Allocution prononcée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à Bellinzona, canton du Tessin (Suisse)


Jeudi 29 octobre 1998

Monsieur le Président de la Confédération,

Mon cher Flavio,

Signora Presidente,

Mesdames, Messieurs,

Tout d'abord, mon cher Flavio, je voudrais vous dire merci. Merci de tout coeur pour la chaleur de votre accueil. Merci d'avoir organisé pour moi, avec Madame la Présidente, cette rencontre avec les habitants du Tessin et leurs représentants. Aujourd'hui, Monsieur le Président, je suis chez vous, parmi ceux qui vous sont chers, dont vous m'avez souvent parlé, et vous avez voulu que je m'y sente un peu en famille. C'est pourquoi je me permettrais de dire mes respectueux et affectueux hommages à votre épouse.

Quelle magnifique région que la vôtre ! C'est vrai. Je comprends que tant de visiteurs, venus d'Europe et du monde entier, s'y donnent rendez-vous notamment depuis l'ouverture des grandes voies de communication, en particulier le tunnel ferroviaire du Gothard et le pont digue de Lugano.

Je comprends aussi que votre canton ait donné tant d'artistes à l'Europe, toute l'Europe jusqu'à Saint-Pétersbourg, en passant bien sûr par l'Italie. L'Italie baroque qui, aux XVIIe et XVIIIe siècle, a vu s'épanouir l'architecture des Borromini, des Fontana, des Maderno, tous originaires de vos vallées.

Aujourd'hui, la tradition continue, dans tout son éclat. Avec votre compatriote, Mario Botta, qui a travaillé ici, dans votre canton mais aussi en France, avec la nouvelle cathédrale d'Evry, et également en Amérique. Avec vos grands peintres, Francesco Torriani, Giovanni Serodino, Antonio Petrini et d'autres encore. Ce lieu et ce site majestueux où vous avez la gentillesse de nous recevoir, ce Castelgrande de Bellinzona et son Musée admirablement restaurés -nous en parlions en voiture- par Aurélio Galfatti, incarnent cet élan artistique, ce génie créatif de vos vallées, en même temps que votre volonté de préserver vos traditions et votre mémoire, comme l'a très justement là aussi souligné la Signora Presidente.

Une mémoire marquée aussi, vous l'avez dit, par la France. Quel singulier destin que le vôtre ! Quelle volonté farouche d'indépendance et de liberté !

Indépendance, très tôt, à l'égard du grand voisin italien. Là, vous le savez, la France a joué un rôle. C'est, au tournant du XVIe siècle, Louis XII qui, en luttant contre les Sforza de Milan, permit aux cantons suisses de s'installer dans la vallée du Tessin et jusqu'à Lugano, inaugurant le régime des huit bailliages, que nous évoquions tout à l'heure, et qui va durer jusqu'en 1798.

Liberté à l'égard des cantons alémaniques pour conquérir vos propres droits politiques, pour être des Suisses à part entière. Là encore, la France est intervenue. C'était la France révolutionnaire. D'abord en 1798, en provoquant la fin du régime des bailliages -événement fondateur dont vous célébrez cette année le bi-centenaire. Puis en 1803, vous l'avez évoqué, par l'Acte de médiation qui établit la souveraineté de la " République et Canton " du Tessin. C'est à cette époque que fut choisi son blason -qui me va droit au coeur, chacun peut le comprendre- rouge et bleu, emprunté, selon la tradition, aux couleurs de la ville de Paris.

Enfin, au XIXe siècle, beaucoup de Tessinois, originaires notamment de cette belle vallée du Biennio, vont s'installer à Paris. D'autres, à la même époque, choisiront les Pyrénées où ils participeront à l'exploitation de la forêt.

Et voilà sans doute pourquoi le Tessin est le canton non francophone où le français est le plus et le mieux pratiqué, un canton, sans aucun doute, où l'on aime la France, où l'on aime ce qui vient de France, comme les Français aiment y venir. La langue, la culture, comme le montre le succès de nos Alliances françaises de Locarno et de Lugano. La création aussi, à l'occasion du Festival international du film de Locarno qui réserve une large place au cinéma français et francophone. Voilà, mon cher Flavio, pourquoi je me sens ici un peu chez moi. Sans prétention, mais avec coeur.

Et voilà pourquoi, Monsieur le Président, Signora Presidente, nous souhaitons aller plus loin et nouer une relation économique plus forte qu'elle ne l'est aujourd'hui. Ces dernières années, le Tessin, région traditionnellement agricole et touristique, s'est imposé comme place financière. J'invite nos investisseurs, nos banques, nos entreprises à se faire une nouvelle idée du Tessin et à s'associer aux projets que vous avez pour le développement de votre économie. Parmi ces projets, il en est un de toute première importance, c'est la réalisation du futur tunnel de base du Gothard. Nos entreprises ont les hommes et les savoir-faire pour le mener à bien. Il serait symbolique que la France et la Suisse s'unissent pour ce qui sera l'un des grands projets du prochain siècle.

Voilà, Mesdames et Messieurs, les sentiments et les mots que m'inspire cette étape si agréable chez vous, sur votre terre, à votre invitation, Monsieur le Président, Signora Presidente, et qui est un peu, dans cette visite d'Etat, l'étape du coeur, celle aussi de l'émotion, celle en tout cas de l'amitié.

Tout à l'heure, au moment de prendre l'avion et de rentrer à Paris, parmi les impressions, les souvenirs que j'emporterai de ma visite en Suisse, une visite si agréable, il y aura le Tessin, ses paysages inoubliables, la gentillesse de ses habitants, leur profond attachement à la France et à tout ce qu'elle représente, attachement réciproque, et notre désir d'aller -je l'ai évoqué- plus loin ensemble. Et c'est pourquoi, je voudrais vous remercier de cet accueil et de cette amitié.