L'exposé des motifs.
Palais de l'Elysée - mercredi 25 juin 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
Ministère de la justice
NOR : JUSX0300069L/R1
PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
relatif à la Charte de l’environnement
- EXPOSE DES MOTIFS -
L’homme a acquis au XX° siècle un pouvoir sur la nature qu’il n’avait encore jamais exercé et qui remet en cause la relation traditionnelle entre l’humanité et son milieu naturel. Des progrès technologiques exceptionnels alliés à une croissance démographique sans précédent ont fait naître des risques d’exploitation excessive des ressources et de destructions irréversibles du patrimoine naturel. Les conséquences sur le bien-être et la santé des générations présentes et futures peuvent en être très graves.
Le Président de la République a souvent souligné l’immense responsabilité qui en découle pour l’humanité. Nous sommes sans doute une des dernières générations qui peut éviter des dommages irréparables.
Il est urgent de réagir. L’environnement est le patrimoine commun des êtres humains. Il est du devoir de chacun de le préserver et de le mettre en valeur. Pour que cette responsabilité soit clairement reconnue, sa portée précisée et sa valeur consacrée, le Président de la République a voulu inscrire une écologie humaniste au coeur de notre pacte républicain, par l’adoption d’une Charte de l’environnement adossée à la Constitution.
Cette démarche répond à une attente largement exprimée lors de la consultation nationale menée par le Gouvernement pour préparer cette Charte et à l’occasion des travaux de la Commission présidée par le Professeur Yves Coppens.
La Charte de l’environnement consacre un engagement solennel proclamé par le peuple français dans la continuité des droits civils et politiques de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et des principes économiques et sociaux du Préambule de la Constitution de 1946. Elle marque ainsi une troisième et nouvelle étape du pacte républicain. Elle édicte une norme qui s’impose à tous, pouvoirs publics, juridictions et sujets de droit. Ainsi sera comblée une lacune de notre droit de l’environnement, préjudiciable à son effectivité.
Les exigences de la préservation et de la valorisation de l’environnement requièrent en effet des prescriptions qui doivent être combinées avec des droits et principes de valeur constitutionnelle, souvent consacrés par référence explicite à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ou au Préambule de la Constitution de 1946. Face à des droits bénéficiant d’une protection de cette nature, il n’existe pas de véritables principes constitutionnels du droit de l’environnement. Celui-ci doit donc recevoir les bases juridiques nécessaires pour satisfaire aux objectifs qui lui sont assignés. Ce constat se nourrit d’ailleurs de la lecture des Constitutions de nos voisins européens, qui, pour onze d’entre elles, font référence au droit de l’environnement.
Composante du bloc de constitutionnalité, la Charte, tant par ses considérants que par ses articles, sera pour le législateur une nouvelle référence. Le respect de la Charte sera garanti par le Conseil constitutionnel et par les juridictions des deux ordres, administratif et judiciaire. La Charte concernera l’ensemble des sujets de droits, personnes morales comme physiques, privées comme publiques. Elle pourra contribuer à l’interprétation, par les juridictions, des engagements internationaux en matière d’environnement auxquels la France est partie.
La Charte de l’environnement donnera un nouvel élan à la protection et à la mise en valeur de l’environnement et fera de la France une Nation exemplaire par son ambition en faveur de l’écologie et du développement durable.
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L’article 1er du projet de loi constitutionnelle a pour objet d’inscrire dans le Préambule de la Constitution une référence à la Charte afin de lui donner une solennité particulière. La mention de la Charte au premier alinéa du Préambule de la Constitution, venant après celles de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et du Préambule de 1946, marque, pour l’environnement, la proclamation de " principes particulièrement nécessaires à notre temps " au début du XXI° siècle. La rédaction de cette insertion signifie clairement que l’objet de la Charte est tout à la fois la reconnaissance de droits mais également la proclamation de devoirs.
L’adoption de cet article 1er constituera la première révision du Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, resté jusqu’alors dans sa rédaction d’origine. Ce choix traduit bien le fait que les principes fondamentaux du droit de l’environnement doivent être portés au niveau de nos grands principes constitutionnels. Toutefois, et bien évidemment, le fait de compléter la première phrase du Préambule de la Constitution n’affecte en rien le caractère immuable et irrévocable des textes de 1789 et 1946.
L’article 2 du projet de loi édicte la Charte de l’environnement.
Sur le modèle de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, les articles de la Charte sont précédés d’un exposé des motifs. Celui-ci comporte sept considérants.
Les premier et deuxième considérants de la Charte énoncent la prise de conscience, notamment grâce aux découvertes scientifiques, des relations réciproques qui existent entre l’humanité et son environnement naturel. Ils expriment le lien indissoluble entre les milieux naturels et l’émergence, l’existence et l’avenir de l’humanité.
Le troisième considérant témoigne de la dimension universelle de la protection de l’environnement. L’environnement est le patrimoine commun des êtres humains. Les phénomènes désormais perceptibles de rupture des équilibres écologiques à l’échelle de la planète, la moindre capacité de renouvellement des écosystèmes et les atteintes portées à la diversité biologique ne connaissent pas de frontière et posent la question de l’avenir de l’humanité.
Le quatrième considérant exprime le constat que l’homme exerce effectivement une influence croissante sur les conditions de la vie et, par voie de conséquence, sur sa propre évolution. Ce constat fonde la nouvelle responsabilité que consacre la Charte.
Le cinquième considérant marque le constat de l’effet néfaste de certains modes de production et de consommation sur l’environnement, sur l’épanouissement de l’homme et sur le développement qualitatif des sociétés humaines. Il met en évidence le fait que les ressources naturelles sont quelquefois utilisées au-delà de leur capacité de régénération ou s’épuisent définitivement à un rythme excessif. La qualité de vie de l’homme dépend également d’apports directement liés à la nature, y compris la diversité biologique des espèces animales et végétales.
Le sixième considérant place la préservation de l’environnement au même rang que les autres intérêts fondamentaux de la Nation tels que, notamment, son indépendance, sa sécurité, les moyens de sa défense et de sa diplomatie, la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, les éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et son patrimoine culturel. Ce considérant exprime également l’idée, connue des sources internationales du droit de l’environnement, selon laquelle une conciliation peut devoir être opérée entre la préservation de l’environnement et les autres intérêts fondamentaux de la Nation.
Le développement durable comme choix de société trouve sa consécration constitutionnelle au huitième considérant. Il s’agit de reconnaître la solidarité entre les générations et entre les peuples en assignant aux choix qui déterminent les conditions de notre vie en société l’objectif de ne pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins. La Charte permettra ainsi de rechercher un nouvel équilibre entre développement économique, progrès social et protection de l’environnement.
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L’article 1er de la Charte instaure un nouveau droit, celui de vivre dans un environnement qui répond à certains critères qualitatifs. La notion d’" environnement équilibré " recouvre le maintien de la biodiversité et de l’équilibre des espaces et des milieux naturels, le bon fonctionnement des écosystèmes et un faible niveau de pollution. L’expression " favorable à sa santé " montre que la préservation, la gestion et la remise en état des ressources naturelles sont aujourd’hui l’une des conditions d’exercice du droit à la protection de la santé.
L’article 2 énonce le devoir de toute personne de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. L’énoncé d’un devoir, qui pèse sur l’ensemble des sujets de droit, est un élément essentiel de la reconnaissance de leur responsabilité à l’égard de l’environnement.
Le devoir énoncé à l’article 2 concerne tant la préservation que l’amélioration de l’environnement. Bien évidemment, le fait d’y " prendre part " signifie que si chacun doit y contribuer, cette participation ne saurait être équivalente pour tous et dépend notamment des activités en cause.
L’article 3 énonce le devoir de toute personne, physique ou morale, publique ou privée, de prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement. Dans les conditions définies par la loi, l’action de prévention, primordiale pour la sauvegarde de l’environnement, vise à empêcher la survenance de l’atteinte, et, si cela n’est pas possible, à réduire ses effets dommageables. L’expression " dans les conditions définies par la loi ", qui figure également à l’article 4, montre la volonté du Constituant de doter le législateur d’un véritable pouvoir d’appréciation pour la mise en oeuvre de ces articles.
L’article 4 s’inscrit dans la suite logique de l’article 3. Lorsque la prévention exigée de la part de toute personne a échoué ou a atteint ses limites, la réparation incombe au premier chef à l’auteur du dommage. Se trouve ainsi reconnue une responsabilité en matière d’environnement plus exigeante que celle fondée sur le principe " pollueur-payeur ", dont la formulation ambiguë peut laisser croire à la reconnaissance d’un droit à polluer. Sur le fondement de cet article, la personne, physique ou morale, publique ou privée, qui a porté atteinte à l’environnement, doit contribuer à la réparation de cette atteinte, y compris lorsque les mécanismes de la responsabilité civile ne trouvent pas à s’appliquer. Comme il a été exposé à propos de l’article précédent, il appartiendra au législateur de définir les conditions de mise en oeuvre de cette responsabilité ainsi que les modalités de la réparation et de faire jouer, le cas échéant, la nécessaire solidarité nationale.
L’article 5 énonce et définit le principe de précaution en matière environnementale et précise ses conditions de mise en oeuvre. Ce principe s’applique uniquement à un dommage dont la réalisation est incertaine en l’état des connaissances scientifiques et doit être distingué de l’action de prévention qui vise à faire face à un risque certain de dommage. Une condition supplémentaire est nécessaire : le dommage éventuel doit être grave et irréversible. Lorsque ces conditions sont réunies, il appartient aux autorités publiques de veiller à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées, prises soit par ces autorités, soit par d’autres acteurs, dans l’objectif d’éviter la réalisation du dommage. Les autorités publiques doivent veiller, concomitamment, à la mise en oeuvre de procédures d’évaluation des risques encourus. Là encore, toutes les personnes concernées, publiques ou privées, physiques ou morales, pourront contribuer à ces procédures.
Cette formulation a été retenue afin d’éviter, compte tenu de l’expérience acquise dans ce domaine, qu’un usage abusif du principe de précaution ne paralyse toute initiative, en particulier les activités économiques et la recherche scientifique. Il convient également que le développement de travaux de recherche destinés à lever l’incertitude ait lieu de façon transparente, afin que celle-ci ne soit pas inutilement prolongée.
L’article 6 exprime l’exigence d’intégration du développement durable dans l’ensemble des politiques publiques. Dans cette perspective, la protection et la mise en valeur de l’environnement s’accompagnent de leur nécessaire conciliation avec le développement économique et social. Il ne s’agit pas de freiner le développement mais de l’inscrire dans la durée.
L’article 7 consacre un droit constitutionnel d’accès aux informations relatives à l’environnement détenues par les personnes publiques et de participation à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, répondant ainsi aux attentes légitimes exprimées par les citoyens. Il appartiendra au législateur de définir les conditions de mise en oeuvre de ces droits. Il pourra en fixer les limites pour protéger certains secrets légitimes. Cette disposition ne fait évidemment pas obstacle à ce que le législateur étende le droit d’accès aux informations détenues par certaines personnes privées, notamment afin de tirer les conséquences de conventions internationales.
L’article 8 consacre le lien entre l’éducation et la formation à l’environnement et la faculté d’assumer les devoirs et de bénéficier des droits contenus dans la Charte. En effet, les conditions de vie contemporaines, la disposition aisée de ressources énergétiques et les progrès des biotechnologies peuvent induire l’homme en erreur en lui donnant l’impression qu’il s’est affranchi de sa dépendance à l’égard de la nature. De la prise de conscience née de catastrophes naturelles ou de pollutions majeures doit résulter une réelle ambition pour une nouvelle éthique de l’écologie, individuelle et collective. Il convient, dans cet esprit, de reconnaître l’importance de l’éducation et de la formation à l’environnement.
L’article 9 complète l’article précédent en soulignant que la recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation de l’environnement et à sa mise en valeur. Est ainsi reconnu le rôle positif de la recherche et de l’innovation. Dans cette perspective, le rôle de la science est abordé dans deux de ses dimensions : celle de nous éclairer sur l’état de la planète et celle de définir les moyens d’agir dans le but d’un développement économique et social qui intègre les objectifs assignés par la Charte.
Enfin, l’article 10 indique que la Charte de l’environnement inspire l’action européenne et internationale de la France. Les rapports entre la Constitution et les engagements internationaux de la France sont intégralement régis par son Titre VI. L’idée exprimée au dernier article de la Charte est d’un autre ordre. En adoptant ce texte, la France s’impose à elle-même une exigence de responsabilité et d’éthique et se dote ainsi d’un levier politique pour promouvoir, en Europe et dans le monde, une écologie humaniste, dans une logique d’intérêt commun à tous les peuples et de solidarité avec les générations futures.