ALLOCUTION PRONONCEE PAR MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE A L'OCCASION DES VOEUX A LA CORREZE

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TULLE - CORREZE

SAMEDI 11 JANVIER 2003

Mes chers amis corréziens,

Je suis naturellement très heureux de commencer avec vous cette année 2003. D'abord, parce que, vous le savez, c'est toujours avec plaisir que je retrouve la Corrèze, à laquelle me rattachent tant de liens familiaux, personnels et politiques. Les Corréziens d'ailleurs ne sont jamais loin de mes pensées et de mon coeur, notamment grâce à Bernadette, votre élue, qui me parle bien sûr très régulièrement à la fois de ce qui se passe chez nous, de nos difficultés, de nos joies ou de nos espérances. Je sais avec quel courage vous avez surmonté les épreuves des dernières années. Je sais quelle importance vous accordez à l'ouverture complète, le 21 février, enfin de l'A89, qui parachèvera un désenclavement routier qui a été, pour beaucoup d'entre nous, notre rêve partagé. Je sais aussi que vous attendez avec la même impatience le désenclavement aérien, ferroviaire et numérique de notre département.

Je m'en réjouis ensuite, parce que les qualités, les vertus que l'on reconnaît à la Corrèze et aux Corréziens sont celles dont la France a besoin aujourd'hui, à l'aube d'une année qui sera importante pour notre avenir commun. Ces qualités, ce sont la lucidité, le sens de l'action et de l'effort au service de tous, et la solidarité.

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L'exigence de lucidité.

Notre époque a connu des bouleversements majeurs, des changements accélérés. Au cours des trente dernières années, les équilibres du monde se sont profondément modifiés, des menaces nouvelles sont apparues, au premier rang desquelles le terrorisme international. L'instabilité demeure. De nouveaux conflits surgissent. Des risques de guerre existent. Les frontières se sont pour une part effacées. La circulation des informations, des biens, des personnes, en un mot la mondialisation, ont, ici, créé des richesses nouvelles, là, aggravé encore les inégalités. L'Europe est devenue notre nouvel horizon mais aussi une réalité inscrite dans le quotidien. La Corrèze le sait bien, qui compte tant de paysans attachés à leurs traditions et à leurs terres mais qui vivent depuis longtemps à l'heure européenne.

Et puis, les mentalités ont changé. Certains repères, notamment civiques et moraux, se sont estompés. La cohésion nationale s'est fissurée sous la pression des intérêts particuliers et des tentations communautaristes. Les solidarités de proximité ont un peu marqué le pas. Le travail, cette valeur fondatrice, a cédé du terrain face à une civilisation davantage tournée vers les loisirs.

Nous ne devons pas porter sur le passé un regard nostalgique, mais nous devons affronter les problèmes tels qu'ils sont, identifier nos faiblesses et nos atouts, adapter à notre temps les valeurs qui sont au centre de notre ambition républicaine et de notre pacte français. La lucidité est donc essentielle : pour agir, il faut d'abord comprendre, porter le bon diagnostic, mobiliser toutes les énergies et toutes les bonnes volontés.

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Le sens de l'action, de l'effort collectif, est notre deuxième exigence.

L'année 2003 doit être une année de l'action. L'action nécessaire au service de notre pays avec l'impératif absolu de l'équité.

Nous en sommes conscients, trop de réformes indispensables, et que nos voisins européens ont faites, ont été différées. Il faut les entreprendre avec le souci d'engager des évolutions indispensables à la modernisation de notre pays. Je voudrais prendre l'exemple de l'inévitable modernisation de notre industrie de l'armement qui exige de doter GIAT Industries d'un nouveau projet industriel. Je connais bien sûr, et j'en suis particulièrement sensible, les inquiétudes que cela suscite à TULLE et soyez assuré que je veillerai à ce qu'un projet durable soit mis en oeuvre pour que les ouvriers, techniciens, ingénieurs continuent à mettre à Tulle, au service de notre défense nationale, leur savoir-faire et leur professionnalisme.

D'autres réformes, comme les 35 heures, ont été décidées d'en-haut, sans toujours en mesurer toutes les conséquences. Je pense en particulier à la situation des hôpitaux, une situation dont les corréziens connaissent la gravité à Tulle, à Brive, à Ussel. Là aussi, il est urgent d'agir. De réparer ce qui doit l'être. De mener à bien, dans l'équité, dans le dialogue, dans le respect, les changements dont la France a besoin. De créer des richesses en amont qui profitent à tous.

L'action est engagée par le gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN. Lutte sans merci contre l'insécurité. Mobilisation pour la justice, qui se voit dotée de moyens accrus. Politique d'ensemble pour dynamiser notre économie et favoriser l'emploi, notamment l'emploi des jeunes, par la baisse des impôts et la réduction des charges, et aussi par l'assouplissement des 35 heures qui s'accompagnera d'une hausse des salaires des plus modestes. Priorité donnée à la lutte contre la violence routière, à la lutte contre le cancer et à l'action en faveur des personnes handicapées et de leurs familles, c'est-à-dire de leur meilleure inclusion dans notre société.

Mais si des mesures importantes ont été prises ou engagées en quelques mois, beaucoup, reste à faire pour que le modèle français, qui veut conjuguer le développement, l'expansion économique et une protection sociale de haut niveau, retrouve toute sa force. Parmi les chantiers qui nous attendent, et au premier rang desquels il faut citer la préparation d'un plan pour faciliter la vie dans les zones rurales, je voudrais aujourd'hui évoquer trois de ces chantiers qui sont essentiels. Mieux former les jeunes. Rendre à la France son attractivité et sa compétitivité. Conforter notre pacte de solidarité en répondant aux questions que se posent les Français, notamment en ce qui concerne leurs retraites.

La formation, l'éducation, c'est un premier défi. Chacun le sait et le voit : les inégalités n'ont cessé de se creuser au sein de notre système éducatif, notamment dans le secondaire, entre les établissements des centres villes et les collèges des quartiers ou des cités les plus exposés. L'école peine de plus en plus à assumer son rôle d'intégration et de promotion sociale. Trop souvent, règnent l'orientation par défaut et la sélection par l'échec. Jusqu'à une date assez récente, des principes trop rigides empêchaient de poser à voix haute les justes diagnostics et d'avancer dans les bonnes directions, celles qui correspondent aux réalités de notre temps.

Aujourd'hui, on le voit, les choses changent, chacun est conscient de la nécessité d'agir dans l'intérêt des élèves et des professeurs. Mobiliser toutes nos forces contre l'illettrisme. Faire de l'acquisition des savoirs fondamentaux, la lecture, l'écriture, le calcul, la condition d'entrée au collège, avec des classes relais permettant de franchir ce cap. Inventer de multiples parcours de réussite, professionnels, techniques, généraux, qui commencent dès la 4e et se poursuivent après le baccalauréat. Mieux reconnaître l'effort et le mérite. Combattre la violence et le désordre, dramatiques pour les élèves et pour les enseignants. Inciter les universités à mieux préparer les étudiants à la vie professionnelle, notamment dans le cadre de cursus européens, en donnant aux jeunes les formations dont notre pays et notre économie ont besoin. Telles sont les directions à suivre pour répondre aux attentes très fortes des jeunes français et de leurs parents.

Relancer notre économie est un deuxième grand défi. Ne nous voilons pas la face, la France a perdu en attractivité au cours des dernières années, cumulant une fiscalité excessive, pénalisante pour l'emploi, la réduction autoritaire du temps de travail, et des administrations trop souvent pesantes et tatillonnes. Notre pays n'est plus dans le peloton de tête, ni même dans la première moitié des pays européens.

Tout cela doit changer. Entrepreneurs, agriculteurs, chercheurs, mais aussi investisseurs étrangers : tous doivent pouvoir trouver en France des raisons de s'installer, de développer leurs activités, d'investir leur temps, leur énergie, leurs capitaux. Nous devons garder nos entreprises et en attirer de nouvelles. Nous devons garder nos agriculteurs. Il faut donc continuer à alléger la fiscalité et les charges qui pèsent trop lourdement sur le coût du travail et donc sur l'emploi. Un allégement qui implique une meilleure gestion de nos dépenses publiques, une modernisation et une réorganisation de nos services publics pour rendre nos territoires, notamment ruraux, plus attractifs.

Il faut créer un environnement économique propice : le Gouvernement a présenté en décembre des mesures importantes pour faciliter la création de plus d'entreprises et pour permettre aux entreprises existantes de se financer plus facilement, de se développer et d'être transmises, le moment venu, dans de meilleures conditions. Pour favoriser plus particulièrement l'innovation, une loi créera le statut de l'entreprise innovante, et contribuera à soutenir les investissements privés en recherche et développement, à retenir en France les talents qui ont aujourd'hui tendance hélas à s'expatrier parce qu'ils trouvent ailleurs de meilleures conditions de vie et d'épanouissement, et à créer des emplois à haute valeur ajoutée. Il faut permettre aux jeunes d'acquérir le bagage linguistique et technologique indispensable dans un monde où la qualité des ressources humaines est une composante essentielle de la compétitivité économique.

Il faut, enfin, simplifier les règlements aussi complexes qu'inutiles, imposés à tous ceux, dans les villes comme dans les campagnes, qui font la richesse de la France. Cette simplification a commencé. Elle devra trouver son aboutissement dans les mois qui viennent, dans le cadre d'ordonnances prises par le Gouvernement en concertation bien sûr avec tous les acteurs concernés. C'est ainsi que nous relancerons notre économie. C'est ainsi que nous donnerons aux entreprises et aux entrepreneurs la reconnaissance à laquelle ils ont droit.

C'est ainsi que la France retrouvera sa place dans le peloton de tête, une place justifiée par sa situation en Europe, par la qualité de ses femmes et de ses hommes, par ses richesses naturelles, par sa capacité de recherche, par sa qualité de vie. C'est ainsi que notre nation se donnera les moyens d'une solidarité plus ambitieuse.

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La solidarité, une solidarité plus active, plus moderne, plus personnalisée est notre troisième grand défi, sans doute le plus important. Tout notre système social est fondé sur un idéal de solidarité, sur un contrat de confiance entre tous les Français. Nous sommes tous responsables les uns des autres, unis par un même pacte républicain.

Cela vaut pour la lutte contre l'exclusion, cet abcès de souffrance qui perdure en dépit des systèmes sociaux. La décentralisation, qui est l'un des grands chantiers du gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN, et qui va permettre dans ce domaine, en particulier, une prise en charge plus adaptée, plus humaine, plus efficace des Français les plus vulnérables, dans le cadre d'une action de terrain, afin qu'ils retrouvent le chemin de l'activité. L'activité qui contribue à l'estime de soi. L'activité qui conduit à l'emploi et à l'insertion dans la société.

Je pense aussi à la santé, objet de beaucoup d'inquiétudes car les dépenses ne cessent d'augmenter sans apporter toujours le suivi médical et hospitalier que les Français attendent. Là encore, une action d'ensemble est indispensable pour donner des moyens accrus, là où ils sont nécessaires. Pour former de nouveaux personnels. Pour inciter, parallèlement, à de meilleures pratiques et à une meilleure gestion des ressources, et éviter les gaspillages qui nous privent de marges de manoeuvre pour améliorer la qualité des soins. Chacun doit pouvoir se faire soigner, se faire hospitaliser dans de bonnes conditions et bénéficier des examens nécessaires dans des délais raisonnables.

Cela vaut enfin pour les retraites, sujet d'inquiétudes légitimes en raison des évolutions démographiques. Nous devons agir pour que le temps de la retraite, qui est un temps de plus en plus long, grâce aux progrès de la médecine et des conditions de vie, soit un temps d'épanouissement et de liberté.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : nous comptons actuellement quatre retraités pour dix actifs. Il y en aura près de sept retraités pour dix actifs dans moins de trente d'ans. Dans les cinq ans qui viennent, le nombre de personnes atteignant l'âge de la retraite augmentera déjà presque de moitié. Si nous ne faisions rien, nos compatriotes, mais surtout naturellement les plus modestes d'entre eux qui ne peuvent se protéger par l'épargne, connaîtront des temps très difficiles.

L'action à conduire, les décisions à prendre n'ont rien qui doive nous effrayer. Elles sont tout à fait à notre portée, pour peu que nous respections trois principes.

Le premier, c'est la transparence et la franchise qui doivent caractériser le débat public sur les retraites. Un débat de société majeur, car il s'agit de savoir comment nous voulons vivre les différents âges de la vie. Les choix que nous voulons effectuer entre le temps de la formation, le temps du travail et le temps pour soi.

C'est dans cet esprit que le Gouvernement vient d'engager les concertations nécessaires, notamment avec les partenaires sociaux, en vue d'aboutir à des décisions avant l'été.

Le second principe, c'est le souci constant de notre cohésion nationale, car il ne s'agit pas de dresser les Français les uns contre les autres, les jeunes contre les vieux, les actifs contre les retraités, les travailleurs du public contre les travailleurs du privé, les salariés contre les professions indépendantes. Il faut trouver la synthèse de ces problèmes. Elle est à notre portée. Le troisième, c'est la volonté d'équité et de justice : les efforts nécessaires seront d'autant plus faciles qu'ils seront universellement et justement répartis. Les Français sont prêts à accepter les réformes, s'ils ont la conviction qu'elles sont conduites dans un esprit de justice.

Notre objectif, c'est bien sûr de consolider notre système par répartition, qui est vraiment un pacte entre générations, puisque les cotisations des actifs sont immédiatement dépensées pour payer les pensions des retraités. La répartition est, et restera, le socle de notre système, même s'il est souhaitable de développer l'épargne retraite afin de rendre accessible à tous les Français ce qui n'est ouvert aujourd'hui qu'aux seuls agents publics.

Nous allons donc agir pour conforter la sécurité des retraites afin qu'elles restent de bon niveau, qu'elles soient durablement financées et régulièrement revalorisées. Pour placer les différents régimes sous le signe d'une plus grande équité. Pour maintenir la possibilité de partir à la retraite dès 60 ans, mais aussi pour permettre à ceux qui le souhaitent de travailler plus longtemps pour améliorer leur retraite. Enfin, pour mettre un terme aux abus des préretraites, dès la cinquantaine venue, qui privent notamment notre pays d'une expérience précieuse.

Tels sont nos objectifs. Nous les abordons avec confiance et résolution. Le cadre est posé mais rien n'est décidé. Chacun sera informé et pourra faire entendre sa voix et ses propositions. Les Français, qui savent qu'une partie du chemin a déjà été accomplie en 1993, et que nos voisins européens se sont, eux, largement préparés, attendent d'être rassurés à leur tour sur l'avenir de notre système de retraite. Ils attendent aussi que cette question de société soit abordée dans un esprit d'union et de souci du bien public. Rien ne se prête plus mal aux polémiques stériles que l'avenir des Français.

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Voilà, mes chers amis, le message que je veux vous transmettre en ce début d'année, en mon nom et au nom de Bernadette.

Un message d'action et de détermination. Un message d'espoir et de confiance.

Les Français, et ils l'ont encore montré en mai dernier, savent se retrouver, se mobiliser, dès lors que l'essentiel est en jeu. Et, l'essentiel, ce sont les principes de notre République. C'est le pacte français qui nous unit.

Notre peuple, loin d'être replié sur lui-même et sur les intérêts particuliers, sait qu'il doit avancer, et il en a envie. Nos compatriotes sont bien conscients que la France a tous les atouts pour être une grande nation. Une nation où il fait bon vivre. Une nation aux avant-postes de l'Europe. Une nation capable de se faire entendre dans le monde et de porter avec force le message singulier qui est le sien, un message de paix, d'humanisme, de fraternité et de compréhension entre les peuples.

Cette grande nation, les Français veulent la faire vivre ensemble.

Mes chers amis, à chacune et à chacun d'entre vous, je souhaite une bonne et heureuse année 2003.

Vive la République, Vive la France.