Allocution de M. Jacques CHIRAC Président de la République en réponse aux voeux des armées


Palais de l'Élysée, Paris le jeudi 8 janvier 2004.


Monsieur le Premier ministre, Madame la Ministre de la défense, Monsieur le Ministre chargé des Anciens combattants, Mon Général, Messieurs les Chefs d'état-major, Mesdames, Messieurs,

Merci, Mon Général, pour les voeux chaleureux que vous venez de m'adresser au nom de nos Armées.

J'y suis très sensible, car je sais qu'à travers vous, ils viennent de femmes et d'hommes qui ont choisi avec générosité de servir notre pays de manière exemplaire et désintéressée.

Le sens exigeant du service des armes conduit hélas parfois certains d'entre vous au sacrifice de leur vie, en opérations ou à l'entraînement.

Ce fut encore le cas en 2003, hors de nos frontières, en Côte d'Ivoire, où nous avons déploré la mort de deux soldats. Sur le sol français, sept gendarmes ont disparu dans l'accomplissement de leur devoir.

Ce fut également le cas dans le cadre de l'entraînement, et l'accident aérien du 17 décembre dernier, qui a coûté la vie à sept d'entre vous, vient de rappeler durement que la préparation de nos armées en vue de l'action comporte des risques que vous assumez quotidiennement.

Au nom de nos compatriotes, je salue leur mémoire avec un profond sentiment de respect et de reconnaissance et j'assure au nom de la Nation, leur famille de la sympathie de tous les Français.


En 2003, vous l'avez évoqué, Mon général, l'activité opérationnelle de nos armées aura encore été très soutenue. Elle aura permis à notre pays de marquer son rang et de jouer un rôle conforme à son Histoire, à ses valeurs et à ses intérêts.

Dans les Balkans, nous observons des signes encourageants de retour progressif à la paix et à la stabilité. Et ceci doit beaucoup au savoir-faire des unités, notamment des unités françaises, qui se sont succédées dans cette région meurtrie depuis plus de dix ans. Ces résultats positifs permettent d'envisager la réduction de la présence militaire dans les trois pays concernés. C'est déjà chose faite en Macédoine depuis le 15 décembre dernier, avec la fin de l'opération Concordia. Ce devrait être aussi le cas en Bosnie et au Kossovo en 2004, avec la diminution probable des contingents de la SFOR et de la KFOR.

En Afghanistan, notre contingent, dans un environnement très difficile, agit au sein du dispositif international avec une efficacité remarquée, pour lutter contre le terrorisme et aider au retour de la pleine souveraineté afghane. Et je voudrais avoir une mention particulière pour nos forces spéciales qui s'illustrent quotidiennement dans le sud-est de ce pays et qui forcent le respect de tous nos partenaires.

En Afrique, nos Armées ont contribué, activement et concrètement, à mettre en lumière les relations particulières de partenariat, de solidarité, d'amitié et de respect mutuel, que nous entretenons avec ce continent.

Je sais toute la part prise par le contingent français dans le difficile processus de réconciliation en Côte d'Ivoire. Et je veux rendre un hommage sincère à ces femmes et à ces hommes qui, là-bas, contribuent jour après jour, dans un environnement compliqué, à l'enracinement d'une paix encore fragile.

Je veux également souligner la qualité de l'action qui a été menée à Bunia, en République Démocratique du Congo. L'opération ARTEMIS, première intervention militaire conduite de manière autonome par l'Union européenne, hors d'Europe, aura été, dans sa conception et dans sa conduite, une réussite totale. A cette occasion, nos Armées, à tous les échelons, ont démontré un professionnalisme exemplaire qui a été salué par l'ensemble de nos partenaires internationaux.

Je ne saurais enfin oublier le rôle qu'exercent tous nos autres détachements militaires, engagés aujourd'hui dans 26 opérations à travers le monde, que ce soit à titre national, sous la bannière de l'ONU ou celle de l'Alliance atlantique, organisation pour laquelle la France est l'un des contributeurs majeurs, on ne le relève pas assez souvent. Au total, ce sont plus de dix mille soldats français qui oeuvrent chaque jour, hors du pays, pour que la paix progresse.


Je connais votre intérêt pour les opérations extérieures. Il est d'ailleurs l'un des signes concrets de votre dynamisme. Il ne doit cependant pas vous conduire à minimiser l'importance des missions que vous remplissez sur le territoire national, en métropole ou dans nos départements et territoires d'outremer, que ce soit pour répondre à des situations de crise ou accomplir des actions de service public.

Nos compatriotes savent et apprécient à leur juste valeur la disponibilité, la compétence, le courage de nos militaires, engagés cette année à un rythme plus soutenu sans doute, dans ces opérations frappées du sceau de l'urgence.

Que ce soit pour lutter contre les effets dramatiques de la pollution déclenchée par le Prestige, des feux de forêts, des inondations dans le sud du pays, que ce soit pour faire face aux conséquences du cyclone Erica en Nouvelle Calédonie ou de la récente catastrophe aérienne de Charm El Cheikh, les armées ont su porter secours immédiatement et efficacement à nos concitoyens éprouvés. Dans le même temps, le dispositif VIGIPIRATE était, comme c'est toujours le cas, maintenu. Ce déploiement, devenu familier aujourd'hui dans notre paysage quotidien, n'en reste pas moins très contraignant pour nos forces et j'en suis conscient.

Il est normal que les Armées participent, à leur façon, à l'effort collectif qui s'impose quand la nation doit faire face à une catastrophe naturelle ou à une situation délicate. Disponibles, efficaces, dotées de moyens spécifiques, elles apportent, dans ces circonstances exceptionnelles, une contribution indispensable.

Pour autant, ce type d'engagement doit être maîtrisé dans son ampleur et sa durée, car ces missions ne sont pas sans conséquences sur l'entraînement et la préparation des forces pour les actions de projection qui sont au coeur de votre métier. Celles-ci sont nombreuses dans ce monde agité qui est le nôtre et le format de nos armées professionnelles a été taillé au plus juste.

C'est pourquoi il faut veiller en permanence à ce que les priorités soient bien pesées. Sachez que j'y suis très attentif.

Vous devez également vous investir dans des missions de service public, permanentes, souvent méconnues, mais tout aussi nécessaires à la Nation. La spécificité de certains de vos équipements crée d'évidentes responsabilités dans des domaines où les Français attendent légitimement l'action de l'Etat. C'est notamment le cas pour la Marine nationale à laquelle j'ai demandé de redéployer ses moyens pour participer plus encore à la surveillance des pêches, à la lutte contre le narco-trafic, au sauvetage et à l'assistance en mer.

Je sais que vous comprenez bien cette nécessité.


L'année 2003 a aussi été marquée par un certain nombre d'avancées importantes qui auront un impact très fort sur notre appareil de défense.

Je reviens sur deux d'entre elles : la poursuite de l'effort de défense et la défense européenne.

Comme je m'y étais engagé, j'ai veillé à ce qu'en matière budgétaire, la loi de programmation militaire soit respectée dans les cadres des décisions prises en Conseil de défense. Cela veut dire que l'effort de redressement de notre défense se poursuit de manière constante et vigoureuse.

La politique de défense de la France est à la fois la garantie à long terme de sa sécurité et aussi un instrument essentiel de son influence dans le monde. Fondée sur des principes solides qui sont ceux de la Ve République - indépendance de décision, autonomie d'action, solidarité européenne croissante et respect de nos alliances - elle est actualisée en permanence. Loin de se figer sur des analyses immuables, elle prend en compte l'évolution du monde et la réévaluation des menaces qui pèsent sur notre sécurité.

Profondément renouvelée par la professionnalisation et les réformes engagées en 1996, elle a su s'adapter en fonction des enseignements tirés des crises où nos armées ont été engagées et de la compréhension des grands événements qui ont bouleversé le paysage stratégique, en particulier depuis l'année 2001. Les rapports présentés au Parlement, à l'occasion des lois de programmation militaire, sont l'expression publique de cette réflexion et constituent la référence commune de nos armées. Ils définissent leurs missions, leurs objectifs, les grandes fonctions qu'elles doivent assumer et les moyens qui leur sont alloués.

En Europe, la France a montré la voie. Le redressement de nos crédits militaires, indispensable dans le contexte d'insécurité où nous sommes entrés, doit nous permettre de combler les insuffisances apparues du fait d'une baisse excessive des ressources disponibles. De même, il garantira la mise en place des capacités opérationnelles adaptées à des objectifs redéfinis au vu des transformations de notre environnement. Ainsi pourrons nous effectivement assumer nos responsabilités sur une scène internationale où notre pays est à la fois attendu et respecté.

Nous verrons cette année les effets concrets des efforts consentis par le pays pour sa défense. La situation du maintien en condition opérationnelle de vos équipements devrait s'améliorer. S'agissant des équipements, nos capacités d'observation et de communication seront sensiblement améliorées avec la mise en orbite des satellites Hélios II et Syracuse III. Nous poursuivrons la modernisation de notre dissuasion avec l'entrée en service du troisième sous-marin nucléaire de nouvelle génération, le Vigilant. Nos capacités de frappe dans la profondeur seront singulièrement renforcées avec la livraison des missiles de croisière SCALP/EG. De même, les premiers hélicoptères Tigre et le premier avion à très long rayon d'action seront livrés et l'équipement en chars Leclerc et en avions Rafale sera poursuivi. Parallèlement, toutes les commandes prévues par la loi pourront être passées.


Cette démarche de modernisation de notre outil de défense s'intègre toujours davantage dans le cadre de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique.

2003 restera, dans l'histoire de la construction européenne, comme une année importante pour la consolidation de la politique européenne de sécurité et de défense lancée à Cologne en 1999. Nous avons pris en effet les décisions qui doivent permettre à l'Europe d'assumer ses responsabilités sur la scène internationale.

Pour la première fois, nous avons adopté ensemble, en Conseil européen, un document sur la stratégie européenne de sécurité qui permet de définir une vision commune et ce n'était pas si facile.

Nous avons aussi décidé, sur la base d'une proposition britannique, française et allemande, d'améliorer nos capacités de planification et de conduite d'opérations autonomes, de manière pleinement compatible avec l'OTAN.

Une Agence dans les domaines du développement des capacités, de la recherche, de l'acquisition et de l'armement sera créée en 2004. Elle devrait aider, notamment, à une meilleure convergence des efforts de chaque pays en favorisant l'harmonisation des capacités militaires et en accélérant le rapprochement des politiques d'armement de nos pays.

Enfin, le projet de traité constitutionnel prévoit un mécanisme décisionnel approprié pour les partenaires qui souhaitent aller plus vite et plus loin dans le domaine de la défense.

Ainsi, ces décisions permettront à l'Europe de la défense d'avoir plus de personnalité et d'être davantage crédible. Des situations se présenteront où l'OTAN ne voudra pas ou ne pourra pas intervenir. L'Union européenne doit s'y préparer. C'est la raison pour laquelle nous poursuivons inlassablement la construction de la politique européenne de sécurité et de défense, en toute transparence avec l'OTAN, mais avec fermeté et détermination.

Au sommet de l'Alliance atlantique, à Prague, en novembre 2002, j'avais marqué la volonté de la France de participer pleinement à son adaptation aux nouveaux enjeux de sécurité. Nous contribuons en particulier, de manière significative, à la mise en place de sa force de réaction, la NRF. Nous attendons naturellement de nos alliés qu'ils reconnaissent objectivement l'importance de cette contribution.

Au sommet d'Istanbul, je rappellerai l'attachement de la France à l'Alliance atlantique. Je rappellerai aussi que la France conçoit ses engagements dans l'Union européenne et dans l'Alliance comme parfaitement compatibles. Il n'existe pas, il ne peut pas exister, d'opposition entre l'OTAN et l'Union européenne.

Le rôle déterminant que nous jouons, tant dans la construction d'une Europe de la défense crédible, que dans la transformation de l'Alliance, vous impose des adaptations constantes à un cadre stratégique en pleine évolution. C'est plus particulièrement vrai pour celles et ceux d'entre vous qui servent dans des états-majors de force ou dans des organismes chargés de la préparation de l'avenir. C'est en vous montrant ouverts à ces changements, imaginatifs et résolus que vous réussirez à relever ce nouveau défi qui est devant nous, comme vous avez su avec brio relever celui de la professionnalisation.


Je voudrais enfin évoquer la gendarmerie, après vous, Mon Général. Elle n'est pas, loin de là, restée à l'écart de la modernisation observée dans les armées en 2003. Elle a pu, notamment, adapter ses effectifs aux missions prioritaires de sécurité intérieure et améliorer sensiblement ses équipements. Et les résultats ont été au rendez-vous.

Elle a réussi à faire baisser le nombre des crimes et des délits constatés dans sa zone de compétence. Elle a su améliorer notablement le pourcentage d'élucidation des affaires qu'elle a traitées. De même, en matière de circulation routière, dans le cadre des objectifs ambitieux que j'avais fixés et auxquels je suis très attentif, vous le savez, elle a contribué avec une efficacité redoublée à préserver nombre de vies humaines.

Je sais pouvoir compter sur nos gendarmes pour que cette logique de résultats, constamment améliorés en 2003, prévale aussi en 2004.

Tout cela prouve que nous sommes sur la bonne voie. Et le nouvel équilibre institutionnel auquel nous sommes parvenus entre police et gendarmerie, a montré sa pertinence. Il convient donc de confirmer ce choix.


Monsieur le Premier Ministre, Madame et Monsieur les Ministres, Mon Général, Mesdames, Messieurs, votre image est bonne, très bonne dans le pays, vous le savez. Nos compatriotes ont confiance dans leurs armées. Vous le devez à votre professionnalisme unanimement reconnu et apprécié. En retour la Nation doit vous reconnaître. Reconnaître la spécificité d'un métier empreint d'exigence, exécuté dans un environnement parfois brutal, nécessitant le recours à la force. Votre nouveau statut, qui sera adopté cette année, dans le cadre que je définissais ici même l'an dernier, prendra en compte cette spécificité qui vous confère des droits et des devoirs particuliers au sein de la communauté nationale.


Mon Général, à l'aube de cette année nouvelle, je vous demande, d'exprimer ma reconnaissance à l'ensemble du personnel des Armées pour son dévouement quotidien au service de la sécurité de la Nation et de son rayonnement international. Qu'il soit également assuré de ma confiance, de mon estime et de mon amitié.

Je vous remercie.