Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC à l'issue du sommet du G8.

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Okinawa, Japon, le dimanche 23 juillet 2000

LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, nous venons au terme de ce G8. Vous allez, d'après ce que j'ai compris, recevoir d'ici très peu de temps le communiqué final, qui est peut être un peu long, il a une quinzaine de pages, mais qui est bien rédigé, enfin aussi bien que cela peut être dans un exercice de cette nature. Il devrait, je le répète, être distribué vite puisqu'il a été adopté tout à l'heure au niveau des chefs d'Etat et de Gouvernement, sans aucune modification et sans aucune discussion. Ce qui me conduit à exprimer à nos sherpas mon estime et ma reconnaissance. Car au total, c'est eux qui ont fait une grande partie du travail.

Je voudrais remercier le Premier ministre japonais, l'ensemble de ses collaborateurs, qui ont organisé cette réunion de façon remarquable tant sur le plan de l'efficacité du travail que de l'agrément du séjour. Et je voudrais remercier naturellement les autorités et les habitants d'Okinawa qui nous ont reçus avec beaucoup de gentillesse et nous y avons tous été très sensibles.

Je crois que ce Sommet restera comme un sommet important et restera dans le coeur des participants, comme un sommet agréable, agréable au regard de ce qui a été fait, des résultats. Ceci a été exprimé de façon un peu émouvante, aujourd'hui, ce matin, en début de séance, par le Président américain, M. Bill CLINTON, qui s'exprimait pour la dernière fois dans un sommet du G8 et qui, avec beaucoup de gentillesse, de délicatesse, de vision des choses, a exprimé à la fois la satisfaction qu'il avait de ce Sommet, aussi le regret qui perçait un peu derrière le propos, car ce sera pour lui le dernier.

Ce Sommet a été marqué également par l'arrivée, pour la première fois, du Président POUTINE. Nous l'avons écouté et nous lui avons confirmé que nous sommes déterminés à l'aider dans la construction d'une Russie démocratique, pacifique, prospère, ouverte à l'économie de marché et ouverte au monde.

Les principaux points, donc, qui ont guidé cette réflexion sont d'abord la société de l'information. Nous avons eu pour la première fois en G8 une discussion approfondie sur ces sujets, sujets dont je vous rappelle que l'Union européenne avait fait également l'objet de ses propres réflexions et de son programme prospectif à l'occasion du Sommet de Lisbonne où elle avait décidé son programme E-Europe.

Ce qui est intéressant, c'est de voir que la convergence des Huit sur ces sujets a été parfaite sur trois points. La révolution de l'information est une chance pour les sociétés et pour le monde. En deuxième point, il faut se garantir, au niveau national et international, contre les dangers et les dérives possibles de cette société de l'information, sans entraver naturellement l'activité du secteur privé. Et c'est au fond le concept qui avait été depuis quelque temps déjà affirmé par la France, c'est le concept de co-régulation qui a été adopté.

Troisième point, nous sommes naturellement conscients des dangers de création de ce que l'on appelle un fossé numérique entre les nations ou bien dans chaque nation entre les citoyens qui n'ont pas, pour des raisons matérielles ou de formation intellectuelle, accès à ces technologies. Nous sommes très conscients des dangers que cela peut représenter et donc déterminés à tout faire pour que chacun puisse avoir accès à ces technologies de communication, notamment pour ce qui concerne les pays en développement. Ce qui suppose en particulier un effort important de diffusion des techniques, de formation des hommes et tout simplement aussi d'éducation. Ce qui veut dire que nous avons également insisté sur les problèmes d'éducation et, pour ma part, j'ai souligné combien, dans le développement, l'éducation était un élément évidemment essentiel mais que, dans le problème de l'éducation, il fallait pour les pays en développement insister particulièrement sur la nécessité d'un effort pour l'éducation des filles qui, pour de quantités de raisons qui tiennent aux contraintes particulières de ces pays, sont plus que les garçons exclues de l'éducation. D'ailleurs, les spécialistes disent qu'en gros les deux tiers des enfants non scolarisés sont des filles.

Deuxième thème, le développement. Nous avons pris connaissance du rapport que nous avions demandé l'année dernière aux banques multilatérales et de développement, de même que nous avons pris connaissance, il y a quelques semaines, du rapport du PNUD de 2000, qui complétait utilement le rapport de 99. Deux documents très importants pour porter un jugement sur la situation en matière de développement dans le monde. Le rapport 2000 souligne l'ampleur de la pauvreté qui fait qu'en particulier, la moitié des habitants dans le monde vit avec moins de 2 dollars par jour.

Je précise d'ailleurs que ce rapport distingue les pays pauvres parce que l'économie est incapable, au stade où elle est, de faire face à la réduction de la pauvreté, ça c'est essentiellement les pays de l'Afrique et de l'Asie, l'Asie du sud, et puis les pays où il y a un problème de redistribution des richesses, et ça c'est essentiellement, je cite le rapport, je ne porte pas un jugement personnel, à ce stade, des pays d'Amérique latine.

Alors, nous avons souligné l'importance qu'il y avait à intensifier nos efforts de lutte contre la pauvreté, d'une part en accélérant le programme d'annulation des dettes pour les pays les plus endettés, et nous avons pris l'engagement formel, j'espère qu'il sera tenu, en vérité je le pense, d'arriver au moins à 20 pays à la fin de l'année pour ce qui concerne la prise de décision d'engagement de la procédure, ce qui serait conforme à l'esprit de l'engagement de Cologne. Mais ceci suppose une accélération forte de la part de l'ensemble de la machine administrative, qui conditionne ces résultats.

Cela nous a amenés aussi à parler de l'aide publique au développement. Le Premier ministre canadien Jean CHRETIEN, a fait une proposition consistant à ce que nous prenions tous l'engagement d'augmenter l'aide publique au développement de 5 à 10 %, en profitant des fruits de la croissance, qui nous permet aujourd'hui d'être plus généreux qu'hier. Je regrette que cette décision n'ait pas pu être acceptée, mais elle marque tout de même un tournant, je crois, dans l'appréciation des choses, puisque pour la première fois cette année l'aide publique au développement n'aura pas diminué. Mais, sur cinq ans, elle a quand même diminué de 20 %. Je rappelle, mais je pense que vous le savez, qu'en valeur absolue, la France est au deuxième rang derrière le Japon pour ce qui concerne l'aide publique au développement et, en valeur relative, c'est-à-dire par rapport à son produit intérieur brut, la France est au premier rang des pays du G8. Même si je considère que l'ensemble est insuffisant, je tiens à souligner que nous ne sommes pas les mauvais élèves de cette classe.

Cela nous a amenés à parler des problèmes de santé, avec l'excellente proposition de l'Organisation mondiale de la santé, que nous avons décidé d'adopter et d'appuyer. Proposition, vous le savez, concernant la lutte contre les trois maladies de la pauvreté, c'est ainsi que l'OMS les appelle, c'est-à-dire le SIDA, le paludisme et la tuberculose. S'agissant du SIDA, dont l'Afrique est la première victime, nous avons manifesté notre approbation et notre soutien à l'accord qui a été passé entre les laboratoires, les principaux laboratoires du monde concernés par ces médicaments et ONUSIDA, en affirmant que nous ne pouvions nous satisfaire d'un système où les malades étaient traités dans le nord et ne l'étaient pas dans le sud. Autrement dit, pour caricaturer, où les médicaments étaient au nord et les malades au sud. Et j'ai rappelé, et le principe a été retenu, notre proposition de réunion quadripartite pour accélérer le processus de distribution des moyens nécessaires dans les pays pauvres pour la lutte contre le SIDA.

Enfin, nous avons évoqué les grands thèmes de société qui étaient à l'ordre du jour. Le crime, et notamment le cyber-crime, mais enfin le crime en général, et notamment le crime financier. J'ai eu l'occasion, avant-hier, de vous dire ce que nous avions décidé dans ce domaine, je n'y reviendrai pas maintenant. Mais ce que je peux dire, c'est que, depuis que la France a lancé cette affaire au Sommet de Lyon, elle a tout de même beaucoup progressé. Et les réserves que l'on pouvait observer ont fortement diminué. C'est un domaine où nous progressons et où la France est déterminée à mener le train, si j'ose dire, de la lutte, notamment contre le blanchiment de l'argent sale, qui est à l'origine de beaucoup, beaucoup de drames, qu'il s'agisse de la drogue, qu'il s'agisse du terrorisme, qu'il s'agisse des armements achetés de façon illicite pour faire des guerres d'un autre temps, etc.

L'environnement, bien entendu. J'ai beaucoup insisté sur la nécessité de maîtriser l'émission des gaz à effet de serre. J'ai indiqué l'importance que la France attachait, en sa qualité de Présidente de l'Union européenne, à la conférence de La Haye et j'ai indiqué que, même s'il pouvait y avoir un problème avec le Congrès américain, il était indispensable que nous puissions confirmer les engagements de réduction que nous avions pris et qui figurent au Protocole, qu'il ne saurait être question de modifier les engagements pris dans le Protocole. Il a fallu, entre les sherpas, une discussion longue et difficile, conduite essentiellement par la France, pour arriver à ce résultat. Mais nous avons obtenu satisfaction.

Nous avons évidemment, également, évoqué longuement les autres problèmes liés aux atteintes de plus en plus graves portées à l'environnement général, c'est dans la nature des choses et de la mondialisation, cela fait partie des dangers d'une mondialisation si elle n'est pas maîtrisée et humanisée, comme le crime ou l'exclusion, en matière de pollution, en matière d'accumulation de déchets, en matière de surexploitation des mers, des sols, des forêts. J'ai en particulier souligné l'importance qu'il y avait, et nous avons obtenu satisfaction, à relancer les efforts internationaux par l'intermédiaire et en accord, bien sûr, avec le gouvernement du Brésil, pour ce qui concerne la sauvegarde de la forêt amazonienne. Mais ce n'est pas la seule. On pourrait citer de la même façon, car les problèmes y sont aussi dramatiques, les incendies en Asie du sud-est. Je pense à Bornéo. Je pense à un certain nombre de pays qui sont marqués par des incendies d'origine tout à fait douteuse et contestable et qui participent à la destruction d'une forêt par ailleurs indispensable à l'équilibre écologique de notre planète.

La sécurité des aliments, bien entendu, a fait l'objet de longues discussions. Je n'y reviens pas. Vous le verrez dans le communiqué. Nous avons quand même fait un progrès en nous mettant d'accord sur un mécanisme international un peu plus solide qui porte sur différentes mesures qui sont énoncées dans le communiqué. Mais ce qui était important pour nous, c'est que ce mécanisme comporte la présence de la société civile. Nous avons eu un peu de mal à nous faire comprendre sur ce sujet qui, selon un certain nombre de nos partenaires, devait être réservé à la seule appréciation des scientifiques. Enfin, finalement, on a bien voulu prendre en compte la nécessité d'associer la société civile. Il y a encore des progrès à faire. Mais nous avons fait un pas dans la bonne direction. Nous avons évoqué de la même façon la sécurité des transports maritimes et je dois dire, là, que nos partenaires ont été unanimes pour appuyer nos propositions, comme nos partenaires de l'Union européenne l'avaient été pour les appuyer, s'agissant de l'Europe, pour ce qui concerne le renforcement de l'Organisation maritime internationale et le renforcement, l'amélioration et la modernisation du fonds d'indemnisation que l'on appelle le FIPOL.

En clair, le G8, je crois, a marqué son utilité en tant que force d'impulsion, d'analyse, dans le cadre des grandes organisations internationales, auxquelles il n'a pas vocation à se substituer. Je crois qu'on peut dire que l'une des conclusions à tirer de ce Sommet, c'est la prise de conscience que la mondialisation, la globalisation comme disent nos amis anglo-saxons, est à la fois inéluctable et potentiellement riche de progrès, créatrice d'activités, de ressources, d'emplois, de richesses. Mais qu'elle comporte des dangers, des risques de dérive dans le domaine, je l'ai dit, de l'exclusion, pour les hommes ou pour les pays, dans le domaine de la criminalité, dans le domaine de l'environnement qui suppose que l'on ait conscience de ces risques et que l'on ait la volonté, la détermination de maîtriser et d'humaniser cette mondialisation. Je crois que c'est aujourd'hui quelque chose de beaucoup plus actif ou ressenti que cela ne pouvait l'être encore l'année dernière. Voilà, j'ai été un peu long, mais je voulais simplement faire ce compte rendu et je suis prêt à répondre à vos questions.

QUESTION - Je voulais savoir, Monsieur le Président, quelle était la place historique, la place, dans la perspective historique, de ce Sommet. On a dit depuis longtemps qu'il fallait redonner une impulsion pour revitaliser les réunions du G7. Deuxième question, sur l'aide publique au développement de la France et du Japon. Ces deux pays ont continuellement et constamment défendu le besoin d'augmenter l'aide publique au développement en direction des pays pauvres. Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de l'attitude du gouvernement japonais vis-à-vis des pays pauvres très endettés. Le gouvernement japonais nous dit que leur attitude est très différente de l'attitude britannique ou allemande par exemple qui, eux, regardent, prennent de haut les pays pauvres, alors que le Japon dit vouloir travailler la main dans la main avec eux. Alors, je voudrais savoir si vous êtes d'accord avec cette position japonaise.

LE PRÉSIDENT - Sur le deuxième point, je suis naturellement tout à fait d'accord avec la position exprimée par le gouvernement japonais qui, depuis toujours, est exemplaire dans ce domaine. Il l'est sur le plan de l'aide publique au développement, je l'ai dit. Il l'est sur le plan du combat qu'il mène pour l'annulation des dettes des pays les plus pauvres. Je me souviens des premières discussions qui ont eu lieu à ce sujet, là aussi au G7 de Lyon, où les premières décisions ont été prises, qui ont été ensuite améliorées à Cologne. C'était, à l'origine, à l'initiative conjointe du Japon et de la France. Je me souviens du plaidoyer du gouvernement japonais en faveur de ces pays. Donc il n'y a aucun doute sur la volonté, la détermination et je dirai le coeur, la générosité des Japonais dans le domaine de la solidarité à l'égard des pays les plus pauvres. C'est un des très nombreux points où la France et le Japon sont exactement sur la même longueur d'ondes.

Quant à l'impulsion pour revitaliser les sommets, je crois qu'ils n'ont jamais eu besoin vraiment d'être revitalisés. Mais il est certain que la préparation du Sommet d'Okinawa a été telle que ce Sommet peut être considéré comme positif. Et qu'il peut être considéré comme ayant donné, ou comme étant susceptible de donner une vraie impulsion dans un certain nombre de domaines. Cela est vrai, parce qu'il a été bien préparé. Il faut dire aussi que ce sommet avait une caractéristique qui est d'intervenir à un moment de croissance générale et de bonne santé financière et économique, alors que j'ai connu bien d'autres sommets, il y a encore deux ans ou trois ans, où tout le monde arrivait avec la mine décomposée et où on avait essentiellement pour préoccupation de discuter de la crise et des moyens d'en sortir. Évidemment, aujourd'hui quand tout va bien ou quand les choses vont aussi bien que possible sur le plan économique et financier, cette sérénité conduit à une plus grande facilité pour ce qui concerne la discussion et les décisions.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit au début que c'était la première fois que le Président russe, M. POUTINE, participait au G8. Quelle est votre opinion personnelle de ce fait ? Quelle a été votre impression de M. POUTINE et quelle impression a t-il faite sur ses autres collègues ?

LE PRÉSIDENT - C'était la première fois que je rencontrais le Président POUTINE. J'avais eu l'occasion de lui téléphoner récemment encore pour le remercier de ce qu'il avait fait pour la libération de notre compatriote M. FLEUTIAUX, qui étaient retenu par des brigands. Mais c'est la première fois que j'avais l'occasion de le rencontrer. Il nous a exposé, de façon que j'ai trouvée particulièrement franche et claire, la situation de la Russie. Il n'a pas cherché à masquer les choses. Si bien que son discours sur la situation intérieure de la Russie a été bien reçu et bien compris par l'ensemble des participants. C'est pourquoi, tout à l'heure, je vous ai indiqué que nous avions également approuvé tout à fait le programme de réformes qu'il a engagé, qui a été adopté par la Douma, qui fera l'objet de décisions successives de la Douma, qui ne sera peut-être pas aussi rapide qu'il le souhaiterait, mais nous avons eu le sentiment que sa détermination à ce que toutes les réformes soient réalisées le plus rapidement possible était très grande. Donc, je dirai qu'il a été entendu. Ce qui fait que nous avons tous confirmé notre volonté de l'aider à assumer ces réformes, qui ne seront pas sans conséquences naturellement, et à enraciner la démocratie, à créer l'économie de marché moderne et à avoir une Russie à la fois pacifique, démocratique et prospère.

QUESTION - Monsieur le Président, les opinions publiques de nos pays -je crois que l'opinion publique française ne fait pas exception-, sont souvent assez sceptiques par rapport à ce type de sommet : grande réunion, grand show fortement médiatisé qui se termine souvent par un catalogue de promesses plus ou moins tenues. Si vous deviez convaincre ces sceptiques, vous le feriez en quels termes ?

LE PRÉSIDENT - Je leur dirais simplement que le moyen le plus sûr pour que les choses n'avancent pas, c'est de ne pas en parler. Là, on est sûr de ne pas se tromper. Le moyen le plus sûr pour développer les antagonismes, les incompréhensions, et par voie de conséquence l'agressivité, un climat de difficultés, c'est de ne pas se rencontrer et de rester chacun dans son petit coin. Naturellement, il est facile de gloser, de critiquer ce que vous appelez les shows. Mais tous les shows, ce n'est pas tellement les participants aux sommets qui les font, ce sont les médias qui font les shows.

Si vous estimez qu'ils sont excessifs ou inutiles, vous n'avez qu'à les rendre plus modestes... Alors, je ne vais pas plaisanter au-delà mais vous savez, ces réunions, c'est l'essentiel d'une vie démocratique du monde. C'est la garantie qu'un certain nombre de valeurs et de principes, après avoir été examinés, discutés, concertés entre les principaux responsables du monde, finissent par s'imposer à tous. C'est le meilleur moyen de protéger la démocratie et le meilleur moyen de conduire au développement. J'ajoute que le fait de se connaître, de pouvoir discuter librement est un élément très, très important de la détente universelle. Et cela, c'est tout à fait capital. Vous voyez, on parlait tout à l'heure de M. POUTINE. Il faut bien reconnaître qu'à la suite, naturellement, des événements, le fait que M. POUTINE soit amicalement autour de la table, c'est tout de même mieux que du temps de la guerre froide. Là, il n'y avait pas de show, mais il y avait du froid.

QUESTION - Monsieur le Président, dans le domaine concernant le génome humain, on dit qu'il y avait une grande différence de positions entre vous et le Président CLINTON. Pouvez-vous expliquer cette différence ?

LE PRÉSIDENT - Sur le génome, il n'y a pas eu de problèmes, pas eu de difficultés, pas eu de différences. Je vous rappelle que nous avons tous approuvé, officiellement ou non officiellement, la déclaration qui a été faite par le Président CLINTON et le Premier ministre Tony BLAIR sur ce sujet. Donc il n'y a pas de difficultés. Il n'y avait pas de différences entre les Huit.

QUESTION - Monsieur le Président, je voudrais entendre votre avis sur la façon dont M. MORI a conduit ce sommet, car je crois que les journalistes se sont surtout intéressés à CLINTON et à POUTINE, mais on n'a pas beaucoup parlé de M. MORI. Comment avez vous apprécié la façon dont M. MORI a conduit les réunions ?

LE PRÉSIDENT - Alors là, je peux être très clair. M. MORI, en tant que président, a conduit la préparation des réunions et, ensuite, les réunions de façon remarquable. Et le résultat a été, d'une part que les réunions se sont terminées à l'heure, ce qui est le principal critère de l'efficacité pour ce qui concerne une présidence et, deuxièmement, que tous les sujets ont été traités et bien traités, que toutes les divergences ont été résolues. J'entends bien que M. MORI n'a pas fait ça tout seul, que ses collaborateurs ont une part importante de responsabilité dans l'animation du groupe des sherpas. Mais, vous savez, si ça n'avait pas marché, c'est M. MORI qui aurait été responsable. Alors ça a très bien marché, c'est un succès pour le Japon et, bien sûr, c'est un succès pour M. MORI.

QUESTION - M. le Président, est-ce qu'avant son départ pour les Etats-Unis, le président CLINTON vous a dit s'il avait un réel espoir de ramener à la raison, si je puis dire, MM. BARAK et ARAFAT à Camp David ?

LE PRÉSIDENT - Il ne me l'a pas dit et je ne lui ai pas posé la question. Tout simplement par discrétion. C'est une négociation délicate et il doit être totalement libre de son appréciation et ne pas risquer d'être gêné par des commentaires de toute nature.

QUESTION - Tout à l'heure, vous avez dit, concernant le génome humain, qu'il n'y a pas eu de divergences. Par contre, nous avons entendu dire que, concernant les OGM, les quelques divergences n'ont pas pu être surmontées. Est-ce bien votre appréciation ?

LE PRÉSIDENT - Oui, vous avez raison. En ce qui concerne les OGM, je dirais qu'il y a deux écoles. Il y a l'école américaine au sens large du terme, c'est à dire la thèse défendue par Jean CHRETIEN et aussi par Bill CLINTON, selon laquelle les OGM, premièrement ne sont pas dangereux pour la santé ni pour l'environnement et, deuxièmement, sont une réponse au déficit alimentaire, notamment dans les pays en développement. Et puis il y a l'autre école, je dirais celle de l'Europe et du Japon, qui ne prétendent pas naturellement que les OGM sont dangereux par nature mais qui considèrent que les conséquences qu'elles peuvent avoir sur la santé et sur l'environnement sont telles qu'il doit y avoir application du principe de précaution et certitude scientifique avant de généraliser cette technologie. Alors chacun a fait un premier pas, je dirais surtout les promoteurs de la première thèse, qui ont fait un pas pour comprendre mieux les autres, mais c'est vrai qu'il reste dans ce domaine une divergence de vues. Je voudrais dire un mot de conclusion sur un sujet qui n'a pas été évoqué dans vos questions. Ce matin, M. MORI nous a dit : pendant une heure on devrait faire un peu le point pour savoir quelle est notre vision du G8 de l'avenir. C'est une bonne question.

Théoriquement, on aurait dû étudier le communiqué, mais comme le communiqué ne posait pas de problèmes, ça a permis de dégager une heure ou une heure et demi, ce matin, pour examiner cette question posée par le Premier ministre japonais. Chacun a donné son point de vue et ces points de vue ne divergeaient pas beaucoup. Cela me donne l'occasion tout de même, parce que beaucoup se posent des questions sur le G8, cela me donne l'occasion de vous dire comment moi, je le vois. Je l'ai dit ce matin, et je n'ai pas été contredit par quiconque. Mais, enfin, il faut le savoir, n'est-ce pas, il y a en réalité des limites au rôle du G8. Nous n'avons pas la vocation, ni les moyens de faire du G8 une organisation opérationnelle. Nous n'avons pas vocation à décider pour le monde. Nous avons vocation à donner des impulsions, à faire prendre conscience des problèmes, mais pas à décider pour les autres. Parce que nous ne serions pas compris, ni admis. Déjà, beaucoup de pays regardent le G8 avec un peu de suspicion. Ils l'accusent ou le suspectent de vouloir être trop prospectif. Ça, c'est un grand danger, dans lequel nous ne devons pas tomber. C'est vrai pour les pays du tiers-monde, pour les pays émergents, c'est vrai pour les pays de l'OCDE, pour les pays de l'Union européenne, qui sont attentifs à ce que nous faisons. Ils savent que ce que nous disons aura un fort impact, que ce que nous décidons engage volens nolens l'avenir, et ils acceptent difficilement que des décisions soient prises, si tel devait être le cas, sans qu'ils aient été consultés. Ils ont raison.

C'est d'ailleurs pourquoi -je le disais ce matin-, je suis le seul à le faire mais j'ai compris que la présidence italienne de l'année prochaine ferait la même chose, moi depuis cinq ans, j'écris avant la réunion à tous les chefs d'Etats et de Gouvernement pour leur dire ce dont on va parler et quelle position la France défendra, et leur demander leurs suggestions. Et j'ai observé qu'ils étaient sensibles à cette marque de respect à l'égard de leurs propres réflexions. Et puis, après, au retour, j'écris aux mêmes, pour leur dire ce qui a été décidé et pour leur demander leurs commentaires.

Et M. AMATO, dans son intervention de ce matin, après la mienne, a dit qu'il ferait la même chose pour ce qui concerne la présidence italienne. Moi, je le fais même sans être Président. Je crois qu'il faut s'appuyer sur cinq principes très courts.

Le premier, c'est que nous sommes un organisme d'impulsion et en aucun cas un organisme de gestion. Là, il y aurait un grand danger et une contestation légitime.

Deuxièmement, nous devons toujours agir en appui des institutions internationales qui, seules, ont la légitimité. Au premier rang desquelles figure naturellement l'ONU.

Le troisième principe, c'est de limiter nos démarches conjointes à des questions de politique générale ou d'actions générales. Et de ne pas tomber dans le risque de vouloir traiter, de vouloir résoudre des problèmes spécifiques, techniques ou géographiques.

Le quatrième principe, c'est de résister à la tentation de traiter des affaires politiques. Ce n'est pas l'instance qui convient.

Et le cinquième principe, et le dernier, c'est celui par lequel j'ai commencé, c'est d'associer davantage les autres. Alors, il ne s'agit pas d'élargir notre composition actuelle, ce n'est pas d'actualité, mais nous devons être beaucoup plus prévenants à l'égard des pays en développement, des pays émergents, des autres pays industrialisés, à l'égard de l'ensemble de la communauté internationale. Être beaucoup plus prévenants. C'est-à-dire la consulter, dialoguer avec elle davantage.

Voilà les principes sur lesquels, selon moi, doit se fonder la vision de demain du G8. J'ai été sensible à la proposition de M. MORI d'en discuter et j'ai été heureux de constater que ces principes étaient pratiquement, et même réellement, approuvés par tous nos partenaires. Je vous remercie.