PROPOS INTRODUCTIFS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE A LA REUNION PREPARATOIRE AU SOMMET DU G8 D’EVIAN AVEC LES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES

PALAIS DE L’ELYSEE – 30 AVRIL 2003

- Bienvenue à toutes et à tous pour cette réunion préparatoire au Sommet du G8 d’Evian.

- Avec cette réunion se poursuit un processus de consultation essentiel à mes yeux. Le G8 doit être une enceinte ouverte, à l’écoute des préoccupations des différentes composantes de la société. Il doit se donner pour mission de contribuer à une mondialisation humanisée et maîtrisée, au bénéfice de tous.

- Ces consultations doivent permettre de faire progresser les vues tout en laissant à chacun son rôle. Il appartient aux Etats, qui sont l'expression démocratique des peuples, de prendre les décisions nécessaires à l'exercice de leur mission. Il appartient aux associations de faire valoir leurs vues. Et le dialogue entre les États et les associations est un exercice qui s'impose de plus en plus dans le cadre de la démocratie participative.

- Outre les organisations non gouvernementales, actives dans les domaines de la coopération internationale, de la santé, de l’environnement ou des droits de l’homme, sont également présentes aujourd’hui les associations représentatives des collectivités décentralisées, qui ont une place croissante dans les actions de solidarité internationale.

- Les associations répondent à un besoin d'engagement et de solidarité dans nos sociétés.

- Elles ont une mission d’alerte, en mobilisant l’attention des gouvernements et de l’opinion publique, par exemple sur les atteintes aux droits de l’homme ou les situations de crise humanitaire.

- Elles ont une mission d’expertise et de proposition, par exemple dans la lutte conte le SIDA ou en ce qui concerne le commerce international.

- Elles ont une mission d’humanité, incarnant ainsi l'idée de solidarité universelle dont les effets en faveur des plus démunis sont inestimables.

- Elles contribuent à l’émergence d’une « société civile internationale », d’un « pôle social de la mondialisation » à laquelle j’attache grand prix.

- Et je suis particulièrement heureux de voir que les ONG françaises sont actives sur la scène mondiale, car c'est conforme à la vocation humaniste et universaliste de la France. Cela contribue à une diversité linguistique et culturelle indispensable à la qualité du débat mondial.

- Avant de vous donner la parole, je voudrais vous dire quelques mots sur les ambitions de la France pour le Sommet d’Evian, que j’orienterai autour de cinq thèmes : solidarité, croissance, responsabilité, sécurité et démocratie.

I. L’IMPERATIF DE LA SOLIDARITE POUR COMMENCER

- Une mondialisation plus humaine, c'est d'abord la mobilisation contre le scandale de la pauvreté de masse.

- Comme je l’ai rappelé à plusieurs reprises, la mondialisation de l’économie exige la mondialisation de la solidarité. Nous devons travailler à l’élimination de la pauvreté qui affecte encore plus de deux milliards de femmes, d’hommes et d'enfants dans le monde : c’est une exigence morale et politique. C'est une exigence qui est à notre portée.

1/ L’Afrique

- A Evian, nous réaffirmerons notre appui au partenariat que nous propose l’Afrique dans le cadre du NEPAD. Après Kananaskis qui a adopté un plan d’action, Evian marque le début de la mise en oeuvre.

- Nous devons répondre à la mobilisation forte des États africains décidés à rendre possible le décollage de l’Afrique. Il faut le faire aussi en s'appuyant sur les sociétés civiles africaines, et en particulier les femmes, dont la contribution et l'engagement sont essentiels.

- Beaucoup d’entre vous aviez d’ailleurs insisté pour que soient mieux prises en compte, dans ce processus, les sociétés civiles des pays africains.

- J'ai transmis cette préoccupation à tous les chefs d'État africains réunis à Paris en février dernier et mon représentant personnel pour l’Afrique, M. CAMDESSUS, a veillé à ce que son groupe de travail consulte aussi largement que possible les sociétés civiles africaines. Cela a été encore le cas récemment au Niger et au Mali.

2/ L’eau

- C’est une autre priorité : nous adopterons une stratégie pour tenir les engagements pris au sommet du Millénaire et à Johannesburg sur l’eau : diviser par deux le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable et à l’assainissement d'ici à 2015.

- J’ai choisi ce thème car il est une des clés du développement, à la jonction de l’économique, de l’environnemental, du social, du sanitaire, de l’éducatif. Et, particulièrement pour beaucoup de femmes, ce sera une avancée considérable.

- Le plan que nous adopterons à Evian développera les actions prioritaires : bonne gouvernance, utilisation de tous les instruments financiers, renforcement des capacités, mobilisation des institutions internationales. Il ne traitera pas seulement l’accès à l’eau dans les villes, mais aussi l’habitat rural dispersé.

- Au niveau financier, c'est une grande ambition car cela représente un investissement supplémentaire considérable : 100 milliards de dollars en plus chaque année, de source publique ou privée. Il ne s’agit pas d’imposer un modèle économique de gestion; mais, pour chaque pays, de s’engager dans une bonne gestion de l’eau et choisir le système le plus adapté.

3/ La santé

- L’effort de solidarité devra porter aussi sur la question de la santé.

Nous avons quatre buts pour Evian.

- Le Fond Mondial contre le Sida a bien commencé. Mais il n’est plus financé à partir de la fin 2003. Nous devons nous engager à en pérenniser les ressources et à assurer le succès de la conférence des donateurs publics et privés, qui se tiendra le 16 juillet.

- Nous devons régler la question de l’accès des pays pauvres aux médicaments. La proposition de la Commission européenne n'est pas idéale, mais dans l’état actuel des choses, elle constitue un compromis.

- J’espère que nous pourrons aussi confirmer l’obtention des fonds nécessaires pour l’éradication totale de la polio.

- C’est vous qui aviez attiré mon attention, l’année dernière, sur les maladies tropicales, dites « négligées », sur la base de l’initiative de l’Institut Pasteur et de certains d’entre vous. A Evian, nous devrons lui donner un appui officiel et nous engager à développer d'autres programmes de cette nature.

4. Adapter nos instruments financiers

- Pour financer le développement, il nous faudra explorer toutes les pistes possibles.

- Premièrement, l’Aide Publique au Développement. Pour réaliser les objectifs du millénaire, nous devons multiplier par deux son volume pour atteindre 100 milliards de dollars par an.

-- La France s’est engagée à atteindre 0,5% de son PIB, sur cinq ans, et 0,7 % sur dix ans. C'est un effort qui n'est pas négligeable.

- Deuxièmement, l’accès des pays du Sud aux marchés mondiaux. J’en reparlerai tout à l’heure.

- Troisièmement, il faut aussi mobiliser les investisseurs privés, les créateurs d’entreprises et d’activités économiques durables. D’où nos travaux sur le développement de partenariats publics-privés.

- Ensuite, il faut étudier des propositions innovantes qui nous aideraient à réaliser les objectifs du Millénaire. Je suis particulièrement intéressé par la proposition Britannique de Facilité Internationale de Financement, l’IFF, qui permettrait d’apporter aux pays en développement des montants importants. Cela créerait ainsi dans ces pays une dynamique de croissance et de développement.

- Je suis enfin, vous le savez, partisan de l'examen des possibilités de taxation internationale. Le sujet n'est pas mûr pour le G8, loin s'en faut, et je vous encourage à poursuivre, en liaison avec les autorités publiques, une réflexion pragmatique sur les énormes obstacles politiques et techniques à la réalisation de ce type de mécanisme.

- Enfin, un point essentiel : l’allègement de la dette. Nous continuerons l’exécution de l’initiative lancée à Lyon et approfondie à Birmingham sur les Pays Pauvres Très Endettés (PPTE). Nous devons en accélérer le rythme, et veiller à ce que les allégements soient suffisants pour assurer l'équilibre financier des pays bénéficiaires sur le long terme.

- Pour la dette des pays à revenu intermédiaire, j’ai souhaité engager une réflexion nouvelle : il faut passer d’un traitement au cas pas cas à un traitement raisonné adapté au rôle moteur de croissance régionale que ces pays assument souvent.

II. LE BESOIN DE CROISSANCE

- La réalisation des objectifs du Millénaire de Johannesburg passe par une croissance plus soutenue dans le Tiers monde. Sinon, on n'y arrivera pas. On estime qu'il faudrait en Afrique, pour y parvenir, un taux de croissance de 7 % par an. Et dans nos pays, la croissance est la condition première de la baisse du chômage et de l'efficacité des systèmes de solidarité.

- Nous sommes dans une période marquée par les incertitudes en ce qui concerne les taux de croissance, la croissance est inférieure aux prévisions, ce qui entraîne des conséquences négatives, notamment sur l’emploi.

- Aussi notre but à Evian devra-t-il être de lancer un message fort en faveur de la croissance. Les huit devront montrer leur volonté de travailler ensemble, pour adopter des politiques budgétaires et fiscales et des réformes structurelles qui soient aptes à stimuler la reprise, à créer des emplois de façon durable, bref à redonner confiance et à faciliter la croissance.

- Il faudra aussi réaliser de nouveaux progrès dans le fonctionnement des marchés financiers internationaux.

- Il sera enfin essentiel de montrer notre engagement à faire progresser les négociations du cycle commercial ouvert à Doha, en vue du succès de la réunion de Cancun en septembre.

- Pour nous, le cycle de Doha doit être essentiellement un cycle du développement, donnant meilleur accès aux produits des pays du Sud. J'attend de l’Union européenne une offre généreuse et équilibrée sur la corbeille développement. J’ai pour ma part fait des propositions en faveur de l’Afrique que le Président de la Commission Européenne appuie.

- La France est favorable au libre-échange, mais pas dans n’importe quelles conditions. Elle aborde avec confiance le cycle de Doha et sera vigilante sur trois secteurs :

- les biens culturels, qui ne peuvent être en aucun cas considérés comme des marchandises comme les autres ;

- l’agriculture, pour que les décisions de Doha soient compatibles avec la PAC;

- les services, pour que l’ouverture ne remette pas en cause les grands services publics comme l’éducation et la santé.

III. AUTRE PRINCIPE D’ACTION : LA RESPONSABILITE.

1) Les principes d’une économie de marché responsable

- Nos concitoyens sont choqués par deux phénomènes : - des scandales financiers où de très grandes entreprises s'exonèrent des principes fondamentaux de l'honnêteté ; - les comportements inacceptables de certains en matière sociale ou environnementale, dans les pays les plus pauvres ;

- D'où l'importance pour le G8 de rappeler le socle éthique commun à tous les acteurs de la mondialisation. J’ai proposé d’adopter à Evian une déclaration qui réaffirme les valeurs que nous partageons et qui fondent une économie de marché responsable.

- Nous réaffirmerons ainsi notre confiance dans un système économique équilibré, sans excès : une économie de marché dont les acteurs s'engagent à un comportement responsable. Cela concerne la gouvernance d'entreprise, l'éthique, les conflits d'intérêt, la responsabilité sociale, la responsabilité environnementale des entreprises.

- Cela se traduira dans des points d’application concrets concernant notamment la bonne gouvernance d’entreprise, la lutte contre la corruption et la transparence des transactions dans la gestion des ressources naturelles, avec le soutien à l’initiative « publish what you pay ».

- Dans le domaine éthique, social et environnemental, il s’agit de promouvoir au niveau international le même comportement responsable qu’à l’intérieur de nos frontières. Cela implique le respect des droits de l’homme par tous les partenaires, le respect du droit du travail élaboré par l’OIT et le respect des règles et l’adoption de comportements vigilants en matière d’environnement.

2) Dans le domaine de l’environnement :

- Cette exigence de responsabilité trouvera aussi une application particulière dans le domaine de l’environnement.

- Vous savez la conviction de la France, qui veut fonder la protection de l'environnement mondial sur des engagements juridiques multilatéraux et plaide pour la création d'une Organisation mondiale de l'environnement.

- Mais vous savez aussi qu'au sein du G8, cette conviction n’est pas partagée par tous !

- Il faut pouvoir aller de l'avant.

- J’ai donc l'intention de proposer que le G8 aborde le développement durable, en travaillant sur des programmes communs ou coordonnés de recherche et d’innovation destinés à lutter contre les changements climatiques et à protéger la biodiversité.

- Cela ne remplacera naturellement pas le Protocole de Kyoto, qui reste notre priorité. Je le rappellerai d’ailleurs fermement. Mais cela permet de mieux nous engager dans le long terme.

IV. LA SECURITE.

- Suite aux évènements du 11 septembre, le G8 s’est mobilisé contre le terrorisme. Il doit continuer ce combat pour créer un monde plus sûr pour tous.

- La France veillera dans ce processus au respect des droits de l’homme. Un ambitieux programme de prévention contre l’accès des terroristes aux armes de destruction massive a été adopté à Kananaskis. Nous allons le mettre en oeuvre à Evian.

V. UN MOT-CLE POUR CONCLURE : LA DEMOCRATIE.

- La mondialisation ne sera durablement acceptée que si nos concitoyens y voient une possibilité de vie meilleure.

- Le défi qui se pose avec acuité, c’est la construction d’une démocratie planétaire qui soit le volet politique de la mondialisation. C’est un grand chantier.

- Le G8 est légitime à condition de rester à sa place.

- Le G8 n'est pas un directoire du monde.

- C'est un organe de concertation et d'impulsion de pays qui ont une responsabilité particulière du fait de leur place dans l’économie internationale.

- D'où l'importance de consultations larges avec différents partenaires. Je sais que vous avez eu plusieurs sessions de travail avec le sherpa français, avec le Représentant personnel pour l'Afrique, avec plusieurs ministères et responsables dans l’administration française. Je veux écouter les avis et suggestions de tous et m’en faire l’écho auprès des autres chefs d’État et de gouvernement.

- Dans ce même esprit d’ouverture, j’ai souhaité inviter à Evian le 1er juin une douzaine de pays émergents ou pauvres, pour un dialogue informel avec le G8 sur la mondialisation.

- A terme, nous devons viser la création d'un Conseil de Sécurité Economique et social où sont abordés dans la transparence et dans le cadre légitime des organisations internationales toutes les questions d'intérêt commun.

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- Avant de vous passer maintenant la parole, je voulais aussi vous parler de l’organisation du Sommet.

- Je suis très sensible à la liberté d’expression. Elle sera naturellement respectée.

- Mais nous sommes aussi tenus par le devoir d’hospitalité et par la nécessité, pour les chefs d’État et de gouvernement, de travailler normalement. C’est la règle démocratique. Elle sera respectée.

- Je sais que vous êtes en contact étroit avec les organisateurs du sommet et j’apprécie l’esprit de responsabilité avec lequel se déroule ce dialogue. Ensemble, il nous revient de veiller à ce que l’expression publique soit pacifique pour être légitime.