Allocution prononcée par M. Jacques CHIRAC président de la République à l'occasion du dîner offert par M. Rafic HARIRI président du Conseil des ministres du Liban et de la remise de insignes de grand-croix de la Légion d'honneur à M. Rafic HARIRI

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Koraytem, Liban, le vendredi 5 avril 1996

Monsieur le Président du Conseil des Ministres,

Madame,

Eminences et Excellences,

Madame et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs,

Mes chers amis,

Peut-être vous souvenez-vous, Monsieur le Premier Ministre, de mon émotion lorsqu'il y a trois ans, réalisant un vieux rêve, j'arrivais à Beyrouth. Beyrouth qui portait encore, profonde, l'empreinte de la guerre.

Trois ans après, l'émotion est toujours là. L'émotion d'abord de revenir au Liban en tant que Président de la République française et d'y être le premier chef d'Etat français en visite officielle. C'est un moment fort, compte tenu de cette longue histoire, de cette fraternité qui unissent nos deux pays, de cette affection profonde qui jamais ne s'est démentie.

L'émotion aussi quand, à trois années de distance, je mesure le chemin parcouru par le Liban. L'émotion enfin d'y retrouver des amis, beaucoup d'amis, des amis qui me sont chers.

Oui, Monsieur le Président, que de progrès accomplis, et finalement en aussi peu de temps. C'est bien là le signe que le Liban est engagé sur la bonne voie. La voie de la réconciliation et de l'adhésion de tous les Libanais aux efforts de reconstruction morale, matérielle de ce pays parmi les plus beaux, les plus nobles et les plus anciens du monde. La voie de la paix, et je souhaite que 1996 soit une année de progrès décisifs, l'année d'une paix globale dans la région.

La France y est profondément attachée. Elle est disposée, si les Libanais et les Israéliens le souhaitent, à participer à cet accord de paix. C'est ce que j'ai tenu à dire cet après-midi aux contingents de la FINUL présents au Sud-Liban. Je l'avais dit, hier, lorsque j'ai été reçu si amicalement à l'Assemblée Nationale par le Président Libanais.

Depuis trois ans, vous avez beaucoup entrepris, surmonté bien des difficultés. Mais il reste encore beaucoup à faire. Le succès viendra de la participation de tous les Libanais au redressement de leur pays. Le succès viendra de la paix et de la confiance restaurée entre pays voisins. Alors, les Etats de la région pourront se consacrer pleinement à leur développement. Le succès viendra du soutien de la communauté internationale. Celui de la France vous est acquis depuis toujours. C'est ce message de solidarité et d'espoir, de confiance aussi, que je suis venu porter au peuple du Liban.

Le Liban a aussi la chance de compter à sa tête des hommes d'Etat courageux, tenaces, ambitieux pour leur pays. Et, je tiens à saluer ces dirigeants, tous ces dirigeants, qui ont su dans la difficulté mener le Liban sur la voie de la réconciliation et du renouveau. Vous-même, Monsieur le Président du Conseil des Ministres, avez mis tout votre talent, votre volonté, votre générosité au service du Liban.

Vous avez, je le sais, chevillés à l'âme et au coeur, ces traits de caractère qui font, depuis toujours, le succès des Libanais dans tout ce qu'ils entreprennent ici ou ailleurs.

Depuis l'époque lointaine où les Phéniciens bâtissaient le commerce en Méditerranée, les Libanais jouissent d'une aura particulière. On les dit audacieux, courageux, chaleureux, diplomates, prenant des risques au bon moment et déployant des trésors d'énergie pour atteindre leurs objectifs.

Monsieur le Premier Ministre, vous m'avez fait, il y a de nombreuses années, le privilège de votre amitié. Je crois vous connaître bien et je sais que cette image, celle que je viens de décrire, n'est pas seulement une légende. Elle est une réalité.

Il y a chez vous cette vitalité, cette persévérance, cette ténacité, cette soif d'entreprendre, qui est propre à tous les Libanais et sans lesquels votre pays n'aurait pu accomplir si vite sa formidable marche en avant.

Voilà qui pourrait expliquer votre réussite personnelle et celle du Liban tout entier. Mais il y a autre chose aussii. Il y a l'amour du pays et cette foi si forte dans son avenir. Cet amour et cette foi, que partagent au fond d'eux-mêmes, même lorsqu'ils n'en sont pas sûrs, tous les Libanais.

Jamais, fût-ce aux heures les plus sombres, vous n'avez cessé de croire en la paix, je peux en témoigner, d'appeler ce moment où les Libanais, de toutes confessions confondues, se retrouveraient enfin et reconstitueraient ensemble le Liban, le Liban de toujours. Vous appartenez à cette race d'hommes qui veulent espérer envers et contre tous. Ceux qui, en dépit des événements et des épreuves, gardent la conviction que le cours des choses peut toujours s'inverser. Parce qu'ils ont le sens de l'Histoire et qu'ils ont confiance en leur pays, en son génie et dans ses traditions.

J'aime beaucoup ce mot du Général de Gaulle où il est question de volonté, de résistance, de foi en l'avenir. "Toute ma vie, confiait le Général de Gaulle un jour à l'un de ses collaborateurs, j'ai fait comme si, et souvent les choses sont arrivées". Même au Liban, que beaucoup, il n'y a pas si longtemps, croyaient irrémédiablement perdu, les choses arrivent. Grâce à vous, Monsieur le Premier Ministre qui me recevait ce soir, et surtout grâce à tous les Libanais, à tous ceux qui n'ont jamais désespéré.

Votre pays a su se rassembler, se retrouver. Il se relève aujourd'hui, reconstruit ses infrastructures, a l'ambition de redevenir ce qu'il était naguère : un pôle de rayonnement économique, commercial, financier et culturel ; un carrefour des civilisations et des cultures ; un havre, aussi ne n'oublions jamais, de démocratie, de stabilité, de liberté, de prospérité dans cette région du monde.

Le grand chantier, c'est maintenant Beyrouth. La capitale du Liban offrira bientôt le visage d'une capitale moderne, tournée vers l'avenir, l'échange, le progrès, renouant avec ses traditions commerciales et culturelles. Beyrouth riche aussi de cet extraordinaire patrimoine architectural et artistique que lui a légué l'Histoire et que j'ai bien connu avant la guerre. Les vestiges de l'antique Béryte, en voie de restauration, témoigneront, pour les générations futures, de l'ancienneté, de la permanence et du prestige de la civilisation libanaise.

Ces générations futures, chacun sait qu'elles sont l'essentiel. Que sur elles, reposent vos espoirs pour l'avenir du Liban. Chacun connaît ici, Monsieur le Premier Ministre, votre engagement en faveur de l'éducation. Nous connaissons tous vos efforts pour donner aux jeunes libanais une formation et un avenir. Je rends hommage à l'oeuvre accomplie par votre Fondation, avec les milliers et les milliers de bourses qu'elle a offertes aux jeunes Libanais comme autant de chances de réussir dans leur vie.

Je souhaite saluer aussi votre affection pour la France, sa culture, sa langue que vous avez apprise et que vous maniez désormais si bien.

La France, vous l'avez vraiment découverte il y a près de vingt ans. Etrangement, c'était en Arabie Saoudite, au contact de nos entreprises et de nos ingénieurs. Vous en aviez alors mesuré les capacités, les compétences, le savoir-faire. A cette époque, vous décidiez d'installer une société à Paris. Vous y reviendrez souvent comme vous reviendrez souvent dans notre Midi dont les paysages de montagnes vous rappellent peut-être parfois le Liban.

Depuis toutes ces années, la France occupe une place importante dans votre coeur. Et lorsque le Liban a enfin tourné la page de la guerre, vous n'avez eu de cesse de renforcer les liens entre nos deux pays.

Grâce à vous, fonctionnera dès l'an prochain, sur le campus de Clémenceau, la nouvelle Ecole Supérieure des Affaires dont nous venons d'inaugurer le site. Parce que vous l'avez souhaité, la France accroîtra son aide à l'ensemble des institutions universitaires libanaises et sa coopération. J'en ai parlé ce soir avec les recteurs des six universités.

Enfin, s'il m'est permis de faire parler un peu mon coeur, j'évoquerai l'ami. Dans la vie, chacun connaît des hauts et des bas. Et bien, mon cher ami, je me souviens que votre épouse et vous-même avez été présents dans les instants de bonheur comme dans les heures difficiles. Que vous l'avez été avec toujours infiniment de tact, de gentillesse, de chaleur. Je ne l'oublierai pas.

Mon épouse n'a pu m'accompagner dans ce voyage, ayant souhaité rester auprès de notre fille et de notre petit-fils. Mais elle garde le précieux souvenir des moments passés ensemble et elle se joint à moi pour former à votre intention, à celle de votre épouse et de votre famille tout entière, à l'intention aussi de tous les Libanais, des voeux de bonheur, de paix et de prospérité.

Pour toutes ces raisons, pour tout ce que vous accomplissez afin de restaurer le Liban dans son indépendance, dans sa pleine souveraineté et pour lui rendre sa prospérité ; pour votre attachement profond à la France et aux Français ; en vertu aussi de cette amitié personnelle qui nous lie, je vais avoir l'immense plaisir, Monsieur le Premier Ministre, de vous remettre les insignes de Grand-Croix de la Légion d'Honneur, la plus haute de nos distinctions, ceci en témoignage de l'estime et de l'amitié de la France.

Rafic HARIRI, au nom de la République française, nous vous élevons à la dignité de Grand-Croix dans l'Ordre national de la Légion d'Honneur.