Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC Président de la République française et de M. Hosni MOUBARAK Président de la République arabe d'Egypte .


Le Caire, le dimanche 7 avril 1996

LE PRESIDENT - Merci cher ami. Je voudrais simplement pour ouvrir, remercier le Président Hosni Moubarak pour son accueil auquel je suis sensible.

J'ai voulu qu'à l'occasion de mon premier voyage au Moyen-Orient, je rende visite au Président Moubarak et à l'Egypte, parce que nous sommes de vieux amis, c'est vrai. Parce que les relations franco-égyptiennes sont depuis très longtemps exemplaires. Parce que l'Egypte joue un rôle de plus en plus important, non seulement dans la région islamo-arabo-méditerranéenne, si j'ose dire, mais également tout simplement dans le monde comme on a pu le voir récemment dans le Sommet de Charm El Cheikh, tenu à l'initiative du Président Moubarak.

Nous avons de ce point de vue une grande convergence de vue sur tous les problèmes. Je disais au Président Moubarak, tout à l'heure, que j'avais beaucoup de divergences de vue avec mon prédécesseur, Monsieur Mitterrand, chacun le sait et ce n'est pas évoquer les problèmes franco-français que de le dire. Mais il y avait en tous les cas un point sur lequel nous étions totalement d'accord : c'était la nature excellente et l'amitié profonde entre la France et l'Egypte et aussi l'amitié et le respect pour la personne du Président Moubarak.

Nous avons évoqué les problèmes internationaux. D'abord, naturellement, le processus de paix. Je rappelle que là aussi, la France et l'Egypte font une analyse tout à fait identique. Nous avons évoqué le rôle capital qui doit être celui de l'Egypte dans l'élaboration d'un monde meilleur dans l'ensemble méditerranéen. C'est-à-dire d'un pacte de sécurité, de stabilité, de développement en Méditerranée. Nous avons évoqué le Forum méditerranéen. Nous avons également parlé de toutes les grandes questions qui intéressent la région, au sens le plus général du terme.

Sur le plan bilatéral, nous avons constaté que nos relations étaient croissantes et excellentes et que nous avions tout à fait vocation à augmenter en permanence nos échanges de toute nature. Echanges économiques, naturellement, mais aussi culturels, nous allons arriver à la période du deux centième anniversaire des relations culturelles entre l'Egypte et la France. Nous préparons cela avec soin et il va y avoir en 1998 l'année de l'Egypte en France et l'année de la France en Egypte, qui vont rassembler un certain nombre de manifestations de grand prestige. Je pense, en particulier, à une exposition sur la gloire d'Alexandrie, qui sera organisée au Petit Palais à Paris, ce sera un très grand événement, à une exposition sur l'art fatimide qui aura lieu à l'Institut du Monde Arabe. Vous savez que je souhaite relancer activement, j'en ai parlé au Président Moubarak, sous l'impulsion de Monsieur Camille Cabana, le nouveau Directeur Général, l'action de l'Institut du Monde Arabe. Il y aura, ici, une grande exposition d'art moderne, cela veut dire, je l'espère, depuis David jusqu'à Picasso, ce n'est pas simplement l'art contemporain et aussi un Opéra "le Désert" qui sera organisé, ici, au Caire.

Tout cela va marquer une forte convergence culturelle entre la France et l'Egypte.

Pour tout cela je voudrais remercier, une fois encore, le Président Moubarak et le cas échéant répondre aux questions que vous voudriez nous poser.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que durant vos entretiens avec le Président Moubarak, vous avez évoqué le problème de l'usine chimique en Libye de Tarhunah, est-ce que vous avez eu des informations à ce sujet et, toujours sur le même point, le Secrétaire américain de la défense, M. William Perry, a menacé d'utiliser la force pour arrêter la construction de cette usine, est-ce que nous pourrions avoir les sentiments des deux Présidents à ce sujet ?

LE PRESIDENT - Nous n'avons pas évoqué ce problème sur lequel, en ce qui me concerne, je n'ai pas suffisamment d'informations pour pouvoir faire un commentaire. Je ne sais pas si le Président Moubarak veut en faire un.

LE PRESIDENT MOUBARAK - pas de traduction sur l'enregistrement

QUESTION - (en arabe, pas de traduction)

LE PRESIDENT - La France a vocation à coopérer culturellement avec l'un des pays qui est culturellement le plus important, notamment dans cette région du monde et qui est l'Egypte. Notre coopération culturelle est très ancienne dans tous les domaines, notamment dans la recherche archéologique et historique, et les plus grands savants égyptiens travaillent avec les plus grands français. Ce n'est pas par hasard, si à l'occasion de mon voyage, Monsieur Leclant est venu personnellement, c'est significatif de l'importance que nous attachons à la coopération culturelle. Vous noterez d'ailleurs que nos savants ont entre eux, parce qu'ils ont une longue habitude des relations permanentes suivies, des échanges constants et par conséquent la coopération culturelle entre nos deux pays ne peut que se développer. L'Egypte est un centre culturel majeur de l'histoire, de l'archéologie et de l'art contemporain sous toutes ses formes. Qu'il s'agisse de la musique, du théâtre, de la peinture naturellement, des arts plastiques. Par conséquent, je le répète notre coopération -sur un pied tout à fait d'égalité naturellement-, est destinée à se renforcer sans cesse.

QUESTION - M. le Président, vous avez affirmé, ainsi que le Président Moubarak, que le terrorisme était un phénomène international et non exclusivement islamique. Et en ce qui concerne le conflit arabe, arabo-israélien ou israélo-palestinien au lieu de parler de terrorisme et de contre terrorisme ne croyez-vous pas M. le Président, que la communauté internationale devrait avoir le courage de s'attaquer à la maladie et non pas seulement aux symptômes ? Et comment réactiver le rôle de la France dans le processus de paix ?

LE PRESIDENT - D'abord il est bien évident que, hélas, le terrorisme est un phénomène international et que l'on trouve des terroristes partout dans le monde. C'est évident, le Président Moubarak l'a rappelé, je l'ai rappelé moi aussi. Nous sommes tout à fait, sur ce plan également, du même avis. C'est d'ailleurs dans l'esprit à la fois de condamner le terrorisme et de faire comprendre la nécessité de répondre aux besoins exprimés, à juste titre, par les palestiniens que le Président Moubarak, au moment de la crise du processus de paix a pris l'initiative de réunir le Sommet de Charm El Cheikh, qui a été un grand succès et au cours duquel on a, à la fois et solidairement, condamné le terrorisme et réaffirmé les exigences, notamment économiques, du développement du processus de paix. Donc, là aussi, l'Egypte et la France sont sur la même ligne.

Enfin, s'agissant du processus de paix, la France, effectivement en liaison étroite avec l'Egypte, entend faire connaître clairement son sentiment. J'ai eu l'occasion de le faire au Liban, en particulier lorsque j'ai évoqué la nécessité d'appliquer la résolution 425 et la proposition de la France de s'impliquer dans les garanties qui pourraient être nécessaires pour la mise en oeuvre de cette résolution.

QUESTION - inaudible

LE PRESIDENT - La France entend apporter son aide à tous les processus qui permettent de conforter la sécurité, celle d'Israël, comme celle de ses voisins. J'ai dit, tout à l'heure, la position constante de la France, constante sur l'application de la résolution 425. C'est un des éléments importants de la sécurité. Je l'avais dit, et je le répète, la France est prête à apporter sa propre garantie à cette sécurité.

QUESTION - Quelle est la position de la France quant à l'initiative du Président Moubarak visant à faire du Proche-Orient une région libre d'armes de destruction massive ? Et quel est votre avis en ce qui concerne les informations faisant état d'une éventuelle fuite radioactive du réacteur Dimona ?

LE PRESIDENT - Sur le deuxième point, je n'ai aucune information techniquement fiable. Sur la première question, c'est-à-dire la création d'une zone exempte de destruction massive, la France soutient, sans réserve, l'initiative du Président Moubarak. La France se réjouit également, s'agissant de l'Afrique, de l'initiative égyptienne sur la réunion, dans quelques jours, le 11 avril, pour la signature du traité excluant toute arme de destruction massive sur le territoire africain. C'est un progrès important, et là aussi, la France soutient l'initiative égyptienne et d'ailleurs signera les protocoles correspondants.

QUESTION - Monsieur le Président, pendant votre campagne vous aviez insisté sur la nécessité d'un pacte de stabilité euro-méditerranéen, Monsieur de Charette l'a évoqué à nouveau à Barcelone. Est-ce que vous allez profiter de l'occasion de votre visite en Egypte pour relancer, lancer cette idée et sa réalisation ?

LE PRESIDENT - L'idée a déjà été lancée. C'est une idée à laquelle je suis très attaché. Elle s'est concrétisée par la réunion de Barcelone où tous les pays méditerranéens, à la seule exception de la Libye, ont participé y compris, vous le savez, la Syrie et le Liban au côté d'Israël, ce qui est tout de même un progrès. Elle fut tenue au niveau des Ministres des Affaires étrangères. Je pense que dans ce processus de pacte de stabilité destiné à promouvoir, je le répète, une zone de stabilité, de paix, de prospérité, de développement en Méditerranée, l'Egypte et la France doivent avoir un rôle moteur, les autres aussi naturellement, mais surtout l'Egypte et la France. L'Egypte pour ce qui concerne l'ensemble du sud, la France pour ce qui concerne l'ensemble européen. Je souhaite que la prochaine réunion se tienne au niveau des Chefs d'Etat et de Gouvernement, pour marquer l'importance que nous attachons au progrès dans les trois domaines couverts par la conférence de Barcelone, politique, économique et culturel.

QUESTION - M. Le Président, La France et l'Egypte souhaitent une avancée rapide du processus de paix au Proche-Orient. Mais est-ce que la réalité du calendrier ne va pas obliger d'attendre, non seulement l'élection israélienne, mais également l'élection américaine avant qu'il soit possible de faire une réelle avancée ?

LE PRESIDENT - Chacun sait que les contraintes politiques existent. On peut le regretter, mais elles sont aussi la garantie des démocraties. Donc, il faut les accepter telles qu'elles existent. Personne ne peut contester que l'élection israélienne et l'élection américaine ont un rôle dans l'évolution des choses. Il n'en reste pas moins que je suis, pour ma part, peut-être à tort, optimiste et que je pense et souhaite que la raison l'emportera, c'est-à-dire que le processus pourra avancer ; je le souhaite ardemment. Je crois que tous ceux qui misent sur la paix, l'entente, la convivialité, -c'est aussi un message que j'ai voulu passer au Liban- font le bon choix, et que tous ceux qui misent sur la haine, sur l'affrontement, sur la remise en avant des querelles du passé se trompent et prennent de lourdes responsabilités à l'égard de l'avenir et à l'égard de nos contemporains. Alors, moi je reste optimiste. En clair, je souhaite beaucoup que les discussions entre Israël et la Syrie et entre Israël et le Liban puissent reprendre le plus vite possible et aboutir le mieux possible.

LE PRESIDENT MOUBARAK - Pas de traduction -

QUESTION - Pas de traduction

LE PRESIDENT - J'évoquais, tout à l'heure, le Sommet de Charm El Cheikh et à cette occasion la France, comme l'Egypte, a souligné, quelles que soient les difficultés politiques, que je comprends parfaitement, la nécessité de donner aux Palestiniens l'espoir. Leur donner l'espoir, c'est d'abord répondre aux exigences de la vie matérielle : le logement, le travail, l'environnement immédiat, les services publics, etc. C'est pourquoi la France, je le répète, est le premier contributeur financier international à l'autorité palestinienne, et c'est pourquoi l'Europe, beaucoup d'ailleurs sous l'impulsion de la France, a décidé une aide importante pour les Palestiniens, pour la reconstruction, etc.

C'est un souci permanent chez nous. C'est pourquoi, également, je suis intervenu à Charm El Cheikh pour demander aux Israéliens de faire en sorte, que dans le respect des règles de sécurité, -car rien ne serait pire aujourd'hui que d'avoir à nouveau des attentats sauvages comme ceux que nous avons connus- le développement économique, l'approvisionnement, les investissements que l'Europe et la France veulent faire, les plus urgents, les plus nécessaires, puissent être réalisés. J'ai toujours insisté auprès du Premier ministre israélien sur ce point, tout en comprenant, je le répète, la nécessité qu'il y a à ne prendre aucun risque face aux terroristes.

QUESTION - Les fuites nucléaires à partir du réacteur de Dimona en Israël représentent aujourd'hui le souci majeur de l'Egypte, ainsi que des pays voisins d'Israël. La France non seulement connaît parfaitement la technologie en place, mais a joué durant les dernières années un rôle clé dans des cas similaires en Europe de l'Est, que pouvons-nous espérer comme intervention française dans ce domaine ? Avez-vous discuté de ce sujet avec le Président Moubarak ?

LE PRESIDENT - Nous n'avons pas eu l'occasion de discuter de ce sujet. Vous savez que nous avons encore des entretiens et nous n'avons pas terminé. Il y a encore un certain nombre de sujets que nous évoquerons ensemble.

Ce que je peux vous dire, c'est que s'il y a un problème technique auquel la France peut apporter une contribution ou une coopération, elle le fera, naturellement, compte tenu de son expérience, bien volontiers.

LE PRESIDENT MOUBARAK - pas de traduction

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit que la France et l'Egypte sont liées par des liens très étroits et très amicaux, presque depuis le temps de Bonaparte, les deux pays sont en train de préparer la célébration du bicentenaire des relations culturelles. Pourrait-on donner un nouvel essor, pas seulement culturel, aux relations qui unissent les deux pays ?

LE PRESIDENT - Les relations culturelles entre l'Egypte et la France, je l'ai dit, sont intenses, anciennes, et elles progressent sans cesse. Je le souhaite beaucoup, compte tenu de l'importance capitale depuis toujours, mais aujourd'hui en particulier, sur le plan culturel de l'Egypte. Je dis souvent que Le Caire est une ville bouillonnante, fascinante et dans laquelle s'exprime une quantité d'initiatives culturelles de toute nature, artistique, de création. De ce point de vue Le Caire a un peu un côté New York si vous voulez, et exerce une fascination de même nature.

Dans les autres domaines, nos relations sont aussi bonnes. Sur le plan politique, et depuis fort longtemps, les relations entre nos dirigeants d'une part, entre nos administrations d'autre part, ont toujours conduit, je dirais pratiquement, depuis bien longtemps à des analyses et à des comportements convergeants. Je ne veux pour preuve de cela que nos positions sur le processus de paix, notre discours à Charm El Cheikh qui était tout à fait de la même nature et je ne vois pas pourquoi cela ne continuerait pas ainsi.

Sur le plan économique, les relations ne sont jamais assez fortes, jamais suffisantes, mais elles vont croissant, je l'observe, dans tous les domaines et notamment les domaines de hautes technologies. Nous n'avons pas, je le disais tout à l'heure, à l'une de vos consoeurs, évoqué encore toutes les questions avec le Président Moubarak et j'aurai l'occasion de lui proposer des coopérations technologiques en Egypte, dans certains domaines de haute technologie. Mais nous avons déjà des coopérations sur l'espace, sur l'aéronautique qui sont très positives et tout cela est destiné, je le répète, à s'amplifier, compte tenu de l'importance croissante de l'Egypte, dans l'ensemble de cette très grande région du monde et des liens naturels qui font de nos deux pays, l'un pour le Sud et l'autre pour le Nord, les moteurs naturels de l'évolution de la paix, de la stabilité, du développement dans toute la région méditerranéenne.

QUESTION - (en arabe, non traduite)

LE PRESIDENT - S'agissant de l'action en faveur de l'allégement des souffrances du peuple palestinien, j'ai répondu à cette question en rappelant que la France est le premier contributeur financier à l'autorité palestinienne et qu'avec l'Europe, elle agit de façon très pressante pour ce qui concerne l'aide aux palestiniens et le soutien pour qu'ils trouvent le plus vite possible un toit, un travail, un environnement économique et culturel convenable. C'est nécessaire sur le plan humain, et c'est nécessaire également sur le plan politique parce que, si on veut sortir du processus d'affrontement, il faut rendre aux hommes et aux femmes dans cette région, l'espoir. Il faut qu'ils soient convaincus que demain sera meilleur qu'aujourd'hui. S'il n'y a pas cette conviction, alors c'est tout le processus de paix qui risque d'être mis en cause.

Je le répète, la France est, comme elle l'a exprimé notamment à Charm El Cheikh, très attachée à ce volet de son intervention. Et quant à la vocation de la France, qu'avait en son temps exprimée le Général de Gaulle, à être très présente, à exercer une coopération très active avec les pays Arabes, elle me paraît plus que jamais d'actualité et non pas du tout une tactique pour moi, mais un élément essentiel de la politique étrangère de la France.