai proposé l'organisation, l'an prochain, d'un sommet européen de l'énergie, pour jeter les bases d'un partenariat nécessaire sur ces questions.

Notre rencontre de ce soir avec le Président POUTINE sera, dans cet esprit, importante. Parmi nos fournisseurs, la Russie, vous le savez, occupe une place tout à fait éminente, notamment dans le domaine du gaz. L'Union européenne et la Russie ont donc intérêt à s'entendre. Dépasser les difficultés actuelles implique que chacun fasse des mouvements. La Russie a des intérêts légitimes. Il est naturel qu'elle les défende. L'Europe a des intérêts légitimes qu'elle doit également défendre, naturellement. C'est la recherche d'une harmonie entre ces intérêts légitimes, c'est à cette recherche que nous nous sommes consacrés.

Sur la Charte de l'énergie, nous avons franchi, vous le savez, à Saint-Pétersbourg au moment du G8, une première étape, avec la réaffirmation par Moscou de son adhésion aux principes de la Charte de l'énergie. A Compiègne, nous en avions longuement parlé avec M. POUTINE et Mme MERKEL ; et nous avions incité le Président POUTINE à consolider ses engagements approuvant les principes de la Charte de l'énergie.

Aujourd'hui, la Commission a proposé de reprendre les principes de cette Charte, dans le futur accord Union européenne-Russie, dont la négociation commence, vous le savez, au mois de novembre. Et nous sommes naturellement, en tous les cas moi je suis tout à fait d'accord, sur cette proposition de la Commission. Je l'ai dit clairement à la suite de l'exposé du Président de la Commission.

L'Europe est en position constructive dans tous ces domaines. Elle souhaite que la Russie s'inscrive, elle aussi, dans une logique de partenariat, en particulier pour les investissements européens ; dans une logique de liberté, de liberté contrôlée, des investissements européens en Russie. C'est le message que nous allons passer tout à l'heure au Président POUTINE dans le rapport que le Premier ministre VANHANEN fera de nos travaux et de nos réflexions communes.

Nous avons également discuté d'immigration avec M. PRODI et M. ZAPATERO, et cinq autres pays méditerranéens de l'Union. Nous avons écrit, le 25 septembre, à la présidence finlandaise, pour demander la mobilisation de l'Europe face à la situation d'urgence en matière d'immigration. La crise migratoire concerne l'Europe tout entière. Notre réponse, dans l'esprit de la Conférence euro-africaine de Rabat, doit combiner une lutte sans merci contre les réseaux criminels qui sont ceux de l'immigration, d'une immigration illégale et aussi, une approche générale de co-développement.

Il est évident, et j'ai eu l'occasion d'intervenir sur ce point, que la démographie, telle qu'on l'imagine dans les quarante prochaines années, qui va plus que doubler la population de l'Afrique, alors qu'il est évident que les capacités de la nourrir ne suivront évidemment pas ce rythme, suppose une vraie politique de développement qui, pour le moment, n'a pas les moyens d'être mise en œuvre. Ce qui suppose que l'on cherche ces moyens ailleurs que dans les budgets des Etats qui ne suivront pas et que l'on cherche, par des financements innovants, le moyen d'apporter les moyens de développement indispensables pour fixer ces populations qui ne quittent leurs terres, bien entendu, que parce qu'elles ne peuvent pas y survivre.

Le moment est venu, pour l'Union européenne, de définir une politique européenne de l'immigration qui devra traiter du droit d'asile, de la surveillance des frontières, des régularisations. Nous y reviendrons plus en détail au mois de décembre. J'ai notamment fait l'observation, concernant les régularisations qui ont eu lieu ici ou là en Europe, de façon importante et même massive, j'ai fait apparaître que je comprenais parfaitement que chaque pays porte un jugement et définisse une politique en matière d'immigration qui soit la sienne, pour des raisons politiques, économiques, sociales, morales. Je n'ai pas à porter de jugement sur ce point. Mais à partir du moment où nous sommes tous dans le système Schengen, tout le monde en supporte les conséquences, et donc chacun doit être, au minimum, associé aux décisions qui sont prises dans ce domaine.

Nos travaux de cet après-midi ont été consacrés au moyen d'encourager l'innovation en Europe. C'est un enjeu évidemment majeur pour la croissance et pour l'emploi dans l'avenir. C'est une question centrale si nous voulons maintenir la compétitivité de l'Union face aux grands défis du monde contemporain que lance, en particulier, des pays à forte émergence, comme la Chine ou l'Inde.

Nous avons également discuté d'initiatives concrètes sur le financement de l'innovation, sur le soutien aux petites et moyennes entreprises et sur les liens recherche-industrie.

Voilà, jusqu'ici, ce qui s'est passé à l'occasion de ce sommet, utile et intéressant, organisé par la présidence finlandaise.

QUESTION - L'organisation "reporters sans frontières" estime que vingt-et-un journalistes ont été assassinés en Russie sous la présidence de Vladimir POUTINE. En conséquence, RSF fait appel à vous pour que vous démettiez Vladimir POUTINE de son titre de Grand Croix de la Légion d'Honneur. Est-ce que vous trouvez que c'est une bonne idée ? Ou alors est-ce que vous pensez que les Européens ont d'autres moyens de faire comprendre à Vladimir POUTINE que les droits de l'Homme, la liberté d'expression sont des valeurs auxquelles nous sommes très attachées, en dépit de notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie ?

LE PRESIDENT - De toute façon, il n'est pas question de lier des actions morales à des actions économiques, ce sont deux domaines différents. Vous avez raison de le souligner. Ce sont des sujets, tout ce qui touche aux droits de l'Homme, que nous évoquons souvent avec des pays étrangers, et notamment avec la Russie, régulièrement, en particulier, avec le Président POUTINE, à l'occasion des entretiens et rencontres que nous pouvons avoir avec lui.

Je sais que c'est un des sujets qu'abordera la présidence finlandaise au nom de l'ensemble des 27 pays membres, ou bientôt membres, de l'Union européenne. Ce sont des sujets que nous avions abordés avec M. POUTINE et Mme MERKEL lorsque nous nous sommes rencontrés récemment.

S'agissant de la plaque de Grand Croix de la Légion d'Honneur, je voulais simplement vous dire qu'il y a une tradition républicaine qui fait qu'on donne la plaque de Grand Croix de la Légion d'Honneur aux chefs d'Etat étrangers et que, par conséquent, il ne faut pas y attacher une importance particulière ou une raison morale.

QUESTION - Le président du Parlement européen Joseph BORREL a souligné qu'il ne fallait pas échanger les droits de l'Homme contre l'approvisionnement énergétique. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette association ?

LE PRESIDENT - Ce sont deux sujets qui n'ont pas de rapport, ce sont des problèmes liés aux droits de l'Homme. D'abord, M. BORREL, n'a pas dit cela.

Je voudrais d'ailleurs souligner que l'intervention très remarquable qu'il a faite aujourd'hui, -limitée aux problèmes de l'immigration, où il a dit des choses très intéressantes, que j'ai totalement approuvées-, a provoqué chez moi une réflexion.

J'observe, depuis quelques temps, que le rôle en matière de propositions et de décisions du Parlement européen, au sein des institutions européennes, a tendance très nettement à s'accroître, par la qualité de son travail, ou, peut-être, par l'insuffisance d'autres institutions. Il y a sans aucun doute une importance croissante que prend le Parlement européen, et ceci dans le meilleur sens du terme.

A la suite du rapport de M. BORREL sur l'immigration, qui était un rapport intéressant, important, j'ai tenu à souligner cet aspect de l'évolution des choses. Pour le reste, sur les droits de l'Homme, nous avons l'occasion, régulièrement, d'en parler avec tel ou tel pays, notamment avec le Président POUTINE.

QUESTION - Le 29 septembre, à Madrid, Nicolas SARKOZY a fait un certain nombre de propositions sur l'immigration. Il a, par ailleurs, eu une polémique avec le Chef du gouvernement espagnol M. ZAPATERO, sur les régularisations. Dans le ton et sur le fond, était-ce bien la position de la France ?

LE PRESIDENT - J'ai eu l'occasion d'intervenir dans le même esprit et dans le même sens que ce que, à juste titre, avait dit le Ministre de l'Intérieur, à M. ZAPATERO ; à savoir que nous n'avons pas de jugement à porter sur les politiques de régularisation qui peuvent être mises en œuvre dans tel ou tel pays de l'Union européenne, pour des raisons morales, politiques, pour des raisons qui les concernent. En revanche, à partir du moment ou nous sommes tous dans Schengen, tous les pays qui sont dans Schengen sont, en quelque sorte, solidaires des conséquences que comportent ces politiques. M. SARKOZY a eu parfaitement raison de le souligner. Je l'ai fait, à mon tour, aujourd'hui, sans que cela provoque la moindre réaction de la part de M. ZAPATERO, qui comprend parfaitement la situation. 500 000 personnes qui sont régularisées avec les familles, ce n'est pas sans conséquences sur l'ensemble des membres de Schengen.

QUESTION - Je vous demande de m'autoriser à poser une question qui dépasse un peu le cadre du sommet. Il s'agit de la déclaration faite ce matin par le général PELLIGRINI où il fait allusion à un possible recours à la force si les survols israéliens continuent au Liban. Est-ce que cela signifie que les démarches effectuées, notamment par la France, auprès des autorités israéliennes ont échoué pour les amener à arrêter les survols ?

LE PRESIDENT - Non. Je ne sais pas ce qu'a dit exactement le général PELLIGRINI. Ce que je sais, c'est que l'ONU, qui est chargée de définir la stratégie et l'action de la FINUL nouvelle, a donné très clairement ses instructions et que le général PELLIGRINI, comme l'ensemble de la FINUL, bien entendu, s'inscrira dans le cadre des instructions de l'ONU.

Je rappelle néanmoins que nous souhaitons vivement que la résolution 1701 soit appliquée dans sa lettre et dans son esprit, et que les survols, par l'aviation israélienne, du Liban, sont contraires à l'esprit et à la lettre de la 1701, et qu'il faut, d'une façon ou d'une autre, que cette résolution soit appliquée.

QUESTION - Pardon de revenir sur la présence de Vladimir POUTINE et sur l'assassinat récent de la journaliste Anna POLITKOVSKA?A. Est-ce que vous allez en parler au Président POUTINE, vous-même ?

LE PRESIDENT - Non seulement, je lui en ai parlé, à la suite de cet assassinat, mais j'ai tenu personnellement à m'adresser à ses enfants pour leur dire mon émotion, l'horreur que m'inspirait cet assassinat, et je ne m'en suis pas caché. Nous avons, j'ai demandé, au Président POUTINE que l'enquête qui allait être faite par la Russie soit une enquête excessivement sérieuse et transparente, et, naturellement, qu'elle soit connue et que chacun sache ce qui s'est passé, de façon aussi incontestable qu'il est possible dans ce genre d'événement. Voilà. Je pense que l'on dira la même chose au Président POUTINE.

Je vous remercie.