Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République à l'occasion de l'élévation à la dignité de grand officier de la Légion d'honneur de M. Juan Antonio SAMARANCH, Président du Comité international olympique.

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Palais de l'Elysée, le jeudi 28 août 1997

Monsieur le Président du Comité international olympique,

Je suis heureux de vous accueillir dans ce palais de l'Elysée et de vous témoigner ainsi à la fois l'estime et la reconnaissance de la France pour l'action qui, depuis longtemps, est la vôtre au service d'une des causes, probablement les plus belles ou les plus nobles que l'on puisse servir et ceci en vous remettant la plaque de grand officier de la Légion d'honneur.

Mais permettez-moi tout d'abord, et conformément à la tradition, de saluer et de remercier de leur présence les hautes personnalités qui ont tenu à s'associer à l'hommage que j'ai souhaité vous rendre. Chacun connaît, en effet, vos mérites : ils ne sont pas ordinaires. Votre oeuvre, dans votre domaine, a été une oeuvre considérable.

" Il ne suffit pas de tracer des sentiers " disait votre illustre prédécesseur, Pierre de Coubertin, qui ajoutait : " Il faut souvent y revenir, et à plusieurs reprises, pour les élargir et les rendre praticables ".

Ce message d'un homme qui se présentait simplement comme " un éclaireur ", vous l'avez repris à votre compte. Grâce à votre énergie, à votre puissance de travail, à votre force de conviction et à votre sens de la diplomatie aussi, vous avez réussi à redonner toute sa force à ce très bel idéal qui a traversé les siècles depuis ce jour où, dans le marbre d'Olympie, a été gravée la victoire d'un athlète, celle de Kérébos.

Les solides études économiques que vous avez effectuées ne vous destinaient pas directement, vous, l'héritier d'une dynastie industrielle de Catalogne, à exercer des fonctions aussi éminentes dans le domaine sportif.

Vous poursuivrez d'ailleurs une brillante carrière dans le monde bancaire et financier, puisque vous présiderez notamment la Caixa, la Caisse d'épargne et de retraite de Barcelone, une très importante institution financière catalane dont vous êtes, d'ailleurs je crois, aujourd'hui le président honoraire.

Mais vous n'avez jamais oublié le goût que vous avez nourri dès votre enfance pour le sport - le football que vous avez pratiqué au collège allemand de Barcelone, la boxe dont vous fréquentiez assidûment les salles en compagnie de votre oncle avant de monter vous-même sur le ring, ou le hockey dont vous avez toujours été un fervent adepte. C'est précisément le rink-hockey qui révélera vos qualités de dirigeant sportif. Vous créerez et entraînerez vous-même l'équipe nationale espagnole sacrée championne du monde en 1951.

Vous avez trouvé votre voie : vous qui vous consacrez désormais à l'organisation du sport, tout en réussissant une belle carrière dans la banque et une entrée en politique qui vous conduira du Conseil municipal de Barcelone où vous êtes chargé des sports, à la " diputación " de Barcelone, dont vous serez élu président. Et lorsque vous quittez Barcelone en 1977, c'est pour devenir, à la demande de Sa Majesté le Roi Juan Carlos, le premier ambassadeur d'Espagne à Moscou, où vous êtes chargé de renouer des relations diplomatiques interrompues depuis 40 ans avec l'URSS.

Dans le domaine sportif, vous avez gravi avec aisance tous les échelons.

Vous présidez la Fédération espagnole de patinage lorsque vous êtes désigné comme membre du Comité olympique espagnol. Vos fonctions vont prendre alors une dimension internationale et votre talent d'organisateur va pouvoir pleinement s'exprimer.

Ce sera le succès des Jeux méditerranéens de Barcelone - vous serez plus tard vice-président du Comité international de ces Jeux. Suivra celui du Salon nautique international auquel vous allez donner un développement exemplaire et dont vous assumerez la présidence. En 1956, vous êtes, avec brio, chef de mission aux Jeux olympiques de Cortina d'Ampezzo, puis de Rome en 1960 et de Tokyo en 1964. En 1966, vous êtes élu membre du Comité international olympique et, dès 1968, vous assumerez, pendant sept ans, les fonctions délicates de chef du Protocole, que vous exercerez de nouveau en 1979, pour préparer les Jeux de Moscou. En 1970, vous entrez à la Commission exécutive : d'abord membre élu, puis membre de droit, vous ne la quitterez plus. Vous accédez en effet en 1974 à la vice-présidence du CIO et en 1980, vous quittez Moscou et la carrière diplomatique pour succéder à Lord Killanin. Vous devenez ainsi le septième président du Comité international olympique, fonctions auxquelles vous avez été constamment réélu depuis dix-sept ans et dans lesquelles - sans vouloir, naturellement, préjuger ou m'immiscer en aucune manière dans les décisions de cette grande institution - dans lesquelles vous devriez être confirmé une nouvelle fois dans les tout prochains jours "si mon petit doigt est bien informé".

Dès 1980, vous vous installez à Lausanne, au siège même de l'Organisation olympique où vous entreprenez immédiatement de réaliser l'un des rêves de Pierre de Coubertin : créer un musée de l'Olympisme. Ce sera chose faite treize ans plus tard lorsque le nouveau musée olympique, auquel vous avez fait don de votre propre collection philatélique, ouvre ses portes le 23 juin 1993.

Premier président à faire entrer des femmes au sein du CIO et surtout premier président à admettre des athlètes professionnels à concourir aux Jeux olympiques, vous êtes décidé à donner, dès le début de votre mandat, une nouvelle impulsion au Mouvement olympique, un mouvement secoué par les difficultés politiques de la XXIIe olympiade. Vous vous faites alors pèlerin et vous allez défendre, auprès des chefs d'Etat et des dirigeants sportifs du monde entier, la cause de l'olympisme.

Homme d'action, fin négociateur, financier averti et habile diplomate, vous allez conférer au CIO un rayonnement international jamais atteint. L'idéal olympique connaît ainsi, sous votre autorité, une expansion et une audience extraordinaires : c'est un énorme succès que l'on vous doit à vous, l'infatigable voyageur qui a tenu à asseoir véritablement l'universalisme des Jeux olympiques en favorisant, dans chaque pays, la création d'un Comité national olympique.

Je sais que ce succès est, d'ailleurs, aujourd'hui l'un de vos soucis puisque vous avez à maîtriser le gigantisme, en quelque sorte, de ces Jeux, pour les maintenir à une échelle humaine et faire en sorte que cette rencontre de la jeunesse demeure la grande fête du sport et de l'amitié où, dans le respect des règles et en écartant notamment les facilités du dopage, les athlètes cherchent à se surpasser.

Votre fidélité aux traditions et aux valeurs olympiques se traduit aussi par de nouvelles initiatives dont je voudrais vous féliciter.

L'une a une portée symbolique : il s'agit de la dictée que vous avez organisée en mars dernier à Lausanne, avec le désir de souligner ce que la langue française représente pour l'olympisme : j'y suis, vous le savez, particulièrement sensible.

D'autres sont marquées par cet esprit de solidarité propre à l'olympisme et mon pays apporte son soutien entier à leur réalisation. La France et le CIO vont ainsi conjuguer leurs efforts en faveur des pays en voie de développement et notamment des pays d'Afrique : l'aide olympique renforcera l'assistance technique que la France apporte déjà aux pays francophones d'Afrique dans le cadre de la coopération, je m'en réjouis beaucoup et je vous en remercie.

Il est d'autres terrains où la France et le CIO peuvent oeuvrer ensemble à la reconnaissance des valeurs olympiques.

J'avais ainsi souhaité que soient de nouveau organisées, pour les Jeux de Sydney, les compétitions de canoë-kayak en eaux vives. L'épreuve de slalom peut désormais être inscrite au calendrier des prochains Jeux. Je sais que vous ferez en sorte que ces épreuves soient maintenues et de cela aussi je tiens à vous exprimer toute ma reconnaissance.

Je voudrais aussi vous dire que je partage votre souci de renforcer le rôle du sport dans le cadre de l'Union européenne, et je suis intervenu dans ce sens, vous le savez, lors des réunions des conseils européens. Je crois nécessaire de faire appel pour cela à des institutions internationales reconnues. Et le CIO et sa compétence le désigne naturellement pour tenir ce rôle d'interlocuteur indispensable et d'expert auprès des communautés.

Nos démarches, en se rejoignant, illustrent donc une nouvelle fois les liens très profonds et très forts qui existent entre la France et le Mouvement olympique. Votre décision, Monsieur le Président, qui a fait de Paris en 1994 la capitale de l'olympisme lors des cérémonies qui ont marqué le centenaire du CIO, les ont vivifiés. Guy Drut, Jean-Claude Killy, Jean de Beaumont, Maurice Herzog, Nelson Paillou ou Henri Sérandour, pour ne citer qu'eux, peuvent le confirmer : cette vigueur nouvelle s'est exprimée aussi bien sur les stades d'Atlanta l'an dernier qu'à travers les candidatures déposées par la France les années passées. La moisson de médailles remportées par nos athlètes, les candidatures de Paris, d'Albertville ou de Lille, c'est la France qui s'affirme parmi les premières nations olympiques. Elle est toujours prête d'ailleurs à accueillir les Jeux. J'en veux pour preuve la construction du Stade de France, un équipement voué à l'organisation des grandes compétitions de football et de rugby, naturellement, mais qui se prêtera parfaitement, vous le savez, Monsieur le Président, à celle des épreuves du programme olympique.

N'oublions pas cependant l'autre grand défi que la France doit relever : la Coupe du monde de football qui se déroulera dans notre pays l'an prochain. Aussi me semble-t-il plus raisonnable de concentrer aujourd'hui notre énergie et notre volonté sur cet événement pour lui assurer le succès qu'il mérite. Réussissons l'an prochain : 1998 nous ouvrira alors toutes nos autres ambitions.

Je suis sûr que vous le comprenez, Monsieur le Président, vous qui avez pris une part déterminante au succès extraordinaire qui a fait du Mouvement olympique l'une des plus étonnantes réalisations humaines qu'on ait pu voir dans le domaine sportif, éducatif et culturel. Vous avez employé à réaliser cet objectif votre hauteur de vue, votre autorité, votre persévérance et aussi votre dévouement personnel. Vous avez ainsi réussi, comme vous vous l'étiez promis, à faire de l'olympisme, au-delà des crises et des turbulences, je vous cite " une réalité galvanisante, apte à vaincre les défis de la mauvaise politique, des ambitions et des haines ". Les Jeux olympiques sont bien les jeux de la compréhension, de la réconciliation et de la paix.

Votre action, Monsieur le Président, vous vaut le respect et la gratitude des athlètes et de tous ceux qui s'intéressent au sport. De très hautes distinctions sont venues couronner vos efforts et venant de partout. Alors, en témoignage de mon amitié personnel et de ma reconnaissance, en témoignage de l'admiration, de la reconnaissance et de l'amitié du monde sportif et de plus généralement de tous les Français, je suis heureux, Monsieur le Président, en présence de Monsieur l'Ambassadeur d'Espagne à Paris - qui sait l'estime et l'amitié que je lui porte aussi - de vous élever à l'une des plus hautes dignités de la République française.

Juan Antonio Samaranch,

Au nom de la République française,

Nous vous élevons à la dignité de grand officier de la Légion d'honneur.