Rencontre débat de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, avec des étudiants libanais au Centre culturel français de Beyrouth.

Beyrouth (Liban) - vendredi 25 octobre 1996


Mes Chers Amis,
Je voudrais vous dire ma joie, d'avoir un dialogue avec les jeunes Libanais de toutes origines et de toutes confessions dans cette salle où ils sont chez eux, et sur un terrain qui bientôt abritera l'ensemble des services diplomatiques français, car accessoirement ici, nous sommes en France.


Je voudrais saluer chacune et chacun d'entre vous avec beaucoup d'estime et beaucoup d'affection et je n'oublie pas ceux qui sont dans la régie son, grâce auxquels le système fonctionne.


Je dirais simplement quelques mots avant d'engager le dialogue, pour que vous sachiez quel est aujourd'hui mon état d'esprit, à l'occasion de ce passage trop rapide dans votre beau pays, après le voyage que j'y ait effectué au mois d'avril dernier. Depuis cette époque votre pays a eu à surmonter, hélas, une épreuve tragique. Mais il a su faire aussi la preuve de son unité qui se retrouve petit à petit après avoir été si sérieusement malmenée et de sa solidarité. Vous savez que la France s'est toujours tenue aux côtés du Liban, plus ou moins fortement, plus ou moins efficacement, mais toujours. Pendant les années de drame, elle a toujours été présente sur cette terre, elle a plaidé pour que soit préservée votre intégrité territoriale, elle a défendu le processus de reconstruction, après tant d'années tragiques de guerre. Vous avez subi dix-sept ans d'affrontements meurtriers. Votre pays est sorti de cette guerre avec 150.000 victimes et des destructions considérables. Aujourd'hui, notamment pour l'observateur extérieur, le Liban renaît.


Ce n'est pas facile naturellement, mais rien n'est facile dans la vie, surtout après les épreuves. Mais il renaît. Il renaît avec rapidité, dynamisme, peut être n'en êtes-vous pas tout à fait conscients, mais quand on regarde avec l'expérience du monde et de l'extérieur c'est cela que l'on constate. Bien sûr, les problèmes ne sont pas résolus, quand les choses s'améliorent en général le nombre des problèmes augmente parce que l'on prend d'avantage conscience de ce qui n'est pas tout à fait l'essentiel et qui pourtant est nécessaire. Je vous le dis, un pays qui a survécu à des épreuves si fortes et qui a conservé sa vitalité est un pays qui est porteur d'espérance et porteur d'avenir.


C'est pour parler de l'avenir du Liban que j'ai souhaité rencontrer quelques représentants de sa jeunesse qui doit jouer tout son rôle, qui doit donner toute sa contribution pour la construction d'un Liban en paix, d'un Liban qui se développe, d'un Liban respectueux des valeurs auxquelles il est attaché depuis si longtemps et qu'il a toujours incarné dans cette région. Valeurs qui ont été, c'est vrai, fortement traumatisées pendant la période de difficultés.


Pourquoi ai-je souhaité ce dialogue ?


D'abord parce que la France entretient avec le Liban une relation historique très dense, séculaire, des siècles de relations, de liens qui se sont tissés entre les coeurs et les esprits des Libanais et des Français. Une relation -je crois qu'on peut le dire- à nulle autre pareille pour la France. Votre pays pour nous, a toujours été une fenêtre sur l'orient. Vous êtes si nombreux à pratiquer la langue française et cela permet un rapport beaucoup plus simple, plus chaleureux, que lorsque l'on est obligé de passer au travers d'une traduction.
Je crois à l'avenir du Liban j'y crois profondément. C'est un peu ce que j'ai voulu dire en venant deux fois en six mois dans votre pays. La France et le Liban partagent un certain nombre de ces valeurs que j'évoquais tout à l'heure. Le Liban a passé une période comme la France il n'y a pas si longtemps où ces valeurs ont été malmenées. Aujourd'hui, elles doivent retrouver toute leur place. C'est la tolérance, c'est la liberté d'expression, c'est la démocratie, c'est la solidarité.


Le Liban est une exception dans cette région et il doit le rester. Des hommes et des femmes de diverses confessions y travaillent ensemble et y travaillent à nouveau ensemble à l'élaboration de leur état, au redressement de leur économie. Naturellement, vous, la jeunesse du Liban, devez jouer le rôle déterminant dans cette réhabilitation des valeurs, de l'économie, de la politique du Liban. Pour cela, il faut avant tout que vous restiez unis et solidaires. Les jeunes sont plus spontanément unis et solidaires que les plus anciens. Gardez dans votre coeur cette exigence.


Il faut aussi que les jeunes femmes et les jeunes hommes de toutes les communautés croient profondément à leur pays, en un Liban qu'ils construiront ensemble au-dessus des barrières anciennes car votre pays je vous le dis, a son avenir devant lui et vous y avez un bel avenir si vous en prenez conscience et si vous vous mobilisez pour le forger vous-mêmes.


J'ai confiance en la jeunesse du Liban pour construire la démocratie et la prospérité dans ce pays.
Il y faudra du temps, mais le Liban a traversé d'autres épreuves et en est sorti, dans l'Histoire, vainqueur.
Je sais votre volonté, j'en suis sûr, de vivre ensemble pour construire un Liban multiconfessionnel qui fonde son originalité sur cette caractéristique qui fait aussi sa force. Tous, vous pouvez vous rassembler sur cette terre pour travailler, pour préparer les succès de demain, les vôtres et ceux de vos enfants.
Le Liban a besoin de chacune et de chacun d'entre vous. Aucun d'entre vous ne doit céder à la tentation du départ, aucun. Votre terre a besoin de vous et c'est là que vous serez le mieux, c'est près de vos racines, que vous vous épanouirez réellement. Votre avenir est ici et nulle part ailleurs.


Cet avenir peut être souriant dans un Proche-Orient en paix et nous finirons bien par avoir un Proche-Orient en paix. Vous avez tous, quelle que soit votre confession, des raisons d'espérer, des raisons de vous rassembler. Vous devez avoir une grande ambition pour vous-même et pour cette terre qui est la vôtre, vous le lui devez.


Je souhaitais vous dire ces quelques mots en introduction et avant d'aborder maintenant comme il était prévu le dialogue. Un dialogue que je me réjouis d'avoir avec vous. Il sera franc, cela ne doit pas être un dialogue marqué par la moindre réserve ou réticence à exprimer ce que vous pensez, nous ne sommes pas dans une enceinte diplomatique, nous pouvons donc parler franchement.


Je vous remercie de cette écoute et je donne la parole à notre médiateur.
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- LE PROCESSUS DE PAIX -

QUESTION - Monsieur le Président, vous dites que la paix est proche et que nous avons un avenir souriant. A la lumière de vos entretiens en Syrie, en Palestine et en Israël, cette paix est-elle proche et équitable ?

LE PRESIDENT - Il faut toujours prendre un peu de recul, la réflexion s'adapte mal à l'instantané. Si vous regardez ce qui c'est passé depuis vingt ans au Liban vous ne pouvez pas contester qu'en termes de paix, de sécurité, la situation s'est tout de même améliorée par rapport aux affrontements dramatiques que vous avez dû subir. Si vous regardez la région, vous voyez également que des progrès considérables ont été faits, des hommes de vision, des hommes de paix, des hommes d'Etats, ont tout de même fait progresser les choses vers la paix. Depuis Camp David, depuis SADATE et BEGIN, depuis les dernières avancées en matière de processus de paix, les initiatives d'Itzhak RABIN, de Yasser ARAFAT, la constante intervention pour la paix du Roi de Jordanie. Tout cela a tout de même permis un progrès très substantiel. Qui aurait pu imaginer - je me le disais à l'occasion du dîner officiel auquel j'ai assisté à Jérusalem- il y a quelques années que je trouverais là des représentants de cinq ou six pays arabes. C'est un progrès substantiel. Naturellement, les progrès connaissent hélas des difficultés, il n'y a pas de route droite pour aller vers le progrès, il y a toujours des pierres sur lesquelles on bute. Aujourd'hui, c'est vrai on bute sur un certain nombre de difficultés. Nous le voyons bien, le processus de paix provoque dans nos coeurs, dans nos esprits des inquiétudes.


Vous faisiez allusion à mes contacts de ces derniers jours à Damas, à Jérusalem, à Ramallah, à Gaza, à Amman. J'en retire la conclusion que s'il y a des dangers, il y a tout de même, profondément ancrée au coeur des hommes responsables, la nécessité de progresser vers la paix. Je suis persuadé que l'on finira par la faire et que la période actuelle, lourde d'inquiétudes, c'est sûr, finira par s'ouvrir sur une période qui reprendra le processus de paix. Il y faut une nécessité, il faut que tous les hommes de bonne volonté se rassemblent pour comprendre que, certes, chacun veut sa sécurité, mais qu'il n'y a pas de sécurité sans la paix. Petit à petit, cette réalité s'imposera à tous. Alors il faut être patient, déterminé. Il faut progresser vers la paix. Chacun a quelque chose à y apporter notamment les jeunes, dans leurs propos et leurs comportements. J'étais il y a quelques jours à Haïfa, devant l'Université scientifique TECHNION, il y avait là nombre de jeunes étudiants israéliens auxquels je m'adressais.

J'avais un discours qui était de nature à provoquer des réactions négatives de la part d'un certain nombre, dans la mesure où je donnais ma vision du processus de paix, pour ce qui concerne l'Etat Palestinien, pour ce qui concerne le statut de Jérusalem, pour ce qui concerne l'avenir des réfugiés, pour ce qui concerne la paix entre Israël, la Syrie et le Liban.

On m'avait dit : -c'est naturel chez des étudiants- vous allez être chahuté, ils vont protester. Il n'y a pas eu un mot et à la fin de mon propos, tous ces jeunes ont applaudi. Qu'est-ce que cela veut dire ? Simplement ceci, la jeunesse comprend que la paix est une nécessité absolue et chacun à sa façon essaye d'apporter un peu de son coeur, pour faciliter l'évolution vers la paix. Je souhaite que cela soit aussi le cas ici. Je reste donc optimiste.

QUESTION - Monsieur le Président, la France a-t-elle réellement la possibilité de s'opposer à ce que le Liban ne paie pas le prix de l'accord de paix ?

LE PRESIDENT - Le Liban a déjà beaucoup payé, c'est vrai. Beaucoup payé pour des faits qui n'étaient pas les siens, pour des événements qui en réalité ne le concernaient pas. Il a été victime des évolutions depuis vingt ans. C'est vrai.


Je ne lis pas dans le marc de café je ne peux dire ce que sera l'avenir mais, ce dont vous pouvez être sûr c'est que la France sera toujours avec détermination aux côtés du Liban pour que celui-ci effectivement ne fasse pas les frais de la paix. Ce qui veut dire clairement, qu'il sorte de cette période douloureuse pour toute la région et pour lui-même, dans des conditions conformes à sa dignité et à son intérêt c'est-à-dire avec sa souveraineté sur l'ensemble de son territoire, avec un système multiconfessionnel harmonieux, avec des règles démocratiques renforcées et confirmées, bref avec tout ce qui a fait pendant longtemps le génie du Liban.

QUESTION - Monsieur le Président, peut-on s'attendre à une paix véritable au Proche-Orient sans avoir un leader israélien qui aurait le courage d'un Charles de GAULLE qui lui a eu le courage d'affronter l'extrémisme européen et français quand il a résolu la question de l'Algérie en 1959 ?

LE PRESIDENT - Qui aurait dit, quelques mois avant Camp David, que Menahem BEGIN allait trouver un accord avec Anouar EL SADATE ? Personne. Qui aurait dit qu'un processus de paix pourrait être engagé par Itzahk RABIN avec Yasser ARAFAT ? Personne. Je ne veux pas porter de jugement aujourd'hui, sur la situation en Israël et sur la volonté des hommes dont il me semble en réalité qu'ils veulent la paix, tout en contestant certaines des modalités qui avaient été prévues.

Mais, il n'y a pas d'avenir pour des hommes de guerre, ni en Israël, ni ailleurs. Nous sommes en un temps où les hommes d'état ceux qui ont une vision de l'avenir sont forcément des hommes de paix. Cette réalité finira par s'imposer à tous, en Israël et dans les pays qui l'entourent.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez parlé de la mobilisation de la jeunesse libanaise. Pour nous la jeunesse est devenue un slogan, la démocratie, la liberté. Nous sommes une jeunesse qui n'est pas écoutée. Vous êtes le premier responsable à vouloir engager avec nous un débat et vous n'êtes pas des nôtres ! Pouvez-vous rapporter notre cri à nos responsables, sinon, que sera l'avenir d'une jeunesse qui n'est pas écoutée ?

LE PRESIDENT - Je ne crois pas que l'on puisse dire que la jeunesse libanaise n'est pas écoutée. La preuve, vous avez des universités nombreuses qui marchent bien et qui multiplient aujourd'hui les accords avec d'autres universités dans le monde. Vous avez les moyens de vous instruire, ce que n'avait pas la jeunesse du Liban il y a dix ans. Vous voulez la démocratie et la liberté, nous la voulons tous. Là encore, nous progressons ici, mais avec toutes les difficultés qu'il faut envisager avec réalisme.

Si je suis venu ici c'est parce qu'après avoir beaucoup entendu les responsables de ce pays et des pays qui l'entourent, sur l'avenir de la région et du Liban, je souhaitais également à la fois dire à la jeunesse que ce qu'elle pense est pour moi important et recueillir par votre bouche même très rapidement, l'impression de ce qu'il y a dans votre coeur et dans votre esprit. Si vous me demandez de le transmettre aux autorités responsables, croyez bien que je le ferai avec beaucoup de plaisir.

QUESTION - Monsieur le Président, le rapprochement franco-palestinien qui s'est manifesté dans vos discours pendant votre visite en Palestine, a t-il pour but de faire face au soutien aveugle des Etats-Unis à l'Etat d'Israël ?

LE PRESIDENT - Vous parlez du rapprochement franco-palestinien, il y a toujours eu de bonnes relations entre la France et Israël. Ce que j'ai dit n'est pas très différent de ce que l'Union Européenne -pas seulement la France- dit depuis très longtemps. Elle a commencé au Sommet de Venise. C'était il y a seize ou dix-sept ans, et a parlé d'une même voix pour tout ce qui concerne les problèmes de cette région, notamment des Palestiniens, à chacune de ses rencontres. C'est encore ce qu'elle a dit au dernier Sommet de Florence et qu'elle a exprimé au dernier Sommet de Dublin. Il n'y a donc pas eu de changement.

En revanche, ce qui semble avoir évolué, et qui m'inquiète est la perception par la partie arabe, Palestinienne, Syrienne, Libanaise d'un déséquilibre dans la négociation en général entre Israël, les Etats-Unis et la partie arabe. Une sorte de déséquilibre où les Américains seraient -je ne fais de procès d'intention à personne- plus favorables à la partie Israélienne qu'à l'autre partie. Cette perception provoque une certaine méfiance et la méfiance est toujours mauvaise conseillère. Elle bloque les choses.

C'est la confiance qui fait progresser. On a fait beaucoup de procès d'intention sur mon voyage, en disant que je voulais substituer la France aux Etats-Unis, dans le processus de paix. C'est évidemment absurde. Les Etats-Unis ont eu un rôle considérable depuis Camp David, personne ne peut le contester. Les choses ne se seraient pas faites comme elles se sont faites, les progrès n'auraient pas été réalisés sans eux. Aujourd'hui, il y a un déficit de confiance entre les parties qui expliquent pour une part la situation de blocage que nous connaissons. Il faut renforcer la confiance dans le mécanisme.

Je pense que l'Europe, compte tenu de ses positions traditionnelles, notamment dans le conflit israélo-palestinien, la France à ce titre également, peuvent peut être apporter ce supplément de confiance en raison des relations traditionnelles que nous avons avec tous les pays de la région. Je crois que de ce point de vue nous pouvons avoir un rôle positif.


QUESTION - Monsieur le Président, pouvez-vous nous faire part de vos propositions à M. NETANYAHOU concernant le Liban ?


LE PRESIDENT - Vous connaissez mon attachement au Liban. Je l'ai exprimé clairement et de façon politique au mois d'avril dernier, en parlant devant le Parlement Libanais. Je l'ai évoqué à l'instant, je ne vais donc pas revenir sur ce point dans le détail. J'enregistre comme un élément positif, le fait que la présence Israélienne au Liban sud n'est pas fondée sur une revendication territoriale. Il n'y a pas de revendication territoriale en Israël sur la terre libanaise, mais sur un problème de sécurité.


Je souhaite que dans le cadre d'un accord qui doit reprendre, d'un processus de paix qui doit reprendre entre Israël d'une part, la Syrie et le Liban d'autre part, on arrive le plus vite possible à une situation où la résolution 425 de l'O.N.U. -c'est à dire le départ complet des Israéliens du sud Liban- permette d'engager le processus naturel qui rendra au Liban la totalité de sa souveraineté sur l'ensemble de son territoire. Naturellement, j'ai dit au Premier ministre Israélien combien j'étais attaché à ce que ce processus, pour qu'il puisse se développer le plus rapidement possible.

QUESTION - Monsieur le Président, quels sont les intérêts qui poussent la France à intervenir dans le processus de paix ?

LE PRESIDENT - Ce ne sont pas des intérêts car, si tel était le cas, la France ferait une erreur. J'ai toujours observé que de telles interventions provoquaient pour ceux qui en étaient les initiateurs, plus de difficultés, de problèmes, de critiques que de satisfactions ou de compliments. La France, apporte sa contribution, ou veut apporter sa contribution, au processus de paix, tout simplement parce qu'il s'agit de la paix. Lorsqu'il s'agit de la paix toutes les bonnes volontés doivent être rassemblées. Ce n'est pas un problème de clocher. C'est le rassemblement de toutes les bonnes volontés, de tous les hommes de paix, et femmes de paix qui peut permettre de progresser. C'est pour cela que la France agit.

Je souhaite que ce soit en parfaite harmonie avec toutes les autres parties avec naturellement l'Union Européenne, avec évidemment les Etats-Unis, avec Israël, avec l'ensemble des pays de la région. C'est une contribution, qui a pour objectif de faciliter la paix et qui ne correspond pas à des intérêts particuliers. Même si la France est extrêmement attachée à cette présence dans la région du monde, pour toutes les raisons que l'on connaît et qui sont politiques, historiques, stratégiques et qui tiennent en un mot à l'importance que la France attache à la stabilité, à la paix et au développement de l'ensemble méditerranéen.

QUESTION - Monsieur le Président, que peut faire la France quant au fait qu'au sein des négociations de paix les volets syriens et libanais sont liés de force alors que le volet Libanais pose un moindre problème ?

LE PRESIDENT - C'est un fait qu'ils sont liés. Ce serait une illusion que de croire que l'on peut les délier. Naturellement, on pourrait imaginer de procéder autrement et de dire : nous allons essayer de faire une paix d'abord au Liban. Israël a, un moment, imaginé que cela pourrait être une solution. La réflexion a montré que cela n'en était pas une, tout simplement parce que la paix se découpe mal, que c'est un ensemble et qu'il faut régler l'ensemble d'un problème et non pas seulement une partie. Voilà pourquoi, je crois que nous n'éviterons pas que le volet syrien et le volet libanais soient traités ensemble dans le processus de paix.

QUESTION - Monsieur le Président, pensez-vous qu'après chacune de vos visites on devrait s'attendre à une escalade violente ?

LE PRESIDENT - J'espère que non. Toute mon ambition est à l'opposé. Je viens ici avec un rameau d'olivier et non pas avec une kalachnikov.

- QUESTIONS INTERNATIONALES -

QUESTION - Monsieur le Président, Les Etats-Unis ont déclaré qu'ils utiliseront leur veto pour contrer la reconduction de M. BOUTROS GHALI comme Secrétaire Général des Nations Unies. La France va-t-elle utiliser son veto pour contrer toute candidature soutenue par les Américains ?

LE PRESIDENT - Je considère que M. BOUTROS GHALI, a fait un travail très remarquable comme secrétaire Général des Nations Unies. La tradition veut qu'un secrétaire Général fasse deux mandats. Tout naturellement, M. BOUTROS GHALI a déclaré qu'il serait à nouveau candidat. Immédiatement, la France lui a fait savoir qu'elle soutiendrait sa candidature. Les Etats-Unis ont une autre appréciation des choses. Ils considèrent que la réforme de l'ONU n'a pas été conduite avec suffisamment d'énergie et ils souhaitent donc mettre un terme au mandat de M. BOUTROS GHALI. Nous verrons cela au moment de la procédure, qui implique un vote simultané dans des conditions compliquées, à la fois du Conseil de Sécurité et de l'Assemblée Générale.

La première question est de savoir si Monsieur Boutros Ghali sortira vainqueur de ce vote. Aujourd'hui, les experts, les diplomates le pensent. Naturellement, le problème sera de savoir si les Etats-Unis, à ce moment-là, comme ils en ont le droit, mettront leur veto. Je souhaite, pour tout dire, que ce ne soit pas le cas. Ce serait un élément supplémentaire de crise dans le fonctionnement de l'ONU, alors que nous avons besoin de l'ONU pour participer au règlement des problèmes multiples et des affrontements qui existent dans le monde. Enfin, si tel était le cas, il faudrait un nouveau candidat. La France, naturellement, ne va pas opposer son veto -je dis pour ceux qui ne le savent pas que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ont un droit de veto- à tout candidat présenté par les Etats-Unis.

En revanche, la France opposera son veto à tout candidat qui ne sera pas parfaitement et normalement francophone. Ce qui est tout à fait différent. Dans la Charte des Nations Unies, il est prévu qu'il y ait deux langues, l'anglais et le français. Ce qui suppose que le Secrétaire Général soit réellement et complètement francophone et anglophone. Donc, la France portera son jugement en fonction de ce critère, mais il va de soi que si un candidat se présentait qui ne soit pas réellement francophone, la France serait conduite à opposer son veto, mais pour des raisons touchant aux Etats-Unis, pour des raisons touchant à la francophonie, c'est différent.

QUESTION - Monsieur le Président, on ne parle ici que de paix, mais comment peut-on affirmer que le monde aspire à la paix lorsque les grandes puissances ont recourt au nucléaire pour fortifier leur positions ? Je n'accuse pas spécialement la France.

LE PRESIDENT - Ceci est une bonne question. Là encore, il faut comprendre l'histoire. L'histoire fait qu'il y ait aujourd'hui, cinq puissances nucléaires et un certain nombre de puissances qui ont probablement l'arme nucléaire ou qui sont sur le point de l'avoir. A partir de là, une prise de conscience des dangers de prolifération que cela doit comporter, une prise de conscience du danger que comportait la poursuite des expériences pour être toujours plus efficace, c'est-à-dire plus meurtrier et pour élaborer des armes qui soient toujours plus sophistiquées, la prise de conscience des dangers est apparue clairement. Si bien, qu'un certain nombre de pays, avec, au premier rang d'entre eux la France, ont proposé que l'on fasse un traité qui interdise les expériences nucléaires.

Ce traité a été long et difficile a élaborer. La France a été la première a demander que l'option zéro soit retenue, c'est-à-dire que contrairement à ce que souhaitait la plupart des autres pays au début de la négociation, les petites explosions ne soient pas autorisées non plus et que cela soit zéro explosion. La France a beaucoup milité pour cela. Elle a été la première, je le rappelle, dans le monde, à le proposer, il y a de cela un an. Le Traité, finalement, a été signé par presque tous les pays, sauf deux ou trois. La France s'en réjoui, elle a été parmi les premiers à signer.

Vous me direz, mais pourquoi vous, vous avez fait des expériences nucléaires ? Je vais vous le dire. Tout simplement parce que la France est une puissance nucléaire. Elle a une arme de dissuasion. Elle avait un programme d'essai qui lui permettait de valider son armement pour les cinquante ans qui viennent, c'est-à-dire s'assurer de la fiabilité, de la sécurité de cet armement. Pour des raisons que je n'ai pas à critiquer, mon prédécesseur avait interrompu presqu'à la fin cette expérimentation. Si bien, que tout l'effort qu'on avait fait, était en quelque sorte réduit à néant. Nous n'avions pas les conclusions. Nous n'étions pas sûr de ce que nous avions fait. Dans ces conditions, j'ai considéré légitime de terminer nos essais, les ayant terminé, nous avons été le premier pays nucléaire à fermer notre site qui se trouve dans le Pacifique sud, dans la Polynésie française, à Mururoa.

Nous sommes le premier pays nucléaire qui a fermé son site d'expérimentation. Il n'y a donc pas de doute en ce qui concerne nos intentions de respecter, le traité portant interdiction de ces tests, de ces expériences. J'ajoute que la France a également pris la décision de fermer son usine de fabrication de matières fissiles nucléaires et nous sommes en train de la fermer. De ce point de vue, notre position est tout à fait claire. Je souhaite que les derniers pays qui n'ont pas encore signé le traité portant interdiction des essais nucléaires, le signent le plus vite possible et que cette page soit tournée dans l'histoire de nos affrontements.

QUESTION - Monsieur le Président, l'Union européenne est le principal financier du processus de paix. Pourquoi, jusqu'ici, son rôle politique n'est pas à la hauteur de ses contributions ?

LE PRESIDENT - C'est une bonne question. C'est vrai que l'Union européenne apporte une contribution très importante pour le processus de paix. Je dirai même une contribution quasi exclusive. Pour autant, on s'était habitué à l'idée qu'elle ne devait pas intervenir politiquement dans ce processus. J'ajoute que l'Union européenne est également le principal partenaire de cette région sur le plan des échanges économiques. Même si l'on prend Israël, dont chacun connaît les liens avec les Etats-Unis, Israël fait près de 60% de son commerce avec l'Union européenne et seulement 17% avec les Etats-Unis. C'est dire, qu'il s'agisse du problème financier et de contribution au développement ou au processus, ou du problème des échanges qui suppose naturellement un effort de la part de l'Union européenne pour s'ouvrir, notamment aux importations en provenance de cette région, elle est tout à fait en tete. Je crois qu'elle peut prétendre effectivement à être concernée par la négociation politique compte tenu de cette situation. Mais ce n'est pas l'argument que j'ai retenu, vous l'avez vu.

Je ne reviendrais pas sur ce que j'ai dit tout à l'heure. Mais je crois que l'Union européenne et notamment la France qui a des liens particuliers avec cette région, doit surtout se donner pour ambition, non pas d'avoir un retour de son effort économique ou financier, mais d'apporter un surplus de coeur, d'âme, de confiance dans un processus qui en a besoin. C'est cela qui justifie ce que doit être l'intérêt de l'Union européenne dans le processus de négociation et qui n'est en rien contradictoire avec les responsabilités de quiconque et notamment des Américains.

QUESTION - Monsieur le Président, que peut faire l'Europe pour empêcher la mainmise américaine à l'ONU ?

LE PRESIDENT - La mainmise américaine à l'ONU se caractérise surtout par le fait que les Etats-Unis ont des dettes considérables à l'égard de l'ONU puisqu'ils ne payent pas ce qu'ils doivent au rythme où ils devraient le payer. Ce qui d'ailleurs provoque une crise financière grave à l'ONU. Nous nous efforçons, je me suis toujours efforcé, de dire à nos amis partenaires américains que l'ONU était utile. Le nombre de conflits qui ont été réglés dans les dernières années grâce à l'initiative de l'ONU, le nombre de crise qui n'ont pas éclaté grâce à l'effort fait par l'ONU, des efforts politiques, des efforts militaires, des efforts humanitaires, est considérable. Donc, il faut conserver ce moyen de paix et lui donner ce qu'il faut pour qu'il puisse agir.
Mais l'ONU, c'est 180 états à peu près, cela ne peut pas être sous la direction exclusive d'une nation, aussi importante soit elle. Il faut respecter les sensibilités de chacun. Il y a des procédures démocratiques de vote, de prise de décision. Je crois que ces procédures doivent être respectées, que personne n'a, en quelque sorte, d'autorité privilégiée sur l'ONU.

- L'AVENIR DU LIBAN -

QUESTION - Monsieur le Président, vu l'exemple que nous donne les dernières élections au Liban, peut-on vraiment parler de démocratie au Liban ?

LE PRESIDENT - Vous êtes toute jeune, et vous n'avez naturellement pas une longue expérience. Moi, je regarde ce qui s'est passé au Liban de 1975 à 1990 et les problèmes politiques se réglaient à coups de canon. Les gens étaient dans la terreur perpétuelle.

Un des souvenirs les plus émouvants que j'ai conservé dans mon coeur date de 1986. Je venais d'être nommé Premier ministre, et la France a été l'objet d'attaque terroriste. Il y eu des bombes un peu partout à Paris, très peu de temps après ma nomination, et il y a eu en particulier rue de Rennes une bombe particulièrement meurtrière. Naturellement, je me suis rendu sur place et le lendemain, puis 2 jours après, je suis allé visiter les blessés dans les hôpitaux qui étaient nombreux et dans le premier hôpital où je suis allé, j'ai rencontré une jeune libanaise qui avait 17 ans, qui avait été amputée d'une jambe au genou, en raison de sa blessure au moment de l'attentat. Je lui ai parlé, et elle m'a dit : "Monsieur Chirac, j'habite Beyrouth, ma famille est à Beyrouth, je suis arrivée il y a seulement 2 jours et ma famille m'a dit : Ecoute va donc passer un mois à Paris chez des amis, au moins pendant ce temps là, tu ne risqueras rien en ce qui concerne les bombes et le terrorisme", c'est poignant comme réflexion, mais je le dis simplement pour rappeler ce qu'était Beyrouth, symbole de la folie meurtrière pendant tant d'années.

Alors aujourd'hui on fait des élections. Elles ne sont peut-être pas parfaites -je n'ai pas de jugement à porter, je n'ai pas d'ingérence à faire dans les affaires politiques intérieures du Liban-, j'ai lu ici ou là qu'il y avait des gens qui protestaient, c'est possible, mais moi ce que je vous dis c'est que la démocratie est un combat permanent, que personne n'a de baguette magique pour l'imposer. Moi je suis pas à pas depuis longtemps l'implantation de la démocratie dans les pays d'Afrique, parce que j'aime l'Afrique. Je suis un vieil africain et je vois bien que les progrès demandent du temps alors je me dis que déjà, même si ce n'est pas parfait il y a eu des élections ; c'est-à-dire la reconnaissance du principe de la souveraineté populaire et que cela est mieux que les coups de canon.

J'espère et je suis sûr que petit à petit le système démocratique s'ancrera définitivement dans ce pays, il faut faire les choses, hélas, à leurs rythmes. La perfection instantanée n'est pas de ce monde.

QUESTION - Monsieur le Président, comment voyez-vous la liberté d'expression au Liban, surtout après les nouvelles lois sur l'audiovisuel et celles contre les manifestations ?

LE PRESIDENT - Le Liban a une vieille tradition démocratique qui reconnaît comme une valeur essentielle la liberté d'expression. Là encore, je n'ai pas l'intention de faire d'ingérence dans les affaires intérieures du Liban, vous le comprenez. Ce n'est pas mon rôle. Alors, je ne fais qu'observer amicalement ce qui se passe ici. Je le répète encore, les progrès sont déjà importants. Il semble qu'il y ait là aussi des contestations et que l'on dise que les choix qui ont été faits ne sont pas conformes à la pluralité d'expression. D'autre part, il y a des nécessités techniques. Il est indiscutable que la situation antérieure, sur le plan technique, économique et financier, n'était pas satisfaisante.

Je souhaite simplement que petit à petit, là encore, on progresse comme sur le plan électoral et que l'on progresse vers le respect des valeurs que j'évoquais tout à l'heure. Si vous voulez ma conviction, moi qui sait par expérience, que tout ne s'acquiert pas d'un seul coup, qu'il faut faire des efforts. Que la paix, comme la démocratie, cela se mérite. Il faut faire des efforts pour l'atteindre. Je suis persuadé que dans quelques années, ceux qui vous succéderont sur ces bancs, n'auront même plus à soulever ces problèmes. Ils ne leurs viendront même plus à l'idée. En revanche, ils en auront d'autres aussi importants qui les mécontenteront tout autant et ils les exprimeront alors.

Je voulais dire, rien n'est parfait instantanément. Ce qui est essentiel, c'est que tout le monde se mobilise pour atteindre la perfection, c'est-à-dire le respect des valeurs démocratiques et la paix.

QUESTION - Nous avons bien compris, Monsieur le Président, que vous cautionnez la politique de reconstruction suivie actuellement au Liban. Or, cette politique a eu comme effet de relever la dette publique de 2,5 milliards de dollars en 1992, à quelques 14 milliards aujourd'hui. Pourriez-vous nous expliquer, Monsieur le Président, pourquoi cela ? Alors que la politique que vous suivez actuellement, en France, est une politique de désendettement au vrai sens du terme ?


LE PRESIDENT - Je vous signale que la politique que je suis en France pour le désendettement, ne recueille pas l'enthousiasme de la totalité des Français. Ce qui prouve que rien n'est jamais parfait, n'est-ce pas ? Ceci étant, la France a terminé sa reconstruction. Elle a connu ces problèmes dans les années 45-50, mais elle n'a pas ce problème, elle en a d'autres. A partir du moment où un pays doit faire face à la reconstruction, il faut payer. Quand on paye, il faut emprunter. Quand on dépense, il faut emprunter. Tout le problème est de ne pas dépasser une limite qui serait dangereuse. Je ne pense pas qu'aujourd'hui, au Liban, cela soit le cas. En tous les cas, je constate que le thermomètre, c'est-à-dire, la réaction des marchés financiers, la valeur de la monnaie libanaise, par conséquent, n'est pas affectée par la dette telle qu'elle existe aujourd'hui. La confiance des marchés financiers subsiste, me semble-t-il. Ce qui prouve que la dette n'est pas excessive. Sur le plan technique, je n'ai pas à porter de jugement sur ce que doit représenter la dette par rapport au produit intérieur brut dans un pays comme le Liban. Je dis simplement que si l'on veut reconstruire, il faut dépenser.

Cela est vrai, Il faut reconstruire, tout a été détruit. D'autre part, la reconstruction doit se faire le plus rapidement possible. Pourquoi ? D'abord, parce que naturellement les Libanais ont besoin des équipements nécessaires : de l'eau, du gaz, de l'électricité, des routes, des écoles, des hôpitaux, etc. Ils en ont besoin pour leur vie quotidienne.

Mais, cette construction a aussi un autre effet. Chacun sait qu'il y a dans le monde une diaspora libanaise considérable. Il y a ceux qui sont partis depuis longtemps et il y a ceux qui sont partis depuis moins longtemps. L'une des caractéristiques de cette diaspora, c'est qu'elle est extrêmement riche. Elle a beaucoup d'argent, beaucoup, beaucoup d'argent. On peut espérer que les Libanais qui sont des hommes d'affaires actifs, efficaces, intelligents, doués, comprennent que leur intérêt, c'est de revenir au Liban. Et, en tous les cas, s'ils ne reviennent pas, c'est d'investir au Liban. C'est capital. C'est particulièrement vrai pour les chrétiens libanais de l'extérieur. Mais si on veut qu'ils investissent, il faut qu'ils aient confiance. Ils n'investiront pas dans un pays où il n'y a pas de routes, où l'électricité ne marche pas bien, où les hôpitaux ne fonctionnent pas comme il convient, etc. Il faut créer une confiance qui permet d'attirer notamment la diaspora libanaise et ses investissements et puis aussi les investissements des autres.

Quand j'ai été élu, j'ai défini avec le gouvernement libanais les modalités d'une aide plus importante de la France. Ce n'est pas cela qui allait changer les choses au Liban du jour au lendemain. Mais je voulais marquer un élément de confiance pour essayer d'attirer les autres à faire cela.
Donc, je le répète, il n'y a pas de reconstruction sans endettement. Malheureusement, on n'a pas encore trouvé le moyen de faire cela.


QUESTION - Monsieur le Président, la France protège les droits de l'Homme dans le monde. De plus, elle appuie la Charte relative au dit droit. Comment se permet-elle donc de négliger le fait qu'il y ait au Liban une personnalité chrétienne comme le commandant des forces libanaise, le Docteur Samir Jaja, détenu politique, qu'il soit terré dans une cellule exiguë, ne dépassant pas les six mètres carrés et dont l'état de sa santé est pénible, étant emprisonné dans ces circonstances depuis plus de deux ans et demi, bien que le règlement libanais interdise de détenir des personnes individuellement plus d'une dizaine de jours.


LE PRESIDENT - Monsieur Jaja est entre les mains de la justice. Je n'ai jamais, en France, accepté de porter un jugement quelconque sur une affaire qui est entre les mains de la justice, à fortiori, ne me demandez pas de porter un jugement sur la justice libanaise. Donc, je ne suis pas en mesure de faire le moindre commentaire sur cette affaire et son fondement. En revanche, ce que je veux dire, c'est qu'il est certain qu'en permanence tous nos pays, pas seulement le Liban, car il y a des excès et des erreurs dans toutes nos démocraties, doivent faire un effort important pour rendre la justice la plus sereine possible et la plus juste possible. Cet effort existe ailleurs, j'espère, et je sais qu'il existe aussi au Liban.

QUESTION - Monsieur le Président, quelle est votre attitude envers les Etats-Unis, si ces derniers vont aider Monsieur Hariri à modifier la Constitution pour devenir Président de la République libanaise ?

LE PRESIDENT - Je vais vous dire, j'ignore tout de cette affaire, et cela ne me regarde pas. J'ai beaucoup d'estime pour Monsieur Hariri, comme d'ailleurs pour toutes les personnalités libanaises. Pour moi, à partir du moment où elles ont une responsabilité, elles sont par définition amicales et respectables. Sur ce point, je n'ai vraiment aucun sentiment.

QUESTION - Ne pensez-vous pas qu'au centre ville de Beyrouth, les richesses archéologiques sont sacrifiées au profit de l'urbanisme sauvage ?

LE PRESIDENT - Cela, je n'en sais rien. Mais, dans tous les pays du monde, et en France en particulier, chaque fois que nous faisons des grands travaux, il y a une lutte entre les archéologues et les bâtisseurs. Moi, spontanément, je suis plutôt vers les archéologues. Mais je reconnais qu'il y a tout de même des limites. J'ai plusieurs fois, compte tenu des relations amicales que j'entretiens avec le gouvernement libanais et le Président du Liban, appelé leur attention sur ce point, non pas du tout, naturellement, là encore, pour faire ingérence dans les affaires du Liban, mais simplement pour faire profiter les responsables de l'expérience qui est à la mienne, notamment pendant les dix-huit ans où j'ai été Maire de Paris, et où régulièrement je me suis trouvé confronté à des problèmes de cette nature, c'est-à-dire des travaux qui butaient contre des découvertes ou sur des découvertes archéologiques.

J'ai dit à maintes reprises aux autorités libanaises, combien il fallait être dans ces affaires prudent. Naturellement on ne peut pas tout bloquer, parce que la vie est là, que les Libanais ont besoin de choses, de logement, d'équipement, etc., mais qu'il fallait trouver la juste voie, entre ces différentes exigences. J'ai mis ma propre expérience au service de celle des autorités libanaises.

QUESTION - Monsieur le Président, la France a garanti la sortie du Général Aoun du Liban. Garantira-t-elle sa rentrée ?

LE PRESIDENT - Le Général Aoun est tout à fait libre de rentrer quand il voudra et comme il voudra. Le Général Aoun n'est pas prisonnier en France. Le Général Aoun bénéficie de l'asile politique et, par conséquent, il est libre de ses mouvements et de rentrer quand il voudra.

QUESTION - Pourquoi le Général Aoun a-t-il été interdit de s'exprimer devant le Parlement européen à Strasbourg ?

LE PRESIDENT - Pour une raison très simple. Nous avons une tradition, je crois qu'elle existe dans toutes les démocraties, qui indique que l'on peut bénéficier de l'asile politique dans nos pays, mais à une condition, c'est de ne se prêter à aucune manifestation de nature politique. C'est une tradition constante qui, généralement, a été observée. Quand, par hasard, elle ne l'était pas, cela s'est traduit généralement par des expulsions, dans tous les pays démocratiques. Le Général Aoun est parfaitement libre de faire ce qu'il veut en France, puisque c'est là qu'il a choisi de résider. Je le répète, il est parfaitement libre naturellement de rentrer au Liban s'il le souhaite.

En revanche, la règle générale et démocratique ne lui permet pas de s'exprimer politiquement dans des conditions qui seraient de nature à porter atteinte aux relations entre la France et tel ou tel autre pays, le Liban ou un autre.

QUESTION - Monsieur le Président, comment vous expliquez le fait qu'à une simple égratignure d'un Israélien, le monde entier est mobilisé ? Alors qu'il faudrait ailleurs des morts pour avoir un peu de compassion.

LE PRESIDENT - J'ai beaucoup de compassion chaque fois que quelqu'un est maltraité, blessé ou tué quelque soit son origine, sa confession ou sa nationalité, naturellement. Je m'efforce, chaque fois que j'en ai la possibilité de dénoncer ces traitements inacceptables et inadmissibles dans une société moderne qui ne peut être que pacifique et où le règlement des conflits doit être pacifique. J'ai, vous le savez, exprimé toute ma compassion lorsque les habitants de Cana ont été victimes des bombardements, comme j'ai d'ailleurs exprimé de la même façon toute ma compassion à l'égard des victimes israéliennes du terrorisme. Je ne fais pas deux poids et deux mesures.

QUESTION - Monsieur le Président, faut-il qu'un jeune libanais ou moins jeune soit humilié pour obtenir un visa pour la France, ou même parfois un petit renseignement ?

LE PRESIDENT - Je vous dirai d'abord que je milite pour que les Français obtiennent les visas pour le Liban aussi facilement que les libanais l'obtiennent pour la France. Je dis ça par parenthèse, et vous l'imaginez de façon tout à fait amicale, mais enfin c'est un fait.

Deuxièmement, vous faites surtout allusion, je pense, aux étudiants qui veulent venir faire des études en France et nous sommes heureux qu'ils viennent et plus ils sont nombreux plus nous serons heureux. Mais vous savez parfaitement que nous sommes hélas dans un temps où il existe en permanence des tentations ou des tentatives de terrorisme et que nous sommes obligés, nous, tous les pays qui peuvent être victimes de terrorisme, nous sommes obligés d'avoir des règles d'enquête qui sont, je le reconnais désagréables pour ceux qui les subissent, mais qui nous permettent de nous assurer que n'importe qui ne vient pas chez nous. Cela ne s'applique pas seulement au Liban. Cela s'applique à tous les pays étrangers et notamment aux pays qui sont dans des régions où il y a de ce point de vue des problèmes particuliers.

Alors, il ne faut pas que vous y voyez une quelconque défiance ou un manque d'amitié. Il s'agit simplement pour la France, qui a été à plusieurs reprises durement touchée par le terrorisme, de s'assurer que n'importe qui ne vient pas sur son territoire sans que l'on est fait un minimum d'enquête. C'est tout et cela ne vise pas le Liban. Cela vise tous les pays de la région et de bien d'autres.

QUESTION - Quand vous jouez un rôle primordial en Europe, dans tout le monde, comment vous pouvez nous aider à lutter contre certains pays européens qui font de notre pays, de notre beau pays comme vous avez dit au début, une simple poubelle de leurs déchets toxiques ?

LE PRESIDENT - Vous savez moi je lutte avec beaucoup d'énergie, parce que la France a connu, connaît le même problème. Il y a aussi à la suite de combines des gens qui viennent apporter leurs déchets en France, et je réagis très vivement également contre cette situation. Je crois que chacun doit gérer ses propres déchets et que tous les systèmes qui conduisent, pour des raisons qui ne sont pas toujours les meilleures, à exporter ses déchets chez les autres, doivent être dénoncés et combattus.

QUESTION - Soutiendrez-vous toujours Monsieur Hariri, malgré les transgressions des principes démocratiques faites par le Gouvernement qu'il préside ?

LE PRESIDENT - Moi, je ne soutiens pas M. Hariri. Je soutiens le Liban et Monsieur Hariri est Premier Ministre du Liban. Alors, vous dites les pratiques démocratiques, j'ai répondu à cette question tout à l'heure. Je comprends naturellement. Moi aussi j'ai été jeune, vous me direz il y a très longtemps, mais enfin je l'ai été comme tout le monde et je me souviens quand j'étais étudiant j'ai été aussi contestataire, je disais c'est honteux, etc... Et puis on fait ceci, on fait cela. J'ai même lu dans le journal aujourd'hui ou dans une dépêche de l'Agence France Presse que je ne sais quelle mission allait venir en France dans les prisons pour voir si nous respections les droits de l'homme et s'il n'y avait pas de torture, ce matin j'ai appris ça. J'espère qu'on ne trouvera rien de tel naturellement, mais enfin tout est possible.

Moi je constate, je le répète avec l'expérience que si l'on prend la situation telle qu'elle existait en 1975 et telle qu'elle existe en 95 ou 96, on s'aperçoit tout de même qu'il y a eu sur le plan humain, sur le plan politique, sur le plan des libertés un progrès considérable. C'est comme ça et que rien n'est parfait. Je le répète ce n'est pas du jour au lendemain que l'on règle tous les problèmes politiques, surtout lorsqu'il y a un environnement qui n'est pas un environnement de paix, et où chaque chose doit être considérée en fonction de toutes sortes de liens qui existent avec l'environnement.

Je ne doute pas un seul instant de la volonté du Gouvernement libanais de progresser dans ce domaine dans la bonne voie, et je ne doute pas de sa capacité à y réussir, alors je vous donne rendez-vous dans quatre ou cinq ans. Je viendrai régulièrement de toute façon au Liban. Vous serez toujours aussi jeunes et donc aussi enthousiastes et on verra qui a raison. La liberté et la démocratie auront-elles progressé où non ? Et bien moi je vous dis qu'elles auront progressé.

QUESTION - Le pouvoir libanais tend à intimider les opposants au pouvoir par des arrestations arbitraires. Comment la France des libertés ferme-t-elle les yeux ?

LE PRESIDENT - La France ne ferme pas les yeux quand par hasard elle connaît une situation qu'elle estime critiquable. Elle utilise les relations très amicales qu'elle a avec les autorités libanaises pour leur indiquer qu'elle s'étonne ou pour faire des démarches pour changer les choses, et je dois dire qu'elle a toujours trouvé une oreille aussi attentive que possible. Mais ensuite, je ne peux que vous répondre ce que j'ai dit tout à l'heure, la démocratie ne tombe pas du ciel. Elle se forge par un effort constant. C'est ce qui se passe ici.

QUESTION - Comment voyez-vous l'avenir de l'action du plan "Guillaume" au niveau du secteur agricole libanais qui est jusqu'alors complètement délaissé par l'Etat ?

LE PRESIDENT - Vous voulez parler des propositions de Monsieur François Guillaume, c'est cela ? François Guillaume a une grande expérience en matière agricole. Il a été président de la Fédération nationale des syndicats agricoles d'exploitants français, c'est-à-dire le chef du syndicat paysan en France. Il a été aussi ministre de l'agriculture, d'ailleurs dans mon gouvernement, et il a fait effectivement des propositions intéressantes. Il en a fait pour l'Afrique, il en a fait pour l'Europe de l'Est, il en a fait pour le Moyen Orient et notamment le Liban, ce ne sont que des propositions. Il a mis son expérience au service du Liban. Je l'y avais d'ailleurs fortement encouragé. Je crois que ses idées sont étudiées, sont examinées et que les responsables libanais en tireront les conséquences, qu'ils croiront devoir en tirer. Nous n'avons plus de remède miracle.

Monsieur le Président, je vais vous proposer d'ouvrir maintenant le chapitre de la francophonie.

QUESTION - Beaucoup d'élèves ayant reçu une éducation académique francophone se dirigent maintenant vers un système universitaire américain. A quoi attribuez-vous cela ?

LE PRESIDENT - D'abord je le regrette et ensuite je l'attribue au mouvement puissant qui existe dans le monde d'aujourd'hui en faveur de l'anglais, ou plus exactement d'une langue dérivée de l'anglais. Je comprends les raisons économiques, les raisons de commodité de communication qui expliquent ce phénomène, et je n'ai pas besoin de vous dire que je n'ai aucun sentiment d'hostilité à l'égard de l'anglais, mais je mets solennellement le monde entier en garde contre les conséquences de cette évolution et aujourd'hui nous avons des moyens de communication qui sont de plus en plus sophistiqués. On parle des autoroutes de l'information, des réseaux internet, etc... Si nous n'y prenons pas garde, dans vingt ans, dans trente ans, tout sera en anglais, c'est-à-dire qu'il n'y aura plus qu'une culture qui sera en réalité une culture américaine avec ce qu'elle a de meilleur et ce qu'elle a de moins bon.

Cela encore ne serait rien, mais cela veut dire que toutes les grandes cultures du monde seront petit à petit effacées, parce qu'elles ne seront plus exprimées dans la langue qui est le véhicule de leur génie propre. Et si les grandes cultures et les grandes langues sont effacées, les petites, qui sont aussi nécessaires à la diversité du monde et de la culture du monde et à la richesse de cette culture, seront condamnées à mort. Un exemple : vous avez aujourd'hui un effort auquel je suis associé pour la réhabilitation des langues amérindiennes en Amérique du Sud. Cela marche bien. Il y a déjà plusieurs pays dont la Constitution prévoit le bilinguisme et l'obligation d'enseigner les langues amérindiennes de façon à ne pas perdre cette source de richesse. Il est bien évident que si dans vingt ou dans trente ans on parle essentiellement anglais, toutes ces langues, ces petites langues si j'ose dire par rapport au nombre de gens qui les pratiquent, disparaîtront complètement et ensuite les grandes.

Alors j'ai déjà, lors du dernier sommet francophone de Cotonou, lancé un appel solennel et je le fais en toutes occasions, d'abord à ceux qui représentent les grandes langues, l'espagnol, le russe, le hindi, le japonais, le chinois, le français, j'en oublie naturellement, de s'associer et de se mobiliser pour que l'évolution des moyens de communication ne conduisent pas à la disparition de leurs langues et donc de leur culture. Rien ne serait plus dramatique, plus grave pour le monde, qu'une espèce d'uniformisation culturelle. Cela serait un véritable assassinat de la culture de l'homme, et donc il faut se protéger et c'est dans cet esprit que la France milite pour la francophonie, mais également pour l'organisation de la défense de toutes les grandes langues et par voie de conséquence des petites qui sont derrière. C'est notamment la raison pour laquelle nous avons proposé en France, proposition qui a été acceptée par les cinquante pays francophones, une réforme qui trouvera son dénouement définitif au sommet francophone d'Hanoi dans un an et qui nous permettra d'avoir un espace politique francophone et non plus des initiatives diversifiées francophones, un espace politique avec un secrétaire général de la francophonie qui gérera cet espace politique qui doit être considéré comme un espace culturel et politique de solidarité.

QUESTION - Monsieur le Président, pourrait-on compter sur vous pour discuter avec le gouvernement libanais de la création d'une radio qui diffuserait des programmes comme Radio France Internationale, France Musique et France Culture, sachant que nous recevons RFI entre six et sept heures du matin ?

LE PRESIDENT - Vous pouvez compter sur moi pour demander amicalement au gouvernement libanais de tout faire pour faciliter l'expression des moyens de communication francophones. Je ne sais pas si je serais entendu, mais vous pouvez vraiment compter sur moi. Je souhaite qu'il y ait le maximum d'expression francophone à la télévision et à la radio libanaise, tout simplement parce que la culture libanaise justifie qu'il y ait une presse francophone forte sur ces moyens de communication.

QUESTION - Monsieur le Président, avez-vous des projets de coopération entre des universités libanaises et françaises pour assurer la spécificité culturelle française au Liban ?

LE PRESIDENT - Oui, non seulement on a des projets mais on a aussi des réalisations. L'Ecole supérieure des affaires a été réalisée dans un temps record et sa première promotion est entrée. Ils sont dans la salle je les salue et je leur souhaite bon vent et bonne chance. Il y a des accords entre les universités libanaises et françaises qui se multiplient et dans les entretiens que j'ai eus hier et que j'aurai encore aujourd'hui avec les autorités libanaises. Ce point est à une très bonne place sur mon agenda, c'est-à-dire que j'insisterai comme j'insiste auprès du gouvernement français, pour multiplier ces accords, les financer naturellement et permettre des échanges, non seulement d'étudiants mais aussi de connaissances, aussi nombreux que possible. Cela progressera, je peux vous le garantir.

QUESTION - Je sais, Monsieur le Président, que c'est déjà hors sujet, mais que pensez-vous de la présence syrienne au Liban ?

LE PRESIDENT - Je ne sais pas si c'est vous ou l'armée syrienne qui a été applaudie, peu importe, pour l'instant nous ne ferons pas de commentaires sur ce point....
La présence syrienne, militaire j'imagine, au Liban a une origine historique ; les syriens ont été appelés ici, ils sont venus, bien.. et ensuite ils sont restés, bien... Ceci étant, je voudrais simplement rappeler que le Liban aujourd'hui a les Israéliens au sud et des troupes syriennes qui ont été demandées par les Libanais, et au départ - je le rappelle- par les chrétiens libanais, et qui sont présentes un peu partout.

Je vous rappelle également qu'il y a un accord qui a été passé à Taef - un accord qui a pu être critiqué ici ou là, moi je l'ai approuvé dès que je l'ai connu- et un accord qui n'est contesté pas personne, ni par les Syriens, ni par les Libanais, ni par la Communauté internationale et qui prévoit que, dès qu'il sera possible militairement et politiquement et d'abord naturellement dès que le Liban aura retrouvé sa souveraineté sur les territoires du sud, actuellement occupés par les Israéliens, il y aura un retour des forces syriennes chez elle ; c'est ce que prévoit les accords de Taef. Et rien aujourd'hui n'indique que ces accords ne seront pas respectés. Je posais d'ailleurs la question, il y a quelques jours au Président Assad, qui m'a confirmé tout à fait que pour lui, les accords de Taef étaient et seraient respectés. Là encore, il faut faire les choses à leur rythme. Peut-être, on peut être impatient, mais il faut les faire à leur rythme.

QUESTION - Suite à la dernière loi sur l'audiovisuel, la majorité des médias francophones a disparu, n'est-ce pas contradictoire avec la francophonie ?

LE PRESIDENT - Je crains que vous n'ayez raison. C'est d'ailleurs l'un des sujets que j'ai évoqué, et que j'évoquerai encore aujourd'hui avec le Gouvernement. Je souhaite que le français ait la place que la culture, la tradition et l'histoire libanaise lui permette de revendiquer. J'espère que les choses s'amélioreront.

QUESTION - Monsieur le Président, une francophonie culturelle n'a aucune chance de survivre sans une francophonie économique. Que fait la France dans ce domaine ?

LE PRESIDENT - Vous voulez dire qu'il n'y aura pas de présence culturelle s'il n'y a pas un effort de présence économique, d'investissement, de développement d'échanges. Alors, la France essaie de multiplier dans ce domaine directement et via l'Union européenne ses échanges.

Si je prends le Liban, l'aide au développement apportée par la France, et qui était très modeste il y a encore un an et demi ou deux ans, est devenue très importante, s'est considérablement développée. Précisément parce que, non pas pour la francophonie, mais pour le développement du Liban auquel nous sommes attachés, il y a besoin de mobiliser tous les moyens nécessaires.

Deuxièmement, l'Union européenne s'est également fortement mobilisée, notamment sous l'impulsion de la France. Et l'aide actuelle apportée par l'Union européenne au Liban est tout à fait considérable. Il doit y avoir, pour les deux années passées, je vous demande de ne retenir ce chiffre que comme autre chose qu'une illustration car je ne me souviens plus du chiffre exact, mais à peu près 500 ou 600 millions d'écus. Pour vous donner un élément de comparaison, face à ces 500 ou 600 millions d'écus -c'est-à-dire 800 ou 900 millions de dollars-, l'aide américaine est de 8 millions de dollars, c'est-à-dire inexistante. Ce qui d'ailleurs justifie l'intérêt que la France peut porter à cette région. Cette aide européenne, je vous rappelle que la France en paie 21%.

L'argent européen, on a souvent l'impression qu'il tombe du ciel, alors on dit voilà il faut que la France fasse un effort etc., et puis alors ensuite il y a l'argent européen, mais l'argent européen il ne tombe pas du ciel, il sort de la poche des contribuables européens et selon une clef de répartition, chaque pays apporte sa part, la France 21% ce n'est pas négligeable, (qui sortent de son porte-monnaie). Je le dis, non pas pour qu'on nous remercie, mais simplement pour qu'on ne l'ignore pas complètement.

Et donc, l'engagement de la France et de l'Europe est fort, et justifie d'ailleurs comme le disait votre prédécesseur, que sur le plan de la francophonie, on reconnaisse le rôle et la place de la France au Liban.

QUESTION - Monsieur le Président, le dernier chapitre avait trait à la vie universitaire, à la vie étudiante. J'aimerais savoir si la France est prête à affecter les moyens correspondants à ses ambitions et au besoin du Liban en matière de politique culturelle ?

LE PRESIDENT - La France est prête à faire le maximum. Tout à l'heure, l'une de vos camarades disait, en France vous faites un effort important pour réduire les déficits parce que vous avez trop de déficits et trop de dettes, c'est vrai et donc nous faisons cet effort. Alors qui dit effort pour réduire le déficit, malheureusement dit moyens limités pour satisfaire toutes les ambitions qui peuvent exister. Ceci étant, cela nous impose des choix. Et tout ce que je peux vous dire c'est qu'à l'heure du choix, dans le domaine économique, -je l'évoquais tout à l'heure- ou dans le domaine culturel, le Liban est toujours privilégié, en tous les cas depuis deux ans par la France ; c'est-à-dire que s'il faut faire des sacrifices compte tenu de nos contraintes budgétaires, et bien nous les faisons ailleurs qu'au Liban. Donc sur le plan culturel, vous pouvez être sûr, non pas qu'il y aura une aide suffisante car l'aide n'est jamais suffisante ou la coopération n'est jamais suffisante, mais qu'elle sera prioritaire.

QUESTION - Pourquoi avez-vous encouragé les Libanais à participer aux élections législatives, alors que leur pays est occupé par diverses armées étrangères ?

LE PRESIDENT - Je vais vous dire. Non seulement j'ai encouragé, mais j'ai fortement encouragé. Pour une raison simple, c'est que les absents ont toujours tort, et qu'il faut se battre avec ses armes. On peut évidemment regretter de ne pas avoir d'autres armes plus efficaces, plus sophistiquées, d'autres moyens. On peut regretter de ne pas être plus riche, mais il faut vivre avec ce que l'on a et se battre avec ce que l'on a. Et ce que vous avez c'est un bulletin de vote, et ce bulletin de vote il faut l'utiliser. C'est une espèce d'abandon de ne pas utiliser son bulletin de vote. Alors on cherche toutes sortes de motifs qui n'existent pas si, -pas la dernière fois mais la fois d'avant- il n'y avait pas eu de consignes de boycott des élections, je suis sûr que la situation du Liban serait aujourd'hui meilleure qu'elle ne l'est, bien meilleure.

Je le répète, on ne peut pas dire que l'on est pour la démocratie et ne pas vouloir se battre pour qu'elle se développe. Alors je le dis aujourd'hui, comme je l'ai dit hier, les absents ont toujours tort, quand on veut une démocratie et qu'on a un bulletin de vote, il faut l'utiliser.

QUESTION - Finalement, Monsieur le Président, qu'allez-vous faire de nos questions ?

LE PRESIDENT - Et bien je reviendrai un peu à la première réponse que j'ai donnée. Je disais à l'instant qu'on ne faisait pas de démocratie en s'abstenant. On ne fait pas non plus d'avenir sans la jeunesse. La jeunesse manque d'expérience, mais elle a de l'intuition. Elle a donc une vision des choses qui est plus fondée, dans la mesure où elle n'est pas tenue pas un certain nombre d'événements passés. Elle n'est pas encore enchaînée par les traditions, les événements.

Et donc elle exprime de façon plus ou moins adroite, plus ou moins passionnée quelque chose qui, au total, est la vérité. Il faut être très attentif à ce qu'elle exprime.
Alors je viens aujourd'hui. J'ai souhaité vos questions, j'ai souhaité créer un lien particulier et dire à la jeunesse du Liban l'affection réelle, sincère, forte, profonde que je lui porte dans toutes ses composantes et donc j'ai expliqué pourquoi la France avait telle ou telle position. Mais j'étais aussi et surtout peut-être, venu écouter ce que vous disiez, car au travers des questions, même si l'exercice est un peu convenu, même si l'on vous a demandé de faire des questions courtes, même si tout le monde naturellement n'a pas pu s'exprimer, même si on a fait des règles parce qu'il n'y a pas de dialogue sans règles, sinon c'est l'anarchie, même sous toutes ces réserves, ce que vous avez dit, vous le pensiez. Les préoccupations que vous avez évoquées sont celles -même si elles étaient évoquées brièvement- de la jeunesse du Liban d'aujourd'hui. Et pour moi, c'est très important. Il est important de savoir ce que pense les autorités libanaises, il est important de savoir ce que pense le peuple libanais ; on essaie de le déterminer en lisant la presse, en écoutant les amis.

Mais il est plus important encore de savoir ce que pense la jeunesse du Liban. Parce que, je le répète, la France est si attachée au Liban, qu'elle veut pouvoir l'être longtemps, et ce qui est important pour elle, au delà du Liban d'aujourd'hui, c'est le Liban de demain. Est-ce que demain le Liban sera cette terre de sérénité, de modération, de démocratie, de tolérance, d'affaires, de prospérité, qui sera un élément essentiel dans cette région méditerranéenne de développement et d'exemple. C'est cela la vraie question et c'est cela que je souhaite.

Ma conviction c'est que le Liban a toutes les chances pour cela, je suis persuadé qu'avec plus ou moins de difficultés, avec des accidents qui ne peuvent pas ne pas se produire, avec des drames qui sont hélas consubstantiels à la vie, qu'on progressera vers la paix. Il y aura des hauts, il y aura des bas, on progressera vers la paix. Et quand la paix sera arrivée, les semences qui ont été jetées sur la terre libanaise porteront leurs fruits, mais elles porteront leurs fruits naturellement, à condition qu'on ait bien compris ce que voulait la jeunesse, d'où l'importance que j'attache à vos questions, c'est un éclairage, et puis à condition aussi et je voudrais terminer par là, qu'il y ait une jeunesse. Alors je suis souvent stupéfait quand je rencontre à Paris des jeunes libanais ou quand j'en rencontre (je ne parle pas de ceux qui font des études naturellement) à l'étranger. Quand je suis à l'étranger, il y a beaucoup de Libanais un peu partout dans le monde, je m'efforce de les rencontrer pour essayer de les comprendre, ceux qui sont expatriés depuis longtemps ou ceux qui le sont depuis très longtemps.

Je constate d'ailleurs qu'il y a une forte proportion de chrétiens et je leurs dis : "Votre place n'est pas là, votre place est au Liban" mais alors là je suis consterné c'est quand j'apprends qu'un certain nombre de jeunes Libanais tous les jours ou toutes les semaines, ou tous les mois, s'en vont, quittent ce pays pour aller faire leur vie ailleurs, loin de leurs traditions, de leurs racines, loin de leur vie, c'est consternant, cette espèce de danger considérable qui pèse sur ce pays qui est un des plus vieux et des plus beaux pays du monde, et qu'il y ait l'hémorragie, pour cela parce qu'on manque de confiance.

Mais si les jeunes n'ont pas confiance dans l'avenir, qui aura confiance, c'est à vous de la développer cette confiance, c'est à vous de la diffuser partout. Que des personnes âgées, inquiètes et qui ont des besoins recherchent la sécurité je le comprends, mais vous les jeunes et notamment les jeunes chrétiens votre place est ici, et si vous partez d'ici , si vous n'assumez pas votre responsabilité dans le processus de redressement politique, économique, démocratique du Liban de toujours, alors vous ne pourrez plus vous regarder vraiment dans la glace sans vous interroger sur votre qualité.

Croyez moi, le Liban a ses chances, la vie est un combat, le combat a été rude au Liban, il se poursuit mais la victoire est en vue, cela ne fait aucun doute. La victoire des valeurs traditionnelles du Liban, la victoire d'un Liban serein, épanoui, exemplaire. C'est à cela que vous devez contribuer et c'est cela que vous devez diffuser autour de vous. L'amour et la confiance dans votre pays, et donc votre détermination à assumer les risques, naturellement, mais aussi les efforts indispensables pour que ce qui vous a été donné par les générations qui vous ont précédés, et qui ont également souffert, vous puissiez comme c'est votre devoir, le transmettre aux générations qui vous suivront.

Là dessus je vous remercie chaleureusement et je vous dis toute mon affection.