Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du dîner d'État offert par M. Nelson MANDELA, Président de la République d'Afrique du Sud.

Prétoria, Afrique du Sud, le vendredi 26 juin 1998

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs, mes Chers Amis,

Merci Monsieur le Président, pour cette journée que je n'oublierai pas. Merci de m'avoir offert l'un de ces instants qui comptent dans la vie d'un homme. Merci pour cette première fois pour moi et pour mes premiers pas dans votre beau pays, cette nouvelle Afrique du Sud que vous bâtissez avec tant d'ardeur. L'Afrique du Sud dont le destin unique, la douleur du passé, la libération et la joie de son peuple, parlent au coeur de tous les hommes de la planète, les hommes et les femmes, bien entendu.

Depuis bientôt quarante ans, mes pas m'ont mené partout. Jamais pourtant je n'étais venu chez vous. Précisément, parce que vous n'étiez pas encore ici chez vous. Parce que, sur la terre de vos pères, on vous refusait, à vous et à tant d'autres, la qualité de citoyen et d'homme. Parce qu'ici, vouloir avancer debout demeurait un combat.


Ce combat, Monsieur le Président, vous l'avez gagné. Chacun garde en mémoire vos paroles à l'heure de votre condamnation. " J'ai chéri, disiez-vous, l'idéal de la démocratie, d'une société libre. Cet idéal, j'ai vécu dans l'espoir de le réaliser. Pour lui, je suis prêt à mourir ".

Cet idéal, vous lui avez sacrifié trente années de votre vie. Trente années d'enfermement et de silence, mais d'un silence, que le monde entendait. Trente années de solitude et de souffrance, sans que jamais ne plient Nelson MANDELA et son rêve d'un monde meilleur, libre, digne, fraternel.

Par la seule force de votre courage au-delà de tout, de votre espoir qui ne s'est jamais éteint, vous avez déplacé les montagnes. Prisonnier, vous avez rendu l'Afrique du Sud libre. Libre, vous l'avez apaisée. Naguère combattue, vous l'avez rassemblée. Président, vous lui avez rendu sa dignité et son rang parmi les premiers dans les nations.

Monsieur le Président, vous le savez hélas mieux que personne, l'Histoire est une longue patience. Et demain reste un combat. Vous avez engagé votre pays sur un chemin difficile, beau chemin mais semé de doutes et d'obstacles, celui de la réconciliation et de la justice, bref de la fraternité. Ce chemin, je vous propose de le parcourir ensemble.




La France s'est reconnue dans votre personne et dans votre combat. Elle vous a soutenu. Elle s'est réjouie quand vous avez brisé vos chaînes.

C'est à la France, qu'au lendemain de votre libération, vous avez réservé l'une de vos toutes premières visites. Peu de temps après votre élection, mon prédécesseur était venu saluer votre action. A mon tour, j'ai eu la grande joie de vous recevoir, le 14 Juillet 1996, pour la fête nationale de mon pays qui est aussi la fête de la liberté, que vous aimez, de la concorde, que vous mettez courageusement en oeuvre.

Aujourd'hui, c'est moi qui suis votre invité et c'est pour moi une émotion. Emotion d'assister à ce moment où après une vie difficile, une vie de combat et de souffrance, l'homme juste, plein de sérénité, éprouve le sentiment d'avoir fait ce qu'il fallait. Vous étiez dans l'Histoire, vous entrez dans la légende. L'accomplissement de votre vie, c'est l'Afrique du Sud. En même temps, vous avez écrit un moment de la mémoire du monde.

Et je suis là, ce soir, pour vous témoigner, à titre personnel, mon admiration depuis si longtemps et mon amitié aussi. Je suis là, ce soir, pour saluer, au nom de la France, l'immensité de l'oeuvre accomplie. Je suis là, ce soir, parce que l'Afrique du Sud et la France partagent l'essentiel : une certaine idée de l'homme, une certaine vision de ce que doivent être les relations entre les nations, et la même volonté de mettre cette idée, cette vision au service de l'Afrique et du monde.

Oui, en vertu d'une longue histoire, la France est aussi d'Afrique. Elle a la passion de ce continent magnifique, de ses civilisations éminentes, des valeurs traditionnelles de sagesse et de solidarité qui inspirent ses peuples.

Pourtant, l'Afrique du Sud et la France, qui se sentent si proches l'une de l'autre, qui partagent les mêmes combats, ne se connaissent pas assez. Nos deux pays, Monsieur le Président, doivent encore se découvrir. Découvrir l'autre, se regarder sans préjugés, sans les handicaps et les pesanteurs du passé, avec l'oeil neuf de ceux qui aspirent à construire quelque chose de nouveau, quelque chose d'ambitieux : nous avons cette chance !




L'Afrique du Sud est une merveilleuse terre de promesses. Pour qu'elles se réalisent, nous, Français, pouvons prendre notre part. De nombreux industriels de mon pays m'accompagnent. Parce qu'ils souhaitent, je le sais, travailler plus étroitement avec leurs partenaires sud-africains et ceci dans tous les domaines. Ma rencontre, cet après-midi, avec nos entrepreneurs, renforce ma conviction que Sud-Africains et Français peuvent faire ensemble de grandes choses. Mieux se connaître, mieux s'apprécier, se faire confiance, prendre l'habitude de travailler main dans la main : voilà ce qui pourrait constituer notre première priorité.

Au-delà, nous devons plus souvent agir ensemble pour que progresse notre vision commune du monde. A l'heure où certains voudraient privilégier l'investissement privé comme seul moteur de la croissance dans les pays en développement, vous et nous croyons à la nécessité de l'aide publique, l'expression de la solidarité. Vous et nous savons que le commerce et l'aide se conjuguent pour la croissance économique mais aussi pour le rattrapage social, afin qu'aucun homme ne soit exclu du développement et du progrès. Vous et nous militons ensemble pour que les pays qui en ont le plus besoin continuent de bénéficier de la solidarité internationale. C'est depuis toujours mon combat, notamment dans les instances internationales, et en particulier en Europe ou au sein du G8.

Vous et nous croyons aux vertus de l'intégration régionale. Depuis un demi-siècle, la France a été et demeure l'un des artisans de la construction européenne. Ici, la SADC rassemble les pays de la région et bâtit un espace de solidarité et de progrès économique. Monsieur le Président, faisons de l'Afrique australe et de l'Europe deux grands partenaires du monde multipolaire équilibré de demain.

Mais l'intégration régionale, c'est aussi et d'abord la paix. Il n'est pas de développement harmonieux, il n'est pas de véritable liberté sans sécurité. Les fièvres, les déchaînements de violence, les déchirements civils qui secouent encore trop souvent trop de régions, nous poussent à bâtir la stabilité, et d'abord aux côtés des peuples d'Afrique. Vous et nous agissons pour que l'Afrique prenne en main sa propre sécurité. Vous et nous pensons que l'avenir, c'est, au plan régional et continental, la mise en place par les Africains eux-mêmes de mécanismes collectifs de maintien de la paix, avec le soutien de l'Organisation des Nations Unies et de l'Organisation de l'Unité africaine. C'est déjà ce qui se passe en Afrique de l'Ouest. La France, avec d'autres, accompagne ce mouvement. Vous-mêmes, Sud-Africains, vous y employez avec vos partenaires de la SADC, et nous sommes prêts, si vous le souhaitez, à parcourir ce chemin ensemble.

Mais d'autres questions encore nous appellent à l'échelle du monde. Des questions qui touchent à l'avenir de l'homme. L'Afrique n'est pas le seul foyer de tensions et de conflits. D'accord sur l'essentiel, l'Afrique du Sud et la France doivent se retrouver dans les enceintes internationales. Elles pourraient s'unir dans les grandes batailles de notre temps : la lutte contre la pauvreté et pour l'éducation ; la lutte contre les grandes endémies, et notamment contre le SIDA ; la lutte contre les trafics de drogue et le crime organisé ; la lutte pour la préservation de l'environnement et ce grand combat pour assurer à l'humanité les moyens de vivre, l'eau et la subsistance. Bref, il s'agit toujours de libérer l'homme.




Monsieur le Président, vous avez souhaité, dans votre sagesse, confier bientôt l'avenir de l'Afrique du Sud au vice-Président Thabo MBEKI. C'est vous, Monsieur le vice-Président, qui assumerez demain la lourde tâche d'emmener le peuple sud-africain dans la voie tracée par le Président MANDELA. C'est vous qui lui ferez aborder en confiance et en paix les rivages du prochain millénaire.

Je tenais, Monsieur le vice-Président, à vous remercier de m'avoir accompagné tout au long de cette journée qui nous a permis après nos contacts précédents de mieux nous connaître. J'ai ce soir, grâce à vous, l'intime conviction que, décidément, l'Afrique du Sud et la France peuvent mutuellement avoir des objectifs communs, que vous et nous, Sud-Africains et Français, avons la même volonté de traduire nos proximités, nos affinités, notre même passion de la paix et de la justice, en un partenariat ambitieux. Un grand partenariat pour le siècle prochain. Le partenariat de deux puissances, au service de leurs peuples, au service de l'Afrique que nous aimons, au service aussi de la paix et du développement dans le monde.

C'est fort de cette conviction que je vais maintenant lever mon verre : en l'honneur de mon ami, son Excellence Nelson MANDELA, Président de l'Afrique du Sud et grand combattant de l'humanité ; en l'honneur du vice-Président Thabo MBEKI à qui je souhaite tous les courages et tous les succès ; en l'honneur des hautes personnalités sud-africaines et françaises qui nous font ce soir l'amitié de leur présence.

Je lève mon verre au bonheur de l'Afrique du Sud et de son peuple, aux relations toujours plus étroites entre l'Afrique du Sud et la France, et à cet avenir que nous pouvons construire ensemble, dans une amitié et un respect mutuels et confiants.




Monsieur le Président, mon cher Ami, permettez-moi de reprendre un instant la parole. Il m'est revenu que, cette année, dans un mois à peu près, vous franchissez, pour la quatrième fois, l'étape de vos vingt printemps : la première étape fut celle de la révélation ; la seconde, celle de la lutte ; la troisième, celle de la souffrance ; la quatrième, cette année, celle de l'accomplissement et de la sérénité. Les enfants de France, en notre nom à tous, vous souhaitent, mon Cher Ami, un très heureux anniversaire.