Extrait de l'interview accordée par le Président de la République au "New York Times"

Palais de l'Elysée - 9 septembre 2002

LE PRÉSIDENT - Oui. Nous avons 4 millions de musulmans et nous avons également la deuxième communauté juive du monde après celle des États-Unis, sans compter Israël naturellement. La deuxième communauté juive du monde. Imaginer que la France, qui a été le premier pays à reconnaître les droits des Juifs, imaginer que la France puisse être un pays antisémite, cela relève de la manipulation, et non pas de la réalité. Il y a eu quelques incidents, c'est vrai, mais des incidents sur lesquels nous avons immédiatement réagi, le gouvernement précédent d'abord, celui de M. JOSPIN, le gouvernement actuel, ensuite, celui de M. RAFFARIN, avec beaucoup de fermeté, et qui n'étaient en aucun cas des manifestations antisémites en France.

Alors, il y a eu une campagne conduite par quelques groupes extrémistes américains pour essayer de dénoncer, pour des raisons politiques et des arrières-pensés politiques, un antisémitisme en France. La totalité de la communauté juive, qui s'exprime au travers d'une organisation, ici, qui s'appelle le CRIF est allée, très émue, faire une tournée aux États-Unis. Ils étaient au moins 25. Tout ce qui comptait dans la communauté juive, de droite, de gauche, du centre, est allé aux États-Unis pour dire : "ce n'est pas vrai, il n'y a pas d'antisémitisme en France, c'est une campagne scandaleuse". Le Grand Rabbin SITRUCK, notre Grand Rabbin, qui est une personnalité hautement respectée et hautement respectable, et qui est un grand ami à moi en plus, a fait des déclarations extrêmement fermes sur ce point. Shimon PERES est venu ici et a voulu faire une déclaration à mes côtés, officiellement, devant la presse, sous forme d'un point de presse qui n'était pas prévu, uniquement pour dire que cette campagne américaine était scandaleuse et qu'elle ne représentait pas la réalité. Et les juifs français ont été très choqués par cette attaque, très choqués.

Vous savez, actuellement, c'est une grande fête juive, c'est Roch Hachana et il y a trois jours, parce qu'ensuite c'était Shabbat, j'ai donc téléphoné au Grand Rabbin, simplement pour lui souhaiter "bonne année" pour le Nouvel An juif. Nous sommes très amis donc nous avons parlé un moment. Tous les ans je lui souhaite une bonne année. Et il m'a encore dit combien il avait été choqué par cette campagne. Il m'a dit : "ça va mieux", mais il a été très choqué par cette campagne.

QUESTION - Mais qui était responsable pour les incidents qui ont eu lieu ?

LE PRÉSIDENT - Alors, les incidents, parce qu'il y a eu des incidents, cela c'est vrai. Si vous voulez, tous les incidents qui ont eu lieu ont été des incidents qui sont sortis d'initiatives de jeunes beurs, comme nous disons, c'est-à-dire d'origine arabe, dans les quartiers difficiles des banlieues et cela a été lié à toutes ces affaires internationales. Cela est vrai.

Alors, naturellement, je n'ai pas besoin de vous dire que les agressions, je les condamne de la façon la plus ferme. Nous les avons condamnées, les deux premiers ministres successifs les ont condamnées. Nous sommes très, très attentifs et, quand le nouveau ministre de l'Intérieur a été nommé, je lui ai donné en priorité comme consigne d'être excessivement attentif à tout ce qui est agression de nature raciale, religieuse et en particulier antisémite, naturellement.

QUESTION - Monsieur le Président, je voudrais dire quelque chose dans l'esprit de l'amitié. À mon avis, peut-être il y a une cassure, une rupture, de la perception entre la France et les États-Unis en ce qui concerne ces questions. Je voudrais dire ça avec mon coeur, vraiment. Il y a une rupture entre la France et les États-Unis parce qu'à mon avis, ce n'est pas simplement une campagne des groupes extrémistes aux États-Unis qui pensent que l'antisémitisme existe ici en France.

Même les gens intelligents aux États-Unis, même mes amis. Je ne sais pas si vous partagez cette opinion. Hier j'ai reçu un coup de fil de New York d'une de mes amies qui est juive. Sa fille est ici, elle est étudiante à George Washington University, elle habite dans le Marais et elle a regardé les graffitis antisémites, et la mère m'a téléphoné pour me demander d'inviter sa fille chez moi parce qu'elle a peur. La peur existe et c'est pourquoi je voudrais vous demander ce que la France peut dire pour éliminer les sentiments qui existent.

LE PRÉSIDENT - La France ne peut rien faire. Naturellement, la France peut être très attentive, ce qu'elle fait comme les autres pays européens, à lutter contre toute forme d'antisémitisme, naturellement, et de racisme, mais elle ne peut rien faire. Aux États-Unis, vous savez, à l'origine, il y a eu un certain nombre de déclarations, notamment du vice-ministre des Affaires étrangères israélien, condamnées par S. PERES, qui a dit : "la France est antisémite". Pourquoi ? Parce que l'affirmation suivante c'était de dire : "les juifs français devraient venir en Israël, là ils seront en sécurité". Naturellement, c'est plus intéressant pour lui de dire ça pour la France que pour un autre pays parce que nous avons la deuxième communauté juive, donc il y a une grande capacité de faire rentrer des gens en leur faisant peur. Le résultat, c'est que quelques groupes, surtout un groupe heureusement très minoritaire, de la communauté juive américaine, ont fait de scandaleux papiers dans les journaux, que vous avez certainement vus. On disait en particulier que le livre le plus lu en France c'était "Mein Kampf", que c'était le livre qui était le plus acheté en France. On arrive à la folie. Est-ce que vous avez vu un exemplaire de "Mein Kampf" en France ? À partir du moment où on utilise ces méthodes de manipulation, qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse ? Rien. Je préfère l'ignorer, maintenant. Je le déplore et je l'ignore.





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