ALLOCUTION

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

A L'OCCASION DE LA PRESENTATION DES VOEUX DES CORPS CONSTITUES

PALAIS DE L'ELYSEE

MERCREDI 8 JANVIER 2003

Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie, Monsieur le Président, des voeux que vous venez de me présenter au nom de tous les serviteurs de la République. A mon tour, je forme pour vous et pour eux, en métropole, outre-mer et à l'étranger, les voeux les plus chaleureux pour l'année 2003.

Je suis très attaché à ce moment de rencontre avec les représentants des corps constitués. L'expression, je le reconnais, est un peu solennelle. Elle a le mérite de souligner le lien direct qui existe entre notre Constitution et la fonction publique.

Ce qui nous rassemble est essentiel : c'est le service de l'Etat, c'est le service de nos compatriotes.

Le service public ne nous appartient pas. Il n'appartient pas non plus à ses agents. Il appartient à tous les Français. Ses prestations doivent être assurées avec une exigence particulière de qualité, d'efficacité et d'économie.

La sécurité, la justice –fondements même de l'ordre public et garants de la vie en société– mais aussi l'école, les hôpitaux, les transports, l'ensemble des services sociaux, la culture, les autres : la demande de biens publics est immense.

Si l'Etat, les collectivités, les organismes de sécurité sociale ne parviennent pas à offrir un service efficace, s'ils ne sont pas présents sur l'ensemble du territoire, ce sont les Français les plus modestes qui seront principalement touchés. C'est notre pacte social qui sera entamé. Et c'est la République dont la présence s'éloignera.

Par l'élection, la démocratie s'affirme comme le gouvernement du peuple par le peuple. Mais c'est par l'action des services publics qu'elle devient véritablement un gouvernement pour le peuple, selon la belle formule de notre Constitution. Enseignants, membres des forces de sécurité, médecins, infirmiers, employés des services économiques, sociaux et culturels ou des collectivités locales : il dépend de chaque fonctionnaire, où qu'il serve, que se réalise ou non une certaine idée de la République.

Car la République, c'est bien sûr la liberté, l'égalité et la fraternité. Mais c'est aussi une présence active auprès des Français, là où leurs préoccupations sont les plus vives.

Beaucoup de nos compatriotes connaissent aujourd'hui des attentes insatisfaites ou des difficultés. Personnes sans emploi ou sans logement, qui affrontent tous les drames de l'exclusion. Travailleurs à revenus modestes, dont le pouvoir d'achat et la qualité de vie dépendent directement du fonctionnement régulier des services publics. Entrepreneurs, artisans, commerçants ou agriculteurs qui peinent à réaliser leurs projets. Au fil des années, tous ont vu avec inquiétude des administrations de plus en plus empêtrées dans les lourdeurs de leur propre gestion, un Etat trop lent à répondre à leurs attentes les plus légitimes : la sécurité, l'égalité des chances, le développement économique, l'emploi, l'accès de tous aux soins ou à l'éducation.

Aujourd'hui, c'est un fait que nos concitoyens, parce qu'ils attendent beaucoup de l'Etat, vivent de plus en plus mal les archaïsmes, les contraintes, les rigidités et les lenteurs de l'administration. Ce n'est pas toujours juste, compte tenu des efforts d'amélioration qui ont été faits au cours des années, c'est vrai. Mais la réalité qui domine dans l'esprit du public est bien celle-là, mais il faut donc en tirer les conséquences.

Je veux souligner avec force la responsabilité éminente qui est la vôtre pour que les services publics soient ce qu'ils doivent être : un lien entre les Français, le moyen d'assurer auprès de chacun d'eux la présence de la nation et, par là même, de fortifier notre cohésion.

Ce qui justifie la place de l'Etat dans le coeur des Français, c'est en effet la qualité des prestations qu'il assure pour répondre à leurs besoins autant que la protection qu'il apporte à chacun face aux risques de la vie.

La mobilisation de l'Etat est aujourd'hui le prolongement indispensable du sursaut républicain dont nos compatriotes ont donné l'exemple l'an dernier.

C'est pourquoi le Gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN a fait de la réforme de l'Etat une priorité de son action. Une grande ambition mais grande détermination. Je m'en réjouis, car il s'agit de l'une des principales urgences des Français.

Cette réforme, je vous le dis solennellement, il va falloir la faire, et c'est à vous de la faire, sous l'autorité du Gouvernement, vous l'avez souligné, à juste titre, Monsieur le Président.

Je sais que vous y êtes prêts. La volonté politique a été longtemps défaillante. Elle est aujourd'hui totale. Les Français ont exprimé leur exigence. C'est une exigence forte, incontournable. Elle nous oblige tous.

La République, ce n'est pas seulement un ensemble de valeurs, ce sont aussi des actes et des résultats. L'autorité de l'Etat, c'est avant tout son efficacité.

C'est par votre implication personnelle et grâce à votre détermination que le changement deviendra possible et qu'il entrera dans les faits.

Entre le Gouvernement et les centaines de milliers de fonctionnaires et agents publics dont vous organisez et animez le travail, vous êtes en effet un échelon décisif, celui de la conception et celui de la mobilisation.

Sollicités de toute part pour préparer la loi et ses décrets d'application, veiller à leur mise en oeuvre, organiser des concertations, je sais bien que vous vous sentez souvent prisonniers de règles désuètes et de procédures trop lourdes qui entravent l'initiative. Je sais aussi que, dans ces conditions, peu d'entre vous estiment avoir pleinement les moyens d'une démarche de modernisation.

Mais ces règles, ces procédures qui vous entravent ne sont pas immuables : elles peuvent évoluer. D'ailleurs, il existe déjà bien des souplesses qui ne sont pas utilisées. Les rigidités actuelles sont, pour vous, un motif supplémentaire d'agir, et non une excuse pour s'abstenir.

Vous devez consacrer l'année 2003 à une amélioration en profondeur de la qualité du service rendu par les administrations que vous dirigez.

*

Il faut partir de questions simples : Les horaires d'ouverture des services publics tiennent-ils suffisamment compte de la disponibilité des usagers ? Vos services apportent-ils une réponse à toutes les demandes qui leur sont adressées ? Que faites-vous pour réduire les déplacements, les files et les délais d'attente ? Vous êtes-vous assurés que les demandes pouvaient être traitées avec la discrétion nécessaire aux guichets ? Vous êtes-vous interrogés sur les raisons pour lesquelles tant de Français se voient éconduire faute de justificatifs ?

Chaque service, chaque bureau, chaque fonctionnaire se voit-il assigner des objectifs clairs ? Sait-il de quelle manière seront évalués les résultats obtenus ? Comment l'engagement, l'efficacité et le mérite sont-ils pris en compte ? Vous l'avez souligné, Monsieur le Président, bien mal. Que faites-vous pour remettre en question et réformer les habitudes ? Reconsidérez-vous systématiquement les choix et les processus à la lumière de l'expérience acquise ? Savez-vous comment d'autres pays, d'autres réseaux, administratifs ou privés, abordent les problèmes dont vous avez la charge ? Ne peut-on éliminer certains gaspillages auxquels tout le monde est depuis trop longtemps résigné ? L'allocation des moyens à l'intérieur de vos administrations est-elle régulièrement réexaminée en fonction des priorités d'action ?

C'est en répondant à ces questions et à d'autres, par une approche très concrète, avec une conscience claire des réalités vécues par nos concitoyens, que nous obtiendrons des résultats. Et c'est aussi en apportant aux agents la reconnaissance et la récompense que justifient leur travail et leurs efforts.

La démarche de modernisation doit être une démarche de confiance à l'égard des serviteurs de l'Etat. Je ne doute pas de leur motivation. Non seulement parce que chacun, par vocation et par métier, porte en lui la préoccupation de l'utilité collective. Mais aussi parce que tout fonctionnaire est en même temps un usager des services publics, un contribuable et un citoyen. Aucun n'échappe à l'expérience commune. Tous peuvent comprendre et même partager les attentes de l'ensemble des Français à l'égard des administrations.

Être fonctionnaire, c'est avoir fait un choix d'engagement. Parfois, c'est connaître des conditions de travail difficiles, être confronté à l'exclusion et à la violence. Mais c'est aussi être responsable, responsable d'une classe, responsable de la santé de patients, responsable de la tranquillité d'un quartier. Et surtout, c'est se sentir comptable d'une parcelle de la République et du service de nos concitoyens. La performance, l'excellence d'un service public peuvent être, pour tous les fonctionnaires qui y participent, sources d'accomplissement et de fierté. Donnons-nous l'exigence d'atteindre à la fois la satisfaction des besoins des usagers et celle des aspirations professionnelles des fonctionnaires.

*

Dans le mouvement de la réforme de l'Etat, l'école tiendra assurément une place éminente. Au moment où une génération de professeurs doit passer le flambeau à une autre, tandis que le nombre d'enfants dans nos écoles et nos collèges commence à diminuer au niveau national, il est essentiel de mettre en oeuvre, dans le dialogue et la concertation, les adaptations et les redéploiements nécessaires pour pouvoir relever de nouveaux défis.

L'école a fait la République. Ce qu'elle apporte à chaque Français est déterminant pour toute son existence. Au prix d'un gigantesque effort national, elle élève à chaque génération le niveau de formation de nos compatriotes. Par elle, tout Français devient un peu l'enfant de la République. Première force de notre économie, elle peut être notre premier atout pour l'attractivité du territoire.

Mais aujourd'hui, notre école est bousculée par de nouveaux défis, par de nouvelles épreuves. L'illettrisme ne recule pas. La violence progresse. L'acquisition des savoirs fondamentaux est en question. Beaucoup d'élèves ne trouvent pas leur place et sont marginalisés. Notre système scolaire ne parvient pas à répondre correctement ni à la diversité des besoins des élèves, ni à l'exigence d'adaptation des qualifications.

Le moment est venu pour notre pays de confirmer son souhait et sa volonté de disposer demain d'une école forte, sereine, responsable et ouverte sur le monde. J'invite tous les personnels de l'Éducation nationale, auxquels je dis mon estime, ma confiance, à se consacrer à cette belle ambition. C'est ainsi que l'Éducation nationale continuera à transmettre les valeurs de la République, à commencer par la laïcité. C'est ainsi qu'elle restera le creuset de la société française. C'est ainsi qu'elle jouera tout son rôle de garant de la cohésion nationale.

*

La réforme de l'Etat doit être engagée sous le triple signe de l'efficacité, de la proximité et de la simplicité.

L'efficacité : la qualité de vie dans nos sociétés et la force des économies contemporaines résident de plus en plus dans les activités de service. Si les services publics ne prennent pas toute leur place dans cette évolution, s'ils ne renouvellent pas leur offre et s'ils ne changent pas leurs méthodes, c'est la République qui reculera, et avec elle c'est une partie de nos valeurs communes qui risque de se dissoudre.

Pour répondre à ce défi, j'ai souhaité que le Parlement débatte tous les ans de la modernisation de chacune des administrations de l'Etat, de leurs missions et des objectifs qu'elles se fixent. En dehors des discussions purement budgétaires, chaque ministre s'engagera devant le Parlement sur les priorités du service public et sur des résultats. Sous l'autorité de vos ministres, il vous reviendra de préparer ces débats.

Ainsi, nous donnerons une portée plus grande au principe fondamental de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui impose à l'administration de rendre des comptes à la représentation nationale.

L'Etat va être amené à revoir le contour de ses missions et à préciser le contenu concret des services qu'il doit apporter aux Français. Il se donnera ainsi les moyens d'être présent là où personne ne peut se substituer à lui, notamment sur les fronts de la justice, de la sécurité, de l'éducation, de la santé et de la solidarité nationale. En revanche, il devra se dégager des activités où son intervention n'est pas réellement utile.

Efficacité mais aussi proximité : une nouvelle architecture des pouvoirs se met peu à peu en place.

Beaucoup plus qu'une étape de la décentralisation, il s'agit à mes yeux d'un véritable saut qualitatif. Il doit permettre à nos concitoyens de bénéficier d'une action publique mieux adaptée à la diversité de leurs besoins. Les décisions seront prises et mises en oeuvre plus près d'eux. Elles feront une place plus grande à leur participation. Elles seront plus attentives à leurs demandes, à leurs idées.

Je souhaite que vous vous engagiez sans réserve sur cette voie.

Par des phénomènes de recentralisation rampante et sournoise, l'Etat a toujours voulu reprendre d'une main ce qu'il avait donné de l'autre. Je ne veux pas que, dans cinq ans, dans dix ans, dans vingt ans, les transferts de compétences que le Gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN proposera cette année au Parlement aient été remis en cause. C'est pourquoi j'ai voulu que la nouvelle répartition des responsabilités entre l'Etat et les collectivités territoriales de la République soit garantie par la Constitution.

Ce que j'attends de vous, c'est d'abord que vous soyez hardis dans vos propositions pour que les transferts de compétences et de moyens soient à la mesure de la volonté nationale qui s'est exprimée.

Dans cette démarche, vous ne devez pas vous laisser guider par les enjeux de pouvoir propres au fonctionnement de vos administrations. Une grande administration ne saurait borner son ambition à la volonté de défendre son pré carré. Elle doit mettre toute son exigence dans la recherche du meilleur service rendu aux Français.

Je vous demande de faciliter l'exercice par les collectivités territoriales des nouvelles responsabilités qui leur seront reconnues.

Il vous reviendra aussi de procéder aux changements d'organisation et aux redéploiements de moyens devenus possibles du fait de la décentralisation.

Transférer aux collectivités territoriales les compétences les plus larges, leur permettre de les exercer dans les meilleures conditions et réorganiser les administrations centrales pour tirer les conséquences des transferts, tel est votre chantier, et votre cahier des charges.

Je tiens à ce que ces évolutions s'accompagnent d'une réorganisation profonde de l'Etat au niveau local.

Les services locaux de l'Etat n'ont pas à faire une concurrence inutile et coûteuse aux collectivités territoriales. Ils doivent en revanche exercer efficacement les missions qui sont de leur ressort, sans avoir à en référer constamment aux administrations centrales. Cela impose d'accroître les responsabilités des représentants de l'Etat. Cela impose de procéder aux réorganisations nécessaires pour que les services extérieurs restent toujours en mesure d'agir efficacement, que ce soit dans le domaine de l'aménagement rural, de l'assainissement ou de l'urbanisme. Mais aussi de savoir déléguer aux collectivités territoriales l'exercice de certaines compétences de l'Etat, sur le modèle de ce qui fonctionne déjà par exemple pour l'état civil. C'est à ce prix que l'Etat pourra être le partenaire efficace dont les élus, et notamment les maires, ont besoin.

Il est par ailleurs essentiel que les préfets, notamment de région, disposent de crédits globalisés au lieu d'être rigidement cloisonnés, comme ils le sont trop souvent aujourd'hui. Ainsi, nous donnerons de la souplesse à la dépense publique et nous permettrons à l'Etat de mieux s'adapter aux réalités des collectivités territoriales et aux besoins des Français.

Efficacité, proximité mais aussi simplicité : construire un service public tourné vers l'usager, c'est simplifier les règlements et faciliter les démarches administratives. Mettre à la disposition des usagers des formulaires rédigés dans une langue simple. Leur permettre d'effectuer leurs démarches à distance grâce au développement des nouvelles technologies. Instaurer un numéro d'appel unique capable de les orienter rapidement vers le bon service. Tous ces progrès sont aujourd'hui à la portée des administrations. Ils sont essentiels pour permettre à chacun de faire valoir ses droits. Ils doivent être mis en oeuvre sans retard. J'attends beaucoup des mesures que le Gouvernement prendra cette année par ordonnances. Il vous revient de les préparer, sans craindre d'être audacieux.

*

Derrière chaque réorganisation réussie, il y aura plus d'efficacité pour notre service public, un meilleur service de nos concitoyens, des tâches plus riches et mieux reconnues pour ses agents. Derrière chaque économie réalisée, il y aura plus de marges de manoeuvre pour répondre aux exigences d'aujourd'hui et de demain. Derrière chaque simplification administrative, il y aura des droits plus effectifs et plus accessibles aux Français. Derrière chaque transfert de responsabilité, il y aura, pour vous, plus de temps disponible pour anticiper et préparer l'avenir et nous en avons tous besoin.

Autant de raisons pour avancer avec détermination sur la voie de la réforme. Cette réforme est attendue de tous les Français. Elle doit être permanente. J'attends de chacune et de chacun d'entre vous qu'il s'y engage avec audace en mobilisant tous les cadres et les personnels de la fonction publique pour sa réussite.

Monsieur le Président, je vous renouvelle, ainsi qu'à chacune et à chacun des serviteurs de l'Etat dont vous vous êtes fait l'interprète, mes voeux très chaleureux de bonne et heureuse année 2003.

Je vous remercie.