INTERVIEW

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

AU JOURNAL "O ESTADO DE SAO PAULO"

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DIMANCHE 27 JUIN 1999

question 1

: deux années déjà se sont écoulées depuis votre visite aux pays du mercosul. quelle appréciation portez-vous sur l’évolution politique mais aussi économique des relations entre le mercosul et l’union européenne ? et tirez-vous surtout une réalité encourageante, prometteuse ou simplement banale et plutôt passive ?

En mars 1997, lors de mon voyage dans les quatre pays du Mercosul et en Bolivie, j'ai pu mesurer combien cette région était dynamique. Sa croissance est en effet impressionnante et, si les crises asiatique et brésilienne ont momentanément ralenti son rythme, nous pouvons déjà percevoir des signes d'une reprise rapide, du fait notamment d'un redressement de l'économie brésilienne.

C'est donc avec un partenaire majeur, dont le poids économique, mais aussi politique, s'affirme avec une force accrue en Amérique latine et sur la scène internationale, que l'Union européenne tisse des liens chaque jour plus étroits.

Je ne retiendrai que quelques chiffres : depuis la création du Mercosul en 1991, les échanges avec l'Union européenne ont doublé et les investissements européens ont été multipliés par cinq. L'Europe est aujourd'hui, et de loin, le premier partenaire commercial du Mercosul. Ceci témoigne de la confiance de nos pays et de nos entreprises envers cette région.

Dans le même temps, notre dialogue politique s'est renforcé. Pour ne prendre que l'exemple de la France, mes contacts personnels avec le Président Cardoso sont fréquents et nous avons ainsi pris l'habitude de nous concerter sur toutes les grandes questions internationales. Je fais de même avec le Président Menem, que nous avons reçu en visite d'Etat l'an dernier, ou avec les Présidents Frei et Sanguinetti que j'ai également eu le plaisir d'accueillir à Paris, en mars, à l'occasion de l'Assemblée générale de la BID.

Une telle relation, vous en conviendrez, est tout sauf banale et passive. Son caractère privilégié se nourrit d'une grande proximité politique, fondée sur le partage des mêmes valeurs de démocratie et d'attachement au respect des Droits de l’homme, ainsi que sur une véritable parenté culturelle, qu'explique le rôle joué, dans les pays du Mercosul, par d'importantes communautés originaires d'Europe, qui ont su apporter, avec d'autres, leur contribution à l'essor de cette région du monde.

question 2 : lors de votre passage à brasilia en 1997 vous avez émis l’idée d’une réunion au sommet qui se tiendrait à rio. aujourd’hui que peut-on en attendre, de votre point de vue bien sûr, mais aussi de celui de l’europe et plus précisément de celui de la france ? vous-même, monsieur le président, qu’en espérez-vous ?

J’attends beaucoup du Sommet de Rio. Je veux qu’il soit, je suis sûr qu’il sera une grande réussite. Mais avant de vous expliquer quels sont mes attentes et mes espoirs, permettez-moi un rapide retour en arrière. Car il est exact que c’est à l’occasion du discours que j’ai eu l’honneur de prononcer à Brasilia, le 12 mars 1997 pour être précis, devant les deux chambres du Congrès brésilien, que l’idée de réunir ensemble les 48 chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union européenne et de l’Amérique latine / Caraïbes a été pour la première fois formulée publiquement.

Beaucoup de travail a été réalisé depuis lors : conjointement, les diplomaties française et espagnole ont formulé plus en détail cette proposition de rencontre au Sommet. Endossée par les quinze pays de l’Union européenne, et accueillie avec enthousiasme par les dirigeants des trente-trois pays de l’Amérique latine / Caraïbes qui seront présents à Rio, ma proposition a été prise en charge par le Président Cardoso, qui a depuis plus d’un an oeuvré sans relâche pour que le Sommet de Rio soit une réussite ; une réussite à la mesure de l’événement historique que représente cette nouvelle rencontre entre nos deux continents.

L’Europe et l’Amérique latine ont en effet toutes les raisons de construire entre elles un " partenariat stratégique ". Le Sommet de Rio va permettre de lancer ce partenariat. Que recouvre cette expression ? Il s’agit d’établir entre nous une nouvelle forme d’alliance, une alliance adaptée aux nouvelles règles qui président désormais aux relations internationales.

Ensemble, l’Europe et l’Amérique latine doivent travailler à cette nouvelle organisation de notre planète, c'est-à-dire à l’avènement d’un monde multipolaire. Le monde de demain reposera en effet sur des relations d’égal à égal entre grands ensembles régionaux. Or, l’Europe et l’Amérique latine / Caraïbes avancent toutes les deux rapidement dans leurs processus d’intégration régionale.

Il convient donc que, parallèlement à ces processus internes, ces deux régions que tout rapproche (leurs Histoires, leurs langues, leurs cultures) renforcent leurs solidarités politique, économique, commerciale, financière, culturelle.

Rapprochons-nous pour ensemble, construire et organiser le monde de demain.

Et naturellement, c’est sans doute en nous mettant d’accord sur des initiatives communes, en matière de formation, d’éducation, de coopération scientifique et de transferts de technologie que, à Rio, nous pourrons le mieux consolider pour l'avenir cette nouvelle alliance, ce " partenariat stratégique ".

Question 3 : La Commission européenne a besoin d’un mandat de négociation pour que le processus de création d’une zone de libre échange puisse voir le jour en toute quiétude au demeurant. Or, certains pays de l’Union européenne, et non les moindres puisque la France en fait partie, semblent réticents à cette idée, craignant une accélération de négociations délicates dans des secteurs considérés comme encore sensibles. Le Brésil et également l’Argentine de leur côté défendent l’idée d’une négociation globale qui concernerait tous les secteurs y compris bien sûr le domaine agricole, établissant un certain parallèle avec les négociations de l’ALCA et se fixant comme objectif majeur une conclusion effective vers l’an 2005. Que pensez-vous de l’impact de cette négociation globale immédiate ? La rejetez-vous ou, au contraire, aujourd’hui y seriez-vous plutôt favorable ?

Les questions économiques et commerciales, et notamment les relations entre l’Union et le Mercosul, occuperont une place importante dans les travaux du Sommet de Rio.

Il s’agit d’un point sensible, de part et d’autre de l’Atlantique, et je sais que la position française, souvent déformée, a pu susciter des interrogations chez nos partenaires latino-américains. La France a été en effet, à de trop nombreuses reprises, présentée comme réticente à la libéralisation des échanges entre l’Europe et l’Amérique latine, tout particulièrement dans le secteur agricole. Cette présentation doit être corrigée bien au-delà de l’échéance de Rio.

Sur le plan bilatéral d’abord, la France et les pays d’Amérique latine sont des partenaires économiques de longue date et le secteur agricole français, souvent critiqué pour son " protectionnisme ", est déjà très largement ouvert aux productions en provenance du continent sud-américain. Il enregistre un déficit important, de près de 8 milliards de francs, essentiellement au profit du Brésil et de l’Argentine. Nous souhaitons que ces échanges se développent et que les contacts entre professionnels s'intensifient. C'est dans cet esprit que nous avons créé, avec l'Argentine et le Brésil, des groupes de travail associant les pouvoirs publics, les représentants du monde agricole et les industriels de l'agroalimentaire.

Dans le secteur industriel comme dans celui des services, nos entreprises sont très dynamiques en Amérique latine et ont confiance en l'avenir des pays du Mercosul. Les investissements français à destination de ces pays ont très fortement augmenté ces dernières années. Dans l'automobile, l'énergie, la grande distribution ou encore le secteur bancaire, nos entreprises sont très présentes, au Brésil notamment, et contribuent ainsi à créer de la richesse et de l'emploi.

Il nous faut être plus ambitieux encore et avoir une vision stratégique des relations économiques et commerciales entre l'Union européenne et l'Amérique latine. Les perspectives d'intégration régionale, dans le cadre de la zone de libre-échange des Amériques, ne doivent pas se faire au détriment des échanges commerciaux avec l'Europe. Nous avons tous en tête le précédent de l'entrée du Mexique dans l'ALENA, dont les conséquences sur les courants économiques avec les pays européens s'étaient avérées très négatives.

La France souscrit, sans aucune réserve, au lancement d'une grande négociation entre l'Union et le Mercosul ayant pour objectif de libéraliser les échanges à l'horizon 2005. Nous estimons, tout comme les pays du Mercosul, qu'aucun secteur ne doit être laissé de côté. L'agriculture, comme les services et l'industrie, sera intégrée dans le champ de la négociation, qui sera globale.

Notre souci, comme celui de beaucoup de pays européens, était de trouver une bonne articulation entre cette négociation bilatérale et le nouveau cycle de l'OMC, qui commencera au début de l'an 2000 avec l'objectif d'aboutir en trois ans.

Il est naturel qu'une complémentarité soit trouvée entre les deux exercices. Dans le domaine agricole, mais aussi sur le volet industriel, qui est sensible pour le Brésil et le Mercosul, nous ne pouvons en effet négocier un accord bilatéral sans avoir une indication de l'évolution des discussions à l'OMC et des conséquences à en tirer sur le plan tarifaire.

Cette position a reçu un très large soutien à l'intérieur de l'Union et c'est l'approche que retient le mandat de négociation adopté par l'Union européenne le 21 juin. C'est une approche qui peut, je le crois, être comprise et acceptée par les pays du Mercosul, dont les préoccupations sont proches des nôtres. Elle est ambitieuse dans ses objectifs et fondée sur un calendrier réaliste, qui nous donne une bonne visibilité pour l'avenir.

Question 4 : Le manque de progrès réels de la négociation engagée entre l’Union européenne et le Mercosul risque d’amener les pays alliés d’Europe à hâter leurs négociations avec l’ALCA. Le résultat serait probablement très nuisible à l’équilibre des relations entre le Mercosul et l’Union européenne. Le Brésil considère -et il n’est pas le seul du côté sud-américain- que cet équilibre des relations entre le Mercosul avec d’un côté l’UE et de l’autre les Etats-Unis est primordial, non seulement sur le plan économique mais aussi politique. Pouvez-vous rassurer sur l’avenir de cet équilibre ? La France n’a-t-elle pas ainsi un rôle déterminant à jouer pour la réussite de l’équilibre souhaité par le Mercosul ?

Le projet de mise en place d'une zone de libre-échange des Amériques ZLEA ou ALCA exprime le souhait naturel des pays du continent américain de rechercher une meilleure intégration de leurs économies. Il leur appartient d'en déterminer le rythme et les modalités.

Je ne pense pas, quant à moi, qu'au terme de la négociation complexe ainsi engagée, il faille redouter un bouleversement dans les relations que l'Amérique latine entretient avec ses différents partenaires. D'abord, parce que la réalité actuelle est celle d'un équilibre, que reflètent aussi bien la diversification des flux d'échanges et d'investissements, que la préservation d'une identité culturelle vivante et forte. Et ensuite, parce que je crois que les pays et les peuples d'Amérique latine et des Caraïbes sont très attachés au maintien de cet équilibre.

Comme les Européens, ils ne confondent pas mondialisation et uniformisation.

La France, pour sa part, accorde une grande importance à l'existence d'une relation équilibrée entre l'Amérique latine et les Caraïbes, l'Amérique du Nord et l'Europe. Elle y voit en effet une contribution majeure à la construction d'un monde multipolaire qui s'affirmera par la consolidation d'ensembles régionaux intégrés et entretenant entre eux des relations de coopération et de partenariat.

Cet attachement de nos pays à l'existence d'un monde doté de règles librement négociées en commun et qui, dès lors, s'imposent à tous, qu'il s'agisse de celles qui régissent le commerce international ou la coexistence pacifique entre les Etats, constitue un des traits essentiels de la relation entre nos deux régions et la principale caractéristique de notre dialogue politique.

Question 5 : Le " Grupo do Rio " dont les Présidents se sont réunis au Mexique a fait part de sa volonté d’initier une réforme du système financier international ce qui sous-entendrait la révision des règles de fiscalisation des banques centrales. Comment analysez-vous cette évolution face à la perspective d’une plus grande approche commerciale avec l’Amérique latine dans sa totalité et pas seulement avec le seul Mercosul ?

J'ai effectivement accordé une attention toute particulière à la réunion au Sommet des pays du "Groupe de Rio", qui vient de se tenir au Mexique les 28 et 29 mai dernier. Après les turbulences qu'a connues le système financier international depuis 2 ans, il était naturel que les travaux à Mexico, travaux auxquels ont notamment participé les Présidents Cardoso et Zedillo, s'attachent à proposer de nouvelles modalités de régulation, dans un contexte où les banques centrales seraient appelées à jouer un rôle de contrôle accru.

J'aborderai en détail, personnellement, ces questions lors du Sommet de Rio ; j'ai en effet demandé aux organisateurs du Sommet que me soit confiée la responsabilité d'introduire les débats sur ce que nous appelons la "nouvelle architecture financière internationale". Vous comprendrez donc que je ne souhaite pas entrer trop en détail dans le coeur des débats qui vont être les nôtres lors du sommet de Rio.

Questions 6 : Le Président Fernando Henrique Cardoso ne manque pas d’affirmer que les prochaines négociations de l’O.M.C. se doivent d’aller encore plus loin en démontrant sereinement qu’avec la fin du défi entre capitalisme et communisme, entre démocratie et totalitarisme, il existe réellement un certain nombre de valeurs politiques, sociales, économiques et culturelles plus ou moins partagées et admises par tous. Jugez-vous souhaitable et surtout réaliste de profiter de ces négociations pour repenser et reconstruire le monde de demain sur tous les plans ?

La fin des affrontements de la Guerre Froide a ouvert la voie à une réunification du monde. Cette réunification signifie davantage d'échanges, davantage d'interdépendance et de solidarité. Elle signifie aussi, de plus en plus, l'émergence d'une conscience globale, d'un nouveau sentiment de responsabilité collective, notamment à l'égard des enjeux environnementaux ou de la défense des Droits de l'homme.

Les échanges commerciaux ont naturellement un rôle essentiel à jouer dans ce processus, et leur développement, à condition d'être maîtrisé, est facteur de progrès économique et humain. La France, toutefois, ne voit pas dans la libéralisation des échanges un but en soi mais un moyen pour atteindre ces objectif de progrès. C'est dans cet esprit qu'elle entend aborder les négociations futures au sein de l'OMC.

L'ouverture des marchés, la libre circulation accrue des biens, des services et des capitaux - que l'on résume habituellement par le terme "mondialisation" - sont indispensables pour assurer une croissance économique durable. Mais cela ne suffit pas. Le développement des échanges comporte aussi certains risques : sanitaires, que traduisent par exemple les préoccupations des opinions publiques face aux dérives possibles liées au développement des biotechnologies (OGM) ; environnementaux ; sociaux avec notamment le problème du travail des enfants, qui dans de nombreux pays constitue une véritable hypothèque sur le développement ; culturels avec le risque d'uniformisation face à un modèle dominant. La France est très consciente de tous ces risques inhérents à une libéralisation aveugle. C'est pourquoi, de notre point de vue, l'enjeu essentiel du prochain cycle de négociation de l'OMC, qui doit s'ouvrir au 1er janvier 2000, est de parvenir à passer d'une simple logique de libéralisation à une logique davantage de régulation du système commercial international. Il ne s'agit pas là, du point de vue de la France, d'introduire de nouvelles entraves ou de refuser des réformes nécessaires - y compris dans le domaine agricole, où l'Union européenne a fait récemment des choix politiques ambitieux avec la conclusion de l'Agenda 2000. Notre approche est, au contraire, de parvenir à définir des règles qui permettront de mieux assurer, au travers du développement des échanges internationaux, une croissance durable et équilibrée, respectueuse de l'environnement, consciente des enjeux de santé publique posés par les avancées de la science - au travers notamment d'une affirmation du principe de précaution -, soucieuse de la diversité des cultures et de la dignité des personnes.

question 7 : la responsabilité de ce processus qui met en jeu l’avenir même de la planète devrait être obligatoirement mené par les grandes puissances internationales mais avec la participation de pays émergents qui, avec la globalisation, commencent à prendre une place de plus en plus importante. l’arrivée du nouveau millénaire n’est-elle pas le moment idéal pour ce débat planétaire ?

La France est particulièrement attachée à la défense et au renforcement du système multilatéral. Dans un monde de plus en plus en plus interdépendant, les responsabilités doivent être de plus en plus partagées. La France et l'Union européenne, de ce point de vue, attachent une grande importance à leur dialogue avec les pays émergents. Elles encouragent, dans leurs politiques de coopération, le passage d'une logique d'assistance à une logique de partenariat. C'est cet esprit qui, d'ailleurs, guide la réforme en cours de la coopération française ou la renégociation de la Convention de Lomé.

Le cadre commercial multilatéral est un autre exemple de l'importance que nous attachons au développement d'un partenariat équitable avec les pays émergents. La France estime que l'association de ces derniers aux bénéfices du développement des échanges internationaux est non seulement un enjeu de solidarité - afin notamment de faire reculer la pauvreté - mais aussi une question d'intérêts mutuels bien compris. La crise asiatique a amplement démontré combien la croissance dans nos pays pouvait être affectée par une dégradation des conditions économiques dans les pays émergents.

La France estime cependant que le rôle de l'OMC pour le développement est plus large encore. Cette démarche de partenariat doit aller, de notre point de vue, au-delà des seuls pays émergents, c'est-à-dire les plus avancés parmi les nations en développement. Nous croyons que le commerce international peut aussi être un instrument au service du développement des pays les plus pauvres. Ceux-ci représentent, d'après les Nations Unies, une cinquantaine de pays, dont une majorité en Afrique. Ce sera assurément un enjeu essentiel des prochaines négociations au sein de l'OMC -et la France y veillera avec l'Union européenne- que de définir des règles favorables à une insertion rapide des pays les moins avancés dans les circuits des échanges internationaux. Ces règles pourraient notamment viser à lever certains obstacles aux investissements dans les PMA, afin de promouvoir leurs industries naissantes. Elles devraient aussi permettre d'offrir aux pays les moins avancés un cadre multilatéral stable afin de favoriser leurs exportations et les aider à utiliser plus complètement les concessions dont ils bénéficient déjà, notamment dans le cadre des "systèmes de préférences généralisées".

Question 8: L’Amérique latine est consciente du rôle primordial que pourra jouer l’Europe dans le processus visant le succès du développement des relations équilibrées entre les deux blocs à condition préalable d’admettre la négociation de certains intérêts très précis. Vous n’ignorez pas, Monsieur le Président, que la préparation de la réunion de Rio s’avère délicate. Les problèmes soulevés par certains pays pourraient malheureusement s’avérer être un obstacle majeur qui nuirait à un résultat positif objectif de ce sommet ? A vos yeux, quelle serait la solution pour obtenir un compromis idéal qui éviterait une sorte d’échec passif de la réunion ?

Je crois avoir déjà répondu très largement à vos interrogations par mes développements antérieurs. Je crois en effet vous avoir expliqué longuement quelles sont mes attentes à la veille de l'ouverture du Sommet de Rio, Sommet que j'avais pris l'initiative de proposer au Président Cardoso, il y a maintenant plus de 2 ans. Dans le monde d'aujourd'hui, la France se fait, plus qu'aucun autre pays, le défenseur d'une nouvelle organisation des relations internationales. Nos deux jours de travaux à Rio vont nous permettre de progresser à 48 dans cette direction.

Or, avec votre nouvelle interrogation sur la "délicate préparation de Rio", vous paraissez vouloir une fois de plus jeter un doute sur la cohérence de nos intentions, comme l'a fait avec insistance une partie de la presse hispanophone, depuis plusieurs mois maintenant.

Que souhaitez-vous que je rajoute à mes explications antérieures? Je vous ai rappelé notamment nos efforts incessants, depuis un an maintenant, lors de négociations très ardues pour aboutir à un compromis au sein de l'Union européenne, afin que puissent s'ouvrir dès cette année des négociations commerciales avec le Mercosul, négociations auxquelles la France s'est depuis longtemps préparée, mais qu'elle souhaite, je vous le répète, envisager de manière cohérente avec le cycle multilatéral qui doit s'ouvrir au sein de l'OMC, d'ici 6 mois. Ces efforts ont été couronnés de succès puisque l'Union européenne a adopté un mandat équilibré pour la négociation d'accords de libéralisation des échanges.

Soyez-en assuré : une nouvelle époque va s'ouvrir, à Rio, pour les relations entre l'Europe et l'Amérique latine ; et la France a tout fait ce qui était en son pouvoir pour que ce rapprochement se fasse à la fois sans ambiguïté et avec les plus hautes ambitions pour l'avenir.

Question 9 : La crise internationale a touché sèchement les pays émergents de l’Asie, comme de l’Amérique latine et plus particulièrement le Brésil. Estimez-vous aujourd’hui que cette crise a changé les intentions européennes, et précisément françaises, de persévérer à miser sur notre continent ? Ou, au contraire, vous sentez-vous encore plus solidaire et plus convaincu que jamais du rôle de la France ? Les investissements européens, de longue durée notamment, très importants ces dernières années, vont-ils être poursuivis ?

La France est convaincue des avantages de la diversité. Elle veut maintenir et développer ses liens et ceux de l'Europe avec les pays d'Amérique latine et particulièrement ceux du Mercosul, pensant que cela va dans le sens de ses intérêts, mais également ceux de nos partenaires. Elle recherche activement l'ouverture, le développement des échanges et des investissements, dans l'intérêt mutuel des parties. Les difficultés du Brésil, conjoncturelles et temporaires, ne diminuent en rien l'attrait de ce pays pour les entreprises françaises et européennes : celles-ci sont intéressées par les perspectives de moyen-long terme du Brésil et de ses partenaires et rassurées par les politiques de réformes économiques qui y sont menées

Question 10 : Autre aspect préoccupant : celui d’un contrôle accru des capitaux spéculatifs dans l’origine des crises asiatique et brésilienne. Les pays latino-américains pour leur part revendiquent au demeurant un système à leurs yeux plus fiable, des règles plus claires du système bancaire pour, sinon éviter, mais tout au moins sortir plus aisément et dominer les turbulences, avec un contrôle plus ferme et plus strict de ce qu’on appelle " fonds de hedge ". Quelles mesures concrètes peut-on, du point de vue européen, envisager dès maintenant ? Et quelles mesures concrètes, quitte à ce que ce soit dans une échéance plus reculée, seriez-vous prêt à proposer ?

Les sujets que vous évoquez -la régulation des capitaux spéculatifs et la transparence des systèmes bancaires- sont tout à fait légitimes et constituent des préoccupations majeures pour les autorités françaises. Il s'agit de questions difficiles que nous devons impérativement résoudre pour préserver la stabilité du système financier international. Dans le domaine bancaire, des progrès ont été accomplis règles prudentielles, ratio Cooke. En revanche, vous avez raison de le souligner, les fonds spéculatifs sont encore largement à l'abri de tout contrôle, à plus forte raison lorsqu'ils sont logés dans des centres off shore.

La France considère que toutes les institutions financières doivent être assujetties à des règles de transparence et de régulation prudentielle, quelles que soient les difficultés techniques.

Un nouveau Forum de stabilité financière s'est réuni pour la première fois en avril pour examiner en détail l'ensemble de ces questions. Il s'est doté de trois groupes de réflexion consacrés aux fonds spéculatifs, aux centres off shore et aux mouvements de capitaux à court terme, auxquels seront associés, je l'espère, les pays ayant un poids économique représentatif et notamment certains grands pays émergents.

Pour les fonds spéculatifs, il faut imposer une obligation de publication et de diffusion de l'information aux autorités de régulation des marchés. On peut également envisager la possibilité d'une réglementation directe de ces institutions (autorisation nécessaire, limite maximale à l'effet de levier financier.

En ce qui concerne les centres off shore, il est indispensable que la communauté internationale exerce la pression nécessaire pour que les règles internationales soient appliquées. Il faudrait en particulier imaginer des mécanismes de sanction contre les centres off shore qui ne se soumettraient pas à la réglementation contre le blanchiment des capitaux.