INTERVIEW ACCORDEE

PAR MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

A LA TELEVISION TCHEQUE CT1

PALAIS DE L’ELYSEE

MERCREDI 20 NOVEMBRE 2002

QUESTION – Monsieur le Président, comment voyez-vous l'importance de ce sommet de l'OTAN, auquel vous assisterez à Prague dans quelques jours, pour la sécurité européenne, pour la sécurité dans le monde ?

LE PRESIDENT – Je voudrais d'abord dire combien je suis heureux d'aller à Prague. Prague, grande et belle ville, et Prague, un élément important de la culture et de l'histoire de l'Europe. Et je suis aussi très heureux, et je dirais ému, d'avoir été désigné pour être le porte-parole de l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement qui seront réunis pour la grande réunion de l'Alliance afin de rendre hommage au Président Vaclav HAVEL.

Le Président HAVEL est un grand intellectuel, est un homme de culture, de lettres, c'est aussi un acteur tout à fait exceptionnel de la lutte contre le totalitarisme et c'est enfin un grand Européen qui aura eu un rôle essentiel dans l'élargissement aussi bien de l'Alliance atlantique que de l'Union européenne et qui aura ouvert à son pays, notamment, les portes de l'Alliance atlantique et celles de l'Union européenne. C'est donc pour moi émouvant de lui rendre cet hommage.

Quelle est la signification, c'est votre question, de cette réunion ? Je crois d'abord que la signification profonde, c'est l'élargissement, qu'il s'agisse de l'Alliance atlantique, qu'il s'agisse de l'Union européenne. C'est un pas supplémentaire important qui aura lieu à Prague, et quelques jours après à Copenhague, vers la réunification de l'Europe, c'est-à-dire vers la paix et vers la démocratie dans notre continent. Cela, c'est essentiel.

C'est également l'affirmation du caractère indivisible de la sécurité entre l'Amérique et l'Europe et c'est très important. C'est enfin l'affirmation qu'il ne doit pas y avoir de nouvelles fractures en Europe et que, par conséquent, cette Organisation reste ouverte, aussi bien l'OTAN que l'Union européenne, reste ouverte pour les autres pays européens qui ne les ont pas encore rejoints. Cela veut dire également que, dans ce contexte d'enracinement de la paix, de la démocratie et de la sécurité dans notre continent, nous devons avoir des relations, et c'est ce qui se développe de plus en plus, fortes, cordiales, confiantes, amicales entre l'OTAN et l'Union européenne d'un côté et la Russie de l'autre. Voilà la grande signification, je crois, de l'importante réunion qui aura lieu à Prague.

QUESTION – Vous l'avez dit, Monsieur le Président, la sécurité commence à être indivisible dans notre monde globalisé. Quelles sont les responsabilités, quelles devraient être les responsabilités et les compétences des différents acteurs qui interviennent dans la sécurité mondiale, comme l'ONU, l'OTAN, l'Union européenne, la super puissance américaine ?

LE PRESIDENT – Je dirais que la responsabilité de chacun, c'est d'adapter en permanence les moyens aux problèmes auxquels nous somme confrontés. On voit bien que ces problèmes, notamment depuis le 11 septembre et l'attaque des Etats-Unis, l'attaque terroriste, que ces moyens doivent être améliorés, modernisés et, cela, c'est l'une des grandes ambitions de la réunion de Prague : adapter nos forces pour les rendre plus flexibles, plus efficaces. C'est une première exigence. La deuxième exigence, c'est effectivement d'être cohérents avec l'organisation du monde. Et, vous l'avez évoquée, cette organisation du monde dépend pour une large part du rôle de l'ONU et du Conseil de sécurité de l'ONU, qui est la seule instance qui a vocation à incarner la légalité internationale et qui, par conséquent, est la seule instance qui est fondée à mettre en oeuvre une action de type militaire, en particulier, à en prendre la responsabilité, à engager la communauté internationale. Il doit donc y avoir un lien très étroit entre les réflexions qui sont les nôtres sur le plan régional, celui de l'OTAN, sur le plan européen, celui de la défense européenne, tout ceci devant être coordonné, cohérent et, d'autre part, la règle éthique internationale qui donne à l'ONU et à son Conseil de sécurité la vocation à affirmer, à incarner la légalité internationale.

QUESTION – Je partirai de nouveau de votre réponse, Monsieur le Président. L'OTAN cherche maintenant des réponses meilleures, plus efficaces, aux menaces de notre temps. L'Union européenne est en train de structurer sa force de défense, sa politique commune de défense. Comment voyez-vous la complémentarité de ces deux structures dans la défense de la paix en Europe ?

LE PRESIDENT – Cette complémentarité doit être clairement affirmée et assumée. Je prends un exemple : on peut imaginer qu'un problème, une crise, un conflit concernant directement l'Europe, en Europe ou à l'extérieur de l'Europe, mais concernant l'Europe, n'implique pas, n'intéresse pas les Etats-Unis. Il faut que l'Europe ait les moyens d'assumer sa responsabilité dans cette hypothèse et, donc, qu'elle ait les structures et la capacité de le faire. Cela, c'est le développement de la politique européenne de défense qui s'affirme chaque jour davantage. Et, deuxièmement, il est évident que cela ne peut pas se faire de façon incohérente avec l'organisation de l'Alliance atlantique. Il y a donc la recherche d'une cohérence entre les deux, qui est naturelle et qui doit être clairement affirmée. C'est autrement dit un partenariat qui est indispensable entre l'Europe de la défense qui se construit, qui se développe, qui s'affirme et qui s'affirmera de plus en plus et, d'autre part, l'Alliance atlantique. C'est un problème de cohérence. Je crois que cela ne pose pas de difficulté particulière.

QUESTION – Pas de danger d'interférence nocive, gênante ?

LE PRESIDENT – Je ne le pense pas. Chacun a bien conscience qu'il y a là deux responsabilités un peu différentes, les responsabilités régionales de l'OTAN, la responsabilité propre de l'Europe, et chacune de ces deux responsabilités doit être assumée de la façon la plus efficace possible et la plus cohérente possible.

QUESTION – Monsieur le Président, vous avez décrit le panorama de la situation mondiale actuelle, quelle est la place et quelle est la qualité des relations franco-tchèques dans ce panorama ?

LE PRESIDENT – Ces relations sont aujourd'hui excellentes. Elle sont excellentes parce qu'il est naturel entre nos deux peuples de s'entendre, que nous avons beaucoup de points communs et d'intérêts communs. Elles sont excellentes aussi probablement grâce à la personnalité du Président HAVEL qui a toujours été un homme d'ouverture et de dialogue, de paix. Et, alors, j'en veux pour preuve les très bonnes relations politiques entre votre pays et le nôtre, des relations économiques qui s'accroissent et qui s'accroîtront encore davantage avec l'entrée de la République tchèque dans l'Union européenne et puis, je dirais également, sur le plan culturel, que nous nous retrouvons de plus en plus. Je vais prendre un exemple : le succès extraordinaire de la saison culturelle tchèque à Paris, qui est un très beau succès, ce qui montre bien l'intérêt et l'importance que les Français attachent à tout ce qui vient de la République tchèque sur le plan culturel.

QUESTION – On a parlé de l'élargissement, c'est pratiquement la fin de ce processus de l'élargissement, maintenant. Peut être l'unique problème qui reste encore, c'est la situation des agriculteurs. On vous connaît, Monsieur le Président, comme grand défenseur des agriculteurs français. Est-ce que vous comprenez de la même façon la lutte des agriculteurs tchèques pour une situation égale avec les autres agriculteurs européens ?

LE PRESIDENT – Je les comprends parfaitement et c'est la raison pour laquelle j'ai soutenu activement les propositions faites par la Commission pour ce que l'on appelle le "phasing in", c'est-à-dire l'attribution des aides directes agricoles aux pays candidats et qui vont demain être des membres de l'Union européenne.

QUESTION – On a parlé de la lutte pour la paix dans le monde entier. Maintenant, le terrorisme, c'est le danger le plus grand. Comment voyez-vous la structuration de la lutte anti-terroriste mondiale ? Sous quelle bannière cette lutte devrait-elle se développer, se dérouler ?

LE PRESIDENT – Elle doit se dérouler dans le cadre de l'ONU et elle a beaucoup de facettes. Il y a naturellement les moyens militaires qui doivent être mis en oeuvre pour lutter contre le terrorisme. Il y a également les moyens de la justice, les moyens de la police, les moyens des services de renseignements, pour s'informer, pour prévenir, pour sanctionner, en particulier tout ce qui touche le financement du terrorisme. Et puis, il faut bien comprendre que le terrorisme se développe également sur un terreau qui facilite en quelque sorte son développement et il faut en prendre conscience. Ce terreau, c'est la misère, c'est la pauvreté, c'est l'humiliation, ce sont les crises qui ne sont pas réglées et qui existent et qui engendrent des ressentiments, des haines. Tout cela doit être pris en compte, c'est aussi un aspect indispensable de la lutte efficace contre le terrorisme.