DISCOURS

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

A l’occasion de la réception des Ambassadeurs

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PALAIS DE L’ELYSEE

MERCREDI 27 AOUT 1997

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Ministre des affaires étrangères,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Pour la troisième fois, j’ai le plaisir de vous rencontrer tous ensemble. En 1995, je vous avais présenté les grandes orientations de la politique étrangère que j’entends conduire tout au long de mon mandat. L’an dernier, je vous avais exposé les initiatives de la France pour contribuer à façonner un monde en mutation. Je n’y reviens pas car ces deux interventions ont conservé leur actualité.

Aujourd’hui, je souhaite prolonger cette réflexion en abordant deux questions :

- Je voudrais d’abord mettre l’accent sur certaines de vos missions rendues encore plus nécessaires par les évolutions en cours.

- Je voudrais ensuite rappeler ce que doivent être nos priorités pour que soient assurés au mieux, au siècle prochain, la défense de nos intérêts et le rayonnement de notre nation.

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Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

En vous recevant avant vos départs en poste, en vous rencontrant lors de mes visites à l’étranger, en lisant chaque jour votre correspondance, j’ai pu mesurer la qualité des femmes et des hommes qui animent le deuxième réseau diplomatique et consulaire du monde, le premier dans le domaine culturel, et qui forment ensemble cette grande maison qu’est le ministère des Affaires étrangères.

Servir l’Etat, représenter la France est un honneur, une responsabilité exigeante que vous assumez avec compétence, en prenant des risques s’il le faut. Je pense à toutes celles et à tous ceux qui servent dans des postes difficiles, d’Alger à Brazzaville, de Phnom Penh à Sarajevo.

Votre premier devoir est de répondre à l’attente qui existe à l’égard de la France. Une France qui porte une culture, des valeurs qui sont devenues des références universelles. Une France qui demeure au premier rang du combat pour la démocratie, pour les Droits de l'homme, pour la paix, pour la solidarité. Je veillerai personnellement à ce que l’année 1998, année du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'homme, soit marquée par des initiatives françaises importantes, pour faire progresser concrètement une cause et des principes auxquels tous les Français sont attachés.

A vous de projeter, par votre exemple, par une action dynamique, imaginative, inlassable, l’image d’un pays généreux, ouvert au dialogue, respectueux de l’identité de chacune des nations. Bref, le contraire d’un pays arrogant ou replié sur lui-même, mais un pays fort, d’une grande ambition justifiée.

Je vous encourage vivement à apprendre la langue du pays qui vous accueille. C’est une marque de respect pour l’autre. C’est aussi la meilleure preuve que votre plaidoyer pour la francophonie s’inscrit dans la perspective d’un monde pluriculturel.

J’attends de vous, plus encore que dans le passé, un effort permanent de communication sur les écrans de télévision, sur les radios, dans les colonnes des journaux, dans les lieux où se forment les opinions : les universités, les syndicats, les partis politiques.

Mais je vous demande aussi de rendre compte, avec lucidité et sans fard, des critiques qui s’expriment à l’égard de notre pays. Prendre l’initiative, c’est inévitablement s’exposer aux critiques. En comprendre les raisons est la condition d’une réponse pertinente.

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J’attends de vous un soutien résolu à l’action des Français expatriés, qu’elle contribue au rayonnement culturel ou à la promotion des intérêts économiques de notre pays. Ces Français sont - en nombre encore insuffisant - les artisans irremplaçables de notre influence dans le monde. Ils sont le fer de lance de notre économie. Mobilisez tous votre expérience, votre talent, votre énergie, au service de nos entreprises, et vous contribuerez ainsi à l’amélioration de l’emploi dans notre pays.

Vous savez combien je me suis investi personnellement dans ce combat. Combat nécessaire car près du tiers de notre croissance résulte désormais des performances de nos entreprises sur les marchés étrangers. Combat victorieux car la France enregistre un excédent à la fois substantiel et croissant, notamment avec les pays émergents qui sont les moteurs de l’économie mondiale.

Je souhaite que vous corrigiez l’image que projettent volontiers certains médias étrangers : celle d’une France qui aurait du mal à s’adapter aux contraintes de la mondialisation. Les faits et les chiffres prouvent le contraire. En l’espace d’une génération, la France n’est pas seulement devenue le quatrième exportateur mondial de produits manufacturés, le deuxième pour les produits agricoles, le deuxième pour les services : aujourd’hui, chaque Français exporte deux fois plus que chaque Américain, et 50 % de plus que chaque Japonais.

Mieux encore : depuis 25 ans, et malgré la montée régulière des pays émergents, la France a maintenu sa part du marché mondial, alors que celle des Etats-Unis, de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne diminuait sensiblement. On ne le sait pas assez et il nous appartient aussi de le dire.

Enfin, et c’est peut-être le meilleur signe de notre compétitivité : depuis 1991, la France a constamment compté parmi les trois premiers pays d’accueil de l’investissement international.

Pour autant, nous ne devons pas relâcher nos efforts dans un monde où la concurrence internationale ne cesse de s’exacerber.

Notre présence est encore trop concentrée sur l’Europe et notamment l’Union européenne. Elle est trop faible dans les pays émergents. Nos petites et moyennes entreprises ne sont pas suffisamment actives dans les pays qui ont le plus fort potentiel de croissance. Il vous revient, depuis vos postes comme lors de vos séjours en France, à Paris ou en province, d’alerter nos entreprises sur les possibilités que peuvent offrir vos pays. Il vous revient aussi de proposer toutes les initiatives susceptibles d’accroître les chances de nos produits sur les marchés mondiaux. Vous pouvez compter sur mon soutien sans réserve comme sur celui du gouvernement.

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Il est une dernière mission à laquelle j’attache la plus grande importance : votre mission d’analyse et de proposition.

Les succès de notre pays dépendront de plus en plus de notre capacité d’adaptation, et d’abord d’anticipation. Ensemble, vous représentez un potentiel inégalable d’observation, de réflexion, de suggestion. Il doit être un atout décisif pour tous les décideurs français.

La mondialisation n’en est qu’à ses débuts. Elle demeure encore mal maîtrisée. Elle est souvent mal comprise par les opinions. Les Etats, qui ont fixé les nouvelles règles du jeu d’une concurrence globale sur les marchés des capitaux et de l’emploi, ont accepté d’y sacrifier une partie de leurs marges de manoeuvre, qu’il s’agisse de la monnaie, de la fiscalité, du budget.

Collectivement, et c’est notamment la mission du G7-G8, ils doivent corriger les excès et limiter les risques d’une ouverture par ailleurs bénéfique. A l’initiative de la France, le Sommet de Lyon a engagé des travaux d’une grande importance pour mieux assurer la stabilité financière mondiale, dont les crises mexicaine et thaïlandaise notamment ont souligné la fragilité. Lyon a également lancé, à l'initiative du Premier ministre japonais, une réflexion fondamentale sur l’ensemble des conséquences du vieillissement de nos sociétés. Des progrès ont été enregistrés à Denver dans ces deux domaines ; d’autres seront nécessaires l’an prochain, au Sommet de Birmingham.

Bien comprendre le monde qui se dessine nous permettra de tirer pleinement parti des avantages de la globalisation sans avoir à renoncer à des valeurs, un mode de vie conjuguant liberté et solidarité auxquels les Français demeurent, à juste titre, profondément attachés.

C’est pourquoi vos analyses sur les grands choix économiques et sociaux des gouvernements, sur l’évolution des monnaies et celle des investissements, sur les orientations de la recherche scientifique et le financement des systèmes sociaux sont aussi nécessaires, et parfois plus, que vos commentaires sur la situation politique.

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Parmi les atouts qui nous maintiendrons au premier rang de cette compétition globale, il en est un sur lequel j'appelle régulièrement l'attention : les technologies de l’information. Elles recèlent les principaux gisements d’emploi de demain. Elles détermineront la compétitivité des entreprises sur les marchés mondiaux. Or l’Europe - et la France notamment - prennent semble-t-il du retard. Je souhaite que le Gouvernement, qui en est parfaitement conscient, agisse au sein de l’Union, comme au plan national pour remettre à niveau notre pays et l’Europe. Il y sera sans aucun doute aidé par les informations que vous lui apporterez.

Je demande donc à nos Ambassadeurs en Amérique du Nord, en Europe, au Japon et dans certains pays émergents d’être particulièrement attentifs aux évolutions de ces industries de pointe, aux innovations et aux réformes structurelles qu'elles entraînent.

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Dernier dossier sur lequel vous devez vous mobiliser : celui de la formation des jeunes élites des pays où vous représentez la France.

Mieux que d’autres, vous mesurez ce que représente, en termes d’influence durable, une formation " à la française ". Plus que d’autres, vous savez que le rayonnement de la France dépend aussi de sa capacité de former une partie des élites du monde.

Notre réseau sans équivalent de lycées nous permet de conduire jusqu’au niveau du baccalauréat des dizaines de milliers de jeunes du monde entier. Mais nous ne prolongeons pas assez cet effort au niveau décisif, celui des universités. Dès lors, ces jeunes, sortis de nos lycées, se dirigent vers les Etats-Unis qui sont devenus le principal centre de formation des élites du monde, notamment de ses régions les plus dynamiques, l’Asie orientale et l’Amérique latine. Et je suis frappé de constater que les Etats-Unis, mais aussi la Grande-Bretagne ou l’Australie, ont su faire de cette activité de formation une source de revenus considérable. Ce que nous avons absolument pas apprécié ou compris.

Les contraintes budgétaires, je le sais, ne permettent pas, dans l’immédiat, une relance massive de notre politique de bourses, relance pourtant nécessaire. Je demande donc à chacune et à chacun d’entre vous de réfléchir aux formules imaginatives, aux partenariats qui peuvent se développer entre universités, ou avec nos grandes entreprises. Je souhaite qu’une réflexion soit lancée sur la création en France de structures souples capables d’organiser, moyennant rétribution, l’accueil d’étudiants étrangers dans nos écoles et nos universités.

Le deuxième poste de rapport financier de l’Australie, en ce qui concerne l’activité avec l’étranger, est celui de la Formation. Sans prétendre aller jusque-là, cela mérite quand même que nous réfléchissons sérieusement à la possibilité de nous adapter, nous aussi, aux exigences du monde moderne et de nos intérêts nationaux.

Dans le même esprit, j’ai demandé il y a plusieurs mois que soit accélérée la mise en place d’une politique plus souple de visas pour les étudiants, les chercheurs et les professeurs étrangers qui désirent se former en France.

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Vous le voyez, votre mission va bien au-delà de la gestion des dossiers diplomatiques. Vous êtes la France dans le monde, son visage, sa voix. Vous êtes les acteurs de son rayonnement. Vous êtes, aux avant-postes, les indispensables éclaireurs des changements en cours, et je vous fais confiance.

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Dans le monde d'aujourd'hui, quelles doivent être les priorités de notre politique étrangère ?

La France doit s’affirmer, sans arrogance mais sans complexe. Elle doit prendre, me semble-t-il, l’initiative dans trois directions complémentaires, au-delà naturellement de ce que j’ai eu l’occasion d’évoquer en 1995 et en 1996.

La France doit renforcer ses solidarités traditionnelles en adaptant sa politique aux réalités nouvelles :

- elle doit, avec ses partenaires, achever la construction de l’Europe puissance, mais aussi de l’Europe des hommes ;

- elle doit, enfin, contribuer à l’émergence d’un monde multipolaire harmonieux.

Renforcer nos solidarités, c’est d’abord édifier un espace francophone politique. En novembre, au Sommet de Hanoi, les quarante-neuf pays membres éliront pour la première fois un secrétaire général, véritable fédérateur et animateur de notre communauté. Celle-ci pourra ainsi s’affirmer progressivement comme un acteur à part entière des relations internationales.

J’attache une extrême importance à la préparation du Sommet de Hanoi. Au-delà de la réforme institutionnelle, je souhaite qu’il adopte des projets concrets. Il y a deux ans, à Cotonou, j'avais demandé que soient multipliés les sites et les programmes en français sur les autoroutes de l'information. En mai, à Montréal, la création d’un " fonds pour le développement des inforoutes " a été décidée. D’autres grands projets de coopération sont à l’étude. Ils doivent exprimer la solidarité qui unit les membres d’une communauté de près de cinq cents millions de femmes et d’hommes présents sur tous les continents.

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Renforcer nos solidarités traditionnelles, c’est aussi adapter notre politique africaine.

Et d’abord, prendre la mesure des changements en cours sur ce continent. Bien sûr, les facteurs de tension et de déstabilisation demeurent puissants : une démographie galopante, une urbanisation incontrôlée, une jeunesse oubliée. Et les crises d’Afrique centrale sont là pour nous rappeler le poids du facteur ethnique.

Pourtant, l’Afrique avance. Les économies sont encore fragiles et déséquilibrées, mais dans une majorité de pays, la croissance paraît durablement établie et ceci sur une pente de l’ordre de 5 %. Pour la première fois, elle connaît, le Fond monétaire international l’a souligné, une évolution positive en terme de croissance par tête d’habitant. Par ailleurs, la gestion des affaires publiques et l’état de droit s’améliorent. La démocratie s’enracine. L’intégration régionale se développe. Enfin, et c’est un point très positif, les crises récentes ont accéléré une vraie prise de conscience de la nécessité, pour les Africains, de prendre en mains le règlement de leurs difficultés.

Ces évolutions encouragent la France à accentuer l’adaptation de sa politique africaine, sur la base des principes que j’ai affirmés, vous vous en souvenez, dès mon premier voyage sur ce continent, en juillet 1995, et qui sont mis progressivement en oeuvre depuis :

- rester engagés auprès de nos partenaires les plus proches, en modernisant le cadre de nos rapports ;

- renforcer nos liens avec les autres pays africains, dès lors qu’ils le souhaitent ;

- rénover nos dispositifs d’intervention économique et de coopération ;

- encourager nos entreprises et nos investisseurs à accroître leur présence en Afrique, tout en maintenant l’indispensable flux d’aide publique à un niveau suffisant ;

- développer, enfin, avec les organisations internationales comme avec les Etats, ceux de l’Union européenne et le Japon notamment, des concertations nouvelles, en réponse aux demandes des pays africains eux-mêmes.

A ces principes s’ajoutent deux règles de comportement auxquelles la France doit se tenir strictement, au risque d’être parfois mal comprise dans un premier temps.

Première règle : s’interdire toute ingérence, de quelque nature qu’elle soit, politique, militaire ou autre. La France ne l’accepterait pas chez elle. Elle n’a pas à la pratiquer chez les autres.

Deuxième règle : encourager nos partenaires africains, selon les modalités et le rythme de leur choix, à renforcer l’état de droit et la bonne gouvernance, éléments essentiels de la confiance, confiance intérieure des opinions ou extérieure des investisseurs, confiance essentielle pour le développement, condition même du développement.

La France est et restera le premier partenaire de l’Afrique sub-saharienne. Elle doit aujourd’hui mieux cerner les axes prioritaires de sa coopération. A ma demande, plusieurs chantiers ont été ouverts, parmi lesquels : l’appui à l’intégration régionale, l’assistance dans le domaine institutionnel, en particulier judiciaire, la réévaluation de notre politique en matière d’éducation, de stages, de bourses. Je souhaite que cet effort de modernisation de notre coopération soit accentué et étendu. Je souhaite de nouvelles modalités de mise en oeuvre pour mieux marquer notre volonté d’agir en vrai partenariat et de tenir compte des besoins exprimés par la population.

La détermination des Africains à assurer eux-mêmes la stabilité et la paix sur le continent, les efforts de médiation courageux qui ont été entrepris, les concertations en cours pour nouer des pactes de sécurité mutuelle, tout cela appelle une adaptation progressive de nos accords de défense, de nos implantations et de notre coopération militaire. Nous devons apporter tout notre soutien aux efforts africains de prévention et de gestion des conflits. Nous devons développer résolument nos missions de formation et d’assistance.

Enfin, nos relations avec l’Afrique, et c’est ce qui les rendent uniques, reposent sur des rapports humains d’une extraordinaire densité sans équivalent. Il faut les préserver et en transmettre le goût et la richesse aux générations montantes. C’est pourquoi nous devons éviter de donner à nos amis africains le sentiment que nous leur fermons nos portes. A ma demande, de nouvelles dispositions ont été prises en matière de visas, je l’ai dit. La responsabilité de leur application attentive vous incombe, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs. Je vous demande d’y veiller personnellement, je fais toute confiance à votre jugement.

Vous l’aurez compris : la France entend, plus que jamais, être présente et active en Afrique, dans la fidélité, l’ouverture et la modernité. Je ne verrais d’ailleurs que des avantages à ce que notre Parlement puisse en débattre.

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Renforcer nos solidarités traditionnelles, c’est enfin construire en Méditerranée un espace de paix, de stabilité et de développement.

La France est une grande puissance méditerranéenne. Elle doit d’abord entretenir avec les pays du Maghreb une relation exemplaire. C’est le cas avec le Maroc et la Tunisie. Ce doit être le cas - et c’est mon souhait - avec l’Algérie. Les récentes visites du ministre des Affaires étrangères, M. Védrine, dans ces trois pays ont confirmé leur volonté de relations privilégiées avec la France.

Au Proche-Orient, ensuite, où le processus de paix est en danger de mort, où le désespoir engendre la violence et le terrorisme, la France doit prendre l’initiative, en liaison avec les Etats-Unis. Elle doit inlassablement entraîner l’Europe, la convaincre d’assumer, dans cette région, le rôle politique majeur que justifient une histoire partagée, des intérêts communs, son poids économique prépondérant. Ne sous-estimons pas notre capacité d’action, notre influence, les possibilités de trouver des solutions.

Enfin, la France, avec notamment l’Italie et l’Espagne, doit poursuivre, avec ténacité, le processus de Barcelone. Lui seul ouvre la perspective d’un monde méditerranéen rassemblé autour des mêmes ambitions : le dialogue politique et culturel, le partenariat économique, la paix.

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Assurer la présence de la France, défendre nos intérêts, c’est aussi achever la construction de l’Europe.

L’Europe des hommes d’abord, qui a été trop négligée dans le passé et qui constitue une priorité essentielle pour la France. Nos conceptions progressent. Le Mémorandum pour un modèle social européen, dont nous avions pris l’initiative en mars 1996, est devenu aujourd’hui une référence pour les Quinze. Le Sommet pour l’emploi en novembre prochain, demandé et obtenu à Amsterdam par la France, devra montrer, par des décisions concrètes, notre détermination commune à tout mettre en oeuvre pour lutter contre la principale cause de désaffection à l’égard de la construction européenne : le chômage, qui frappe dix-huit millions d’Européens.

Achever la construction de l’Europe, c’est aussi conclure, avant tout élargissement, la réforme institutionnelle engagée à Amsterdam. Nous avons obtenu des progrès en recherchant avec pragmatisme des solutions appropriées à la nature originale de notre Union, qu’il s’agisse des pouvoirs du Président de la Commission, du vote à la majorité qualifiée, du développement du rôle des parlements nationaux, du protocole sur la subsidiarité, et enfin de la clause sur les coopérations renforcées qui permettra aux Etats qui le souhaitent d’aller plus vite et plus loin dans l’exercice en commun de certaines responsabilités.

Il reste à obtenir un accord satisfaisant sur la composition de la Commission et la repondération des voix au Conseil. Sur ce dossier, qui conditionne le bon fonctionnement d’une Union élargie, la France n’acceptera aucune formule qui porterait atteinte à l’efficacité du processus de décision.

L’élargissement, qui s'engagera dès l'an prochain, est un impératif moral, c’est aussi une nécessité historique. Il répond enfin à l’intérêt bien compris de tous nos pays en ouvrant la perspective d’un ensemble cohérent de 450 millions d’habitants.

Pour éviter tout sentiment d’exclusion dans les pays qui n’appartiendront pas à la première vague d’adhésion, l’élargissement doit s’adresser de façon égale aux onze candidats. Ils doivent tous bénéficier d’une stratégie de pré-adhésion mobilisant des crédits qui sont d’une ampleur inégalée dans l’histoire du monde : deux fois ceux du plan Marshall !

La France a également proposé la création d’une conférence européenne. Elle souhaite, dans ce contexte, que la question des relations avec la Turquie soit traitée avec imagination et pragmatisme, en mesurant toute l’importance de ce grand partenaire pour notre Union.

L’autre avancée historique du début de 1998 sera, naturellement, la décision des chefs d’Etat et de Gouvernement concernant les pays qui entreront dans la monnaie unique le 1er janvier 1999. Vous traiterez longuement demain de ce dossier crucial. Avec l’Allemagne, son partenaire fondamental, la France entend être présente au rendez-vous selon les conditions du Traité, selon sa parole. Elle est persuadée que ce progrès sans précédent permettra la mise en place d’un vrai pôle économique de puissance. Amsterdam a fixé un programme de travail ambitieux. Le Conseil européen de Luxembourg devra traduire ces objectifs en décisions.

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Enfin, l’Union européenne doit progressivement s’affirmer comme un pôle majeur de puissance. L'euro y contribuera de façon décisive. Je souhaite que l’Europe fasse preuve de la même détermination dans le domaine de la politique étrangère et de la politique de défense.

L’histoire nous enseigne qu’une civilisation, pour garder la maîtrise de son destin, doit se donner les moyens de sa sécurité. Il n'y a jamais eu de plus grandes fautes historiques qui sont pourtant répétées à l'infini que de négliger la sécurité.

Bâtir une défense européenne, c’est d’abord construire une industrie de l’armement forte et compétitive. Face aux regroupements mondiaux, les Européens doivent rassembler leurs forces. La mise en place d’une Agence européenne de l’armement, mais aussi la définition d’une planification conjointe des besoins, à l’image de ce qu’ont entrepris la France et l’Allemagne, s’inscrivent dans cette perspective. Nous devons aller beaucoup plus loin. Et nous devons aller vite.

Bâtir notre défense, c’est aussi renforcer la coopération militaire entre nos pays. Le Corps européen, les Euroforces et le Groupe aérien européen montrent la voie. Le rôle joué en Bosnie, hier par la Force de réaction rapide, aujourd’hui par la Brigade franco-allemande, l’opération réussie en Albanie, illustrent la capacité d’action des Européens dès lors qu’ils en ont la volonté. Je souhaite que cette volonté s’exprime l’an prochain en Bosnie, au moment des décisions que nous devrons prendre en partenariat avec les Américains.

Bâtir une défense européenne, c’est enfin nous doter d’institutions adaptées. Avec le Traité d’Amsterdam, les chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union pourront, en cas de crise, décider d’une intervention européenne et charger l’Union de l'Europe occidentale, qui se renforce utilement, d’en assurer la conduite effective.

Mais la construction d’une défense européenne doit s’exprimer aussi à travers la réforme de l’Alliance atlantique. La raison en est simple : nos partenaires européens y ont concentré l’essentiel de leurs moyens militaires et sont déterminés à les y maintenir.

La rénovation de l’Alliance a franchi, lors du Sommet de Madrid, une étape importante vers l’affirmation de l’identité européenne de défense. Désormais, les Européens pourront mener des opérations, je l'ai dit, sous la conduite de l’UEO, en faisant appel aux moyens de l’OTAN. Désormais, ils pourront s’appuyer pour cela sur un dispositif de commandement européen cohérent. C'est un grand progrès qui n'a peut-être pas été suffisamment souligné par les observateurs.

Ces résultats, obtenus pour une large part sous l’impulsion de notre pays, sans qu’il en résulte une modification de son statut dans l’OTAN, représentent la plus grande réforme de l’Alliance depuis sa création.

Mais cette affirmation de l’identité européenne doit encore se traduire par un meilleur partage des responsabilités entre Européens et Américains dans la structure militaire de l’organisation. Comme je l’ai souligné depuis un an, cela signifie notamment que le Commandement Sud doit être, à l’avenir, confié à un Européen.

C’est en fonction des progrès qui seront réalisés dans cette direction, et sans se laisser enfermer dans un calendrier quelconque, que la France déterminera sa relation future avec l’OTAN.

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Assurer la place de la France et celle de l’Europe, défendre nos intérêts, c’est enfin contribuer à l’émergence d’un monde multipolaire harmonieux.

Réponse souhaitable à l’effondrement de l’ordre bipolaire, la marche vers un monde multipolaire est inévitable. Mais elle ne doit pas se traduire par la montée de nouveaux antagonismes.

La France a pris et prendra l’initiative pour qu’aucune nation ne vive l’émergence de ce nouvel équilibre mondial dans la frustration, le repli ou le refus.

C’est ce que j’ai fait en proposant, ici même, devant vous, il y a un an, que l’élargissement de l’Alliance atlantique soit précédé d’un accord avec la Russie et soit décidé lors d’un sommet réunissant l’ensemble des Etats européens.

En effaçant définitivement la ligne de fracture de Yalta, l’Acte fondateur signé le 27 mai à Paris entre l’OTAN et la Russie a ouvert la voie au rassemblement d’une grande famille européenne enfin réconciliée, unie par une communauté de destin et de valeurs. L’élargissement de l’Union européenne, celui de l’Alliance atlantique, la Charte entre l’OTAN et l’Ukraine et la création du Conseil du partenariat euro-atlantique s’inscrivent dans la même perspective.

La France ne ménagera aucun effort pour donner toute son ampleur à ce partenariat avec cette très grande nation qu'est la Russie, qui doit devenir un élément essentiel de la stabilité et de l’équilibre du monde.

La même démarche doit inspirer notre relation avec la Chine. La fin de la guerre froide a mis l’Europe et la Chine face à leurs responsabilités. Cette nouvelle marge de manoeuvre doit les encourager à intensifier leur dialogue dans le domaine de la sécurité, à contribuer ensemble à la construction d’un monde pluriel, stable et pacifique, et à réussir la complète insertion de ce très grand pays dans l’économie mondiale. Ce fut le sens de ma visite d’Etat en Chine récemment.

C’est dans le même esprit que je me rendrai prochainement en Inde et que la France contribuera à la pleine réussite des sommets entre l’Europe et l’Asie orientale, entre l’Europe et l’Amérique latine, les deux nouvelles frontières de notre diplomatie. Lentement, mais sûrement, l’Union européenne s’affirme sur la scène mondiale comme un facteur d’équilibre et de paix.

Contribuer à un monde multipolaire harmonieux, c’est enfin défendre, rénover, renforcer des organisations internationales qui sont le meilleur rempart, celui du droit, face aux tentations de l’unilatéralisme. C’est continuer à promouvoir le désarmement et la lutte contre la prolifération sous toutes ses formes.

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Vivre un changement d’époque, c’est voir s’estomper les références, changer les règles du jeu, surgir de nouveaux acteurs, contester les positions acquises.

Dans ces temps d’incertitude, où le monde cherche à tâtons le chemin d’une globalisation maîtrisée, les voies d’un nouvel équilibre accepté, notre nation n’a pas le droit à l’erreur. Elle occupe sur la scène internationale une position éminente mais fragile : quatri ème économie du monde, de monde où s’affirment de nouvelles puissances, membre permanent d’un Conseil de sécurité qui doit s’élargir, elle veut à la fois assurer son progrès économique et social et maintenir son rang. Elle n’y parviendra que par une gestion avisée et moderne, par un effort permanent de volonté, d’imagination, de réforme et d’adaptation.

Pour préserver ce rang et défendre au mieux ses intérêts, la France doit s’engager. En affirmant une vision claire des objectifs à atteindre, la France entraîne. En proposant des solutions aux problèmes de notre temps, dans la fidélité à ses valeurs de liberté, de paix et de solidarité, la France convainc. Là réside une grande part de votre belle mission.

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, je vous remercie.