Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du 20e anniversaire du Comité consultatif national d'Éthique pour la Santé et les Sciences de la Vie.

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Paris, le dimanche 23 février 2003

Monsieur et Mesdames les Ministres, Monsieur le Secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

A bien des égards, l'aventure de la bioéthique a commencé avec la création par la France du premier comité national d'éthique, dont nous célébrons aujourd'hui le vingtième anniversaire.

Ce comité est né de la prise de conscience que notre monde est le théâtre d'une véritable révolution des sciences de la vie. Une révolution qui met en question les notions même d'identité et de respect de la personne humaine, c'est-à-dire le coeur de nos cultures et de notre civilisation.

Car ce qui fait la singularité des progrès dans les domaines de la biologie et de la génétique, c'est leur force et leur ambivalence. En faisant entrer la science dans le sanctuaire de la vie, ils portent en eux le meilleur et le pire. La possibilité de faire reculer radicalement la souffrance, la maladie, le handicap. Mais aussi les plus grands risques, au premier rang desquels les dérives eugéniques, les atteintes à la biodiversité, l'asservissement de la science à une volonté de puissance. L'onde de choc qui a traversé le monde lorsqu'une secte a prétendu avoir réalisé le premier clonage humain est venue rappeler à tous les dangers qui s'attachent à la prolifération de savoirs dévoyés.

La réflexion éthique est la première des réponses à cette ambivalence. A l'intersection de la science, du droit et de la morale, sa vocation est de réaffirmer les interdits fondamentaux et d'encadrer l'usage des techniques nouvelles, en recherchant en permanence un juste équilibre entre les droits des malades, la liberté de la recherche et le respect des valeurs essentielles de notre société.

Pour cela, il faut une conscience incarnée dans une instance pluridisciplinaire, chargée d'enrichir la réflexion, d'énoncer les termes du débat public et d'éclairer les choix qui devront être faits par la société. C'est la mission des comités d'éthique qui, à votre image, se sont créés un peu partout dans le monde.

Il faut aussi un droit avec des règles, des interdits, des procédures. Un droit à la fois stable dans ses fondements et capable d'évoluer pour répondre à l'accélération du progrès scientifique et technique. C'est l'objet des lois relatives à l'éthique biomédicale dont notre pays s'est doté en 1994 et qui sont en cours de révision devant le Parlement.

Il faudra enfin instaurer un ordre mondial de la bioéthique, sans lequel le respect des droits nationaux et des libertés fondamentales de l'Homme ne serait qu'une illusion. Cet ordre mondial, nous commençons à l'ébaucher.

Approfondir notre réflexion éthique, adapter notre droit aux évolutions récentes de la science, favoriser l'adoption d'une convention internationale de bioéthique : voilà les buts que nous devons nous fixer pour que le progrès scientifique soit toujours synonyme de progrès humain.


Il est difficile d'imaginer que le Comité consultatif national d'éthique pour la santé et les sciences de la vie n'a que vingt ans, tant il est enraciné dans nos institutions et dans notre société.

Consultatif, le Comité n'a tiré son influence que de la sagesse de ses avis. La décision des pouvoirs publics de lui conférer le statut d'autorité administrative indépendante consacre l'autorité morale qu'il a acquise, bien au-delà du seul domaine des sciences de la vie.

Sous la présidence de trois hautes personnalités, alliant au plus haut point la compétence scientifique et l'humanisme, MM. les Professeurs Jean BERNARD, Jean-Pierre CHANGEUX et Didier SICARD, le Comité a rendu près de 75 avis, réflexions, recommandations ou rapports. Ils ont tous alimenté le débat public, fait évoluer les esprits ou inspiré le législateur.

Ce succès doit beaucoup à une méthode de travail reconnue partout dans le monde et que je voudrais saluer. C'est celle de la pluridisciplinarité et de la conviction réciproque. Elle conduit des médecins et des scientifiques à écouter des raisonnements juridiques, des juristes à mesurer le poids des contraintes scientifiques et médicales ou des philosophes à se confronter à des situations concrètes. C'est aussi celle de l'ouverture sur la communauté scientifique et la société tout entière, avec notamment l'audition de personnalités ou d'experts invités à éclairer les travaux du Comité.

Cette méthode explique le grand nombre d'avis consensuels rendus par le Comité malgré l'extrême complexité des sujets abordés.

En privilégiant le dialogue et l'échange, le Comité consultatif national d'éthique a pleinement rempli sa mission. Il a répondu au besoin d'information et de débat sur des sujets qui concernent tous les citoyens. Il a fortifié le lien entre conscience morale et progrès scientifique.

Qu'il s'agisse de l'expérimentation sur l'homme, de la protection de l'embryon, de la non commercialisation des éléments du corps humain, pour ne reprendre que quelques-uns des thèmes de vos avis, vous avez posé des principes fondamentaux et vous avez favorisé l'émergence d'un débat démocratique.

Parmi les questions essentielles, ouvertes par le Comité d'éthique, il y a notamment celles des "biothèques". Les collections de cellules et de tissus humains constituent une étape aussi importante pour le développement des sciences de la vie que l'installation des bibliothèques et des archives pour l'histoire de nos sociétés.

Sans empiéter sur les compétences du législateur, vous contribuez à éclairer sa réflexion et à guider l'élaboration d'un droit de la bioéthique. Je pense notamment à votre avis sur la non commercialisation du génome humain ou encore à la réponse que vous avez apportée à ma saisine sur le clonage reproductif.

Cette magistrature de réflexion est essentielle aux démocraties modernes. Ce n'est pas un hasard si vous avez bien souvent servi d'exemple aux comités d'éthique qui se sont créés partout dans le monde et avec lesquels vous entretenez des relations suivies, essentielles à l'émergence d'une conscience mondiale commune dans le domaine des sciences de la vie. Je tiens notamment à saluer la qualité des travaux menés avec le Comité d'éthique allemand, qui se traduira demain par un séminaire réunissant vos deux institutions.


L'année 2003 n'est pas seulement l'année du vingtième anniversaire du Comité consultatif national d'éthique : c'est aussi, avec la révision de la loi de 1994, celle de la consécration du droit relatif aux questions d'éthique biomédicale comme un droit à part entière, un droit jeune, un droit modèle.

C'est un droit jeune. Il a émergé une décennie après la création de votre Comité, lorsqu'il est apparu nécessaire de passer de l'éthique au droit.

Dix ans après la loi de 1994, les interrogations multiples qui avaient entouré la naissance de ce droit se sont largement dissipées. Loin d'y voir une orientation dirigiste de la recherche ou une entrave au progrès, les chercheurs et les médecins s'accordent sur la nécessité d'une loi qui donne un fondement juridique aux pratiques les plus innovantes, favorise leur acceptation sociale et prévient les dérives. De son côté, le législateur a surmonté les réticences qu'il avait à s'aventurer dans un domaine technique en perpétuelle évolution, domaine aux confins de la liberté de conscience.

Loin d'être un droit flou, le droit relatif aux questions d'éthique biomédicale s'est imposé à bien des égards comme un droit modèle.

Il repose sur l'affirmation de valeurs intangibles qui découlent de notre conception de l'homme et de sa dignité. Mais la formation de ce droit passe aussi par la recherche obstinée du consensus, sans jamais perdre de vue cet absolu. En témoigne le fait qu'en 1994 comme en 2003, une majorité nouvelle aura achevé ce que l'ancienne majorité avait mis sur le métier. La qualité des débats parlementaires, marqués par le respect des convictions intimes et le dépassement des frontières partisanes, le démontre aussi.

C'est également un droit qui doit être en prise directe avec les réalités et avec l'accélération des découvertes et les questions éthiques qu'elles suscitent. C'est pourquoi il est essentiel d'achever rapidement la révision de ces lois.

A ce titre, je voudrais évoquer, si vous me le permettez, trois questions qui me semblent particulièrement importantes : le clonage, l'utilisation des cellules souches et la brevetabilité du génome humain.

Le clonage n'avait pas même été cité dans la loi de 1994, tant il paraissait irréel. Il est aujourd'hui au coeur d'un débat éthique et scientifique majeur.

Dans la mesure où il rompt avec la procréation sexuée au profit d'une reproduction génétiquement à l'identique d'êtres vivants, le clonage reproductif représente la forme la plus extrême de l'eugénisme. Son expérimentation serait inacceptable. Elle serait contraire au principe même de l'évolution, qui est le propre de l'humain et, plus généralement, du vivant. Ce serait l'une des pires atteintes à la liberté et à la dignité de la personne humaine. J'approuve donc sans réserve le projet actuellement en discussion qui l'interdit et qui en fait un crime contre l'espèce humaine.

La technique du clonage peut aussi avoir des visées thérapeutiques et votre comité s'est penché sur cette question dans un avis très circonstancié.

Le problème doit être examiné dans le cadre plus général de la mise au point de thérapies cellulaires à partir de cellules souches.

Je suis, pour ma part, favorable aux recherches dans ce domaine. Les thérapies cellulaires ouvrent en effet des perspectives très sérieuses dans la lutte contre les maladies dégénératives. Elles laissent aussi entrevoir une médecine nouvelle, qui ne soit pas seulement défensive, mais préventive, réparatrice et régénératrice. Nous devons nous saisir de cette chance de faire reculer la souffrance, la maladie et le handicap.

Mais il faut agir avec discernement. Les cellules souches sont de trois sortes : elles peuvent être prélevées sur un organisme adulte, sur un embryon conçu dans le cadre d'un acte d'assistance médicale à la procréation, ou encore être issues d'une opération de clonage.

Il faut au premier chef encourager les recherches sur les cellules adultes. Les expérimentations actuelles, semble-t-il, sont prometteuses. Elles présentent l'immense avantage de ne pas poser de problèmes éthiques.

S'agissant des recherches sur les cellules embryonnaires, je me suis, pour ma part, comme j'imagine chacune et chacun d'entre vous, interrogé, car je me refuse à toute conception utilitariste de l'embryon humain. J'ai consulté, j'ai entendu les scientifiques, pour qui les recherches sur les cellules embryonnaires permettront d'aller plus vite dans le développement des thérapies cellulaires. Elles devraient aussi faire progresser la recherche fondamentale dans le domaine du cancer en permettant de mieux comprendre les processus de division et de différentiation cellulaires. Cela m'a conduit à accepter une autorisation transitoire et strictement encadrée de ce type de recherches. Mais à trois conditions, qui figurent dans le projet soumis au Parlement :

- il faut d'abord que soit maintenue l'interdiction de créer des embryons à des fins de recherche, c'est-à-dire que ces recherches ne puissent porter que sur des embryons conservés à la suite d'un acte d'assistance médicale à la procréation et qu'elles fassent l'objet d'une autorisation préalable donnée par un comité d'experts ;

- il faut, ensuite, que les couples à l'origine de ces embryons, ayant renoncé à tout projet parental, aient pris la décision de les remettre à la recherche plutôt que de les voir détruits ;

- enfin, ces embryons ne doivent en aucun cas être réimplantés.

En revanche, dès lors qu'il existe des alternatives sérieuses à l'utilisation pour la recherche de cellules souches issues du clonage, je ne suis pas favorable au clonage dit thérapeutique. Certes, je mesure la valeur de l'argument selon lequel ces cellules présentent des avantages sur le plan immunologique. Mais cette technique conduit à créer des embryons à des fins de recherche et de production de cellules. Malgré l'interdit, elle rend matériellement possible le clonage reproductif et risque de conduire à des trafics d'ovocytes, attentatoires à la dignité de la femme.

Le projet de loi en cours d'examen exprime donc le souci d'un juste équilibre en autorisant et en encadrant pour 5 ans les recherches sur les cellules embryonnaires mais en interdisant en revanche le clonage thérapeutique.

Je voudrais enfin aborder la question de la brevetabilité du génome, sur laquelle vous vous êtes également prononcés. Il nous faut faire respecter la déclaration des Nations Unies de 1998 qui a inscrit le génome humain au patrimoine de l'humanité. Dès lors, il ne doit pouvoir faire l'objet d'aucune appropriation.

Certes, il convient de ne pas porter atteinte à la propriété intellectuelle et industrielle, qui est l'un des moteurs du progrès scientifique. Mais les brevets ne doivent pas empêcher d'utiliser un gène ou une séquence de gène au seul motif qu'ils auraient déjà été employés dans l'élaboration d'une innovation. Autrement dit, un gène doit pouvoir être breveté en tant qu'il fait partie d'une technique nouvelle, mais chacun doit être libre d'accéder à ce gène pour une autre application. Que penserait-on d'un compositeur qui prétendrait s'arroger l'usage exclusif d'une note de musique ?

Sur la base de ces principes, la France a souhaité engager la transposition de la directive sur la protection juridique des inventions biotechnologiques. C'est cette position qu'elle défend par la voix de Jean-François MATTEI et de Claudie HAIGNERE, sur le plan européen et international. Elle le fait à la fois pour des raisons éthiques et dans l'intérêt de la recherche, qui serait à terme entravée par une conception trop large de la brevetabilité du génome humain. Je voudrais également dire toute ma reconnaissance à notre ministre chargée des Affaires européennes dont chacun sait la part qu'elle a prise, aussi, dans la formation de la conscience collective, en France, de ces problèmes. Je la remercie.


Au-delà de l'adaptation de notre droit à l'évolution scientifique et technique, nous devons mettre en place des règles internationales communes.

J'insiste sur la complémentarité des deux démarches. A l'heure de la mondialisation, les lois nationales ne sont évidemment plus suffisantes. Mais ce sont elles qui ouvrent la voie aux normes universelles. La rapidité avec laquelle votre comité d'éthique a fait école dans le monde entier témoigne de l'utilité des expériences nationales pour faire naître des pratiques universelles. Ne sous-estimons ni la valeur de l'exemple ni la dynamique et la force d'entraînement du droit.

Nous avons reçu de nos pères, instruits par les guerres mondiales et la Shoah, cette loi morale fondamentale que constitue la Déclaration universelle de 1948, applicable à l'humanité tout entière. Il nous revient maintenant d'en tirer tous les enseignements et de dire ce que doit être, par delà les différences de culture, d'origine ou de religion, l'éthique d'une science de la vie pleinement respectueuse de la vie.

Car des dérives nouvelles menacent la dignité humaine. Des chercheurs dévoyés renouent avec les fantasmes eugénistes qu'on aurait voulu voir disparaître avec les totalitarismes. Des laboratoires sans scrupule se livrent à l'expérimentation prématurée de nouvelles molécules sur des populations pauvres et sans recours. La traite d'organes ou de tissus donne lieu à des trafics ignobles. Ces abus sont un défi à la conscience universelle. Il faut les faire cesser.

Voilà pourquoi je souhaite l'adoption d'une convention mondiale de bioéthique.

Des jalons ont été posés. Par la convention d'Oviedo, le Conseil de l'Europe s'honore d'avoir, le premier, énoncé les principes d'une bioéthique pour notre continent. Fidèle à sa vocation, l'UNESCO a mis en place le Comité international de bioéthique et le comité intergouvernemental de bioéthique. Par sa Déclaration de 1997 sur le génome humain, elle a su affirmer les règles intangibles dans ce domaine. Elle a établi les fondements d'un consensus mondial destiné à prévenir les crimes contre la dignité de l'homme, tels que le clonage humain reproductif.

A l'initiative de la France, l'Organisation des Nations Unies a intégré cette déclaration dans le corpus international. Cette année encore, la commission des droits de l'homme affirmera sa vigilance. Et à la demande de la France et de l'Allemagne, l'ONU s'est engagée à préparer un traité qui prohibera le clonage humain.

Nous devons en effet conduire le débat à l'échelle planétaire. Il faudra avancer avec humilité, avec patience et avec un sens affirmé du dialogue. Prendre en compte les craintes des uns et les espoirs des autres. Respecter les valeurs, les interdits et les idéaux de chacun. Donner la parole à tous les Etats et accompagner les décisions qui seront prises de politiques de coopération avec les pays les plus pauvres. Mais aussi être fermes dans notre volonté de ne pas freiner le développement des sciences, de ne pas empêcher, par une sorte d'obscurantisme moderne, des progrès utiles à la médecine et à la connaissance.

Cette année, le Gouvernement remettra en chantier la ratification de la Convention d'Oviedo. Je recevrai en mai prochain le Comité international de bioéthique de l'UNESCO.

Enfin, je souhaite me rendre, à l'automne, devant la conférence générale de l'UNESCO et je prendrai, au nom de la France, une initiative en vue de l'élaboration d'une convention internationale de bioéthique.


Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

En 1789, la France proclamait les droits de l'homme à l'intention de tout le genre humain. Fidèle à cette vocation universaliste, elle doit aujourd'hui être aux premières lignes du combat pour la bioéthique, afin que les sciences de la vie restent des sciences au service de l'homme. Je vous remercie.