Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à la télévision finlandaise YLE.


Palais de l'Elysée - Paris le jeudi 6 mai 1999


QUESTION – Pour commencer, sur le Kosovo, on a essayé beaucoup de choses. On a essayé des efforts diplomatiques comme aujourd'hui à Bonn, et on a essayé l'intensification des raids. Croyez-vous que le temps est proche de la fin des bombardements ?

LE PRESIDENT : Lorsque cette affaire a commencé, j'ai donné mon sentiment en disant que cette affaire serait longue et demanderait beaucoup de détermination et beaucoup de temps. Je n'ai pas changé d'avis. Ce que je sais, c'est que nous ne pouvons pas accepter, en Europe, un régime qui foule au pied les Droits de l'Homme.

Nous avons connu, dans l'histoire de ce siècle, des périodes où les démocraties étaient lâches et acceptaient au nom de la négociation des situations qui ensuite ont créé le malheur et le drame et le génocide. Nous ne pouvons plus accepter cela. Donc il faut aller jusqu'au bout. Nous avons posé cinq conditions qui ont été rappelées clairement par le secrétaire général de l'ONU, admises par l'ensemble des membres de l'OTAN. Nous avons tout fait pour mettre la Russie dans la négociation. Car je crois qu'il est essentiel pour l'avenir de l'Europe que tout se fasse en accord avec la Russie. Je pense que les choses progressent bien de ce point de vue et qu'on arrive à une solution politique commune. Il faut continuer notre stratégie de pression pour arrêter Milosevic, c'est-à-dire pour casser ses forces de répression de façon à ce qu'il s'arrête de faire une politique de purification ethnique inacceptable.

QUESTION – Monsieur le Président, est-ce qu'il est encore possible d'accepter une paix avec Milosevic ?

LE PRESIDENT : Le problème n'est pas là. Il y a, je le répète, cinq conditions qui ont été posées. Vous les connaissez, c'est le retrait des forces serbes du Kosovo, c'est le retour des réfugiés, c'est naturellement l'arrêt des massacres et des déportations, c'est l'installation d'une force de paix, une force militaire de paix et c'est la reconstruction de la province dans le cadre d'une très large autonomie et la mise en oeuvre de la démocratie. Lorsque les autorités serbes auront accepté ces conditions, la solution politique sera en vue. Et je souhaite qu'elle soit arrêtée le plus rapidement possible après.

QUESTION – La Russie voudrait être médiateur dans tout cela. Quel sera votre message à Moscou, la semaine prochaine ?

LE PRESIDENT : Mon message est toujours, quand il s'agit de la Russie, un message d'amitié. Et mon message c'est de dire : la Russie est un grand pays dont la position est capitale pour l'avenir d'une Europe sûre, démocratique et pacifique. On ne peut rien faire de sérieux sans un accord avec la Russie. Et, donc, mon message, c'est trouvons amicalement cet accord sur le problème actuel et sur tous les autres problèmes pour garantir une Europe en paix.

QUESTION – Le sentiment dans plusieurs pays est que le Kosovo a créé une forte demande d'Europe de la défense. Acceptez-vous que la Finlande ait un rôle dans la construction d'une défense européenne pendant notre Présidence ?

LE PRESIDENT : Je ne veux pas faire d'ingérence dans les affaires intérieures de la Finlande, et donc je n'ai pas de conseils à donner à la Finlande qui a toujours prouvé dans l'histoire sa capacité et son courage, et sa capacité à repousser les adversaires et les dangers. J'ai donc beaucoup de respect pour elle, comme tous les Français ont beaucoup de respect pour le peuple finlandais, d'estime et d'admiration. Donc, je n'ai pas de conseils à lui donner, mais, en revanche, je pense que la Finlande peut nous donner des conseils sages, et le problème de la défense européenne est un des problèmes dont je souhaite m'entretenir avec le Président, avec le Premier ministre et avec le ministre des Affaires étrangères de la Finlande.

QUESTION – Il y a eu plusieurs étapes, maintenant, comme Saint-Malo en direction de la défense commune. Qu'est-ce que vous voyez comme prochaine étape sur cette route ?

LE PRESIDENT : D'abord il ne faut pas se précipiter. Il faut que les Anglais, les Français mais aussi les autres Européens se mettent d'accord, et en accord avec les Américains naturellement, pour qu'il y ait un pilier européen qui ait une certaine autonomie pour la défense de l'Europe, et qui puisse donc fonctionner automatiquement, sous commandement européen lorsqu'il s'agit d'opérations qui n'intéressent que l'Europe et qui n'intéressent pas les Etats-Unis, tout en fonctionnant dans le cadre de l'Alliance atlantique et dans le cadre de ses moyens à l'OTAN.

Merci