PRÉFACE DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DANS LE CATALOGUE DE L'EXPOSITION "TOUS LES SAVOIRS DU MONDE"

PARIS DÉCEMBRE 1996

La longue histoire de la Bibliothèque nationale de France a connu peu de ruptures, tant il est vrai que cette institution est profondément inscrite dans l'histoire de notre destin national. Renouant avec la passion d'un Charles V qui installait au Louvre sa "librairie", François Ier avait fondé au XVIe siècle les principes d'une bibliothèque largement ouverte aux humanistes et organisée pour répondre à leurs besoins de recherches. Il posait alors les bases de ce dépôt légal grâce auquel tout ce qui se publie en France a sa place dans la Bibliothèque. Depuis cette époque n'ont changé que les méthodes, les implantations, les supports matériels de la mémoire, les domaines d'exigence scientifique et les intérêts du public.

Dès le début du XVIIIe siècle, et pour longtemps, était fixée l'organisation des collections installées dans les bâtiments hérités de Mazarin. La Révolution venait à son tour enrichir le patrimoine national. Le XIXe siècle voyait les transformations matérielles qui offraient aux lecteurs les commodités des salles prestigieuses de la rue de Richelieu.

Avec l'ouverture de son nouveau bâtiment sur le quai François-Mauriac, la Bibliothèque entre une fois encore dans une phase nouvelle. Les lecteurs -les Français, mais aussi les très nombreux étrangers qui se joignent à eux- disposeront d'un outil de travail modernisé, qui met à leur disposition toutes les ressources documentaires nécessaires dans les disciplines les plus diverses. On y trouvera, certes, ce qui concerne les domaines traditionnels, ceux de la littérature, de l'art et de l'histoire. Mais un effort a été porté vers les secteurs quelque peu négligés depuis le XIXe siècle, époque où les exigences de l'érudition ont infléchi la politique d'acquisition de la Bibliothèque : c'est la cas des sciences de l'homme, de la société et de la nature. De la physique à l'économie en passant par la biologie, la Bibliothèque nationale de France retrouvera, en termes du XXIe siècle, ce qui faisait la richesse de l'encyclopédisme de l'Europe des Lumières. Dans quelques mois, quand ils accéderont aux deux mille place du "rez-de-jardin", les chercheurs commenceront d'en percevoir le profit intellectuel.

À l'heure où l'exigence de savoir a pris sa juste place parmi les manifestations de la démocratie, il convient que la Bibliothèque nationale de France tienne son rôle au sein des réseaux nationaux et que le service qu'elle rend soit au bénéfice de la France tout entière. Ainsi cet instrument de connaissance et de culture sera-t-il vraiment national. L'établissement cinq fois séculaire doit aussi s'ouvrir à de nouveaux publics, et ce sera le rôle de ce "haut-de-jardin" qui commence de vivre lorsque l'exposition "Tous les savoirs du monde" vient en illustrer le propos et les ambitions.

Cette exposition veut être le manifeste de l'encyclopédisme retrouvé par un établissement qui, grâce à des espaces moins chichement mesurés et plus adaptés aux technologies contemporaines de mémorisation et de communication, trouve un souffle nouveau sans dévier pour autant de sa vocation. Nous avons maintenant les moyens d'assurer à une échelle inédite la circulation et l'échange des connaissances. Encore faut-il ne pas être victime de la masse que représente cette information et de ne pas enfermer les lecteurs dans un univers mental de spécialités aux cloisons étanches. De même avons-nous le devoir de combler autant que faire se peut le fossé qui sépare la lecture de recherche de la lecture de culture, sous peine de faire perdre à nos sociétés le contrôle de leur puissance intellectuelle. L'encyclopédisme n'est pas le survol du touche-à-tout, c'est la large vue du monde qui sait intégrer sa préoccupation dans le devenu de l'humanité. Ses exigences rejoignent celles de la démocratie.

La Bibliothèque nationale de France s'inscrit donc dans la tradition encyclopédique de rassemblement et de diffusion de tous les savoirs à l'intention de tous les publics. Elle célèbre aujourd'hui les grandes entreprises encyclopédiques qui, comme celle de Diderot et d'Alembert, ont jalonné l'histoire de l'humanité depuis que celle-ci recherche à faire la somme de ses connaissances et à la diffuser dans le temps comme dans l'espace. De la naissance de l'écriture jusqu'aux réalisations éditoriales les plus récentes, c'est à une interrogation sur l'encyclopédisme d'aujourd'hui que nous convie l'exposition "Tous les savoirs du monde".

Jacques CHIRAC