ALLOCUTION PRONONCÉE

PAR MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

À L'OCCASION DE LA RÉCEPTION DES PRÉSIDENTS D'ALLIANCES FRANÇAISES

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PALAIS DE l'ÉLYSÉE

JEUDI 19 JUILLET 2001

Madame la Ministre, Mesdames et Messieurs les Présidents et Délégués Généraux d'Alliances françaises, Mesdames et Messieurs les amis des Alliances françaises, Mesdames, Messieurs,

De tout coeur, je vous souhaite la plus cordiale des bienvenues. Vous savez l'estime que, comme tous les français, je porte aux Alliances françaises et aussi mon admiration pour le travail exceptionnel qu'elles accomplissent pour la langue et la culture françaises. Je rencontre souvent les responsables des Alliances françaises, à l'occasion notamment de mes visites à l'étranger. C'est chaque fois un moment privilégié. Il y a dans le regard, dans les paroles des présidents, des délégués, des directeurs, des enseignants et de leurs étudiants comme une flamme, un élan qui sont ceux du coeur. Je le voyais récemment encore en Russie à Samara.

On touche là au miracle des Alliances françaises : que, depuis plus d'un siècle, des hommes et des femmes de tous pays, qui goûtent la culture et la langue françaises, prennent en charge de la faire aimer à leur tour et s'y investissent de toute leur âme, c'est un miracle.

Pour créer ou pour présider une Alliance française, il faut avoir la passion du français. C'est un honneur insigne, Mesdames et Messieurs les Présidents, que vous faites à la France. Je voudrais que vous receviez par ma voix l'expression de la reconnaissance de la France.

Quant à vous, Mesdames et Messieurs les Délégués généraux, avec vos professeurs, vous accomplissez une tâche extraordinaire. Votre Secrétaire général, Boutros BOUTROS-GHALI, que je salue très amicalement et chaleureusement, m'a souvent fait part de cette admiration qu'il porte à l'action menée avec le coeur autant qu'avec l'intelligence par ces Délégués généraux, ces professeurs qui accomplissent cette tache superbe.

Voilà pourquoi je souhaite connaître, chaque fois que j'en ai l'occasion, les responsables d'Alliances françaises, comme aujourd'hui ou surtout quand je suis a l'étranger. Je remercie l'Alliance de Paris, en la personne de son président, Monsieur l'Ambassadeur VIOT, qui a pris l'initiative de notre rencontre.

J'ai pleinement conscience, Mesdames et Messieurs les Présidents, du caractère exceptionnel de votre engagement bénévole. À la langue française, vous apportez votre temps, et comme le temps de tout un chacun il est précieux, d'autant qu'en général vous êtes tous engagés dans l'action, vous apportez des ressources, vos relations et amitiés, sans autre récompense que le plaisir de voir s'épanouir dans votre pays une culture, une langue qui vous sont chères. Soyez aussi mes interprètes auprès des municipalités, des entreprises, des universités, des collectivités locales, de tous les mécènes dont les contributions, essentielles à la vie des Alliances, complètent généreusement les dotations du gouvernement français.

Ce soir, je vous propose qu'ensemble nous rendions hommage au magnifique succès des Alliances françaises, partout dans le monde, l'hommage du Gouvernement, Madame la Ministre, je n'en doute pas, l'hommage de toute la France. Partout s'exprime le même engouement. Ce sont près de 400 000 étudiants qui suivent aujourd'hui les cours de vos 1 135 associations, présentes dans 138 pays. C'est un demi-million de personnes qui fréquentent les Alliances, leurs manifestations culturelles et leurs actions sociales.

La raison en est que les Alliances françaises jouissent d'une réputation de grande efficacité. Considérées, et à juste titre, comme des établissements d'élite, les meilleurs pour se frotter au français, elles attirent en grand nombre celles et ceux qui veulent s'initier ou parfaire leurs connaissances, par plaisir ou par nécessité professionnelle. Ce sont aussi, au-delà des classiques, les vitrines d'une francophonie moderne, où s'exposent les créateurs d'aujourd'hui.

Il est paradoxalement réconfortant d'apprendre que le principal problème des Alliances françaises est celui de la croissance. Maîtriser la croissance. Trouver des places. Dégager de l'espace. À Shanghaï, à La Havane, à Nairobi, à Bruxelles, on refuse des élèves. C'est d'autant plus dommage que les Alliances françaises sont aussi un foyer important d'humanisme.

Humanisme de la culture francophone, des philosophes, des écrivains et des artistes, des créateurs qui la font vivre dans toutes les disciplines. Humanisme d'une langue dont les ressources subtiles s'acharnent à traduire au plus juste l'infinie variété des sentiments et des émotions, dont la musique séduit souvent ceux qui l'entendent pour la première fois. Humanisme d'un message qu'il faut porter haut et fort dans l'univers de la mondialisation où l'uniformité chacun le sait menace.

Mais les Alliances ne seraient pas elles-mêmes si l'on se bornait à y célébrer le culte de l'esprit ! Combien d'amitiés sont nées sur les bancs de vos écoles, dans leur grand et généreux brassage des différences, des cultures, des origines ! Pour beaucoup d'étudiants, le passage à l'Alliance française reste comme un moment d'exception, occasion d'une découverte et de rencontres inattendues. Que ce soit à New York ou à Samara, dont j'évoquais tout à l'heure la création, à Marseille ou à Manama, ils y auront côtoyé, dans un esprit d'accueil généralement exemplaire, d'autres étudiants venus d'autres horizons, qu'ils n'auraient sans doute jamais connus sans l'Alliance.

Ils y auront acquis une ouverture qui les aura marqués pour toute leur existence et qu'ils diffuseront à leur tour. Dans certains pays, dans certaines régions où elles ont encore tant de mal à se frayer un chemin, ils y auront entrevu la tolérance et la démocratie. Ils y auront, je l'espère, reçu un enseignement qui les aura aidés à s'insérer dans le monde moderne, à s'épanouir par-delà les aléas du quotidien, à cultiver de la vie toutes les facettes qui font la richesse de la condition humaine.

Des alliances, j'apprécie aussi l'organisation profondément moderne. Uni par une mission commune et des valeurs partagées, ce maillage mondial n'a ni centre ni sommet. Si la France et sa langue en constituent la référence commune, chacun y travaille de façon autonome et s'emploie au succès de sa propre entreprise. Dans le monde d'aujourd'hui, cette structure informelle en réseau n'est pas sans rappeler la Toile, univers virtuel qui promet de bouleverser les modes de communication entre les hommes. Cette organisation est une chance : elle vient compléter de façon décisive la diplomatie culturelle qui constitue l'une des singularités et l'une des fiertés de notre pays. Au-delà de nos réseaux institutionnels, au-delà des outils indispensables que constituent radiodiffusion et télévision, autant d'outils dont il faut veiller à la constante modernisation, le réseau des alliances est un relais à la fois précieux et puissant.

Cultivez l'esprit d'indépendance, le goût du fédéralisme, le sens de la décentralisation : au service d'un idéal et d'objectifs communs, ils constituent un atout, une garantie pour le développement de l'Alliance. Investissez sans relâche dans les nouvelles technologies, où vous excellez certainement, puisque vous en maîtrisez déjà l'esprit. C'est ainsi que, demain, vous pourrez perpétuer de façon certaine votre présence.

Depuis bientôt 120 ans, les Alliances françaises organisent le nécessaire dialogue des cultures. Portes ouvertes de la France aux étudiants étrangers, fenêtres sur le monde français dans leurs pays d'accueil, elles constituent par leur existence même une profession de foi dans ce dialogue. Elles occupent ainsi une place de premier plan au sein de la francophonie, cher Boutros, et vous savez dans quels grands combats celle-ci est engagée.

Ce que nous défendons, c'est la diversité culturelle, le brassage des idées, des valeurs, des civilisations, grâce auquel l'humanité progresse. Il en est de la diversité culturelle comme de la diversité des espèces : conserver sa richesse, c'est se réserver la possibilité de trouver des réponses inédites, originales, à des questions jusque-là insolubles. C'est aussi donner à chaque homme sa juste place dans la société mondialisée en l'assurant de se sentir respecté dans ce qu'il a de plus cher : ses racines, son histoire, ses ancêtres, ses repères les plus intimes. C'est reconnaître que chaque culture porte en elle une parcelle précieuse d'universalité.

Voilà le sens des actions engagées par la Francophonie. Elle n'agit certes pas pour s'imposer à elle seule, elle n'agit pas dans un esprit d'exclusion. Elle n'agit certes pas pour s'opposer à une culture dominante, dont par ailleurs elle partage bien des valeurs et admire bien des créations. Elle ambitionne de participer à la polyphonie vivante des cultures du monde, grâce à laquelle nous préserverons le foisonnement qui fait la richesse de l'expérience humaine.

Tel est le sens du front commun des civilisations et des cultures que nous organisons. Déjà ce printemps, à La Sorbonne, la francophonie a lancé le rapprochement des familles latines. Puis en octobre, notre Sommet de Beyrouth, premier sommet francophone en terre arabe, s'attachera à renouveler le dialogue des cultures, et d'abord l'ancestral dialogue de l'Orient avec l'Occident. Traditionnellement très implantées dans les pays de langue hispanophone, lusophone ou arabophone, les Alliances françaises seront tout naturellement le fer de lance de ce rapprochement.

Madame la Ministre, Monsieur le Secrétaire général, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, la francophonie a besoin de votre influence et de votre engagement. Une nouvelle fois, avant que nous partagions le verre de l'amitié, je veux vous dire mon admiration pour tout ce que vous faites et tout ce que représentent les Alliances françaises, c'est un peu le meilleur de la France. Je voudrais aussi vous remercier du fond du coeur de votre passion pour le français et de tout ce que vous lui consacrez, j'ose dire, par amour.

Belle idée, bel outil, au service de beaux idéaux, que l'Alliance française. Je lui souhaite succès et longue vie dans le siècle nouveau. Je vous remercie.