Iraq : ne pas brûler les étapes, par Dominique de Villepin

Photo 1 : Dominique de Villepin

Confrontée à la crise irakienne, la communauté internationale vit une heure décisive de son histoire. Chaque Etat doit prendre ses responsabilités. Plus que jamais, la France est déterminée à maintenir un cap clair.

Oui, l'Iraq constitue une menace potentielle pour la sécurité régionale et internationale. Oui, la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive représente un enjeu essentiel pour l'avenir de chacun d'entre nous. Oui, l'Iraq a défié la communauté internationale en dissimulant des programmes portant sur ces armes : s'il ne dispose pas encore de moyens nucléaires, tous les indices convergent pour penser qu'il a reconstitué des capacités biologiques et chimiques.

Face à cet enjeu, notre devoir est d'allier fermeté et lucidité. Au lendemain des attentats du 11 septembre, la mobilisation dans la lutte contre le terrorisme a permis d'obtenir des résultats. A l'égard de l'Iraq, nous devons renouveler cette unité autour d'une volonté commune : la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. Telle est bien la priorité. La France n'a aucune complaisance à l'égard de Bagdad, mais une action qui se donnerait pour but un changement de régime contredirait les règles du droit international et ouvrirait la porte à toutes les dérives.

Depuis le récent discours du président Bush, reconnaissant le rôle primordial des Nations unies, le débat a pu reprendre dans cette enceinte, où un large consensus s'est fait jour.

Devant une telle unité, Bagdad a fait savoir, le 16 septembre, qu'il acceptait le retour sans condition des inspecteurs internationaux. Leur travail doit conduire à l'élimination de toute arme de destruction massive et empêcher tout réarmement futur. N'oublions pas qu'un plus grand nombre de ces armes ont été détruites par les inspections entre 1991 et 1998 que lors de la guerre du Golfe.

Le danger que représente l'Iraq concerne tous les peuples et, en premier lieu, ceux du Moyen-Orient. C'est avec eux que nous pourrons trouver une solution durable. Ces pays ont fait savoir qu'ils soutiendraient une action décidée par les Nations unies. A nous d'entendre ce message.

Aujourd'hui, toute l'attention se porte sur les travaux qui vont s'engager au Conseil de sécurité. La démarche en deux temps proposée par le président de la République permet de préserver l'unité de la communauté internationale, d'asseoir la légitimité de l'action et de répondre à notre exigence d'efficacité : l'Iraq doit respecter la règle internationale ; s'il refuse de s'y conformer, alors il conviendra d'en tirer toutes les conséquences. Cette voie est la seule à même d'assurer un contrôle à chaque étape de la crise.

Il importe donc dans un premier temps de s'entendre, au sein du Conseil de sécurité, sur un régime d'inspection garantissant que les inspecteurs pourront assumer l'intégralité de leur mission sans aucune entrave. Dans l'hypothèse où le régime irakien violerait ces obligations, il appartiendrait alors au Conseil de décider des mesures à prendre. Il ne faut pas brûler les étapes. Nous ne voulons pas donner de blanc-seing à une action militaire, car nous voulons assumer notre responsabilité jusqu'au bout. C'est pourquoi nous ne pouvons pas accepter une résolution autorisant dès maintenant le recours à la force, sans retour devant le Conseil de sécurité des Nations unies.

La France partage la volonté des Etats-Unis de résoudre une crise qui nous menace tous. Mais elle refuse le risque d'une intervention qui ne prendrait pas pleinement en compte toutes les exigences de la sécurité collective.

Au-delà de la crise irakienne, ce sont les principes fondamentaux de la communauté internationale qui sont en jeu : stabilité, équité, responsabilité.

La stabilité demeure une exigence stratégique. Si le désarmement irakien constitue un impératif, il doit s'effectuer dans des conditions qui renforcent l'ordre international, sans ajouter de nouveaux facteurs de désordre à une région qui n'en compte déjà que trop, sans apporter de nouveaux risques d'affrontements dans cette zone au coeur des fractures du monde. Pour la France, l'ordre ne signifie ni la faiblesse ni l'impuissance, mais l'exercice de la volonté et de la lucidité pour le règlement durable des crises.

L'équité est le deuxième pilier de la paix. Dans le contexte d'urgence et d'interdépendance qui marque notre époque, l'injustice crée la révolte, la révolte le désordre, et le désordre la violence, selon un cycle infernal qui se répercute pays après pays, région après région, continent après continent. Au moment où la communauté internationale veut régler avec détermination le problème du désarmement irakien, elle doit tourner le même regard vers la crise du Proche-Orient en vue de retrouver les voies d'un règlement.

La responsabilité collective constitue enfin une nécessité morale et politique. Morale, parce que les démocraties se vident de leur sens si elles ne respectent pas à l'extérieur les principes sur lesquelles elles reposent à l'intérieur. Politique, parce que seule la collégialité des décisions assure la légitimité nécessaire à une action en profondeur, cohérente et efficace. La force ne peut constituer qu'un dernier recours.

Les décisions qui seront prises demain vont façonner le nouveau visage du monde. Le traitement de la crise irakienne en influencera l'esprit et les formes. La sécurité collective dépendra de la détermination de la communauté internationale à faire respecter le droit.

Mais le nouvel ordre ne peut se construire durablement que dans le partage et l'échange. Face à la montée de la peur et de l'intolérance, face à l'aggravation des tensions et des incompréhensions, le rapprochement des peuples passe par la patiente affirmation d'une communauté de valeurs et de règles, par la prise de conscience d'un même destin. Il doit se nourrir du respect de l'autre à travers un véritable dialogue.

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU MONDE DU 01.10.02




.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2005-03-13 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité