Débat faisant suite au discours de M. Jacques CHIRAC Président de la République au Parlement européen.

Débat faisant suite au discours prononcé par M. Jacques CHIRAC, Président de la République au Parlement européen.


Strasbourg - (Bas-Rhin) - mardi 11 juillet 1995.


Monsieur le président,

Tous les orateurs ou presque ont évoqué les memes problèmes. Je reprendrai donc, en répondant à chacun d'eux, tel ou tel point particulier. Mme Green a évoqué une certaine impuissance en matière d'emploi que je reconnais bien volontiers et que je regrette profondément. Je pense qu'elle a fait un tableau peut-etre un tout petit peu noir. Je vais l'éclaircir, pas beaucoup, mais un peu.

D'une part, pour la première fois, ces problèmes d'emploi ont mobilisé une part non négligeable du temps consacré à nos délibérations. Ce n'est pas cela qui changera naturellement la situation de l'emploi mais c'est le témoignage d'une prise de conscience qu'il s'agit du problème essentiel auquel sont aujourd'hui confrontés nos pays, dans la mesure où ils mettent en cause par l'exclusion la cohésion sociale et la dignité humaine. Je l'avais d'ailleurs remarqué, et cela aussi, à l'occasion de la réunion du G7 à Halifax, qui pour la première fois a consacré également une part importante de son temps à ce sujet. Je trouve qu'il s'agit là d'un progrès, du moins psychologique, sinon encore social ; et d'autre part, s'agissant - et cela a été évoqué par presque tous les orateurs, notamment par le président Martens - de réseaux européens, bien sûr nous n'avons pas fait une percée définitive mais tout de meme un pas non négligeable. Je prends à témoin le président Santer qui a hérité de ce dossier difficile et qui s'est efforcé, sous la pression commune du Parlement et des gouvernements, de le faire progresser et qui y a réussi, ce n'est pas un dossier facile.

Pour la première fois, des décisions ont été prises qui permettent d'engager le processus de mise en oeuvre de ces travaux : alors vous avez terminé, Mme le président, en espérant que Madrid sera une percée plus forte, et bien là, nous nous rejoignons tout à fait, je le souhaite très vivement ; j'espère que Madrid sera un grand succès en tous les cas, M. Gonzalez en sa qualité de nouveau président sait qu'il aura le soutien, sans réserve, de la France.

Le président Martens, après avoir évoqué aussi des problèmes de lenteur, a parlé des problèmes monétaires, notamment, et a souhaité que la décision d'une monnaie unique soit une décision irréversible, finalement qu'elle entre en oeuvre le plus vite possible mais surtout de façon irréversible. Je voudrais lui dire que je partage tout à fait son sentiment. C'est une lourde décision, elle comporte bien des problèmes techniques à résoudre, notamment des efforts à faire pour chacun des pays ; elle comporte une solution qu'il faut trouver entre les pays qui auront une monnaie unique et ceux qui ne l'auront pas, mais qui pourtant participent au meme marché.

Nous avons évoqué ces problèmes, je crois que ces difficultés peuvent etre résolues si l'on en a la ferme volonté politique.

J'ai senti au sein du Conseil de Cannes une vraie volonté politique dans ce domaine. Tout le monde n'ira pas à la meme vitesse, peut-etre, mais je crois que la décision peut etre, aujourd'hui, considérée comme irréversible. D'ailleurs, lorsqu'on observe, dans nos pays, les conséquences des déstabilisations monétaires, des dévaluations, on se rend compte que le seul moyen d'assurer le développement économique harmonieux c'est d'avoir un instrument monétaire commun quelles que soient les contraintes qu'il nous impose temporairement.

Le président Martens a également évoqué, ainsi d'ailleurs que beaucoup d'autres, - Mme Green notamment, mais d'autres aussi, la Turquie - M. de Vries m'a reproché, je crois, de ne pas avoir à ce sujet évoqué les Droits de l'Homme. Vous savez, il y a deux manières d'aborder ce sujet. La Turquie est un pays musulman, qui par son histoire, connaît une situation où la démocratie n'est pas assurée et qui, à ce titre, doit etre fortement encouragée par tous ceux qui veulent le progrès de la démocratie et notamment le respect des Droits de l'Homme. Il y a en Turquie des hommes, et des femmes qui se battent pour cela. Il y a des forces de conservations qui sont grandes et il y a des forces intégristes qui sont encouragées par l'extérieur et qui font des progrès. Moi je vous le dis, la Turquie de ce point de vue est un peu sur la balance. M. de Vries a dit : "il faut aider ceux qui luttent pour la démocratie". Oui, naturellement, nous ne pouvons, j'imagine, qu'etre tous d'accord sur ce point. Mais, est-ce qu'on aide ceux qui luttent pour la démocratie en permettant à ceux qui luttent pour l'intégrisme d'influencer profondément l'opinion publique turque, en disant : "vous voyez bien l'Europe ne veut pas de vous, et elle ne veut pas de vous pour des raisons qui tiennent à votre religion".

Et c'est ça le danger. Alors il y a une approche, je dirais, modérée de ce problème. Nous ne pouvons pas en permanence arriver avec nos discours exclusivement fondés sur les Droits de l'Homme, sans d'ailleurs nous interroger sur notre bien fondé à les exprimer.

Un certain nombre d'entre vous ont évoqué les problèmes du Fonds européen de développement et j'évoquais ces problèmes également à Cannes mais je les ai évoqués au niveau international récemment à Washington au Congrès. Est-ce que nous sommes si fondés que cela à parler en permanence des Droits de l'Homme en donnant le sentiment que nous sommes les seuls porteurs de ces valeurs quand nous voyons le désengagement de beaucoup de grands pays industriels dans le domaine du développement. Est-ce que nous sommes fondés à affirmer que nous sommes intransigeants sur les problèmes de la démocratie alors que nous ne donnons pas à un très grand nombre de pays en voie de développement l'égalité des chances qu'implique un véritable esprit démocratique mondial. Donc, faisons attention, car lorsqu'on évoque ces problèmes, il arrive bien souvent qu'on cherche plus à se faire plaisir qu'à etre efficace pour la défense de ses intérets. Et moi, je vous dis, soyons prudents et essayons de donner d'abord l'exemple, notamment en terme de développement pour ceux qui en ont véritablement besoin.

Nous parlons des Droits de l'Homme : il y a aussi le droit entre autre à l'intégrité de l'homme. Nous laissons, il faut bien le dire, avec une certaine hypocrisie sans mettre toute l'énergie qu'il conviendrait pour lutter contre le phénomène, se développer la production et le commerce de la drogue, y compris en Europe. Est-ce que cela est véritablement conforme à une certaine idée des Droits de l'Homme et de l'intégrité de l'homme. Alors, je crois que, avant de vouloir donner des leçons à tout le monde, il faut essayer d'abord avec son coeur comme avec sa tete de comprendre les problèmes qui se passent ici ou là et d'essayer de les aborder avec réalisme et non pas de façon idéologique.

M. le président Martens a évoqué Europol. Je partage son sentiment. Il le sait, y compris sur la Cour de justice. Et soyons clair, ce qui s'est passé, c'est de savoir si nous allions arriver à un blocage, il y avait en fait, vous le savez, M. le président, quatorze pays qui étaient d'accord pour adopter une solution mais qui avaient pour inconvénient d'en exclure un quinzième. Alors, au fond quel était le choix ? Avoir marqué clairement une discrimination de l'un des pays membres ou bien essayer de nous donner un peu de temps pour essayer de convaincre. C'est la deuxième solution que nous avons adoptée mais il a bien été indiqué que dans l'hypothèse où un compromis acceptable par tous ne serait pas trouvé, alors la solution qui avait été initialement approuvée ou acceptée par les quatorze, s'imposerait d'elle-meme. Voilà, qui je l'espère, Monsieur le président, est de nature à vous rassurer.

M. Pasty que je remercie pour son appréciation et à laquelle j'ai été sensible, a évoqué entre autres choses, le Fonds européen de développement. C'est vrai que nous avons eu beaucoup de mal, c'est vrai et M. Piquet en a également parlé. Nous n'avons pas lieu d'etre très fiers parce qu'à quinze nous faisons aujourd'hui ce que nous faisions hier à douze. Et pourtant, on a eu beaucoup de mal et c'est à la dernière minute qu'un accord a finie par intervenir et là, nous touchons, je voudrais le signaler, à quelque chose qui profondément met en cause les Droits de l'Homme puisque que ce sont les droits à la survie de l'homme. Les droits à manger, les droits à se soigner et qui sont contestés à tant d'hommes et de femmes sur notre planète et notamment dans le continent si proche du notre qu'est l'Afrique. Là encore, je le répète quand nous parlons des Droits de l'Homme, essayons de penser à nos propres responsabilités dans ces domaines.

Je remercie M. Pasty de les avoir soulignées. Il a évoqué, comme d'autres, le problème de la Bosnie et sur ce problème, je voudrais simplement, - puisqu'il a évoqué le retrait de la Forpronu - dire que la France, pas plus que les autres pays engagés, n'envisage aujourd'hui de retrait de la Forpronu, que la force de réaction rapide qui a été créée par les Français et les Anglais, soutenue par les Hollandais et les Allemands, je veux dire soutenue matériellement par leur participation physique, n'a en rien de vocation à aider le cas échéant, un désengagement de la Forpronu. En revanche, je voudrais dire très clairement que si le Congrès américain, comme on a l'air de dire que cela pourrait se passer, décidait la levée de l'embargo et que si cette levée d'une façon ou d'une autre était confirmée par les Etats-Unis, alors bien entendu la Forpronu serait fondée et devrait se retirer immédiatement.

M. de Vries a regretté qu'il n'y ait pas eu un mot sur le Burundi. Je n'ai pas pris cette remarque pour moi, d'abord, parce que je représente un pays qui est celui qui s'est engagé de la façon la plus déterminée et bien le seul, de façon militaire, au Burundi au moment où la crise était la plus grave et ensuite parce que nous avons demandé que soit ajouté au communiqué un passage sur le Burundi à notre propre initiative.

Madame Lalumière s'est réjouie de l'Union élargie. Je partage son sentiment. Elle a fait une réflexion importante lorsqu'elle a dit qu'il n'y avait pas, lui semblait-il, de proposition française, alors qu'il y avait une proposition allemande. Proposition, je veux dire une vision exprimée par un texte pour ce qui concerne l'avenir de l'Union et par voie de conséquence une base de discussion pour les travaux de la conférence intergouvernementale. C'est à la fois vrai et pas tout à fait exact. Cette conférence intergouvernementale va etre tout à fait essentielle puisqu'elle va devoir définir ce que sera l'Europe de demain, et donc, comment celle-ci sera commandée, dirigée et par voie de conséquence, quelles seront ses institutions, quel sera le nouvel équilibre, comment fonctionneront ses institutions. Il y a eu, c'est vrai, en Allemagne, un rapport qui a été fait, que tout le monde connaît, un rapport intéressant qu'on appelle le rapport LAMERS dont j'observe que le Chancelier a toujours indiqué clairement qu'il n'était pas un rapport d'origine gouvernementale, et qu'il ne représentait pas l'opinion de l'Allemagne. Il a d'ailleurs bien fait de le dire, puisqu'on vient d'avoir une deuxième approche sous la forme d'un deuxième rapport qui est un peu différent du premier, cela faisant partie du débat démocratique, mais je ne suis pas sûr que la France aurait eu intéret à affirmer, dès maintenant, quelles sont ses intentions ; il va falloir le faire, ne confondons pas hâte et précipitation. Et d'abord pourquoi la France et l'Allemagne... et les autres ! ils existent aussi, et si l'on s'engage sur cette voie on risque fort d'arriver à une certaine cacophonie. Je crois que les entretiens que nous avons sur l'avenir de l'Europe entre les Français et les Allemands sont tout à fait essentiels car chacun comprend bien, et cela n'est contestable pour personne, que s'il n'y a pas un accord franco-allemand, qui est nécessaire, - il n'est pas suffisant naturellement -, il n'y aura pas de possibilité si nous nous opposons, à construire l'Europe. Alors je crois que la meilleure formule, c'est que nous en discutions d'abord entre nous avant de nous exprimer sur la place publique. J'ajoute que, vous nous dites : "on se demande si la France ne regarde pas plutôt du côté de l'Angleterre ?" Si j'ose dire : Bien sûr que nous regardons aussi du côté de l'Angleterre. Je n'ai jamais entendu quelqu'un dire qu'on ferait l'Europe sans l'Angleterre. Il faut tenir compte de l'ensemble des sensibilités si nous voulons construire l'Europe de demain, si nous excluons les uns ou les autres, en espérant que par la contrainte ils nous rejoindront, nous ne ferons rien de solide. Naturellement, nous devons entendre tout le monde, et je puis vous assurer que ce n'est pas de nature à remettre ni de près ni de loin en cause l'un des moteurs essentiels de l'Europe, c'est-à-dire une entente franco-allemande qui va encore avoir l'occasion de se manifester sans ambiguïté et sans réserve cet après-midi, ici à Strasbourg, à l'occasion du Sommet franco-allemand.

L'adhésion de la Bosnie, Mme Lalumière, je ne suis pas convaincu que ce soit là quelque chose qui relève... "cela relève surtout du gadget n'est-ce pas", ce n'est pas une solution à ce problème. Alors je crois qu'il ne faut pas donner de faux espoirs ou là encore se faire plaisir, ce n'est pas le problème des populations de la Bosnie et ce n'est pas de nature à etre sérieusement proposé à l'Union européenne, alors je comprends que cela soit un argument de tréteaux, mais je ne suis pas sûr que ce soit un argument diplomatique ou réaliste.

Monsieur Jimmy Goldsmith a évoqué les CIP, je ne sais pas ce que c'est. Alors je laisserai à la Commission le soin, - je m'excuse de vous le dire, mais je suis dépourvu d'informations - de répondre sur ce point.

En revanche, il y a au moins deux points sur lesquels je suis d'accord.

Le premier, c'est qu'il faut des études d'impact sur l'emploi préalablement à toute décision. C'est une des premières décisions qu'a prise, sur le plan national, le gouvernement français pour ce qui concerne sa propre législation et sa propre réglementation et je crois que l'Europe doit aussi s'inscrire dans cette préoccupation. Chaque fois que l'on prend une décision, il faut faire une étude d'impact pour savoir si directement ou indirectement cette décision aura des effets positifs ou négatifs sur l'emploi.

Pour le deuxième point, sur lequel je suis tout à fait d'accord, c'est celui du caractère incohérent qu'il y aurait à lancer des initiatives, comme certains dans le monde l'évoquent, tendant à engager des pourparlers pour une nouvelle zone de libre échange euro-américaine ou autrement. Nous avons un système qui est celui de l'Organisation mondiale du commerce. Il faut maintenant le mettre au point. On ne peut pas rechercher à la fois le multilatéralisme auquel nous sommes tous attachés et vouloir essayer de mettre parallèlement en oeuvre de grands bilatéralismes. Je suis donc tout à fait hostile à ces initiatives un peu intempestives que l'on entend ici ou là, et qui n'ont d'ailleurs aucune chance d'etre concrétisées. Il faut d'abord et avant tout mettre en place et assurer le bon fonctionnement de l'Organisation mondiale du commerce, ensuite on verra comment nous pourrons progresser.

J'ai entendu les observations de Monsieur Blot sur la concurrence déloyale. Nous sommes tous, naturellement, sensibles à cet aspect des choses, et la Commission, tout particulièrement, qui fait, à cet égard, des travaux. Mais je voudrais dire qu'il faut également les traiter avec délicatesse quand on sait l'importance des exportations européennes. Il faut également en tenir compte avant de prendre des mesures qui seraient de nature à limiter nos importations, indépendamment de toutes autres considérations, et il en est d'autres. Tout ceci doit etre étudié de façon très attentive en terme de coût, d'efficacité des mesures que nous prenons. C'est ce que fait la Commission et pour ma part je lui fais confiance.

Vous aurez noté - mais ce n'est pas un oubli - que je n'ai pas répondu à Monsieur Wolf, mais j'y viens maintenant - d'abord parce que je n'ai pas compris sa première phrase - je crois qu'heureusement que je ne l'ai pas comprise, sinon cela aurait été peut-etre susceptible de me contrarier. Donc, je suis très content de ne pas avoir compris ce qu'il avait voulu dire. En revanche, j'ai observé qu'il n'avait attaché aucune espèce d'intéret à ce qui concerne notre débat c'est-à-dire : l'Europe, l'aide aux pays en développement, c'est-à-dire tous les sujets qui ont été évoqués qui concernent les européens. Le seul sujet qu'il ait évoqué concernait la décision de reprise par la France des derniers essais nucléaires qui doivent terminer son programme, et qui lui permettront tout à fait normalement, - je l'ai déjà dit - de signer le traité portant interdiction des expériences nucléaires dès qu'il sera soumis à la signature des pays. C'est un point sur lequel j'ai observé une certaine émotion que je comprends. Meme si je ne la partage pas. Je serais tout à fait disposé à l'évoquer avec les présidents de groupe de cette assemblée, les présidents de commission et le bureau que je me suis permis d'inviter à déjeuner et auxquels je donnerais les informations qu'ils souhaiteront à cette occasion.

Monsieur le président je vous remercie. </>





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