ALLOCUTION DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

LORS DE LA PRESENTATION DES VOEUX

DES CORPS CONSTITUES

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MARDI 7 JANVIER 1997

Monsieur le Premier Ministre,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

J'ai été très sensible, Monsieur le Président, aux voeux que vous venez de me présenter au nom des corps constitués. A mon tour, je souhaite que cette année 1997 soit, pour vous et pour ceux qui vous sont proches, une bonne et heureuse année.

Ces voeux s'adressent aussi, à travers vous qui les représentez, à toutes celles et à tous ceux qui, dans notre pays, ont choisi de mettre leurs compétences, leur foi au service de leurs concitoyens et d'oeuvrer pour le bien commun. Je souhaite que cette cérémonie annuelle, traditionnelle soit l'occasion pour moi de rendre hommage au dévouement dont ils font preuve, jour après jour, dans l'exercice de leur mission.

Vous avez souhaité évoquer cette année, Monsieur le Président, la question essentielle des relations entre l'Etat et le Droit. Ce faisant, vous avez fait apparaître avec une grande clarté les termes dans lesquels cette question doit être posée aujourd'hui.

Comme vous l'avez souligné, nos concitoyens sont, plus que jamais, attentifs à l'Etat de droit. Car, ce qui est en cause, dans ce domaine et au-delà des problèmes techniques dont je ne sous-estime pas l'importance, ce qui est en cause, c'est la démocratie. C'est pour cela que nous devons veiller, chacun dans nos fonctions, à ce que cette belle notion d'Etat, d'Etat de droit ne se réduise pas à une simple construction intellectuelle mais constitue bien pour tous les Français une réalité tangible, et tangible dans leur vie quotidienne.

Plusieurs conditions doivent être réunies pour que l'Etat de droit soit respecté : une autorité judiciaire indépendante, efficace, sereine ; une règle de droit claire et égale pour tous ; des administrations publiques au service des citoyens.

Malgré l'importance que j'attache à ce problème, je n'insisterai pas aujourd'hui sur la première de ces exigences, j'aurai l'occasion d'y revenir bientôt. J'avais fait demander au Gouvernement d'engager une réforme de notre système judiciaire afin de rendre la justice plus accessible, plus proche des citoyens, afin de lever les soupçons qui peuvent peser sur son indépendance, afin de garantir réellement le principe de la présomption d'innoncence et des droits de la défense, principes qui ne sont aujourd'hui pas toujours respectés comme il faudrait.

Pour que les règles de droit soient compréhensibles et respectées, nous devons nous astreindre à un effort de codification et de simplification des textes applicables. Le Conseil d'Etat, Monsieur le Président, a souvent appelé l'attention des Gouvernements sur la complexité et l'opacité de nos textes législatifs et réglementaires, qui transforment l'univers ordonné et rationnel du droit en un véritable labyrinthe, dans lequel l'administré comme le justiciable ne peut que se perdre.

C'est pour mettre un terme à cette dérive que la réforme de l'Etat engagée aujourd'hui inclut, comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, une vaste entreprise de codification, qui permettra aussi de toiletter les textes les plus anciens, d'en éliminer les dispositions obsolètes, bref, de clarifier les règles applicables.

Pour être accepté par tous, le droit ne peut être figé. Il doit refléter l'état de la société et traduire, avec discernement, ses évolutions. Il nous faut donc tenir compte, pour l'élaboration des règles nouvelles comme pour l'adaptation des règles anciennes, des transformations à l'oeuvre dans notre pays et des attentes nouvelles qu'expriment nos concitoyens.

Enfin, nous devons tirer toutes les conséquences en droit interne des engagements internationaux, vous l'avez évoqué, souscrits par la France, notamment dans le cadre européen.

Codifier, simplifier, adapter les règles juridiques. C'est à cette condition que chaque Français pourra faire reconnaître et respecter ses droits. C'est à ce prix que sera garanti l'égal accès de tous au droit, phénomène indissociable de la démocratie.

Il est une deuxième condition à l'existence d'un Etat de droit, et elle est tout aussi essentielle que la première : c'est une administration au service des citoyens. Il ne peut, en effet, y avoir d'Etat de droit digne de ce nom si les pouvoirs publics, l'administration apparaissent davantage comme de lointaines forteresses soucieuses de défendre leurs pouvoirs et leurs prérogatives que comme des instruments au service du bien commun.

En France, l'Etat a toujours joué le rôle de garant de l'unité et de la cohésion du pays. Présent à tous les échelons et dans les principaux secteurs de la vie sociale, servi avec dévouement et avec compétence par des femmes et des hommes conscients de l'importance de leur mission, il constitue traditionnellement chez nous un appui et un recours pour nos concitoyens.

Les valeurs sur lesquelles repose, depuis de nombreuses décennies, l'organisation du service public en France, égalité, continuité, neutralité, recueillent plus que jamais, l'adhésion des Français, qui sont profondément attachés à cette conception républicaine du service public.

Pourtant et vous ne devez pas l'ignorer, nos compatriotes sont parfois en proie au doute. Ils s'interrogent sur l'efficacité et la transparence de l'Etat, sur sa capacité à prendre réellement en compte leurs aspirations et surtout -à y répondre.

L'origine de cette crise de confiance réside sûrement dans la complexité croissante des procédures administratives et la multiplication des interlocuteurs et des guichets.

Elle naît aussi de l'opacité des bureaux, de leur apparent éloignement des préoccupations quotidiennes qui peut passer à tort mais qui passe pour de l'indifférence.

Elle provient enfin des dysfonctionnements graves apparus dans la gestion de certaines entreprises publiques.

Il nous faut en effet admettre que l'Etat n'a pas toujours su s'adapter.

Pris dans le corset de procédures pesantes et complexes, il témoigne parfois d'une rigidité qui nuit à l'efficacité de ses interventions. Dans un contexte économique plus exigeant, il n'a pas toujours fait preuve de discernement dans la gestion de la dépense publique, c'est le moins que l'on puisse dire.

Les Français appellent aujourd'hui de leurs voeux un Etat plus efficace, plus économe et plus transparent. C'est pour cela que le Gouvernement a engagé une importante réforme de l'Etat.

Que les choses soient claires. Il ne s'agit pas là d'une réorganisation administrative superficielle, mais bel et bien d'une réforme en profondeur des modes de travail et donc des mentalités. Son succès dépend de votre engagement à toutes et à tous et de l'adhésion de toutes celles et de tous ceux qui, au sein de l'administration française, ont choisi de servir leurs concitoyens.

Un Etat plus efficace, c'est avant tout un Etat plus proche des Français, un Etat qui soit à leur écoute pour se mettre à leur service.

C'est pour cela que la déconcentration des services est une étape indispensable, l'une des étapes mais peut-être la plus importante indispensable de la réforme de l'Etat. La plupart des décisions ne doivent plus se prendre à Paris, mais sur le terrain, au plus près des personnes concernées, pour plus de réalisme, plus d'efficacité, plus de rapidité.

Cette réorganisation des tâches au profit des administrations de terrain préfigure l'Etat de demain : des services centraux réduits, investis d'une mission de conception et de contrôle, et des services déconcentrés à l'initiative et aux moyens renforcés, chargés de la mise en oeuvre des politiques publiques.

Un Etat plus efficace, c'est aussi un Etat capable de répondre rapidement à ses interlocuteurs. Pour faire face à cette exigence, le Gouvernement a décidé de réduire le délai normal de traitement des demandes des administrés. Je sais que cette mesure peut apparaître comme une contrainte supplémentaire pour des services dont la charge de travail est importante. Mais elle répond à une attente très forte des Français. Et je souhaite que l'ensemble des administrations s'adapte à cette nouvelle règle du jeu, pour le plus grand profit de tous.

Si les Français veulent un Etat plus efficace, ils le souhaitent aussi meilleur gestionnaire de ses moyens, plus transparent, plus exigeant pour lui-même.

Pour cela, l'Etat doit être plus rigoureux dans la gestion de son patrimoine, et notamment dans celle des entreprises du service public. C'est ainsi que nous éviterons que ne se reproduisent les sinistres financiers qui n'ont pu être soldés qu'en faisant hélas appel aux contribuables.

J'ai la conviction que la déconcentration des moyens peut également contribuer à une meilleure adéquation entre les missions des services et les moyens qui leur sont affectés. La réforme engagée par le Gouvernement, qui prévoit la signature de contrats de services pluriannuels entre les administrations centrales et les services déconcentrés, me semble prometteuse. Elle donnera aux services locaux une large autonomie de gestion pour accomplir leur mission.

L'Etat doit redevenir, aux yeux de nos concitoyens, exemplaire. A ce titre, et il ne s'agit pas d'une mesure qui a valeur de symbole, il doit honorer sans retard ses engagements financiers. Et je me réjouis que le Gouvernement ait pris des dispositions à cet effet.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Nous sommes engagés dans une grande entreprise inéluctable de modernisation de notre pays. L'enjeu est d'importance : il s'agit de préserver notre protection sociale, de revitaliser notre terroir, de lutter contre la marginalisation des plus fragiles d'entre nous, bref, de restaurer et de conforter les équilibres sociaux. La réforme de l'Etat constitue la pierre angulaire de cette oeuvre de redressement. De son succès dépend le succès des autres chantiers ouverts par le Gouvernement.

C'est pour cela que je vous demande de vous mobiliser en faveur de cette grande ambition. Seul votre engagement personnel permettra de la réaliser et elle s'impose.

Nous avons déjà commencé à recueillir les premiers fruits des efforts accomplis et les mois qui viennent, j'en ai la conviction, verront la poursuite du redressement de notre pays. A l'aube de cette année nouvelle, je vous invite à mettre tout votre enthousiasme, tout votre talent au service du renforcement de la cohésion sociale et du renouveau durable de notre pays.

Je vous fais confiance, et je vous renouvelle, pour vous-même et pour tous les vôtres, mes voeux de bonne et heureuse année.