LE PROGRES DE LYON

Mercredi 26 juin 1996

G7 : ce que veut Chirac

Le sommet des sept pays les plus riches du monde s'ouvre demain. Les Lyonnais perçoivent l'imminence de cette grand-messe internationale : ballets d'hélicoptères, afflux de forces de l'ordre, barrières métalliques et circulation déviée. Mais au-delà de l'anecdote, ce sont des dossiers cruciaux qui seront évoqués à Lyon. Dans un entretien accordé à notre journal, le président de la République fixe les enjeux de ce rendez-vous. Et Jacques Chirac ajoute une note pédagogique à son propos, en expliquant que les G7 ont une incidence sur la vie quotidienne de chacun.

PROPOS RECUEILLIS PAR GERARD ANGEL ET FRANCIS BROCHET

Il y a un an, Jacques Chirac a choisi Lyon pour organiser à partir de ce jeudi le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des sept pays les plus riches du monde. Ce témoignage d'estime et de confiance à l'égard de la seconde agglomération française, il le double aujourd'hui d'une attention particulière pour les habitants de Lyon et de sa région en recevant leur journal, Le Progrès. Le Président de la République nous a accueilli hier dans son bureau de l'Elysée et nous a consacré plus de quarante minutes pour évoquer, de façon très libre, les grands enjeux de ce G7. On notera l'importance qu'il accorde aux problèmes de santé publique, et particulièrement à ces maladies infectieuses qui, à sa demande, seront l'un des sujets de discussion de cette réunion de travail. Le chef de l'Etat en profite aussi pour tenter de nous faire prendre conscience de la réalité de ce sommet qui, même si nous n'en avons pas conscience, n'est pas sans conséquence sur notre vie quotidienne et sur la santé de notre économie. Sans dissimuler les difficultés actuelles, il n'en fait pas moins profession d'optimisme en expliquant que le redressement de la France peut aller plus vite qu'on le croit habituellement. Cette rencontre a été aussi pour Jacques Chirac l'occasion de rendre un hommage appuyé à celui qu'il nomme son "ami Raymond Barre". Rappelant que le maire de Lyon avait été, il y a vingt ans, sherpa du premier G7 de Rambouillet, il souligne qu'il a "tenu à l'associer pleinement à ce grand rendez-vous" qui aura Lyon pour cadre.

"la France doit vivre à l'heure mondiale"

Mondialisation, assainissement des finances publiques et santé : pendant quarante minutes, le chef de l'Etat nous a reçu, hier, pour évoquer les enjeux du sommet du G7 de Lyon.

A l'Elysée, l'ambiance a changé. Les Gardes Républicains sont toujours devant l'entrée du Faubourg Saint-Honoré, la porte du bureau présidentiel n'en reste pas moins ouverte et c'est Jacques Chirac qui vient nous accueillir, main tendue. Passage rapide par sa salle de réunion personnelle où trônent deux portraits en pied du Général de Gaulle et de Georges Pompidou. La rencontre se déroule dans le bureau dont les hautes fenêtres donnent sur le parc. Mais, à quelques heures de l'ouverture du sommet de Lyon, chacun a mieux à faire que s'extasier sur le décor, sur la pendule ou sur la statuette d'un chef mexicain aux bras levés, antérieure au Xe après Jésus Christ et qui lui a été offerte par ses collaborateurs pour le premier anniversaire de son élection à la tête de l'Etat.

Le Président de la République va, pendant quarante minutes, concentré et détendu, évoquer pour nous les enjeux du G7. Parmi ceux-ci, il en est un dont on a jusqu'à présent très peu parlé - le problème des maladies infectieuses - et qui n'est sans doute pas le moins important. "Il y a l'urgence d'une prise de conscience au plus haut niveau politique des grands pays de cette situation. Ce G7 doit en être l'occasion" lance-t-il avec conviction. Incontestablement, la situation est, à ses yeux, grave. Et d'étayer son propos en allant puiser dans sa serviette posée au pied du bureau un dossier sur le sujet. Les chiffres qu'il cite en parcourant quelques feuilles dont on voit qu'il les a surlignées sont effectivement inquiétants, ces vingt dernières années sont apparues quelque trente maladies nouvelles (Sida, virus Ebola, Hépatite C, Encéphalite spongéiforme bovine) pour lesquelles n'existent ni traitement, ni vaccin. "D'autres maladies sont peut-être tapies dans l'ombre" ajoute-t-il avant de s'inquiéter de la recrudescence de pathologies familières développant de nouvelles formes incurables, résistant à tout antibiotique telle la malaria. Bien sûr, le G7 en soi n'apportera aucune solution médicale. Ce qui compte pour le Président c'est la volonté commune de relancer la recherche, et plus particulièrement virologique, bactériologique et parasitologique, quelque peu délaissée ces dernières années au profit de la seule biologie moléculaire.

Il vaut mieux parler que se battre

Voilà déjà une première réponse à l'éternelle question : à quoi servent les G7 ? Jacques Chirac fait une première constatation, il vaut mieux parler que se battre. C'est vrai sur le plan militaire, ça l'est tout autant en matière de relations politiques et commerciales "A la confrontation et à l'épreuve de force qui tournent toujours très mal doit se substituer la concertation. C'est le rôle des sommets, tel que le G7 ou le Conseil européen".

Depuis quelques années, la Russie s'est jointe à cet effort de concertation. Elle sera, on le sait, présente à Lyon en la personne de son Premier ministre, associé à l'ensemble des discussions sur les sujets que l'on appelle "globaux". Depuis les menaces que font peser le trafic de drogue et le crime organisé jusqu'aux problèmes d'environnement liés à l'industrie nucléaire. Le Président, dont on connaît la passion pour ce pays, se réjouit sincèrement que ce sommet marque une nouvelle étape dans la participation pleine et entière de la Russie à ce que l'on nomme désormais le G8 politique. Bien sûr, il ne fera aucun commentaire sur l'élection présidentielle en cours. Mais c'est avec fermeté qu'il dit son espoir de voir se poursuivre le processus des réformes et de la démocratisation.

Être autour de la table, se parler, apprendre à se connaître, donc à mieux se comprendre - cet aspect informel détendu et presque amical du G7 est pour le Président la garantie d'un bon travail en commun des grands pays. On sent la volonté de convaincre, conscient qu'il est du scepticisme des Français face à ces "grand-messes". Et d'évoquer pour exemple, avec force détails parfois très techniques et de larges mouvements des mains pour appuyer sa démonstration, la crise financière mexicaine de décembre 1994 ; ses conséquences pouvaient être dramatiques, elle a été contenue de justesse. Lyon permettra justement la conclusion d'un accord, lequel donnera au Fonds monétaire international les moyens d'être prêt dans l'avenir à faire face sans délai à une crise de cette nature.

L'exemple mexicain n'est pas innocent. Il prouve que le G7, contrairement à ce qu'affirment ses détracteurs à travers le monde, n'est pas au service exclusif des puissants. Bien sûr, on peut estimer que les références rituelles à l'aide au développement depuis 20 ans que le G7 existe sont une simple façon pour les pays riches de se donner bonne conscience. Car nul ne peut nier que le niveau des aides, loin de monter, a plutôt régressé au fil des années. Jacques Chirac n'en disconvient pas. Le ton se fait inquiet, presque alarmé. "La tendance actuelle est au désengagement des grandes nations, notamment des Etats-Unis. C'est inacceptable". D'autant plus que, outre une baisse des enveloppes financières disponibles, une telle attitude donne le mauvais exemple à l'ensemble des pays développés.

Ce G7, on le sait aujourd'hui, va annoncer quelques décisions fortes en faveur des pays les plus pauvres de la planète : reconstitution des ressources de l'Association internationale de développement (AID), et du Fond africain de développement, moyens nouveaux donnés au Fonds monétaire international (FMI) par le biais de la mobilisation d'une partie de sa réserve d'or. La longue préparation du sommet de Lyon, les discussions auxquelles il a donné lieu, auront eu un grand intérêt : mettre la pression sur les pays tentés par le désengagement et, finalement, sauver l'essentiel pour assurer la nécessaire solidarité avec les nations les plus démunies.

L'aide au développement constitue une tradition de la politique française. Elle est aussi, insiste le chef de l'Etat, une nécessité pour notre pays. On a trop souvent tendance chez nous à sous-estimer l'importance de ce qui se passe en dehors de nos frontières, on oublie ainsi que notre économie ouverte sur le monde dépend désormais très largement de ses exportations. Or, une aide accrue aux pays les plus pauvres débouche sur une augmentation de la consommation mondiale, donc sur l'apparition de nouveaux marchés pour nos entreprises. Jacques Chirac puise dans l'histoire l'exemple du plan Marshall dont chacun reconnaît qu'il a profité autant, sinon plus, aux Etats-Unis qu'aux pays européens auxquels il était consacré.

De la même manière, l'aide au développement constitue une réponse aux problèmes d'une immigration issue en grande partie de ces pays défavorisés. Pour le Président, "c'est le moyen de limiter les flux migratoires qu'induit forcément la misère".

Lyon doit également préparer la réunion en fin d'année à Singapour de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). En discutant avec ses partenaires du G7, la France trouve là la possibilité de défendre ses intérêts, de faire en sorte que certaines de ses exigences soient prises en compte dans les règles qui seront retenues. C'est dans cet esprit que le chef de l'Etat va évoquer à partir de ce jeudi les conditions de travail inacceptables, attentatoires à la dignité de l'homme, qui prévalent dans certains pays : travail des enfants, réquisition des prisonniers pour la production "Nous souhaitons qu'il y ait un lien entre le commerce et la dignité de l'homme au travail" précise Jacques Chirac. Ce qui est en jeu, au bout du compte, c'est bien pour lui l'avenir de notre industrie du texte ou de la chaussure française.

"La rive calme"

On le voit, le programme du G7 n'ignore rien de la réalité quotidienne des Français. Rien de ce qui se décide dans les différents domaines à l'ordre du jour ne peut nous être étranger. Et c'est bien pourquoi Jacques Chirac a consacré autant de son temps à la préparation minutieuse de cette réunion. Il n'en oublie pas moins les préoccupations quotidiennes de ses concitoyens. Il sait que la situation économique est difficile. Il mesure l'ampleur du chômage et il souligne l'insuffisance de la croissance. Même si, il le reconnaît, un retour de croissance ne suffirait pas à résoudre la question de l'emploi.

Les objectifs s'accumulent et rendent l'exercice particulièrement difficile. Jacques Chirac souhaite en effet réaliser trois ambitions simultanées. Il veut lutter contre le chômage, maintenir notre modèle social et stimuler la croissance. L'exercice est d'autant plus difficile que, pour reprendre son expression, nous avons dans le passé par trop mangé notre blé en herbe. Une façon imagée de souligner notre endettement excessif dont les conséquences se mesurent aujourd'hui dans l'évolution négative de l'activité et de l'emploi.

Néanmoins, le Président de la République veut faire profession d'optimisme. Il considère que l'assainissement des finances publiques et l'effort engagé doit assurer le redressement. "Nous sommes au milieu du gué là où le courant est le plus fort et où les difficultés à progresser sont les plus grandes. On ne peut ni s'arrêter, ni reculer. Il faut maintenir notre effort pour atteindre la rive calme".

Pas de date pour ces lendemains qui chantent, pour ce bout du tunnel nouvelle version. Mais Jacques Chirac se dit persuadé, se fondant sur son expérience, que le redressement pourrait intervenir vite, plus vite que prévu.

Et si le G7 était, après tout, l'un des moyens de réaliser cette ambition ?

GERARD ANGEL ET FRANCIS BROCHET

Les audaces d'un réaliste

Et de quatre ! Jacques Chirac, un an tout juste après s'être installé à l'Elysée, se prépare une nouvelle fois à occuper les devants de la scène internationale. Après la reprise des essais nucléaires, largement dénoncée dans le monde mais qui a montré sa volonté d'assurer l'indépendance de la France, après être parvenu à entraîner enfin les Etats-Unis dans le règlement du conflit en ex-Yougoslavie, après ses efforts pour que s'apaisent les tensions au Proche Orient, le président de la République peut aujourd'hui se féliciter d'avoir obtenu qu'un nouvel effort en faveur de l'aide au développement soit au coeur du G7. C'était pourtant loin d'être joué d'avance.

Les Français passent pour insensibles à tout ce qui touche à la politique internationale. Ils s'accorderont cependant à constater que leur Président a réussi son examen d'entrée dans le club très fermé des chefs d'Etat des grandes puissances mondiales.

Nul ne pouvant contester son attachement au poids de la France dans le monde. Jacques Chirac s'en retrouve d'autant plus libre pour tirer les conséquences du nouvel ordre mondial. L'influence française ne peut plus se nourrir de la rivalité de deux superpuissances. Elle en prend acte avec son Président qui resserre les liens avec l'Otan, qui réaffirme son engagement européen et se montre prêt à associer ses partenaires du G7 à la traditionnelle politique de coopération sur le continent africain.

A sa manière, Jacques Chirac est en train de montrer que le réalisme peut être audacieux.

G.A. ET F.B.

le choix de Lyon

"Organiser de telles réunions internationales en dehors de Paris, dans les grandes villes de province, donne une image plus forte de la France".

La décision de Jacques Chirac d'accueillir le G7 à Lyon ne tient pas seulement, comme certains ont voulu le croire, à son désir de faire découvrir la gastronomie locale à ses homologues. Le président de la République a sauté sur l'occasion pour donner un relief particulier à ce sommet. Choisir une grande ville de province présente à ses yeux un double avantage. L'événement prendra plus d'importance à Lyon qu'il n'en aurait eu à Paris. Notamment sur le plan médiatique grâce, il le dit lui-même, à la presse quotidienne régionale. En outre, il est convaincu que tous les étrangers qui feront le déplacement seront animés d'un intérêt et d'une curiosité qu'ils n'auraient pas manifesté à Paris, une capitale qu'ils connaissent déjà.

Naturellement, le premier souci du Président n'est pas touristique. Il croit que de tels signes permettent de trouver un meilleur équilibre entre Paris et la Province. Une pierre supplémentaire apportée à la politique d'aménagement du territoire qui reste prioritaire à ses yeux. Dans cet esprit se tiendront bientôt à Bordeaux le sommet franco-britannique et à Marseille, le franco-espagnol. "C'est une manière d'affirmer que la France est une grande nation riche de plusieurs pôles économiques et culturels de dimension internationale".

Il connaît naturellement les limites de cette volonté. La preuve ? Il reconnaît bien volontiers dans un sourire que, capacité hôtelière oblige, pareil sommet n'aurait pu se tenir à Ussel.