Interview de M. Jacques CHIRAC, Président de la République accordée au quotidien "Les Nouvelles Calédoniennes".

Mercredi 23 juillet 2003.

QUESTION – Cela fait 16 ans que vous n'êtes pas venu en Nouvelle-Calédonie. Les Calédoniens ne vous ont-ils pas manqué durant cette longue période ?

LE PRESIDENT– Si, bien sûr. Car, même si je suis toujours très attentif à tout ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie, rien ne peut remplacer une rencontre avec les Calédoniens, pour qui j'ai une grande affection. Je suis donc heureux de réserver à la Nouvelle-Calédonie ma première visite outre-mer depuis le début de mon quinquennat.

QUESTION – Tout le monde connaît votre attachement aux populations d'outre-mer. Comment avez-vous vécu ces années déterminantes dans l'histoire de la Nouvelle-Calédonie avec la signature des accords de Matignon en 1988 puis de l'accord de Nouméa en 1998 ?

LE PRESIDENT– Après tant de déchirements et de souffrances, la Nouvelle-Calédonie a eu ce magnifique sursaut de vouloir construire son avenir dans la paix et le respect de l'autre. Ces années déterminantes dans l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, nous les devons à deux hommes d'une stature exceptionnelle qui forcent l'admiration : Jean-Marie TJIBAOU et Jacques LAFLEUR. Nous ne devons jamais oublier ce qu'ils ont fait pour que tous les Calédoniens retrouvent ensemble les voies du dialogue et le chemin de la concorde.

QUESTION – Quel est votre sentiment aujourd'hui sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie ?

LE PRESIDENT– Le chemin parcouru est important. Mais nous devons rester vigilants pour que les équilibres que les Calédoniens ont su créer, soient confortés. J'ai confiance dans leur volonté partagée de construire une terre pleine de promesses et d'avenir. La Nouvelle-Calédonie a des potentialités extraordinaires. Elle est appelée à jouer un rôle de premier plan dans le Pacifique.

QUESTION – Abstraction faite des impératifs inhérents à votre fonction, quelles sont les motivations qui vous ont décidé à effectuer cette année une visite officielle en Nouvelle-Calédonie ?

LE PRESIDENT– Ma visite intervient à un moment où la Nouvelle-Calédonie a un certain nombre de défis à relever. Il faut réussir les transferts de compétences prévus dans l'Accord de Nouméa. Il faut aussi réussir le rééquilibrage économique entre les trois Provinces. L'État est un partenaire actif qui doit faciliter la réalisation de ces objectifs. J'ai souhaité, en outre, à l'occasion de ce déplacement dans le Pacifique, relancer la coopération française avec l'ensemble des États de la région. La France est un acteur de la stabilité dans le Pacifique Sud, qui est déjà l'une des régions les plus importantes du monde.

QUESTION – Deux projets métallurgiques d'envergure, porteurs d'espoir pour l'ensemble des populations, notamment en matière de développement et d'emplois devraient être déterminants pour l'avenir économique de la Nouvelle-Calédonie. Concrètement, comment s'inscrit l'action de l'État (défiscalisation, participation aux équipements annexes...) dans l'aboutissement de ces deux projets ?

LE PRESIDENT– La Nouvelle-Calédonie dispose d'un patrimoine minier exceptionnel. L'État entend bien accompagner le développement des projets métallurgiques comme il vient de le faire pour porter à 75 000 tonnes la capacité de production de l'usine de Doniambo. S'agissant de l'usine du Nord, il est clair que ce projet est une priorité absolue pour le rééquilibrage de la Nouvelle-Calédonie. Quant au projet du Sud, je souhaite une reprise rapide des travaux et la construction prochaine par Enercal de la centrale électrique sur le site de Goro. L'État est très attaché à ces deux projets du Nord et du Sud et les soutiendra. Mais bien sûr, il ne s'agit pas pour lui de se substituer à la responsabilité des entreprises pour mener à bien ces projets. La mission confiée à Madame Anne DUTHILLEUL par le gouvernement permettra de définir les interventions publiques envisageables, notamment la défiscalisation. Je serai, vendredi, à Koné pour en discuter avec les élus et les responsables concernés.

QUESTION – L'un des temps forts de votre séjour sera consacré à une rencontre avec les jeunes de ce pays. Que doivent-ils en attendre ?

LE PRESIDENT– Je suis, à l'avance, très heureux d'avoir ce dialogue avec les jeunes Calédoniens au Centre culturel Tjibaou. Je veux être à leur écoute pour mieux comprendre leurs difficultés et leurs attentes. Tout ce que nous faisons n'aurait aucun sens si nous n'étions pas mobilisés par l'ambition d'offrir aux jeunes de Nouvelle-Calédonie de réelles perspectives d'avenir, et en particulier des formations leur permettant de déboucher sur de vrais emplois durables. Je souhaite qu'ils soient pleinement associés à la construction de ce destin commun, car ce sont eux qui feront la Nouvelle-Calédonie de demain. C'est d'abord pour cette jeunesse que nous travaillons. Elle est la meilleure chance et le plus bel atout de la Nouvelle-Calédonie. C'est avec elle et pour elle que nous réussirons.

QUESTION – Vous allez également intervenir sur les problèmes d'environnement dans le Pacifique. Dans ce domaine, le classement du récif corallien au patrimoine mondial de l'humanité est un dossier qui divise la classe politique locale. Quel est votre point de vue ?

LE PRESIDENT– La Nouvelle-Calédonie dispose d'un environnement exceptionnel et reconnu. Son patrimoine terrestre et marin, si riche et si diversifié, constitue un atout majeur qu'il convient de préserver pour les générations futures.

La barrière de corail de la Nouvelle-Calédonie, avec une longueur de 1600 kilomètres, est la deuxième plus grande du monde après celle de l'Australie.

Avec la charte de l'Environnement, la France sera l'un des premiers pays à inscrire dans sa Constitution les principes nécessaires à la protection de la Nature. En Nouvelle-Calédonie, cette démarche se fera dans le respect de l'Accord de Nouméa. Il appartient en effet aux Provinces, dont c'est la compétence, de mettre en place une réglementation pour protéger efficacement l'environnement et en particulier les récifs coralliens. C'est un préalable indispensable au classement éventuel par l'UNESCO de ces récifs au patrimoine mondial de l'humanité

L'Etat est prêt à mettre sa capacité d'expertise à la disposition des provinces pour les aider à engager ensemble des actions de protection. La voie du développement durable est la seule possible dans le monde de demain.

QUESTION – Un autre sujet, très politique celui-la, concerne le corps électoral restreint appelé à voter aux élections provinciales. Le dossier est entre vos mains depuis plusieurs mois. La ministre de l'Outre-Mer, Brigitte GIRARDIN, devait vous faire des propositions à l'issue du dernier comité des signataires de l'Accord de Nouméa. Arrivez-vous avec une solution définitive sur ce dossier ?

LE PRESIDENT- L'État est dans son rôle en s'efforçant sans relâche de faire émerger le consensus chaque fois que l'on se trouve devant une difficulté, c'est le cas de ce dossier qui pose des problèmes juridiques complexes et qui est très sensible politiquement. Je me réjouis que le dernier comité des signataires présidé par Brigitte GIRARDIN ait enregistré de remarquables progrès sur cette question. Je crois que chaque partenaire a compris que le temps n'était plus aux polémiques et aux affrontements sur ce sujet qu'il ne faut pas dramatiser. J'en discuterai sereinement avec nos partenaires avant de proposer une solution qui ne peut être que consensuelle.

QUESTION – Il fut question, pendant un temps, que l'itinéraire de votre déplacement dans le Pacifique passe par l'Australie et même la Nouvelle-Zélande. La position de la France concernant la guerre en Irak semble avoir remis en question ces étapes. Comment interprétez-vous ce contretemps à un moment où le réchauffement des relations entre la France et l'Australie était bien engagé ?

LE PRESIDENT– J'attache la plus grande importance à nos relations avec l'Australie et la Nouvelle Zélande.

Les sujets d'intérêt commun ne manquent pas, y compris bien sûr la coopération régionale à développer avec la Nouvelle-Calédonie. Nos liens commerciaux avec l'Australie sont en plein essor. La communauté française d'Australie connaît par ailleurs une expansion importante.

J'ai souhaité consacrer ce déplacement à mes compatriotes de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. Avec mes homologues australiens et néo-zélandais, nous avons convenu de rechercher d'autres dates.

QUESTION – Plus globalement, quelles ambitions nourrit le président de la République française pour les territoires d'outre-mer dans le Pacifique ?

LE PRESIDENT– Les collectivités françaises dans le Pacifique portent le message, les valeurs et la vision de la France dans cette partie du monde. La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis et Futuna ont un rôle essentiel à jouer pour vivifier le dialogue et la coopération de la France avec les États voisins. J'ai confiance dans la capacité de nos compatriotes du Pacifique à faire en sorte que nos territoires rayonnent et s'épanouissent dans cette région du monde dont l'avenir est prometteur La Nouvelle-Calédonie est, d'ores et déjà, observateur au Forum des Iles du Pacifique, la Polynésie française doit pouvoir également accéder à ce statut. Le moment est venu d'amplifier cette politique de coopération et de dialogue. Les exécutifs des Territoires doivent devenir les interlocuteurs privilégiés des pays de la zone.. Le gouvernement, de son côté, ne ménage aucun effort pour développer l'économie et l'emploi dans ces collectivités. La loi programme sur 15 ans qui vient d'être adoptée par le Parlement représente un effort sans précédent pour l'outre-mer, avec pour ambition, la réalisation de l'égalité économique.

QUESTION – Lors de sa récente visite sur le territoire, la ministre de l'Outre-Mer, Brigitte GIRARDIN a affirmé que votre venue serait « un moment fort pour la Nouvelle-Calédonie et pour les Calédoniens ». Quel message souhaitez-vous leur adresser dès votre arrivée ?

LE PRESIDENT– Au-delà de l'amitié et de l'affection que j'ai pour tous les Calédoniens, je veux tout d'abord adresser à chacune et à chacun un message de fraternité. Je veux aussi leur dire ma confiance. Je sais qu'ils mettent tout leur coeur et tout leur talent pour valoriser les richesses extraordinaires de leur territoire, pour bâtir leur avenir commun. Ils savent qu'ils peuvent compter sur mon engagement constant à leurs côtés pour que la Nouvelle-Calédonie réussisse. Cette réussite sera notre fierté commune.