CONFERENCE DE PRESSE

DE M. JACQUES CHIRAC,

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE

A L'ISSUE DU CONSEIL EUROPEEN

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Dublin, le Samedi 5 octobre 1996

le president -

Nous venons de tenir cette réunion informelle et qui a été, me semble-t-il, utile à plusieurs égards. D'abord pour la première fois, nous avons eu collectivement -parce qu'il y a des contacts bilatéraux qui existent aussi- une discussion sur le contenu de la conférence et sur les priorités de chaque délégation au niveau des Chefs d'Etats et de Gouvernement. Chacun a exposé, autour de la table, ses priorités.

Par conséquent, à la suite de cet échange de vues officiel, la Présidence a enregistré les positions de chacun. En second lieu, (mais cela n'étonnera personne, encore qu'il pouvait y avoir des doutes ou hésitations de la part de certains) nous avons solennellement réaffirmé le calendrier. C'est-à-dire l'engagement de conclure à Amsterdam en Juin 1997. Et c'est important, parce qu'un retard pourrait avoir sur l'Union européenne des conséquences non-négligeables.

Troisième point, un consensus est apparu très rapidement pour demander à la Présidence, qui d'ailleurs en a été tout à fait d'accord, de préparer dans les meilleurs délais, et parallèlement au projet de traité requis à Florence, un bref document cadre retraçant les options telles qu'elles se présentent, et les principaux problèmes qui devront être tranchés à la conférence. Autrement dit, d'indiquer les problèmes, de voir les solutions possibles à ces problèmes, là où des accords sont quasiment intervenus et là où il y a des solutions différentes sur lesquelles il va falloir négocier ce document. Car, il servira de document de travail pour la conférence de Dublin, et la Présidence est en mesure de le faire compte-tenu des positions -pour la première fois, je le répète- présentées par les Chefs de délégations.

Donc la voie semble maintenant mieux tracée pour préparer le prochain Conseil Européen, avant ce prochain Conseil de Dublin, la France et l'Allemagne après s'être concertées avec un certain nombre de leurs partenaires, prendront une initiative commune, comme nous l'avons fait dans le passé, pour contribuer à la négociation de façon aussi raisonnable et forte que possible.

Alors, j'ai constaté également, que contrairement à une idée qui est souvent répandue notamment chez les diplomates, mais c'est naturel, de nombreuses convergences existent déjà, ou plus exactement les convergences qui existent sont plus importantes, plus nombreuses que je ne l'avais imaginé. Il y a un accord général pour un renforcement, pour une plus grande visibilité, de la politique étrangère et de la sécurité commune, c'est important, car c'est une des faiblesses de l'Europe.

Il y a une volonté commune d'améliorer sensiblement le fonctionnement du troisième pilier, c'est-à-dire les affaires intérieures et de justice. Et on a beaucoup parlé de problèmes de grandes criminalités, de lutte contre la drogue, de lutte contre l'exploitation des enfants. Enfin, tous les grands problèmes liés à la sécurité intérieure, à la justice ont à l'évidence une place aujourd'hui beaucoup plus grande que dans le passé, dans l'esprit des Chefs d'Etat et de Gouvernement.

Quatrièmement, tout le monde souhaite que d'une façon ou d'une autre, même si ce n'est pas le lieu, a proprement parlé de le faire, le problème social, l'emploi et le modèle social européen aient une place reconnue comme essentielle. De même dans les sujets, de quasi consensus, il y a la nécessité -encore que là des divergences existent sur les modalités d'application-, d'adaptation des institutions. Le Conseil, la Commission, le Parlement Européen, le rôle des parlements nationaux tout ceci a été assez bien clarifié. Bien entendu, sur ce sujet il y aura de sérieux problèmes à résoudre, car les points de vues et les opinions sont relativement divergents. Mais il y a vraiment une volonté, cela transparaissait dans tous les propos des Chefs de délégations, d'appréhender ces problèmes, de les désigner et d'essayer de les régler. Egalement une convergence forte sur la nécessite de coopération renforcée. Tout le monde reconnaît qu'il faut qu'il y ait un système permettant les coopérations renforcées.

Et enfin, de façon très fortement exprimée et d'ailleurs notamment par le Chancelier allemand, mais reconnue comme nécessaire par tout le monde, un vrai système efficace, de respect de la subsidiarité. Le Chancelier l'a affirmé avec beaucoup de force, dans des termes auxquels je souscrivais tout à fait, et qui ont semblé recueillir l'accord de tout le monde.

Je voudrais enfin mentionner trois points qui sont pour nous importants. J'ai évoqué, nous avons évoqué avec la Présidence et avec le Président de la Commission, le problème du statut des Départements et Territoires d'outre-mer, c'est-à-dire notre désir que soit intégré dans le traité le protocole sur les régions ultra-périphériques et deuxièmement que les Territoires d'Outre-mer aient un traitement de la même nature que celui qui est réservé aux Départements d'Outre-mer. Vous savez qu'aujourd'hui ce n'est pas le cas et que les Territoires français d'outre-mer ne bénéficient pas, beaucoup s'en faut, des mêmes avantages que les Départements français d'outre-mer.

Deuxième point, l'intégration du protocole social au traité, je l'avais proposé dans le mémorandum pour un modèle social européen, en mars dernier, et il y a eu une forte affirmation même si les réserves britanniques n'ont pas été levées, pour que ce protocole soit intégré au traité.

Troisième point, c'est aussi la reconnaissance des missions de service public, vous savez qu'au début, il y a eu un certain flottement, aujourd'hui nous avons beaucoup progressé, d'ailleurs pour une large part sous l'impulsion de la France, et je crois que maintenant tout le monde a compris que les missions de service public avaient en tous les cas pour la France, une importance qui ne nous permettait de remettre en cause cette notion de service public.

D'ailleurs sur ces deux derniers points, l'intégration du protocole social et la reconnaissance des missions de service public, j'ai reçu, ce matin, juste avant de venir au Conseil une lettre importante de Madame Nicole Notat, s'exprimant en sa qualité de responsable syndicale, cette lettre étant très claire, d'ailleurs j'en ai fait part à mes collègues.

Voilà, ce que l'on peut dire sur ce premier point.

Le deuxième point a été l'évocation de la situation au Moyen-Orient, qui nous a occupé pendant une partie du déjeuner, aussi bien des Chefs d'Etat et de Gouvernement, que des Ministres et puis la dernière partie de la discussion autour de la table, tout le monde a fait part naturellement de sa très grande inquiétude sur la situation au Moyen-Orient, des dangers qu'elle représentait, tout le monde a enregistré que Monsieur Arafat avait demandé à l'Union européenne de s'associer aux efforts faits pour la relance du processus de paix, et nous avons donc décidé de répondre à cette demande, en envoyant demain le Président du Conseil des Ministres Monsieur Dick Spring, à Erez, non pas du tout naturellement pour s'imposer d'une quelconque façon, mais pour apporter un message de l'Union sous forme d'une lettre, d'une part au Premier Ministre israélien, d'autre part au Président Arafat, et pour rester le cas échéant à leur disposition. Il est légitime, je crois, que l'Union européenne, qui est le contributeur essentiel pour ne pas dire exclusif, financièrement parlant, de cette région en ce qui concerne l'autorité palestinienne, soit associée à ces réflexions. Voilà, je crois que j'ai dit pratiquement l'essentiel de ce que nous avons fait. Je suis prêt à répondre à une ou deux questions.

question

- Monsieur le Président. La guerre en ex-Yougoslavie a largement démontré l'urgence, pour l'Europe, d'approfondir son union politique. Comme vous venez de le mentionner, aujourd'hui le processus de paix est menacé au Proche-Orient et l'Europe peine quelque peu à faire entendre sa voix. Dans ce contexte, pourquoi la création d'un poste de haut représentant européen pour les Affaires étrangères tarde-t-elle tellement à venir ? Et d'autre part, quelles sont les raisons qui entravent ou ralentissent l'élaboration d'une politique de défense commune, dont on devine encore à peine les contours ?

le president

- Que l'Europe ait fait preuve de sa faiblesse, pour ne pas dire de son inexistence au moment de la crise de Bosnie, tout le monde le sait, et on ne peut que le déplorer. Aujourd'hui, nous avons fait un pas dans la bonne direction. Un pas, enfin non négligeable et qui ne s'est pas fait tout à fait tout seul. Alors, le haut représentant, c'est une proposition de la France, qui est, je dirais, examinée favorablement par nos partenaires. Je n'irai pas au-delà. Nous avons proposé, que dans le cadre de la réforme des institutions, pour ce qui concerne la PESC, la politique étrangère et de sécurité commune, il y ait un haut représentant qui soit désigné par l'ensemble des pays concernés qui dépendent directement du Conseil des Ministres, du Conseil européen, et qui soit là, pour par exemple 3 ans ou 5 ans, peu importe, et qui soit en quelque sorte le visage et la parole de l'Europe. Je ne peux pas vous assurer que cette réforme sera finalement acceptée, ce que je peux vous dire c'est qu'elle est dans les propositions françaises; et que pour le moment elle est reçue de façon positive par la plupart de nos partenaires.

question

- Monsieur le Président, comment pensez-vous que le calendrier électoral britannique va peser durant les neuf mois qui vous séparent du Conseil qui devrait être conclusif ?

le president

- Je ne pense pas, ce que je n'ai pas à penser. Je veux dire sur ce point : ce sont les affaires des Britanniques. Alors, je ne sais pas ce que sera exactement le calendrier des électorats britanniques. J'observe que tout de même; il y a, me semble-t-il, en Angleterre aussi bien d'un côté que de l'autre de l'échiquier politique une appréciation plus positive de la construction européenne.

question

- Monsieur le Président. Êtes-vous prêt à confirmer votre déclaration faite pendant votre visite à Varsovie concernant l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne ?

le president

- Le sujet n'a pas été encore abordé il est à l'ordre du jour du dîner de travail de tout à l'heure. Alors, je ne peux donc parler qu'en mon nom personnel puisque vous savez que nous avons des séances de travail et des dîners de travail et chacun a un ordre du jour. Et il est entendu que ce soir je rende compte de mon voyage en Pologne et des perspectives d'adhésion de la Pologne. Pour le moment, je m'en tiens très exactement à ce que j'ai dit qui est ma position, celle de la France, pour ce qui concerne l'adhésion de la Pologne, c'est-à-dire que je souhaite que cette adhésion soit possible pour l'an 2000 et qu'en tous les cas, la France fera tout pour faciliter cette adhésion, dans ces conditions.

question

- Vous avez dit tout à l'heure, qu'un retard dans la conclusion de la CIG pourrait avoir pour l'Union européenne des conséquences non négligeables. Alors, je voudrais que vous expliquiez quelles seraient ces conséquences, et d'autre part, si la France serait prête à revoir ses ambitions à la baisse pour permettre une conclusion en juin 97 ?

le president

- Je ne vois pas du tout comment la France pourrait revoir ses ambitions à la baisse. En revanche, j'ai indiqué que les conséquences seraient non négligeables, d'abord parce que après avoir affirmé très fortement sa volonté d'aboutir, si elle n'était pas en mesure d'aboutir, l'Europe aurait enregistré un échec, et des échecs ne sont jamais très valorisants. Deuxièmement, ça comporte des conséquences qui sont des conséquences importantes. D'une part, nous avons dans la perspective des années qui viennent la monnaie unique, la réforme du financement, l'élargissement, ce qui sont des tâches lourdes et bien entendu si nous n'arrivions pas à conclure la CIG au mois de juin prochain, je dirais qu'il y aurait une espèce de bousculade dans nos missions suivantes. Et enfin, comme vous le savez, il a été décidé que les pays candidats verraient leur candidature examinée, 6 mois après la fin de CIG, comme vous avons beaucoup dit qu'en juin 97 ce serait terminé, la plupart de ces pays, ou même tous ces pays, considèrent que ça veut dire que fin 97, on va commencer à parler d'élargissement et d'adhésion, et s'il y avait un échec de la CIG en juin prochain, naturellement ça aurait des conséquences sur l'élargissement et l'adhésion. Voilà, c'est ce que j'appelle des conséquences non-négligeables.

question

- Monsieur le Président, est-ce que vous pouvez commenter la présidence irlandaise de l'Union européenne ? Et deuxièmement, est-ce que la France accepterait que l'Europe envoie un envoyé spécial pour le Moyen-Orient, dans les semaines à venir ?

le president

- Attendez, sur la deuxième question, je vous comprends mal, parce que je vous ai expliqué tout à l'heure que la réunion avait décidé l'envoi de M. Dick Spring dès demain.

question

- D'après nos sources, il était question de désigner quelqu'un qui ferait cette tâche à plus long terme.

le president

- Ce sont deux choses différentes. Il y a eu une proposition italienne. La proposition d'envoyer un message et de le faire porter par le Président du Conseil, M. Dick Spring, qui partira demain matin, ça c'est une décision qui a été prise, je le répète, et qui consiste à apporter un message aux deux protagonistes. Deuxièmement, le Premier Ministre italien, M. Prodi, avait suggéré ou proposé que l'on voit dans quelle mesure, il y aurait quelqu'un d'un peu plus permanent compte tenu notamment de l'importance de notre participation financière à la reconstruction de cette région, aux équipements et aussi au fonctionnement de l'autorité palestinienne. Cette décision a été envisagée, va être examinée et n'a pas été prise. Quant à la présidence irlandaise, je voudrais simplement indiquer qu'elle a été excellente jusqu'ici, j'espère qu'elle continuera, je n'en doute pas. Mais elle a été vraiment excellente, parce que ce n'était pas facile et les travaux ont été remarquablement préparés, et remarquablement conduits par la présidence irlandaise. Ça je tiens à lui rendre hommage sans réserve.

question

- Monsieur le Président, puisqu'on parle d'ambitions et de négociations il y a bien nécessairement un plus grand dénominateur commun que vous attendez et un plus petit dénominateur que vous êtes prêt à accepter, donc pourriez-vous m'en dire deux mots, s'il vous plaît ?

le president

- Vous savez, je ne vais pas reprendre tout le schéma des trois piliers. L'ambition c'est d'avoir au lendemain de la réforme des institutions mieux adaptées, plus démocratiques, plus efficaces et adaptées à l'élargissement ; c'est d'avoir un troisième pilier qui corresponde davantage aux préoccupations des gens, notamment je l'ai dit en matière de sécurité intérieure, de justice, de lutte contre la criminalité, la drogue, etc.. Et troisièmement d'avoir une politique étrangère et de sécurité commune disons mieux coordonnée, plus visible, voilà qu'elle est l'ambition. Alors, à partir de là naturellement, chacun voit le soleil à sa fenêtre et chacun va faire ses propositions on arrivera sans aucun doute à une solution globale qui tienne compte des préoccupations des uns et des autres.

question

- Monsieur le Président, pardonnez-moi de revenir sur le Proche-Orient, vous avez longuement reçu Yasser Arafat qui s'est adressé à vous en vous appellant Docteur Chirac ?

le president

- Oui, il ne s'est pas adressé à moi, il s'est adressé à l'Union Européenne, n'est-ce pas.

question

- Est-ce que vous avez l'impression qu'une lettre va peser lourd dans le cas des négociations compte tenu de la gravité de la situation ?

le president

- Ce dont j'ai l'impression, c'est que si on ne fait rien cela sera encore moins bon, même si je n'ai pas le sentiment que nous allons faire des miracles au sens propre du terme. Je répète, je ne crois pas que la sécurité s'impose par la force, je crois que la sécurité qui est nécessaire pour tous les Israéliens et chacun le comprend bien, dépend en réalité de la paix et que la paix dépend de la reprise d'un processus de négociation. Il faut d'une part se parler et de ce point de vue la réunion de Washington a été bonne et l'initiative américaine a été bonne et il ne suffit pas de se parler il faut aussi faire des gestes visibles et forts. C'est ce que, vous le verrez dans la lettre que nous adressons, l'Union européenne indique aux israéliens et aux palestiniens. Etant bien entendu que tout ceci doit être fait avec un minimum de délicatesse, il n'est pas question de faire d'ingérence dans les affaires intérieures ni d'Israël, ni de l'autorité palestienne, il n'est pas question pour nous, Union européenne d'être pour les uns plutôt que pour les autres. Nous sommes pour la paix mais le système est actuellement si fragilisé, si déconnecté des réalités et que je crois que le Président Arafat a été bien inspiré en disant qu'il faut que toutes les bonnes volontés se mobilisent et personne ne peut contester que l'Union européenne représente une force de bonne volonté et d'ailleurs elle le prouve tous les jours sur le terrain en participant très activement par ses deniers au fonctionnement et à l'équipement de ce pays. Voilà, je vous remercie.