ALLOCUTION

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

LORS DU DÎNER OFFICIEL DONNÉ EN SON HONNEUR PAR SON EXCELLENCE MONSIEUR VLADIMIR VLADIMIROVITCH POUTINE PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE

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KREMLIN - MOSCOU - RUSSIE

LUNDI 2 JUILLET 2001

Monsieur le Président, Madame, Mesdames et Messieurs,

L'accueil que vous nous réservez, ce soir, à ma femme et à moi, est à l'image de la Russie : chaleureux, généreux, amical. Au nom de l'ensemble de la délégation qui m'accompagne, je vous en remercie très sincèrement.

J'éprouve un grand plaisir à me retrouver ici. Parce que ma visite s'enracine dans une amitié profonde entre nos deux pays et entre nos deux peuples. Mais aussi parce qu'elle s'inscrit dans la poursuite d'une grande ambition pour notre continent, ambition à laquelle la Russie, comme la France, apporte une contribution irremplaçable. * * * Notre amitié fait écho à de nombreux rendez-vous de l'histoire. Elle illustre l'inclination naturelle des Français pour les Russes et des Russes pour les Français. Je laisse aux historiens le soin d'en déterminer l'origine millénaire. Plus simplement, il s'agit d'un élan du coeur et de l'esprit que l'épreuve du temps n'a jamais démenti.

C'est cet élan du coeur qui a conduit les hommes de Normandie-Niemen à risquer leur vie pour un combat commun contre l'arbitraire et la barbarie. C'est cet élan qui a poussé la France à accueillir de nombreux Russes, désireux d'y trouver un refuge dans les périodes dramatiques de leur histoire. C'est cet élan qui a permis à nos cultures de se croiser, de s'échanger et de s'enrichir mutuellement.

Si j'évoque cette amitié, profonde, sincère, c'est parce qu'elle nous permet de mieux comprendre l'ambition ardente que nous entretenons chacun pour notre pays, et ensemble pour l'Europe.

La Russie a traversé un siècle tourmenté. Elle a subi de terribles épreuves. Il lui faut rebâtir aujourd'hui, sur des bases nouvelles, un pays libre, prospère, débarrassé des illusions dont certains s'étaient enivrés. Il est revenu à Boris Nikolaievitch Eltsine d'engager la Russie sur la voie de la démocratie. Il vous appartient à vous, Monsieur le Président, de la reconstruire. C'est une mission historique et difficile.

L'ampleur des réformes que vous avez lancées est éloquente : sur le plan institutionnel, le rééquilibrage des relations entre la Fédération de Russie et ses composantes fédérées trace la perspective d'un espace juridique unifié. La réforme de la justice, à laquelle vous attachez une attention toute particulière, est un autre chantier de la restauration de l'État. Celle-ci n'a de sens qu'au service du citoyen, protégé dans ses droits, libre de ses choix. Sur le plan économique, la poursuite des efforts budgétaires et fiscaux et l'amélioration des finances publiques permettent de mieux stabiliser l'environnement des différents acteurs économiques. Les domaines de l'éducation et de la protection sociale vous tiennent à coeur : ils sont la clef de la refondation d'un contrat social sans lequel l'État se délite.

Je salue cette ambition que vous avez pour la Russie. Elle fait écho au grand dessein de la construction de l'Union européenne.

L'euro est maintenant une réalité. Non seulement l'Union européenne s'impose comme un acteur majeur de l'économie internationale, mais son projet va au-delà. Il s'agit, dans le contexte de la mondialisation, de promouvoir un modèle de société spécifiquement européen, fait de solidarité, d'efficacité économique, de respect de la diversité culturelle et de protection contre les menaces globales, qu'il s'agisse de la criminalité organisée ou du réchauffement de la planète.

La richesse des débats actuels sur l'évolution institutionnelle de l'Europe est un signe de santé. Je me suis moi-même exprimé sur ces enjeux en proposant de doter l'Union d'une Constitution qui proclame les valeurs communes des Européens et identifie le projet qui les unit, couronnant ainsi l'ambition des pères fondateurs de l'Europe.

Les partenaires de l'Union européenne, dont la Russie, ont salué l'émergence d'une politique étrangère et de sécurité commune. Ils ont perçu que l'Europe avait désormais un visage sur la scène internationale. Elle est devenue, en particulier dans les Balkans, un acteur majeur oeuvrant pour la stabilité et la paix.

Dans cette partie de l'Europe, comme dans le Caucase, l'Union européenne réaffirme avec force que seule une solution politique peut conduire à la paix. Les conclusions du Conseil européen de Nice qui donnent à l'Union européenne la capacité de gérer des crises, ouvrent de nouveaux champs de coopération à notre relation.

L'élargissement de l'Union est une autre conséquence de cette dynamique européenne. Loin de constituer les prémices d'une nouvelle fracture de notre continent, il est au contraire la garantie que l'Europe sera un espace de paix et de prospérité.

Monsieur le Président,

Dans cet esprit d'amitié profonde qui lie mon pays au vôtre, je me réjouis de la qualité de nos relations bilatérales qui nous permet de nous donner des objectifs communs.

La Russie et la France assument des responsabilités mondiales qui les ont conduites à travailler ensemble sur les grandes questions internationales et à défendre ensemble le respect de l'autorité du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Plus généralement, la France souhaite favoriser l'émergence d'un monde multipolaire, dont la Russie, comme l'Union européenne, seront des pôles majeurs.

Enfin, en tant que puissances nucléaires, nos deux pays ont une responsabilité stratégique particulière. La défense des fondements internationaux de l'équilibre reste un défi. Comme la Russie, la France ne souhaite pas que le traité ABM soit écarté au profit d'un système non contraignant. S'il appartient avant tout à la Russie de se prononcer sur ce sujet, vous pouvez être assuré que mon pays s'efforcera de contribuer au débat, sans renoncer à ses convictions.

L'importance des questions que je viens d'évoquer impose que la Russie et la France intensifient encore leur dialogue bilatéral en vue de parvenir à des approches communes lorsque la paix, la non-prolifération ou le désarmement sont en cause.

Sur le plan économique, le rôle des États est avant tout de créer les conditions d'un environnement favorable aux initiatives privées. Ma rencontre, demain, avec les représentants des milieux économiques russes sera pour moi l'occasion de réaffirmer cette conviction. Nos entreprises sont désireuses d'échanger, d'investir, de s'engager en Russie. Henri Lachmann vous le disait tout à l'heure, Il faut encourager ce mouvement bénéfique à nos deux économies en levant les obstacles fiscaux, douaniers ou de change qui handicapent encore les investissements. D'ores et déjà, les contacts entre les chefs d'entreprises de nos deux pays se sont resserrés. L'importance de la délégation d'entrepreneurs français qui m'accompagnent le confirme. Sachons répondre aux attentes de ces acteurs privés.

Nos pays ont en commun des pôles d'excellence dans les domaines de la recherche et des technologies de pointe. Ces domaines mieux que d'autres offrent l'occasion de conjuguer nos savoir-faire. C'est en ayant à l'esprit ce message que j'ai choisi de visiter, demain, le site de construction de fusées de Samara. La France souhaite que puissent être réunies les conditions permettant d'ouvrir le site de lancement de Kourou, en Guyane, à des lanceurs russes. Notre but commun doit être de développer et d'enrichir cette aventure spatiale qui jalonne notre coopération et notre amitié. Il s'agit d'une ambition stratégique pour nos deux pays et, au-delà, pour l'Europe dans son ensemble.

La formation de la jeunesse est la garantie de l'avenir. Je me suis exprimé sur ce sujet cet après-midi, devant les étudiants de l'université d'État Lomonossov. Qu'il me soit permis de simplement rappeler que la France accueille les étudiants et les chercheurs étrangers dans des conditions identiques à celles réservées aux jeunes Français. Je souhaite que les jeunes russes soient plus nombreux à saisir cette occasion. À cet égard, et pour ce qui concerne les échanges de jeunes diplômés, permettez-moi de saluer l'action menée par l'association "Le Pont Neuf" qui, vous le savez, me tient particulièrement à coeur.

En appui à la réforme de l'État que vous avez lancée, le récent accord signé à Moscou jette les bases d'une coopération bilatérale fructueuse en matière administrative. La France dispose en effet d'une fonction publique riche et de longue tradition de service de l'État, et l'échange d'expérience dans ce domaine entre nos deux pays ne peut que contribuer au renforcement de la démocratie et de l'état de droit.

Monsieur le Président,

Ma visite officielle dans votre pays répond à celle que vous avez effectuée à Paris en octobre dernier. Le Premier ministre français, M. Lionel Jospin, rendra prochainement la visite que lui a faite en décembre M. Kassianov. De nombreuses rencontres ministérielles se sont déroulées ces derniers mois, tant à Moscou qu'à Paris.

Ces rencontres, je les souhaite toujours plus nombreuses et plus denses. Je souhaite également qu'elles se multiplient entre les personnes. C'est pourquoi je me réjouis de la création de ce pont entre nos société civiles que sera le groupe mis en place aujourd'hui et composé de personnalités représentatives des deux pays. Ce groupe permettra d'identifier les nouvelles voies que pourrait emprunter, à l'avenir, notre amitié séculaire. Pour que nos peuples continuent de se connaître, de s'estimer et de s'aimer.

Je vous propose, Mesdames et Messieurs, de lever nos verres en l'honneur du Président de la Fédération de Russie, Vladimir Vladimirovitch Poutine, et de son épouse à qui je présente mes respectueux hommages ; en l'honneur de la Russie, pour qu'elle relève avec succès les défis ambitieux qui se présentent à elle ; en l'honneur de l'amitié entre la Russie et la France, pour qu'elle s'enracine, renouvelée, dans le siècle qui s'ouvre.