Article de M. Jacques CHIRAC, Président de la République pour le journal de la Convention sur la diversité biologique.


Conférence des parties de Curitiba, mars 2006

La crise qui affecte le patrimoine naturel est sans précédent : au rythme actuel des pertes que nous infligeons à la biodiversité, la moitié des espèces vivantes aura disparu d'ici à la fin de ce siècle.

Depuis le Sommet de Rio, en 1992, l'humanité a commencé à prendre la mesure de cette menace qui, au même titre que le changement climatique, pèse aujourd'hui sur l'avenir de notre planète. Toujours plus nombreux sur un espace fini aux ressources limitées, nous devons aujourd'hui inventer un nouveau mode de développement durable compatible avec la préservation des écosystèmes, afin de ne pas souffrir demain de leur disparition. Au-delà de la perte écologique irrémédiable que représenterait l'extinction des baleines, des grands singes d'Afrique, mais aussi de nombreuses plantes et micro-organismes, les enjeux sociaux de la préservation de la biodiversité sont immenses. Le développement économique des pays du Nord comme du Sud, mais aussi le bien-être des générations futures, à travers notamment la recherche médicale, en dépendent.

Avec la Convention sur la diversité biologique, la communauté internationale s'est donnée pour objectif d'enrayer l'érosion du vivant d'ici 2010. De nombreux pays, dépositaires d'une extraordinaire part du patrimoine biologique mondial, ont commencé à prendre les nécessaires mesures de protection.

La France, pour sa part, consciente des devoirs que lui impose son exceptionnelle richesse biologique, a engagé un effort sans précédent pour préserver la diversité de ses écosystèmes en adoptant, en 2005, une stratégie nationale sur la biodiversité et, en 2006, une nouvelle loi sur les parcs naturels qui permettra la création, d'ici la fin de cette année, des parcs nationaux de la Réunion et de Guyane. Cet engagement s'est aussi traduit par l'accélération de la procédure de classement de la grande barrière de corail de Nouvelle Calédonie, le renforcement du Conservatoire du Littoral, le renforcement de la lutte contre les trafics d'animaux protégés et une coopération accrue avec les pays du Bassin du Congo pour la gestion durable de la forêt tropicale.

Pourtant, face à un phénomène de destruction qui s'accélère avec la mondialisation, la communauté internationale doit aller beaucoup plus loin dans la prise de conscience et dans l'action.
Alors que les conséquences du réchauffement climatique paraissent désormais comprises par l'opinion publique, les médias et l'ensemble des décideurs politiques, il n'en va pas encore de même pour la biodiversité. Cette différence de perception tient principalement, à l'état beaucoup plus avancé de la recherche dans le domaine du climat.
Le travail remarquable des scientifiques du monde entier, associés au sein du Groupement intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, a permis d'établir un consensus scientifique international sur la réalité et les conséquences du réchauffement, que beaucoup, au départ, se refusaient à admettre. Le GIEC a également permis d'informer l'opinion publique des dangers imminents liés au changement climatique.
C'est en vertu de cette expérience que j'ai souhaité organiser à Paris, en janvier 2005, la Conférence internationale « Biodiversité : Science et Gouvernance », afin de promouvoir un dialogue mondial entre scientifiques, décideurs politiques, représentants de la société civile et acteurs économiques du Sud comme du Nord. Cette conférence a permis de lancer un processus de concertation sur l'utilité d'un nouveau mécanisme international d'expertise sur la biodiversité, similaire au GIEC.
L'appui de la communauté scientifique à ce projet démontre à quel point un tel débat est aujourd'hui nécessaire. Il ne doit cependant pas être circonscrit aux seuls experts. C'est pourquoi un Comité de pilotage international a été constitué, regroupant tout à la fois des scientifiques, des gouvernements, des organisations internationales et des représentants de la société civile, dans une composition aussi équilibrée que possible. Je me réjouis qu'une présentation de l'état d'avancement de ses travaux puisse être faite à Curitiba, à l'occasion de la 8ème Conférence des Parties de la Convention sur la diversité biologique.
Mieux connaître ces phénomènes à l'échelle globale et régionale ne suffira pourtant pas. Améliorer l'efficacité de la gouvernance mondiale, régionale et locale en matière de biodiversité est tout aussi nécessaire. Le chemin parcouru depuis la négociation de la Convention sur la diversité biologique en 1992 est considérable. Pourtant, malgré la Convention, malgré ses plans, malgré ses décisions la perte de biodiversité, loin de ralentir, se poursuit. Face à cette situation, il nous faut d'urgence intensifier l'action internationale et en améliorer l'efficacité. C'est à ce prix que l'objectif collectif que nous nous sommes fixé sera atteint.
Premier pays au monde à avoir intégré une Charte de l'Environnement dans sa Constitution, la France entend poursuivre résolument son action au service de la diversité du vivant, en métropole comme dans ses départements et territoires d'Outre-Mer. Au-delà de ses frontières, elle continuera à s'engager, à titre bilatéral et multilatéral, pour la préservation de la biodiversité. Cet engagement, nous entendons le conduire aux côtés des pays du Sud, dépositaires d'un patrimoine exceptionnel dont ils dépendent pour leur développement, car la préservation de la biodiversité est aujourd'hui un défi mondial, une exigence de responsabilité et de solidarité.



Jacques CHIRAC