CONFERENCE DE PRESSE

DE M. JACQUES CHIRAC,

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

A L'HOTEL BRISTOL

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Beyrouth, Vendredi 25 Octobre 1996

le president

- Mesdames, Messieurs, je ne vais pas faire de propos introductif, parce que vous m'avez beaucoup entendu, y compris aujourd'hui, mais peut-être avez-vous des questions à me poser et je répondrai volontiers, étant entendu que je voudrais tout de même commencer par remercier chaleureusement les autorités libanaises de l'accueil qu'elles ont bien voulu me réserver. Je viens toujours dans ce pays avec beaucoup de plaisir.

question

- Monsieur le Président, nous connaissons tous la grande amitié que vous portez au Liban. Nous savons aussi qu'une amitié personnelle vous lie au Premier ministre, Monsieur Rafic Hariri. Pouvez-vous nous en dire davantage : où vous êtes vous connus ? Comment ? Qu'avez-vous en commun ?

le president

- Nous nous sommes connus il y a longtemps, par hasard, et nous avons en commun la même affection profonde pour le Liban.

question

- Monsieur le Président, vous avez longuement parlé du déficit de confiance entre la partie arabe et israélienne à propos du processus de paix, avez-vous l'impression au cours de votre voyage, après avoir rencontré tous ces interlocuteurs, d'avoir réussi à réduire un tant soit peu ce déficit ?

le president

- Un tant soit peu, sans aucun doute. Mais d'abord parce que j'ai tout de même réaffirmé un certain nombre de principes. Il est bon de réaffirmer les principes. Il y a toujours un aspect pédagogique des choses qui sont importantes. Ensuite, les liens sont restés, je veux dire d'étape en étape, mes collaborateurs sont restés en contact avec les collaborateurs de mes étapes précédentes. Donc, j'ai transmis un certain nombre d'informations, d'impressions ou de suggestions d'une étape à l'autre. Tout cela nourrit, si vous voulez, un ensemble. Cela contribue probablement à faire avancer une négociation. Je le pense, car tout est en subtilité dans une négociation surtout difficile. Mais, il y a une dynamique qui se crée. J'ai essayé de participer à cette dynamique qui s'était un peu arrêtée. J'ai essayé de participer à sa remise en route. D'ailleurs, il n'est pas du tout exclu qu'il y ait des résultats positifs et concrets, peut-être, ce n'est pas non plus certain, je n'annonce rien, bien entendu, dans des délais relativement brefs. Peut-être ! Inch Allah !

question

- Benjamin Netanyahou, à l'issue de votre visite en Israël, avait parlé d'un message positif dont vous serez porteur. Or, ce matin, la meilleure réponse qu'il ait pu trouver à ce message positif, c'est de donner le feu vert au forage pétrolier dans le Golan. Que pensez-vous de cette action ?

le president

- Je n'ai pas de commentaire à faire sur une mesure de cette nature. Je ne crois pas que le moment ait été particulièrement bien choisi pour prendre cette initiative. Mais peut-être que Monsieur Netanyahou a-t-il des raisons de penser autrement.

question

- Monsieur Chirac, le porte-parole du département d'Etat américain, a déclaré, il y a deux jours, que la Communauté européenne ne devrait pas intervenir dans le processus de paix. Quelle est votre réponse à cela ?

le president

- Je l'ai développé pendant tout mon voyage. Je ne vais peut-être pas recommencer. Chacun dans une négociation difficile a quelque chose à apporter. L'Union européenne, comme la France, apporte ce qu'elle peut apporter. C'est-à-dire, je le répète, un peu d'amitié et un peu de confiance à toutes les parties.

question

- Monsieur le Président, pourquoi l'Europe a-t-elle tant de difficultés à mettre en harmonie ces engagements politiques et financiers, car il faut dire que votre voyage dans la région a d'abord été perçu comme le Président de la France et comme l'a dit ce matin la presse libanaise, comme le digne successeur du général de Gaulle avant tout ?

le president

- C'est vrai, parce que les choses ne se sont pas présentées de façon suffisamment positive. Et aussi, parce que l'Europe n'a pas encore déterminé les modalités de son intervention extérieure. Vous savez que nous faisons actuellement une Conférence que nous appelons intergouvernementale qui devrait s'achever l'année prochaine au mois de juin sous présidence hollandaise. L'un des objectifs de cette Conférence, c'est de réformer nos institutions. Dans la réforme de nos institutions, il y a l'institution d'une politique extérieure et de sécurité commune. La France, d'ailleurs, a fait de ce point de vue des propositions, notamment la nomination d'un Monsieur "politique étrangère commune, européenne", pour que celle-ci ait un visage,

une voix. Il est probable que lorsque nous aurons adopté cette réforme, on recevra de façon plus positive les messages de l'Europe. Mais vous savez, l'Europe c'est comme la paix, n'est-ce pas, c'est un travail constant, c'est un compromis constant entre des intérêts parfois divergeants. Mais nous progressons.

question

- Comme Espagnol, comme doyen de la presse étrangère à Beyrouth, je vous félicite pour votre courageuse action durant votre voyage. Mais, je voudrais vous demander, après votre escale à Amman, vous avez beaucoup parlé de l'Irak. Est-ce que vous envisagez une levée prochaine de l'embargo international sur l'Irak ? Comment vous envisagez l'attitude du Gouvernement américain à propos de l'embargo maintenant ?

le president

- J'ai dit les choses clairement à Amman, à savoir que pour des raisons humanitaires et dans le respect intégral de toutes les résolutions de l'ONU, mais seulement des résolutions de l'ONU, je souhaitais la mise en application de la résolution 986, que prévoit, comme vous le savez, l'échange de pétrole contre de la nourriture et des médicaments. Voilà ce que j'ai dit et je le répète.

question

- Monsieur le Président, on vous a entendu beaucoup, et à deux reprises, dans vos deux voyages, parler des chrétiens du Liban. Quel message diriez-vous aujourd'hui, précisément, pour ces chrétiens ? On vous savait, quand vous étiez Maire de Paris, très proche des chrétiens, aujourd'hui, Président de la République française, les chrétiens sentent un peu que vous avez sacrifié ces siècles d'histoire pour un peu d'intérêt économique.

le president

- Ceux qui pensent cela se trompent. Il n'y a pas de Liban, tout son génie propre, sa tradition, son histoire, sa civilisation, s'il n'y a pas les chrétiens. Le Liban a vocation à être multi-confessionnel ou alors, ce n'est plus le Liban. Je croyais que vous vouliez me demander quel message je voulais donner aux chrétiens. C'est celui d'avoir confiance dans leur pays, dans l'avenir de leur pays, de rester et, notamment, c'est ce que j'ai dit ce matin, en particulier aux jeunes chrétiens, de ne pas chercher à aller faire leur vie ailleurs. A ceux qui sont partis, notamment, pour des raisons de sécurité, je leur dis revenez, revenez, même si vous avez fait votre vie ailleurs, au moins, investissez sur votre terre, c'est-à-dire au Liban.

question

- Monsieur le Président, Léon Brittan de la Commission européenne a dit hier soir à propos de votre mission que les pays européens doivent s'abstenir de toute action indépendante, quelle est votre réponse à Monsieur Brittan ?

le president

- Que les commissaires doivent s'abstenir de toute ingérence dans des affaires qui ne sont pas les leurs.

question

- Vous avez incité les Libanais, notamment, la diaspora à investir au Liban. Mais il y a un sentiment général, aucun développement ne peut être acquis s'il n'y a pas une vraie paix dans le Proche-Orient. Qu'en dites-vous ? Il y a un exemple, c'est la dernière escalade militaire, en avril dernier.

le president

- Il y a un moment dans la vie où il faut savoir prendre des risques. Il faut savoir faire des choix. Ma conviction, c'est que la paix avec, naturellement des satisfactions et des difficultés, des hauts et des bas, la paix progressera. Je crois qu'elle est inéluctable. Deuxièmement, le Liban est une terre qui a son avenir, une grande histoire et son avenir devant elle. A partir de là, effectivement, je dis aux Libanais qui sont des gens qui ont fait tout au long de leur histoire la preuve de leur subtilité, de leur capacité à créer de la richesse, je leur dis faites confiance, il faut toujours que quelqu'un commence à faire confiance, et investissez. Naturellement, il y a un risque. Mais quel est l'investissement qui n'est pas risqué.

question

- Monsieur le Président, nous sommes très heureux de vous revoir chez nous. Ma question : y aura-t-il une continuation du processus de paix au Proche-Orient ?

le president

- Naturellement, il y aura sans doute une continuation pour ce qui concerne le processus de paix. Si vous voulez dire par là "est-ce que la France continuera à apporter son soutien à toutes les actions susceptibles d'être positives pour la paix", je vous réponds oui, sans aucun doute. J'ai vu qu'il y avait eu, ici ou là, quelques interrogations voire quelques polémiques, tout cela n'est pas de nature à m'influencer le moins du monde. J'apporterai tous mes soins à essayer de faire progresser la paix, c'est mon seul objectif. Je suis venu ici en homme de paix, je continuerai à l'être pour cette région que j'aime bien.