Article du président de la République pour le quotidien américain "USA-Today" à l'occasion de la célébration du 80e anniversaire de l'armistice de 1918.


LA FRANCE HONORE LES COMBATTANTS AMERICAINS DE LA PREMIERE GUERRE MONDIALE

Lundi 9 novembre 1998

En ce jour où les Etats-Unis célèbrent le "Veterans'Day", nous commémorons ensemble le quatre-vingtième anniversaire de l'Armistice qui, le 11 novembre 1918, mit fin à la Première Guerre mondiale, l'une des plus terribles tragédies de ce siècle.

Par leur engagement aux côtés des troupes françaises et alliées, à l'initiative du Président Wilson, les Etats-Unis ont apporté une contribution décisive à la victoire. Chaque Français porte dans sa mémoire et dans son coeur le souvenir de ces soldats, plus de deux millions de conscrits de la liberté, venus de l'ensemble des Etats-Unis pour combattre sur le sol de France. Chaque Français se souvient de leur action déterminante, sous la conduite du général Pershing, dans la reprise du saillant de Saint-Mihiel, lors de l'offensive de Meuse-Argonne, comme à Chateau-Thierry où leur intervention contribua à sauver Paris.

La France n'oubliera jamais cet engagement des Etats-Unis à ses côtés. Plus de 120 000 des enfants de l'Amérique sont tombés au combat. Beaucoup reposent sur son sol, aux côtés de tous ceux qui ont versé leur sang pour leur patrie.

Je souhaite aujourd'hui rendre hommage à leur mémoire. Je souhaite exprimer la reconnaissance éternelle de la France aux combattants américains de la Première Guerre mondiale, ainsi qu'à ces femmes américaines venues pour soigner les blessés. Je souhaite témoigner de la gratitude du peuple de France au peuple des Etats-Unis tout entier.

Afin de rendre un hommage solennel aux survivants de ce conflit, la France a décidé de décerner son premier ordre national, la Légion d'honneur, à tous les vétérans alliés de la Grande Guerre encore vivants, au premier rang desquels tous les Américains qui combattirent sur le sol français.

J'en ai informé le président Clinton le 12 juin dernier. Grâce à la coopération active du département des Anciens combattants, mais aussi de volontaires français et américains, que je remercie chaleureusement, le recensement des vétérans américains est bien engagé.

L'Ambassadeur de France aux Etats-Unis, M. François Bujon de l'Estang, remettra aujourd'hui même, en mon nom, les insignes de cette décoration à deux anciens combattants américains : Henry J. Mills, 103 ans, de Virginie occidentale, qui servit dans la glorieuse Rainbow Division ; James G. Dunton, 99 ans, de Virginie, sergent de l'Army Ambulance Corps. D'autres cérémonies seront organisées dans l'ensemble des Etats-Unis pour honorer leurs frères d'armes de la Grande Guerre.

Cette action sans précédent est le témoignage de l'amitié plus de deux fois centenaire et de la solidarité trempée dans l'épreuve qui, de Yorktown aux plages de Normandie, n'a cessé d'unir les Etats-Unis et la France.

Cette amitié si profondément inscrite dans notre histoire est aussi une affinité de l'esprit et du coeur. Elle se nourrit de l'adhésion de nos deux pays aux mêmes valeurs : la défense de la démocratie partout dans le monde ; le refus des haines ethniques et religieuses ; la promotion inlassable du respect de la dignité humaine. Voici cinquante ans, une Américaine, Eleanor Roosevelt, et un Français, René Cassin, écrivaient ensemble la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Oui, le reve américain porté par les pères fondateurs se confond largement avec les idéaux de la République française.

Il est donc naturel que les Etats-Unis et la France partagent les mêmes objectifs essentiels face aux grands défis de notre temps.

Je pense à la responsabilité qui incombe à nos deux pays d'assurer la paix et la stabilité internationales. Elle s'illustre notamment par la coopération exemplaire de la France et des Etats-Unis, avec leurs partenaires, au service de la paix en Bosnie et au Kosovo. De même au Moyen-Orient, après le succès du sommet de Wye Plantation, rendu possible par l'engagement personnel du Président Clinton, la France et ses partenaires européens ne ménageront aucun effort pour encourager, aux côtés des Etats-Unis, la dynamique du processus de paix.

Je pense au combat qu'il nous faut mener ensemble contre le danger de la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, le trafic de drogue, le blanchiment d'argent sale, le crime organisé ou le terrorisme. La conclusion d'une convention universelle contre le financement du terrorisme, proposée par la France et présentée en septembre dernier par le ministre français des Affaires étrangères devant l'assemblée générale des Nations Unies à New York, marquera un progrès important dans cette voie

Je pense à la contribution commune de nos deux pays à la maîtrise et à l'humanisation de la mondialisation. L'euro sera, avec le dollar, un facteur essentiel de croissance mais aussi de la stabilisation du système monétaire et financier international. Il renforcera notre nécessaire concertation économique. Au delà, notre responsabilité collective est de ne pas relâcher nos efforts en direction des pays émergents, pour que leurs peuples surmontent les conséquences sociales de la crise ; et plus encore en direction des pays les plus pauvres où la victoire contre la pauvreté est la condition première de la liberté.

Les soldats français et américains, qui ont vécu côte à côte l'épreuve terrible de la Grande Guerre, ont combattu pour une même cause et contribué à tisser entre nos deux pays des liens que le temps n'effacera pas. Leurs exemple a été suivi par leurs fils, qui ont débarqué le 6 juin 1944 en Normandie et libéré l'Europe de l'emprise nazie. Nous leur devons de construire un monde pacifique, libre, démocratique, prospère et juste.

Sachons nous montrer à la hauteur de leur héritage. Sachons faire de cette relation unique entre nos deux pays, et des liens si profonds qui unissent les peuples des deux rives de l'Atlantique, l'un des leviers de l'organisation du monde que nous souhaitons léguer à nos enfants. Ce monde global, nous le voulons riche de sa diversité culturelle et harmonieux. A l'aube du vingt-et-unième siècle comme en 1918, il a besoin de l'engagement commun et solidaire des Etats-Unis et de l'Europe réconciliée.

Jacques CHIRAC