CONFERENCE DE PRESSE CONJOINTE

DE MONSIEUR BORIS ELTSINE, PRESIDENT DE LA FEDERATION DE RUSSIE,

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

ET DE MONSIEUR HELMUT KOHL, CHANCELIER DE LA REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE

RENCONTRE TRILATERALE (Russie)

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Moscou - jeudi 26 mars 1998

M. BORIS ELTSINE - La grande troïka européenne a bien commencé ses travaux. En quelque sorte la troïka a eu lieu, elle existe, et cela s'est passé ici en Russie. Je crois que la vie, elle-même, nous a obligés à trouver de nouvelles formes de communication entre les dirigeants des Etats les plus importants d'Europe.

Les dirigeants de Russie, d'Allemagne et de France se sont réunis en tant qu'amis. Bien sûr, nous avons toujours quelque chose à nous dire les uns aux autres, car, en ce moment, nous constatons un processus de globalisation du développement économique. La Russie qui est devenue une économie de marché, participe à cette intégration mondiale. Je pense que, de façon ferme, la Russie trouve un soutien auprès de l'Allemagne et de la France.

Je dois dire qu'au cours des entretiens que nous venons d'avoir nous avons essentiellement évoqué des problèmes pratiques de caractère trilatéral. Nous avons parlé de coopération trilatérale. Nous avons parlé de nos plans futurs, de nos plans de travaux. Nous avons évoqué l'avion de transport du XXIème siècle, sur la base de l'Antonov 70.

Voilà l'objectif que nous nous fixons. C'est une percée importante pour nous, non seulement en matière d'industrie et de nouvelles technologies, mais c'est aussi une percée dans le domaine de la confiance réciproque.

Nous avons décidé d'accélérer nos projets en matière d'autoroute, c'est-à-dire de transport Paris/Londres/Berlin/Varsovie/Moscou. Je dirai, qu'en perspective, nous aboutirons à Ekaterinbourg et nous irons plus loin que l'Oural.

Donc, nous allons développer une coopération en matière de recherche spatiale en particulier. Je pense que, là, nous sommes saisis d'un projet qui nous permettra de lutter contre certains événements naturels, contre certaines catastrophes technologiques.

Nous avons décidé de créer un groupe trilatéral spécial qui sera chargé de la lutte contre ce genre de catastrophe. A savoir que si une catastrophe se passe, immédiatement une équipe composée des trois Etats, enfin de représentants des trois Etats, qui évidemment disposera de moyens techniques puissants, se trouvera sur place et essaiera de résoudre les problèmes liés à cette catastrophe.

D'autre part, nous avons évoqué des problèmes humanitaires. Tous ces aspects ont retenu notre attention. Nous avons, par exemple, décidé de développer aussi notre coopération en matière de sciences humaines. Nous allons former de meilleure façon des cadres aussi bien en France qu'en Allemagne. Nous allons réfléchir à la possibilité de créer une Université russo-germano-française. Nous réfléchissons aussi à la possibilité de faire se rapprocher les peuples. Nous voudrions, à cette fin, d'ici l'an 2000, organiser une grande exposition Paris/Berlin/Moscou.

Nous avons aussi prévu que des historiens se rencontrent, des historiens de nos pays, afin d'élaborer un projet de manuel d'Histoire commun, c'est-à-dire un manuel qui traitera de l’histoire de l'Europe au XXème siècle.

Voilà, nous avons réfléchi à tous ces problèmes. Beaucoup dépendra du contenu concret des relations russo-germano-françaises. De façon générale, la rencontre de la grande troïka européenne est évaluée par moi-même, comme étant un événement très productif et, à mon avis, positif. Parce que je pense que cela aura des prolongements. Cet événement, certainement, aura une résonance historique dans le monde.

Je suis reconnaissant à Jacques CHIRAC, je suis reconnaissant à Helmut KOHL, qui, tout d'abord, ont participé à cette initiative. Ils ont immédiatement accepté que nous réunissions ce groupe trilatéral. Il ne s'agissait pas de rassembler une centaine de personnes, mais nous pensions que cette rencontre à trois permettrait la solution de problèmes tout à fait concrets et pratiques.

Donc, je suis vraiment reconnaissant à mes deux collègues. Je suis heureux qu'ils soient eux-mêmes très satisfaits. J'espère que nous pourrons tous ensemble mettre en oeuvre ces projets globaux ; il s'agit, je dirai même, de projets du siècle ; il s'agit de projets pour l'Europe. Eh bien nous tous, la troïka, il nous faut faire preuve de fermeté, de ténacité, il nous faut aussi, je crois, faire preuve d'inventivité, de sagesse, d'imagination pour essayer de trouver une solution à tous ces problèmes qui, certainement, déborderont sur le XXIème siècle.

Donc, je vais quitter bientôt mes bons amis. Mais je dois dire que je suis de bonne humeur et je sais qu'il s'agit d'amis véritables. Je dois dire qu'en leur présence je respire vraiment très très bien.

Maintenant je vais vous donner la parole, Jacques CHIRAC.

le president -

Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, Mesdames, Messieurs, je voudrais d'abord faire deux remarques, après avoir remercié chaleureusement le Président ELTSINE pour cette initiative, qu'il avait prise à Strasbourg, de nous inviter, initiative à laquelle le Chancelier et moi, nous avions répondu avec plaisir de façon positive.

Ma première remarque, c'est qu'il s'agit de quelque chose dont il ne faut pas sous-estimer l'importance. Historiquement, les relations entre la Russie, l'Allemagne et la France, ont toujours été complexes, pleines d'arrière-pensées, de stratégies contradictoires. C'est la première fois, dans notre histoire contemporaine, que l'Allemagne, la France, la Russie se rencontrent ensemble et à Moscou.

L'année dernière, encore, nous étions venus tous les deux, Helmut KOHL et moi, à Moscou, mais séparément, à trois semaines ou un mois d'intervalle. Cette fois-ci nous sommes ensemble. C'est un événement qui a toute sa symbolique et qui montre bien qu'au moment où l'Union européenne engage un élargissement nécessaire et ambitieux, nous avons tous conscience de l'importance qu'il y a à avoir une véritable relation confiante, amicale et constructive entre l'Union européenne et la Russie qui seront toutes les deux, deux des très grands pôles de développement politique, économique et culturel du monde multipolaire de demain. C'est ma première observation.

La deuxième, c'est que j'ai été un peu surpris, mais je dois dire agréablement surpris, par le déroulement de ces entretiens. D'habitude, quand des Chefs d'Etat et de Gouvernement se réunissent, ils parlent d'abord des grands problèmes stratégiques mondiaux, des crises régionales, et puis on termine par les problèmes bilatéraux.

L'ordre du jour établi par le Président ELTSINE était différent. Il a consisté à parler d'abord des problèmes concrets qui concernent les travailleurs et les citoyens de nos trois pays. Pour dire la vérité, je crois que c'est une première pour une conférence au niveau des Chefs d'Etat et de Gouvernement. Il nous a parlé de la construction en commun de l'avion de transport du futur, de l'Antonov, de la route entre Londres et Moscou par Berlin et Varsovie, et demain jusqu'à Ekaterinbourg, doublée d'une voie ferrée et d'un train à grande vitesse.

Nous avons parlé des problèmes énergétiques, notamment au travers du grand projet qui rassemble en Allemagne, des intérêts allemands, des intérêts français et des intérêts russes qui demandaient à être ajustés, ce qui est fait.

Il nous a parlé de la nécessité, comme il l'a dit, de nous mettre en commun pour réagir avec chacun nos moyens en cas de catastrophe naturelle.

Nous avons longuement parlé de la coopération entre les Universités et aussi de l'homologation des diplômes, pour que les diplômes russes et les diplômes européens puissent plus rapidement et plus facilement présenter des équivalences.

Nous avons décidé de faire un manuel d'Histoire de l'Europe contemporaine commun, c'est très important pour l'éducation des enfants. Il nous a parlé d'un projet culturel pour l'an 2000.

Sur tous ces points, nous nous sommes mis totalement d'accord, sur d'autres aussi. Mais je veux dire, que cela ce sont des choses qui intéressent concrètement nos populations, nos peuples, nos travailleurs.

Ensuite nous avons évoqué les problèmes internationaux, en commençant par la crise du Kosovo et à l'occasion du déjeuner nous terminerons cet échange de vues international.

Voilà pourquoi, je partage tout à fait le sentiment du Président ELTSINE de satisfaction. Et, comme me le rappelle très justement le Chancelier KOHL, nous avons décidé que l'année prochaine la réunion aurait lieu en France -c'est une proposition très gentille du Chancelier KOHL- pour des raisons de calendrier, probablement au mois de mai prochain. C'est une période où on peut utilement faire une réunion de cette nature.

Voilà, après le Chancelier KOHL, nous répondrons volontiers à vos questions.

m. helmut kohl -

Monsieur le Président ELTSINE, cher Boris ; Monsieur le Président CHIRAC, cher Jacques ; Mesdames, Messieurs, c'est effectivement une date tout à fait extraordinaire que la date d'aujourd'hui. Elle se place dans le contexte de la discussion qui est menée actuellement partout en Europe, puisque hier, le lancement de l'euro a été concrétisé.

Nous nous sommes réunis aujourd'hui, avec les Présidents français et russe et le Chancelier allemand, pour montrer très clairement que la voie de l'avenir de l'Union européenne et de l'Europe passera toujours par une relation d'amitié très étroite avec la Russie.

Il y a eu bien des occasions de dire que cette amitié ne s'inscrit contre personne, c'est un acte d'amitié tout simplement. Jacques CHIRAC a raison, c'est la première fois que nous nous rencontrons ensemble et non pas dans des discussions distinctes. C'est un témoignage de notre partenariat et de notre amitié à l'avant-veille d'un nouveau siècle, après un siècle qui a vu tant de morts et tant de guerres. Mais c'est avant tout une réunion qui montre clairement que cette voie vers l'avenir, nous voulons la poursuivre ensemble, pas seulement par des grandes déclarations dans les conférences internationales, mais dans tous les détails qui intéressent directement les citoyens.

Nous avons parlé de l'avion de transport, cela a déjà été dit. Nous avons convenu que les documents techniques, précis, détaillés devraient être maintenant élaborés, de façon à ce que lors de notre prochaine réunion, nous puissions décider. Cela ne concerne pas seulement nos trois pays, mais aussi huit autres pays européens.

Il y a un sujet qui est abordé d'une manière très intensive au sein de l'Union européenne et que nous avons également évoqué, et j'en suis très heureux, c'est la question de l'extension d'un réseau autoroutier de Londres par le tunnel sous la Manche, jusqu'à Paris, Berlin, Varsovie et Moscou. Evidemment, par la suite, on pourra envisager une connexion vers Kiev, par exemple. C'est la transversale européenne. Si l'on réfléchit à l'organisation du réseau routier tel qu'elle était planifiée à la fin du siècle dernier, l'histoire nous rappelle que c'est, au départ, des raisons militaires qui ont poussé à ce développement. Avec ce projet, nous voulons signaler que nous procédons à un exercice de paix, à une oeuvre de paix. Parallèlement à cette liaison autoroutière, il faut qu'il y ait une liaison ferrée à grande vitesse. Je pense que c'est capital. Nous deux, le Président CHIRAC et moi-même avons rappelé qu'au sein de l'Union européenne, nous allons nous engager avec vigueur pour cette initiative à venir. Nous n'allons pas reporter cela, nous allons examiner maintenant les possibilités de planification et de financement pour faire avancer ce projet.

Je dirai, d'une manière générale également, qu'en ce qui concerne l'aide en cas de catastrophe naturelle, dont nous avons parlé, nous avons vécu les conséquences d'une catastrophe naturelle lors des crues de l'Oder. Nous avons compris à quel point il était utile et important de pouvoir mobiliser toutes les forces européennes en la matière.

Pour moi, il est également important ; indépendamment des risques constitutionnels liés à l'organisation des universités qui relèvent de la tutelle des Länder en Allemagne, nous avons évoqué les possibilités de rapprocher nos universités en une plus étroite coopération. Nous allons engager des discussions en trouvant en France, en Allemagne, en Russie, des universités qui souhaitent renforcer, dans un premier temps, cette coopération entre les universités.

Autre objectif très important, la reconnaissance mutuelle des diplômes et certificats. Il s'agit en fait, tout simplement, de revenir à ce que nous faisions en Europe au début du siècle. A l'époque la reconnaissance mutuelle des certificats était une évidence. Vous comprenez évidemment que c'est l'intérêt de tous, que, maintenant, on puisse faire travailler au sein de la Commission historique germano-russe, faire travailler également des historiens français, parce qu'il faut que nous soyons capables de transmettre ensemble les expériences terribles de ce siècle, sans quoi nous aurions échoué.

Je dois dire, par ailleurs, ce que nous avons dit à propos de la raffinerie de Leuna. Nous en avons parlé, vous savez qu'il y a des difficultés, c'est un sujet important. C'est un sujet trilatéral, puisque Leuna représente le plus grand investissement français d'Elf Aquitaine. Je remercie le Président Boris ELTSINE de l'engagement personnel qu'il a bien voulu faire pour que nous puissions parvenir, la nuit dernière, pratiquement aux décisions nécessaires pour que puisse être assuré à l'avenir l'approvisionnement en pétrole de cette raffinerie. Pour nous, à Leuna, et dans cette partie des nouveaux Länder, c'est une question essentielle, parce qu'en dépendent des milliers d'emplois.

Enfin, je voudrais dire que c'est un climat d'amitié qui a marqué cette rencontre. Les rencontres personnelles ne résolvent pas tous les problèmes, mais elles les amoindrissent. Je pense que, de ce fait, nous avons atteint un objectif très important. Nous allons poursuivre à l'heure du déjeuner les débats et les discussions sur les problèmes internationaux.

question -

Boris Nikolaïevitch, Monsieur Chirac, Monsieur Kohl, à la suite de vos propos liminaires, il est clair que la grande troïka européenne existe, et qu'elle a fait oeuvre utile. Y a-t-il certaines perspectives ? Est-ce que cette troïka va devenir un groupe de quatre ou de cinq membres ? Y a-t-il d'autres candidats ? Avez-vous réfléchi à un éventuel élargissement ?

m. boris eltsine -

Je dois vous dire que parmi ceux qui réfléchissaient à la possibilité d'élargir ce débat, certains pensaient qu'à trois nous n'arriverions pas à bien travailler. Ces gens-là se trompaient. Vous savez, entre nous, nous avons examiné certains problèmes, et je puis vous assurer que sur tous ces problèmes nous sommes tombés d'accord. Il n'y a aucune lacune en quelque sorte. Il n'y a que de l'amitié. Il n'y a que la paix. Je crois qu'effectivement cela est utile pour la grande Europe. Je crois que vous avez devant les yeux la grande Europe. Cette grande Europe, bien sûr, ne sera pas une Europe hégémonique, c'est une grande Europe. En fait, la Russie est pratiquement entrée dans cette Europe, dans cette grande Europe. Sans Russie, l'Europe serait un peu moins grande, disons. Or, aujourd'hui, l'Europe est un organisme puissant, très puissant. Je dirai même, que l'Europe avec la Russie, est un organisme encore plus grand. C'est certainement le plus grand du monde, parce qu'il n'y a pas d'ensemble plus important dans le monde. Je crois que tout le monde doit le savoir et doit s’en souvenir.

m. helmut kohl -

La question de savoir si ce groupe de trois pourrait être élargi, elle ne s'est pas franchement posée aujourd'hui. Mais, je dois dire, je le répète, si nous nous retrouvons, ce n'est en opposition à personne. Il ne s'agit pas d'une nouvelle combinaison qui doit rendre les autres inquiets ou envieux. Il ne saurait en être question.

Le Président Jacques CHIRAC et moi-même en tant que Chancelier de la République fédérale d'Allemagne, nous avons évidemment, au plan bilatéral, une responsabilité particulière au sein de la politique de l'Union européenne. La politique de l'Union européenne montre -cela s'est montré notamment au niveau de l'OTAN- que nous voulons tout faire pour ne pas faire naître une situation psychologique qui conduise à laisser croire que dans certaines parties du monde, mais aussi en Russie, notre intérêt serait d'isoler la Russie. C'est bien le contraire qui prévaut. Notre politique vise à ce que nous marchions d'un même pas ensemble. Cela s'exprime par des décisions qui ont été prises, notamment dans le Traité de l'Elysée, et par d'autres décisions. C'est dans ce sens là que nous voulons aller. S'il se trouve que ce groupe de trois voit apparaître une nouvelle âme, cela ne poserait pas de problème. Mais les Allemands, les Français, les Russes ; les Russes, les Allemands, les Français, devaient tirer une leçon particulière de l'histoire de ce siècle. C'est à partir de là que nous voulons en tirer les conséquences nécessaires.

N'oubliez pas que ce que nous avons au sein de l'Union européenne, nous en avons parlé, nous avons parlé du prochain rendez-vous, la prochaine rencontre de mai, l'année prochaine, est due notamment au fait qu'avant cette date l'année prochaine, il y aura beaucoup de décisions très importantes à prendre pour l'Union européenne, notamment toutes les questions de financement liées à l'agenda 2000. C'est pourquoi, il est essentiel qu'à côté de ce que nous avons à faire de notre côté et avec l'Union européenne, nous montrions à tous, que nous avons avec la Russie une coopération amicale et très étroite.

le president -

Au fond, nous avons voulu dire que les jeux diplomatiques pervers qui, historiquement, ont marqué les relations entre la Russie, l'Allemagne et la France, ne sont plus d'actualité.

Deuxièmement nous avons voulu affirmer la place et le rôle de la Russie en Europe et reconnaître cette place et ce rôle.

Et troisièmement, nous avons voulu affirmer une vision commune entre nos trois pays, une vision commune de l'avenir de notre continent européen, après avoir tourné la page de Yalta. Voilà !

question -

Monsieur KIRIENKO n'a pas suffisamment d'expérience pour devenir Premier ministre. Qu'est-ce qui vous a plu en Monsieur KIRIENKO et allez-vous le proposer comme candidat pour devenir Premier ministre de la Fédération de Russie ?

m. boris eltsine

- Avant la guerre de notre pays, il y avait des candidats aux postes ministériels qui avaient vingt-huit ans, trente-deux ans, et ces jeunes gens dirigeaient des ministères qui, aujourd'hui, sont certainement les ministères les plus importants, les plus puissants ; car en fait il s'agissait de cerveaux, il s'agit de spécialistes, d'experts. Ce qui est important, c'est d'être au fait des choses, c'est d'être compétent. Ce n'est pas l'âge qui est en cause, ce n'est pas l'âge qui est décisif. Car sont présentés à ces postes des jeunes de trente ans, des personnes qui ont soixante-dix ans, et d'autres catégories d'âge. Cela ne nous préoccupe pas. Nous estimons que ce qui est le plus important c'est que cette personne ait toutes les compétences, le savoir nécessaire pour être ministre.

Maintenant en ce qui concerne le Premier ministre en tant que tel, eh bien peut-être sera-t-il Premier ministre, eh bien peut-être que non !

question -

Monsieur le Chancelier KOHL, ce matin, et maintenant au cours de la conférence de Presse, le Président ELTSINE a dit "La Russie veut forger une troïka très forte entre la France, l'Allemagne et la Russie". Est-ce qu'aujourd'hui vous y êtes parvenus, est-ce que vous avez progressé sur cette voie, et est-ce qu'un tel axe est nécessaire ?

m. boris eltsine -

Eh bien, je dois dire que tous les trois, ici présents, nous avons pu effectivement, ensemble, des Présidents et des Chefs de Gouvernement, faire en sorte que soient renforcées et la France et la Russie et l'Allemagne. Je crois que la réunion d'aujourd'hui a montré que cette troïka est une réalité. Je pense qu'il nous faut maintenant mettre en oeuvre ces plans. Je crois que non seulement nous devons le faire, mais nous pourrons le faire parce qu'il s'agit d'un projet réel. D'ailleurs, je vous l'ai déjà dit, nous tous, ici présents, et moi-même par exemple, nous avons les meilleures relations. Moi, personnellement, j'ai d'excellentes relations avec Jacques CHIRAC, avec Helmut KOHL, nous avons de bons contacts depuis de longues années. Eh bien, maintenant, ces sentiments sont vraiment des sentiments d'amitié. Or, je dirai que l'amitié, c'est beaucoup plus que tout simplement travailler au coude à coude.

Voilà pourquoi, je crois que sur la base de ces relations personnelles, de cette amitié personnelle, en autre, nous pourrons développer les relations entre nos pays respectifs.

M. HELMUT KOHL -

Oui, c'est une question très allemande que vous nous avez posée. Je vais donc vous donner une réponse très allemande. Parce que la question comprend une arrière-pensée. Et c'est une arrière-pensée qui n'a pas lieu d'être évidemment.

La République fédérale d'Allemagne fait partie de la Communauté européenne, fait partie de l'OTAN et entretient des relations amicales, Dieu soit loué, avec tous nos voisins aujourd'hui. Mais notre voisin le plus important, de notre point de vue, à l'Est, c'est la Russie et les relations germano-russes sont des relations anciennes, des relations, pendant longtemps économiques, des relations scientifiques, culturelles, des relations humaines. Il est important de rappeler, régulièrement, que dans notre histoire commune, les périodes d'amitié et de paix ont été plus importantes et bien plus longues que les périodes de guerre et de relations guerrières.

On peut dire pratiquement la même chose de nos amis Français. Pour moi, une des expériences les plus heureuses -vous savez que je suis issu d'une région frontalière de la France et de l'Allemagne- c'est d'avoir transformé cette animosité héréditaire en une amitié personnelle.

Et je suis heureux, aujourd'hui, qu'après tout ce qui s'est passé non seulement au cours du siècle dernier mais au cours des quarante, cinquante dernières années, la République fédérale va bientôt fêter ses cinquante ans, que nous puissions, après cela, être assis ensemble aujourd'hui à cette même table. Alors qu'est-ce nous aurions répondu si, il y a dix ans, quelqu'un avait dit qu'à Bonn, à Paris ou à Berlin une telle réunion se tiendrait aujourd'hui ? On serait passé pour fou. Je crois qu'il s'agit donc d'une chance que nous donne l'avenir. Et je m'en réjouis personnellement énormément. Je me réjouis qu'il soit possible entre nous trois, d'avoir, outre nos relations officielles liées à nos fonctions, aussi des relations amicales, que nous puissions parler sur un ton et sur une manière qui aurait été tout à fait impensable autrefois. C'est un présent qui nous est fait et je m'en réjouis.

Donc, je le répète, c'est une très bonne chose. Nous sommes très heureux que nous puissions avoir ces projets en commun. Parce que pour la première fois, nous entreprenons quelque chose sans que personne n’ait à craindre que ce soit orienté contre lui.

le president -

Moi je fais tout à fait mienne la réponse très allemande du Chancelier.

question -

Je voudrais poser une question à Monsieur Jacques CHIRAC et à Monsieur le Chancelier. Il s'agit de la situation en Lettonie. Vous savez qu'il y a un problème en ce qui concerne les minorités russophones. L'Occident se tait, l'Occident est silencieux. Monsieur KOHL, il y a quelque temps, a été présent lors d'une réunion d'Etats de la région de la Baltique. Eh bien, vous savez, que d'autre part, il y a eu une manifestation nazie. Des "SS" ont défilé dans les rues. Alors voilà ma question : comment expliquer que la France et l'Allemagne se taisent au moment où se posent les problèmes des Droits de l'Homme ? Nous avons l'impression que l'on est silencieux au moment où l'on ne respecte pas ces Droits de l'Homme.

m. helmut kohl -

Je ne sais pas comment vous arrivez à dire que la France et l'Allemagne sont indifférentes aux questions des Droits de l'Homme. Je trouve que c'est un peu absurde comme idée. Evidemment nous nous intéressons à tout ce qui se passe en ce qui concerne les Droits de l'Homme dans le monde entier et aussi à Riga et je dois vous dire que je me suis senti chez moi à Riga comme je me sens, aujourd'hui, chez moi, ici. Partout où les gens se rencontrent et où ils sont prêts à tirer les leçons de l'histoire, et où ils sont prêts à entreprendre des choses ensemble, je me sens chez moi. Et je dois dire que toutes les apparitions de groupes extrémistes, qu'elles se tiennent n'importe où dans le monde, qui foulent aux pieds les Droits de l'Homme, je les déplore et je les rejette clairement. Ma position est très claire là-dessus. Au sujet de la discussion actuelle sur l'adhésion des pays baltes à l'Union européenne, je vous rappelle que pour cette adhésion des pays baltes, il y a une condition pour chacun des Etats baltes, et cette condition c'est que les critères de Copenhague soient acceptés. Et ces critères de Copenhague, qui ont quelques années, qui ont quatre ans, prévoient qu'aucun Etat ne peut devenir membre de l'Union européenne tant qu'il a encore des problèmes frontaliers non résolus avec ses voisins. Aucun Etat ne peut rejoindre l'Union européenne tant qu'il ne respecte pas les droits des minorités, les Droits de l'homme. Je pourrais poursuivre la liste de ces décisions et à partir de ce catalogue de base, si vous l'étudiez, vous verrez que notre position est tout à fait claire en la matière.

le president -

Je suis tout à fait d'accord avec le Chancelier.

question -

Au Chancelier KOHL, vous êtes assis à côté du Président français et du Président russe sur un même axe, est-ce que vous n'êtes pas assis entre deux chaises avec l'Alliance transatlantique, est-ce que les Britanniques, les Polonais, les Américains ne sont pas ennuyés par ces rencontres ?

m. helmut kohl -

Nous venons d'évoquer ce matin l'axe routier transversal en Europe et cela montre bien ce que nous voulons soutenir : une autoroute, un train à grande vitesse. Ces voies de communication montrent bien que d'emblée la Pologne est intégrée. Alors on peut dire, ici, à Moscou, que votre question est un peu dépassée, un peu obsolète, parce que telle n'est pas notre politique. Personne, chez nous, n'envisage d'exclure les Polonais. La Pologne fait partie du processus d'intégration à l'OTAN et à l'Union européenne. Nous avons été, Jacques CHIRAC et moi-même, des précurseurs de cette évolution. Donc on ne pourrait pas du tout imaginer d'avoir de telles pensées. Et ce sont, aujourd'hui, trois Chefs d'Etat et de Gouvernement européens qui se rencontrent. Nous n'avons pas besoin de demander l'autorisation à quiconque dans le monde pour savoir si nous avons le droit ou non de nous réunir. Nous représentons des Etats souverains et nous formons une partie de l'ensemble. Nous l'avons montré et prouvé à moult reprises, y compris dans les situations graves et délicates. Evidemment lorsque Bill CLINTON et Tony BLAIR se rencontrent, je ne vois pas de raison de critiquer cette rencontre. Ils ont une amitié étroite, et la langue aussi les incite à avoir des relations particulières. Cela n'est dirigé contre personne. Il faut arrêter de regarder avec défiance toutes les étapes entreprises. Le Président français va bientôt se rendre au Japon, il y a des évolutions particulières aussi entre la Russie et la République populaire de Chine. Jacques CHIRAC a investi beaucoup de temps, d'énergie et de travail dans ce sens. Mais tout cela va de soi. Je pourrais vous poser la question inverse : ne serait-il pas terrible que nous ne parlions pas les uns avec les autres ? Moi je suis heureux que nous puissions parler ensemble. Alors, évidemment, il y a des différences. Nous avons des différences lorsqu'il s'agit des rapports entre les Européens ou avec les Américains. Mais tout ce qui va dans le bon sens, nous ne pouvons que le saluer.

le president -

Je suis, une fois de plus, tout à fait d'accord avec le Chancelier. Mais je voudrais ajouter quelque chose. C'est que c’est l'Europe et la paix en Europe qui est bien notre objectif, c'est cela que nous allons léguer à nos enfants et à nos petits-enfants. L'Europe et la paix en Europe dépendent pour une très grande part de la reconnaissance de l'importance de la Russie en Europe. Et dans ce contexte, il va de soi que la relation politique entre nos trois pays est un élément, pas unique, et nous n'excluons personne bien entendu, mais en tous les cas un élément moteur et qui peut être un élément déterminant. Si nous sommes bien d'accord sur une vision commune de l'Europe de demain, alors tout naturellement il y aura là un élément de stabilité et de paix, et c'est bien cela notre objectif fondamental : la paix, la démocratie, les Droits de l'Homme. Voilà pourquoi il est légitime et naturel que nous ayons ces conversations. En réalité parce que nous avons une importance historique et des relations historiques particulières, mais cela ne veut pas dire que nous excluons qui que ce soit. D'ailleurs, nous rendrons compte, le Chancelier et moi-même, à nos partenaires de l'Union européenne de l'ensemble de nos discussions et tout le monde trouve cela normal.

m. boris eltsine -

Chers Amis, tout d'abord je voudrais remercier Helmut KOHL et Jacques CHIRAC pour avoir préparé personnellement cette rencontre, je crois qu'il s'agit d'un événement historique. Je voudrais remercier tous ceux qui les ont aidés dans cette tâche préparatoire.

Je voudrais dire qu'il s'agit d'une mission importante et il y a beaucoup de jeunes dans cette salle. Et vous vous souviendrez qu'il s'agit d'une mission de paix, qu'il s'agit d'une mission qui, bien sûr, à beaucoup de nuances multi ou pluripolaires car, c'est en effet d'ici que partira le monde pluripolaire, et il n'y aura pas seulement un seul point et il n'y aura pas un seul Etat. Il y aura effectivement tout un ensemble d'Etats, tout un ensemble de dirigeants qui, justement, seront à l'origine de ce monde multipolaire, et c'est d'ici que partira vers le monde cette conception et j'en suis convaincu.

La discrimination ne peut avoir lieu à l'égard de quelque Etat que ce soit, aucune pression ne doit exister quel que soit l’Etat en question. Donc, je voudrais vous dire qu'aujourd'hui, effectivement, pour nous, cette journée est une journée de joie. Vous savez, c'est une journée qui nous inspire et nous avons le sentiment que nous suivons la bonne route parce qu'en fait nous suivons la route qui a été balisée par mes amis. Donc, je crois, évidemment, que la tâche en est allégée. Donc, je voudrais le dire à tous pour que cela reste dans nos mémoires, peut-être qu'il s'agit d'une chose qui n'est peut-être pas très importante, qui n'est pas énorme, mais je voudrais offrir un souvenir à mes amis, voilà ! C'est quelque chose qui est assez lourd, c'est un objet lourd. Eh bien vous voyez ces trois petites coupelles des kovchs russes, des récipients. En haut de cet objet vous voyez donc ces trois kovchs, ces trois coupelles se regroupent vers le centre de cet objet. Alors voilà. Vous voyez, cela c'est la clé qui se trouve au centre de cet objet. Eh bien avec cette clé j'ai dévissé cet objet. Je vais offrir ces kovchs qui sont des objets très russes, eh bien ces kovchs sont l'oeuvre d'Orfèvres de l'Oural. C'est en or et en argent et en divers métaux, il y a du jaspe et des pierres de l'Oural.

Eh bien voilà ce n'est qu'un petit récipient que je t'offre, Jacques Chirac ; et toi, Helmut, voilà, je t'offre le petit calice, moi je me garde bien sûr un des trois petits récipients. Vous voyez, il y a un petit plateau, eh bien essayez sur ce petit plateau d'installer un seul petit kovch. On ne peut pas en fait le mettre en forme parce qu'il n'y a pas la clé qui est nécessaire pour réunir ces trois petits récipients. Donc, lorsque la troïka se réunira à nouveau nous pourrons installer ce petit plateau, nous pourrons remettre les trois récipients et je pourrai, de nouveau, verrouiller cette oeuvre grâce à la clé. Et nous continuerons à oeuvrer pour le bien. Voilà ! Mais ainsi chacun des Chefs d'Etat et de Gouvernement a reçu un cadeau, non seulement le petit récipient mais une clé.

Voilà je vous offre ce petit récipient. Il y a un petit globe sur la clé.

le president -

Je voudrais noter que le Président Boris Nikolaïevitch ELTSINE nous a offert le kovch mais il a gardé la clé, la clé reste à Moscou. Je ne voudrais pas qu'on imagine qu'il y a là un témoignage de l'hégémonisme russe.

m. helmut kohl -

Il ne faut pas retomber dans l'impérialisme russe. Tu es un homme de réformes, un homme de l'avenir. Donc, la clé, elle nous appartient à tous les trois.

m. boris eltsine

- Donc nous remercions nos invités.