Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République française, devant le Conseil Consultatif à Riyad.


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Riyad - Arabie Saoudite - Dimanche 5 mars 2006.

Monsieur le Président,
Messieurs les membres du Conseil consultatif,

Je vous remercie de tout cœur des chaleureuses paroles avec lesquelles vous avez bien voulu m'accueillir. J'ai été très sensible à votre hospitalité. Je suis aussi sensible à l'honneur que vous m'avez fait en me permettant de m'exprimer devant votre assemblée et d'adresser à cette occasion, en mon nom personnel et au nom du peuple francais tout entier, un message d'amitié au peuple saoudien,que vous représentez ici, que vous reflétez ici dans sa diversité.

Car l'amitié est bien le sentiment qui décrit les rapports entre nos deux pays. J'en ai reçu moi-même d'innombrables témoignages depuis mon arrivée, tant de la part de Sa Majesté le roi Abdallah que des hauts responsables du Royaume et de tous ceux de vos compatriotes que j'ai eu le plaisir de rencontrer. Je sais qu'ils s'adressent non seulement à ma personne, mais aussi et surtout à la France, pays avec lequel l'Arabie entretient des relations exceptionnellement solides et confiantes, qui n'ont cessé de se renforcer au fil du temps.

Chacun conserve, vous l'avez évoqué, en mémoire la visite historique effectuée en 1967 à Paris par le roi Fayçal à l'invitation du général de Gaulle. Elle constitua la première page de l'histoire moderne de nos relations. Mais en revanche, beaucoup ignorent que dès 1841, la France avait ouvert à Djeddah un consulat qui fut transformé en ambassade dès la création du Royaume, en 1932. Par cette présence précoce, par un dialogue politique continu et par une coopération étroite dans les domaines économique, culturel ou militaire, la France s'est trouvée aux côtés de l'Arabie saoudite à toutes les étapes de son histoire.

En se rendant à Paris, en avril dernier, à mon invitation, Sa Majesté le roi Abdallah, alors Prince héritier, a bien voulu marquer la permanence de cette amitié et la solidité du partenariat stratégique que j'avais scellé en 1996 avec son prédécesseur, le regretté roi Fahd. Ce même esprit de partenariat inspire ma visite aujourd'hui, dans un contexte très particulier : la politique de renouveau engagée par le Roi suscite, à l'evidence, dans le Royaume un remarquable climat de confiance, mais la région, elle, est tout entière affectée, vous l'avez évoqué aussi, par de graves facteurs d'instabilité. Autant de raisons supplémentaires d'approfondir la concertation et la coopération entre nos deux pays.

Monsieur le Président,
Messieurs les membres du Conseil,

La situation régionale a été au centre des entretiens que j'ai eus hier avec Sa Majesté. Ils ont confirmé la grande proximité de vues que je constate à chacune de nos rencontres, comme d'ailleurs, lors de nos fréquents échanges téléphoniques. Si elle nous amène, malheureusement, à partager souvent la même inquiétude, elle nous invite aussi à conjuguer nos efforts pour relever les défis. Car nous sommes tous deux convaincus qu'il n'est pas de fatalité dans l'affrontement, que la paix est à notre portée dans la région. La position de nos deux pays sur la scène internationale leur commande de prendre toutes leurs responsabilités pour apaiser les tensions dans ce Moyen-Orient dont la stabilité est vitale pour notre monde tout entier.

En Iraq, la violence aveugle se déchaîne de nouveau. Malgré des élections qui avaient suscité l'espoir, les conditions de ce retour à la stabilité, que l'immense majorité du peuple iraquien appelle de ses vœux, n'ont pas encore été réunies. Il est vital que ce pays se dote rapidement d'institutions solides, capables de résister aux forces centrifuges qui menacent son unité, des institutions dans lesquelles chaque composante de sa population trouvera sa juste place. Tous les pays de la région doivent l'y aider, ainsi d'ailleurs que toute la communauté internationale.

En Iran, la voix de la raison que la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne avaient souhaité faire entendre sur le dossier nucléaire n'a pas, pour le moment, été écoutée. Pourtant, l'assurance a été donnée à l'Iran qu'il pourrait développer sa capacité nucléaire à des fins civiles, dans le cadre de ses engagements internationaux et du respect des règles de non-prolifération. La main reste tendue et l'Iran peut, à tout moment, la saisir en revenant à ses engagements de suspension de ses activités sensibles.

Au Liban, tout un peuple attend que la commission internationale chargée d'enquêter sur l'assassinat de M. Rafic Hariri établisse les responsabilités qui permettront d'en punir les coupables. Car la vérité et la justice sont indispensables pour rétablir, dans ce pays meurtri, la confiance nécessaire pour bâtir un avenir garantissant son indépendance, son unité et sa souveraineté. La Syrie, qui a toute sa place dans la région et dont les intérêts de sécurité sont légitimes, doit prendre en compte cette aspiration, de même que l'évolution du Proche-Orient et du monde. Elle doit changer de comportement, en particulier dans ses relations avec le Liban, et coopérer pleinement avec la commission d'enquête. De notre côté, nous devons rester unis et déterminés à obtenir la mise en œuvre intégrale des résolutions du Conseil de sécurité, faire cesser les ingérences et assurer la succès de la conférence internationale d'aide que le Liban attend avec impatience.

Le résultat des dernières élections palestiniennes, dont chacun salue le déroulement démocratique, a créé une situation nouvelle. La majorité sortie des urnes doit comprendre que seuls la reconnaissance d'Israël, l'abandon des violences et le respect des engagements internationaux lèveront les légitimes préventions. Elle doit savoir que seule la négociation, sur les bases de la légalité internationale, lui permettra de répondre aux aspirations de son peuple et de se doter de l'Etat auquel il aspire et auquel il a droit. Elle ne fera ainsi que rejoindre le consensus réalisé, au sein du monde arabe, autour de l'initiative du Prince héritier Abdallah, à Beyrouth, que vous évoquiez tout à l'heure, Monsieur le Président, en 2002.

Devant cette situation régionale préoccupante, nous nous devons, Saoudiens et Français, d'intensifier notre concertation et nos efforts pour mettre la communauté internationale devant ses responsabilités, notamment pour ce qui touche à la stabilité du monde. Je pense, en particulier, à la lutte contre la grande pauvreté qui exige de mobiliser d'urgence de nouveaux financements innovants.

Ce qui est en jeu, ce n'est pas seulement la stabilité de tel ou tel pays, c'est l'équilibre du monde tout entier. Les crises du Proche et du Moyen-Orient alimentent les tensions et aussi les rancoeurs, attisent les passions, donnent libre cours à tous ceux qui professent des idéologies de la violence et de l'affrontement. L'Arabie saoudite et la France rejettent l'idée d'un monde qui s'abandonnerait à la brutalité des rivalités et des rapports de force. Elles croient que le respect du droit international et des aspirations légitimes des peuples, que le dialogue et la négociation dans un esprit de solidarité doivent constamment inspirer nos efforts.

De cette proximité d'analyses et de cette convergence d'actions, je retire également le sentiment d'une exigence : alors que le contexte régional reste marqué par tant d'incertitudes et que le Royaume se mobilise courageusement afin d'affirmer son rôle modérateur face aux menaces, la France se doit de marquer sa disponibilité à s'engager plus avant encore que par le passé pour contribuer à la sécurité de votre pays.

Monsieur le Président,
Messieurs les membres du Conseil,

En acceptant l'invitation de Sa Majesté le roi Abdallah, gardien des deux saintes mosquées, j'ai également souhaité exprimer le soutien de la France à la direction dans laquelle il a engagé son pays. Il a su créer dans le Royaume, en dépit d'un contexte régional troublé, un climat de confiance qui, appuyé par un ambitieux programme d'investissements publics et par le dynamisme du secteur privé, engage l'Arabie sur une voie prometteuse, une voie que la communauté internationale tout entière se réjouit de la voir emprunter.

Le roi Abdallah s'emploie, avec sagesse, avec expérience, à doter son pays des moyens de répondre aux défis qui s'annoncent pour les prochaines décennies, en raison des incertitudes régionales comme des changements auxquels le monde ne saurait échapper. Sur le plan intérieur, son gouvernement y travaille en harmonie avec les avis et les propositions de votre assemblée, dont la représentativité a été élargie et les prérogatives confortées.

Je sais aussi que la qualité de vos débats, qui se déroulent en concordance avec les grands thèmes du ''dialogue national'' lancé en 2003, contribue à gagner au mouvement en cours la confiance d'un nombre croissant de Saoudiens.

Des développements tels que l'introduction du suffrage pour le renouvellement des conseils municipaux, dans un esprit de démocratie, ou l'arrivée des femmes dans les organes directeurs des Chambres de commerce, ont été suivis avec intérêts et sympathie en France et dans le monde. Les performances de l'économie du Royaume et les promesses qu'engendre sa diversification, à un moment où, vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, il vient d'adhérer à l'OMC, attirent l'attention de tous les investisseurs. La perspective d'un accord de libre échange entre le Conseil de coopération du Golfe et l'Union européenne, que la France appelle de ses voeux, devrait également stimuler nos échanges.

Pour affermir les bases de sa politique de renouveau et de croissance, le Roi a poursuivi, avec le courage et le succès que l'on sait, la mobilisation nationale face à la menace terroriste, contre laquelle il avait appelé à un engagement international. La France est solidaire du Royaume dans sa lutte contre ce fléau dont aucun pays ne se trouve à l'abri. Nous gagnerons ce combat en unissant nos efforts et en le conduisant dans le respect du droit et de nos valeurs.

Parce qu'elle observe avec intérêt l'impulsion que Sa Majesté donne à son pays dans tous les domaines et en apprécie les résultats prometteurs, la France manifeste aussi sa volonté d'accompagner ses efforts. Elle le fait déjà utilement par une coopération ambitieuse dans le domaine de la formation scientifique et technologique afin d'aider le Royaume à progresser dans sa politique de saoudisation, qui donnera à une jeunesse nombreuse sa juste place dans l'Arabie de demain.

Monsieur le Président,
Messieurs les membres du Conseil,

Avant de prendre congé de votre asemblée, et en la remerciant chaleureusement de m'avoir entendu, je voudrais l'assurer que si la France désire développer son partenariat avec votre grand pays, c'est bien dans le respect de l'identité, de la culture et des croyances de chacun.

Avec la mondialisation, tout se sait, immédiatement et partout. Nous ne sommes plus isolés, chacun dans son pays : nous partageons le même espace et nos destins deviennent intimement liés. Cette réalité nouvelle, profondément étrangère à l'expérience séculaire de nos peuples et de nos pays, doit nous conduire à redoubler d'attention et d'efforts pour préserver la paix. Plus que jamais, nous devons affirmer les valeurs universelles qui fondent notre existence en commun. Nous devons respecter la diversité des peuples, des croyances, des cultures et nous devons nous attacher aux valeurs de la tolérance. Nous devons cultiver toutes les occasions de dialogue pour éviter les incompréhensions. C'est tous le sens de la présence de Sa Majesté le roi Abdallah à Paris, en avril dernier, pour l'inauguration du Département des Arts Islamiques du Musée du Louvre. De même que l'exposition organisée par le Musée National de Riyad et le Musée du Louvre que Sa Majesté et moi allons inaugurer cet après-midi.

Egalement fortes d'une identité forgée par l'histoire et la culture, l'Arabie saoudite et la France peuvent unir leurs efforts pour faire échec à ceux qui, en attisant le feu des fanatismes, provoquent un triste ''choc des ignorances" qualifié de "choc des civilisations", alors que nous avons en partage des valeurs que nous devons travailler à faire fructifier en commun.

Monsieur le Président, Messieurs les membres du Conseil, je vous remercie.