Réponses de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, aux 50 questions posées par les lecteurs du "Parisien".

Paris - Mardi 13 décembre 2005.

1 - Pourquoi l'ANPE n'est-elle pas plus présente dans les cités ?

C'est nécessaire. Il faut une forte présence du service public de l'emploi. S'occuper vraiment de chaque demandeur d'emploi, cela requiert beaucoup d'énergie et de compétence, et les agents de l'ANPE n'en manquent pas. Il faut des moyens supplémentaires, aussi. Actuellement, sur les 900 agences locales de l'ANPE, 250 sont implantées sur des territoires couvrant une zone urbaine sensible ou au cœur des Zones Urbaines Sensibles (ZUS). Et 350 conseillers ANPE travaillent dans des missions locales pour aider les jeunes à trouver un emploi. Dans les jours à venir, l'ANPE va augmenter encore le nombre de ses conseillers, pour s'occuper tout particulièrement des jeunes. Dans les trois mois, les agences vont recevoir tous les jeunes des Zones Urbaines Sensibles qui sont sans solution et leur proposer un emploi, une formation ou un stage. Elles vont redoubler d'efforts pour mobiliser des offres d'emploi pour les jeunes qualifiés, et des contrats aidés ou en alternance pour les jeunes qui ont besoin d'acquérir une qualification pour trouver un emploi.

Mais cela ne suffit pas. Il faut ramener de l'emploi dans les quartiers en encourageant les entreprises à y venir en nombre. C'est pour cela que j'ai créé les zones franches en 1995. Là où l'ensemble des acteurs s'y sont engagés, cela a marché. Et nous avons décidé de les renforcer encore et d'en augmenter le nombre.

2 - Comment éviter aux jeunes les petits boulots sans fin ?

C'est vrai. Il y a beaucoup de jeunes qui sont à la recherche d'un premier emploi et qui se voient répondre par les entreprises qu'elles n'embauchent en contrat à durée indéterminée que des personnes ayant une expérience professionnelle. Et ils sont contraints d'aller vers des petits boulots.

Pour en sortir, la clé c'est la formation. C'est l'accompagnement des jeunes pour leur donner une première expérience professionnelle.

D'abord, il faut lutter contre l'échec scolaire. C'est l'objet de la réforme de l'école pour donner à chaque jeune un socle de connaissance indispensable pour réussir et un accompagnement personnalisé.

Ensuite, il y a l'apprentissage. C'est une voie qui associe formation et travail dans l'entreprise. Elle conduit souvent à une embauche rapide et aussi à la création d'entreprise. Ce que nous voulons, c'est en faire une voie de réussite à l'égale des formations classiques. Il faut aussi prendre en charge les jeunes sans qualification pour les amener vers l'activité et vers l'emploi. C'est pour cela que j'ai décidé de créer le service civil volontaire. Il concernera 50 000 jeunes en 2007. C'est pour cela aussi que nous avons créé le CIVIS qui offre aux jeunes en difficulté une formation et une activité.

Mais bien sûr, il faut que dans le même temps les entreprises ouvrent leurs portes et soient en mesure d'embaucher. Nous avons exonéré de charges l'embauche d'un jeune en CDI. Nous avons créé le contrat nouvelle embauche pour libérer la capacité d'emploi des petites entreprises. Et grâce à la politique de l'emploi conduite par le Gouvernement, le chômage baisse depuis 7 mois. Et cet effort nous allons le renforcer encore. Cela va nécessairement profiter aux jeunes.

Mais il faut aussi que les mentalités des entreprises changent. Car une société qui exclut les jeunes ou les accepte au compte-gouttes est une société sans dynamisme et sans avenir. Ce n'est pas ma vision de la France. Je veux une France ambitieuse, conquérante et qui fait confiance aux jeunes générations.

3 - Comment aider les jeunes entrepreneurs des cités à emprunter auprès des banques ?

Vous soulevez là une vraie question. Lorsque j'ai reçu, il y a quelques jours, les lauréats du concours "Talents des Cités", tous m'ont dit à quel point il avait été difficile pour eux d'obtenir un emprunt pour démarrer leur activité. Alors même qu'ils avaient de bons projets, et qu'ils demandaient de petites sommes.

Pour un jeune qui a un projet de création d'entreprise, la première chose à faire, c'est d'abord d'aller s'adresser à une association spécialisée dans le micro-crédit. Il y en a de plus en plus : par exemple l'ADIE, France Active, ou le Réseau Entreprendre. Ces associations sont là pour aider les jeunes à monter leur dossier, pour les accompagner dans leur projet et pour le défendre avec eux auprès des banques.

Du côté des banques, justement, les choses commencent à changer, mais il reste beaucoup à faire pour les amener à avoir une attitude plus ouverte.

C'est un dossier sur lequel je vais m'engager personnellement. Je vais réunir prochainement les banques, les associations, et tous les partenaires intéressés, pour donner un coup d'accélérateur au développement du micro-crédit.

4 - Allez-vous imposer le CV anonyme ?

Je suis pour le CV anonyme. Pour lutter efficacement contre les discriminations et tous les préjugés qui sont une plaie de notre société, il ne faut se priver d'aucun moyen efficace et être très pragmatique, dans le respect de nos principes républicains. C'est ce que j'ai dit aux syndicats et aux organisations d'employeurs pour les mobiliser avant qu'ils engagent des négociations sur la diversité dans l'entreprise. Le CV anonyme fait partie des instruments qui peuvent faire progresser l'égalité des droits et des chances pour tous, car cela facilite le premier entretien, notamment dans les grandes entreprises. Un entretien qui est souvent déterminant.

Mais le CV anonyme n'est pas la seule méthode possible. L'ANPE a aussi des procédures de recrutement très intéressantes, que j'ai vues fonctionner à Lyon. Il s'agit, dans le premier temps du recrutement, d'écarter complètement le CV et de se baser sur le succès à des tests d'aptitude. L'ANPE présente à l'employeur tous les candidats qui ont réussi les tests, qui ne sont pas toujours ceux qui ont la "bonne" adresse ou le "bon" nom ou même le "bon diplôme". Côté fonction publique, j'ai aussi demandé au Gouvernement de remettre à plat tous les programmes et les épreuves des concours de la fonction publique, pour que ces concours détectent vraiment toutes les compétences, et pas seulement les parcours scolaires réussis.

5 - Etes-vous prêt à sanctionner les entreprises qui font de la discrimination à l'embauche ?

Oui. Les discriminations sont un poison. Elles sont révoltantes. Priver quelqu'un d'un travail qu'il aurait pu avoir, c'est l'empêcher d'être reconnu pour ses compétences et son mérite. C'est pourquoi la justice doit punir sévèrement les discriminations. Les victimes ne doivent jamais hésiter à porter plainte ou à saisir l'Autorité de lutte contre les discriminations que j'ai créée et qui aura désormais un pouvoir de sanctions.

Mais il n'y a pas que les discriminations "affichées", si j'ose dire. Il y a toutes les discriminations insidieuses, qui s'expliquent plus par de l'ignorance et des préjugés que par une volonté délibérée de nuire. Pour les combattre, nous allons légaliser le "testing". Mais il faut aussi et surtout que les mentalités changent et s'ouvrent à la différence. La richesse de notre société, c'est sa diversité. Et cela doit se traduire évidemment dans l'emploi, en entreprise comme dans la fonction publique.

6 - Pourquoi ne pas financer la formation des chômeurs au lieu de les aider à fonds perdus ?

Verser des allocations chômage à des personnes qui ont perdu leur emploi, ce n'est pas "aider à fonds perdus", c'est la solidarité, c'est la justice. C'est une composante essentielle de notre modèle social. Mais vous avez raison, on ne peut pas se contenter d'indemniser. C'est déresponsabilisant pour tout le monde et c'est un moteur de l'exclusion.

Le chômage est toujours une épreuve. Mais il faut mettre cette période à profit pour prendre rapidement un nouveau départ. Grâce à la formation, bien sûr. Elle permet d'actualiser ses compétences pour retrouver un bon emploi. C'est pour moi une des priorités de la modernisation du service public de l'emploi. L'ANPE et l'UNEDIC doivent se rapprocher pour créer des guichets uniques sur le terrain et accompagner d'une manière personnalisée tous les chômeurs en donnant une place majeure à la formation.

Il y a aussi les questions matérielles : il faut inciter financièrement les chômeurs à reprendre vite un emploi. C'est pour cela que nous avons créé un crédit d'impôt de 1000 euros pour les jeunes qui prennent un emploi dans les métiers qui recrutent, comme l'agriculture, le bâtiment, la mécanique, le commerce, l'hôtellerie-restauration. Les personnes au RMI et les femmes qui ont l'allocation parent isolé reçoivent ainsi une prime de 1000 euros lorsqu'elles reprennent un travail.

7 - Peut-on apprendre aux jeunes à se présenter à un entretien ?

Bien sûr ! Réussir un entretien d'embauche, cela ne s'improvise pas, quel que soit le niveau de formation et l'emploi recherché. Cela s'apprend. C'est pourquoi le service public de l'emploi propose, dans chacune de ses agences, des sessions de préparation et d'entraînement, que l'on adapte en fonction des besoins du demandeur d'emploi et de l'emploi proposé. Des associations apportent également ce type d'appui, certaines grâce à l'engagement de retraités qui jouent un rôle essentiel en accompagnant le jeune jusque dans l'entreprise. J'encourage aussi les responsables des ressources humaines des entreprises à s'investir personnellement, auprès des jeunes, notamment dans les quartiers très touchés par le chômage, pour leur expliquer les méthodes de recrutement et leur donner de bons réflexes pour l'entretien d'embauche.

8 - Pourquoi les policiers qui interviennent dans les quartiers sensibles ne sont-ils pas mieux formés ?

La tâche des forces de l'ordre dans les quartiers sensibles est évidemment difficile. Il faut beaucoup de maîtrise, de discipline, de formation, d'intelligence des situations.

Je tiens à rendre hommage à l'action des policiers et des gendarmes. Lors des violences que nous avons connues dans certains quartiers, ils ont su, de manière exemplaire, faire face et favoriser le retour au calme.

Dans les écoles de police il y a alternance de périodes de cours et de stages dans les services. Discipline, exigence du dialogue et du respect sont au cœur de leur formation, ce qui est essentiel dans l'exercice de leur activité. Et il faut y être très attentif. Pendant les stages, les élèves gardiens de la paix sont affectés dans les commissariats où ils sont encadrés par des collègues plus anciens et associés à toutes les missions.

Nous devons veiller également à ce que davantage de jeunes issus des quartiers sensibles puissent accéder aux emplois de sécurité. La formule des " cadets de la République ", permettant à des jeunes de préparer le concours de gardien de la paix, a été mise en place dans cet esprit.

9 - Pourquoi ne pas mettre en place une vraie police de proximité ?

La police doit à la fois rassurer, protéger les personnes et arrêter les délinquants. Il ne faut pas opposer des missions qui sont complémentaires.

La police de proximité existe et, contrairement à ce qui a été dit, elle n'a jamais été abandonnée. Elle a simplement été adaptée à la réalité des problèmes de délinquance que nous connaissons aujourd'hui.

Face à la montée de la violence, j'ai voulu en 2002 qu'une analyse lucide et pragmatique de chaque situation locale soit réalisée et que la présence policière soit renforcée aux heures et dans les lieux où la délinquance est la plus forte. Des moyens humains, financiers, matériels importants ont été donnés aux forces de l'ordre par la loi de programmation de 2002.

En trois ans, la délinquance générale a reculé de 8 %, celle de voie publique de 20 %. C'est la preuve qu'il n'y a pas de fatalité face à la violence. Et nous allons poursuivre et accentuer notre action, car la sécurité est un droit fondamental pour tous les Français.

10 - Que faire des mineurs déscolarisés déjà engagés sur le chemin de la délinquance ?

On constate effectivement que des jeunes commettent de plus en plus tôt des actes graves. Mais il n'y a rien d'irréversible, à condition d'intervenir à temps.

Il faut une sanction rapide et systématique. C'est le préalable parce que la loi doit être respectée et chacun doit en avoir pleinement conscience. Il est indispensable, en effet, de marquer tout de suite les limites, d'agir dès la première infraction. La convocation dans des délais plus rapides devant les tribunaux, l'obligation de réparer matériellement les dégâts sont aussi des points essentiels. Et pour les mineurs les plus difficiles, nous avons créé des centres éducatifs fermés : 16 centres fonctionnent actuellement.

Mais la réponse doit être aussi éducative. Car, si nous avons le devoir de ne rien laisser passer, nous avons aussi le devoir de donner à ces jeunes une deuxième chance par l'éducation et par la formation, qui font souvent particulièrement défaut à ces jeunes.

11 - Pourrait-on intégrer les grands frères dans les institutions ou les collectivités locales ?

Une des choses que j'ai regrettée lors de la crise que nous venons de connaître, c'est qu'on a beaucoup dit que rien n'avait été fait dans ces quartiers, déniant ainsi l'immense travail accompli par beaucoup d'associations, de bénévoles et d'habitants qui s'engagent dans leur quartier. Ceux qu'on appelle " les grands frères " effectuent souvent, depuis longtemps, un travail utile dès lors qu'ils donnent aux plus jeunes des repères et des modèles. Il faut aider ceux qui en ont la vocation à poursuivre leur mission dans le cadre d'emplois stables, notamment dans les collectivités locales. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de créer en 2006 : 20 000 contrats de travail pour développer les emplois de proximité au sein des communes et des associations, 5 000 postes d'assistants pédagogiques dans 1200 collèges, une spécialité du brevet professionnel jeunesse et sport et des formations pour professionnaliser les métiers de l'animation et du sport et 2 000 contrats d'accès à l'emploi pour des agents de terrain qui renforceront la police de quartier.

12 - Police et gendarmerie ne travaillent pas assez ensemble : pourquoi ?

En 2002, j'ai voulu que la Nation se donne réellement les moyens de faire reculer la délinquance. Pour cela, j'ai voulu que la police -qui agit surtout en zone urbaine- et la gendarmerie -qui couvre la zone rurale- travaillent ensemble. C'est pour cela que le ministère de l'Intérieur est devenu le responsable des forces de sécurité publique : police et gendarmerie.

Et il fallait aussi se donner des moyens supplémentaires d'action. La loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure donne aux forces de sécurité des moyens nouveaux et très importants. Pour la période 2003-2007 : c'est 13 500 emplois nouveaux et des crédits supplémentaires de 5,6 milliards d'euros qui ont été décidés. C'est considérable. C'est à la hauteur des enjeux.

13 - La Justice sanctionne-t-elle suffisamment les délinquants ?

Face à la délinquance, la sanction doit être rapide et ferme. C'est une exigence vis-à-vis des victimes. C'est aussi la clé du respect de la loi. Si les actes de délinquance ne sont pas systématiquement sanctionnés et les peines exécutées, c'est la fonction même de la justice qui est affectée.

C'est pour cela que j'ai décidé de donner des moyens supplémentaires à la justice. La loi de programmation pour la justice pour 2003-2007 prévoit le recrutement de 10 000 agents et un effort supplémentaire de la Nation de 3,7 Mds d'euros. C'est pour cela aussi que nous avons développé des procédures de comparution immédiate.

Face aux délais de mise à exécution des sanctions qui sont souvent trop longs, nous avons lancé des expérimentations tendant à obtenir le paiement immédiat des amendes et la présentation à bref délai devant un juge d'application des peines, pour exécution de la sanction, des personnes qui sont condamnées à un emprisonnement ou à une peine de substitution.

Les résultats obtenus sont très encourageants. Il faut généraliser ce type de procédures.

14 - Les gens ne risquent-ils pas de se faire justice à force de subir des agressions ?

Un des fondements de toute société, c'est qu'on ne se fait pas justice soit même.

La sécurité est un droit premier pour tous les citoyens. Pour la garantir, il faut une politique globale de sécurité, qui va de l'augmentation des caméras de surveillance et du renforcement de la présence policière partout où c'est nécessaire jusqu'au démantèlement des trafics organisés.

C'est pour cela que les moyens de la police et de la gendarmerie ont été notablement accrus et que de nouveaux moyens ont été déployés dans les quartiers sensibles : 17 compagnies de CRS et 7 escadrons de gendarmerie mobile. C'est pour cela que j'ai créé les groupes d'intervention régionaux (GIR), qui ont montré leur efficacité.

Mais il faut aussi s'attaquer aux racines des problèmes. C'est pourquoi j'ai demandé au Gouvernement d'élaborer au plus tôt un plan de prévention de la délinquance.

Même s'il reste évidemment beaucoup à faire, comme je l'ai dit à M. Thierry Loret, la délinquance a reculé depuis 2002.

15 - Comment comptez-vous redonner le sens des valeurs aux jeunes?

C'est bien sûr, d'abord, de la responsabilité des familles. Lorsqu'elles sont défaillantes, il faut les aider. Quand c'est nécessaire, il faut les rappeler à leurs devoirs. L'Éducation nationale, elle aussi a un rôle essentiel. Parce qu'on y apprend les règles de la vie en commun, mais aussi les connaissances et la culture qui aident à se construire en ayant de bons repères. La société doit aussi veiller, en toute circonstance, au respect de la loi, sinon il n'y a plus de repères et les valeurs perdent de leur sens. Enfin, chacun dans son domaine : associations, syndicats, institutions religieuses, justice, ou partis politiques, doivent également prendre toute leur part à cette action.

Mais tout cela ne suffit pas. Car pour adhérer pleinement à des valeurs, pour les faire vraiment siennes, pour comprendre que chacun a des droits mais aussi des devoirs, il ne faut pas se sentir exclu d'avance, méprisé, discriminé. Cela, c'est notre responsabilité collective.

16 - Durcir le contrôle de l'immigration, est-ce une réponse ?

La loi doit être appliquée. C'est une question de principe. C'est aussi essentiel pour la réussite de notre politique d'intégration. Celles et ceux qui ont rejoint légalement notre communauté nationale sont les premières victimes de l'immigration irrégulière.

J'ai demandé au Gouvernement de renforcer ses exigences en matière de regroupement familial, dont les procédures sont encore trop souvent détournées. Je lui ai aussi demandé de réduire encore les délais d'examen des demandes d'asile. C'est nécessaire pour lutter contre les fraudes et pour assurer au plus vite la protection de ceux qui en ont besoin. Les reconduites à la frontière doivent être beaucoup plus systématiques. On ne peut pas se satisfaire, malgré des progrès récents, de la situation actuelle.

Lutter contre l'immigration irrégulière, c'est essentiel. Mais il faut aussi s'attaquer aux racines du problème. La clé, c'est le développement. C'est une priorité majeure pour la communauté internationale. C'est pour cela que je mène le combat pour augmenter massivement l'aide au développement grâce à des financements innovants, comme le prélèvement sur les billets d'avion.

17 - Polygamie : pourquoi ne pas favoriser le retour au pays des femmes qui le souhaitent ?

La loi française interdit la polygamie et ne permet pas la délivrance d'un titre de séjour à une seconde ou à une troisième épouse.

C'est notre droit et il n'est pas question de transiger avec cette interdiction car la dignité de la femme fait partie des valeurs fondamentales de la société française.

Bien sûr, comme le dit Madame Chipaux, il faut favoriser le retour au pays des femmes qui le souhaitent et des dispositifs existent. Mais le vrai problème sur le terrain, ce sont les situations humaines inextricables quand les familles polygames sont installées.

C'est pour cela que la priorité, c'est le contrôle lors de l'examen des demandes de regroupement familial et de la délivrance des visas. Il doit être beaucoup plus strict qu'aujourd'hui. J'attends du Gouvernement des résultats rapides.

18 - Doit-on encore parler d'intégration pour les jeunes nés en France ?

Non, les jeunes Français nés de parents étrangers sont toutes et tous les filles et les fils de la République. Le mot d'intégration ne les concerne donc pas.

Les droits et les devoirs sont les mêmes pour tous les jeunes. Cela veut dire que tous doivent respecter la loi. Cela veut dire aussi qu'on ne peut pas accepter que certains soient victimes de discriminations en raison de leurs origines. Ce combat, c'est un combat de principe qui engage la République et qui doit mobiliser chacun d'entre nous. Car si nous le perdons, si des jeunes doutent de la France et de la force de ses valeurs, alors ce sont les fondements mêmes de la société qui seront ébranlés et elle sera confrontée aux périls de l'extrémisme et du communautarisme.

19 - Pourquoi n'y a-t-il pas un jour de souvenir pour les descendants d'esclaves ?

J'y suis favorable. La France a été le premier pays au monde -et à ce jour le seul- à reconnaître l'esclavage comme un crime contre l'humanité. Le Parlement l'a voté à l'unanimité. C'est l'honneur de la France.

Mais chez beaucoup de nos compatriotes, notamment d'outre-mer, la question de l'esclavage est vécue comme une blessure personnelle et identitaire. Pour beaucoup, il y a un besoin de reconnaissance de ce passé douloureux qui a été trop souvent et trop longtemps laissé, en quelque sorte, dans l'oubli.

C'est une question de mémoire qui doit être traitée dans la sérénité et dans un esprit de rassemblement. Ce qui est en jeu, c'est d'assumer notre histoire avec ses grandeurs, dont nous devons être fiers, mais aussi avec ses épreuves. Quand on assume son histoire avec lucidité, on est toujours plus fort. Ce qui est essentiel aussi, c'est que cette question ne soit pas détournée de son objet, qui est noble, pour alimenter des dérives communautaristes.

Je recevrai dans les semaines qui viennent Madame Maryse Condé et son comité qui ont fait des propositions fortes pour permettre à la Nation de se rassembler sur cette question.

20 - Comment empêcher certains pays étrangers d'influencer les musulmans de France?

J'ai toujours veillé à ce que les personnes de toute confession puissent, dans le respect des lois et des principes de la République, vivre leur foi en toute sérénité et en toute sécurité. La laïcité vaut, en effet, pour tout le monde et les musulmans ont à cet égard les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres.

C'est en ce sens aussi que j'ai voulu que l'Islam de France s'organise, afin de pouvoir dialoguer avec les pouvoirs publics comme tous les autres cultes et trouver ainsi des réponses appropriées à ses problèmes et à ses questions. Et je me suis réjouis à cet égard de la création du Conseil français du culte musulman qui, au-delà de ses difficultés de jeunesse, constitue un véritable progrès. C'est en ce sens enfin que j'ai demandé que l'on mette en place les structures et les outils nécessaires pour permettre la formation sur notre sol d'imams français.

A présent, la priorité est de s'assurer de la transparence du financement des lieux de culte eux-mêmes. C'est tout l'objet du projet de fondation en cours de mise en place qui contribuera utilement au développement d'un véritable " islam de France " que j'appelle de mes voeux.

21 - Pourquoi est-il aussi difficile de se faire soigner dans les cités ?

Pouvoir se faire soigner partout est un droit essentiel. Notamment, mais pas seulement, pour les enfants et toutes les personnes qui ne peuvent pas se déplacer. Dans ce domaine, nous avons de sérieux problèmes, dans beaucoup de zones rurales et aussi en Ile de France. C'est la région qui a la plus forte densité médicale. Mais le nombre de médecins généralistes n'y est pas plus élevé qu'ailleurs et surtout, ils sont mal répartis. Nous venons de mettre en place des incitations financières pour que les professionnels de santé s'installent là où ils sont trop peu nombreux. Mais ce n'est pas suffisant : ce que demandent les professionnels, c'est aussi de meilleures conditions de travail, une bonne organisation des tours de garde, plus de possibilités de travail en cabinet de groupe : autant de questions importantes que j'ai demandé au ministre de la Santé de traiter rapidement avec eux.

22 - Pourquoi détruire des HLM alors qu'on en manque ?

Parce qu'il ne s'agit pas seulement de garantir à tous nos concitoyens le droit au logement, mais le droit à un cadre de vie digne. Il faut en finir avec ces habitats parfois délabrés et insalubres qui finissent par se transformer en véritables ghettos. Parfois, elles peuvent être réhabilitées. Mais dans certains cas, le mieux, c'est de détruire. Le risque, vous avez raison, c'est qu'on remplace ces logements par des appartements trop chers. Nous y veillons particulièrement dans le plan de rénovation urbaine qui est engagé depuis deux ans. Il est en marche, avec des rénovations, des destructions et des constructions nouvelles. En privilégiant toujours les conditions de relogement des habitants Déjà, 239 quartiers, où vivent un million et demi de personnes, sont en cours de rénovation avec l'aide de l'agence nationale de rénovation urbaine (ANRU). Au total, 600 quartiers seront réhabilités. Jamais un programme d'une telle ampleur n'avait été entrepris. Et depuis très longtemps on n'avait pas construit autant de logements sociaux.

23 - Et si on développait la médecine scolaire en ZEP ?

Oui, il le faut, comme partout en France. Dès le plus jeune âge, il faut pouvoir détecter les problèmes de santé, les troubles d'apprentissage, les faits de maltraitance. Il y a aussi les questions qui surgissent à l'adolescence, qu'il s'agisse des difficultés psychologiques particulières ou de la prévention du SIDA. C'est une responsabilité essentielle pour la société, et ce d'autant plus que toutes les familles n'en ont pas forcément conscience ou n'en ont pas les moyens.

Il faut pour cela mobiliser tous les acteurs de la santé. Les réseaux d'alerte qui se sont déjà créés ou les équipes de réussite éducative que nous développons dans les quartiers défavorisés font un travail remarquable. Il faut aussi développer la médecine scolaire. Nous avons prévu un plan de recrutement de 1 500 infirmières en cinq ans, pour que chaque collège ou lycée bénéficie des services d'une infirmière. 300 infirmières seront recrutées à la prochaine rentrée. Elles seront affectées en priorité dans les collèges des zones d'éducation prioritaire.

24 - Comment faire revenir les médecins de garde dans les cités ?

Vous avez raison, la bonne réponse au besoin de gardes médicales, ce ne sont pas les seules urgences hospitalières. Et des associations comme SOS médecins font du très bon travail, mais on ne peut pas se reposer sur elles seules. Il y a aussi tous les autres médecins généralistes, qui doivent pouvoir accomplir leurs gardes dans de bonnes conditions, et notamment des conditions de sécurité. C'est particulièrement révoltant que des médecins ou des infirmières qui viennent soigner les gens soient la cible de violences. C'est pourquoi j'ai demandé au Gouvernement d'encourager la création de maisons médicales de garde, comme il en existe déjà plusieurs dans la couronne parisienne. Nous avons prévu des crédits pour cela dans la loi de financement de la sécurité sociale. Une maison médicale de garde, c'est un endroit où les médecins généralistes viennent à tour de rôle prendre leur garde et accueillir les patients qui ont un problème de santé la nuit ou le week-end. C'est très rassurant lorsqu'on est malade, car on sait que le lieu sera toujours ouvert. Et les médecins peuvent y travailler en toute sécurité.

25 - Comment aider les plus démunis à accéder aux grands hôpitaux ?

Ce que votre épouse et vous-même avez vécu est, je pense, directement lié à la situation de l'hôpital de LAGNY-SUR-MARNE. Je me suis renseigné. Les difficultés viennent du fait que les locaux de l'hôpital sont insuffisants et inadaptés. C'est pourquoi des travaux d'agrandissement très importants ont été engagés. Ils permettront de doubler la superficie actuelle, de réduire sensiblement le temps d'attente et d'améliorer la qualité de l'accueil. En outre, un nouvel hôpital sera aussi construit sur le site de JOSSIGNY.

Mais, au-delà de cette situation particulière, nous avons engagé un effort massif partout en France pour renforcer les urgences hospitalières, car nous étions en retard. Le rattrapage est de grande ampleur, et il est en cours. Comme vous le soulignez, les urgences hospitalières sont essentielles pour garantir l'égal accès de tous, quels que soient les revenus, à des soins de grande qualité. C'est une exigence majeure.

26 - Comptez-vous empêcher la discrimination dans l'accès au logement ?

Oui. Car ces discriminations sont insupportables et elles sont fréquentes. La difficulté, c'est toujours d'apporter la preuve. C'est pourquoi nous allons légaliser le "testing". Et puis beaucoup de gens hésitent à aller devant les tribunaux pour se plaindre. Notamment parce que c'est long et que cela entraîne des frais. C'est pour cela que j'ai créé la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations. Il ne faut surtout pas hésiter à la saisir, la procédure est très simple et sans aucun frais. Nous sommes aussi en train de faire voter une loi qui retirera leur agrément aux agents immobiliers condamnés pour discrimination. Elle permettra aussi aux victimes de discriminations de se tourner vers une commission de médiation pour se voir attribuer un logement social.

27 - L'Etat va-t-il imposer la construction de HLM là où les maires s'y refusent ?

Oui. Nous agissons sur tous les aspects de la crise du logement. En rendant le foncier plus disponible et en favorisant l'accession à la propriété pour le plus grand nombre, avec notamment le programme des maisons à 100 000 euros. Mais on ne peut pas raconter d'histoires aux Français : si l'on veut que les ménages à revenus modestes et les jeunes qui s'installent puissent se loger à un prix raisonnable, si l'on veut éviter la constitution de véritables ghettos dans nos villes, des ghettos de riches et des ghettos de pauvres, il faut accélérer la construction de logements sociaux, partout. En la matière, chacun doit prendre ses responsabilités. J'ai récemment appelé tous les maires à respecter la loi SRU qui leur fixe l'objectif d'avoir 20 % de logements sociaux. Cette loi prévoit que, si la commune ne fait rien, le préfet peut "prendre la main" et imposer la construction de logements. J'y veillerai.

28 - Quand pourrons-nous profiter des maisons à 100 000 euros ?

Les premiers permis de construire seront délivrés début janvier. Il y a déjà eu des réalisations dans deux communes. L'ensemble des professionnels du logement et les maires intéressés viennent de signer une Charte pour le développement de ces maisons à 100 000 euros. Cette charte précise les exigences concernant les prix et la qualité technique et urbaine. Le programme des maisons à 100 000 euros est rendu possible grâce à plusieurs instruments : la TVA à 5,5 % pour les opérations situées dans les quartiers en rénovation urbaine, le prêt à taux zéro et des dispositifs juridiques particuliers comme la location-accession pour l'achat du terrain.

29 - Pourquoi nos quartiers sont-ils mal desservis par les transports ?

Lorsque l'on évoque la situation de quartiers en difficulté, on parle très souvent des logements dégradés et moins souvent des transports. Et pourtant, les transports sont une question essentielle.

Il faut de bonnes dessertes, avec plus de lignes, des fréquences plus régulières et une plus grande amplitude horaire pour aller au travail dans de meilleures conditions et en sécurité, tant pour les voyageurs que pour les agents du service public. Mais aussi pour que des entreprises puissent venir s'installer dans les villes et les quartiers.

Ainsi, depuis octobre 2005, 35 lignes d'autobus "Noctilien" circulent toute la nuit dans 175 communes d'Ile-de-France. 180M€ seront apportés par l'Agence de Financement des Infrastructures de Transport pour accélérer les programmes de tramway et la prolongation de lignes de métro en Ile-de-France. Nous faisons aussi très attention à la question des transports dans les programmes de rénovation urbaine. Les opérations en cours prévoient des actions pour améliorer la situation. J'y attache beaucoup d'importance, comme à tout ce qui peut être entrepris pour favoriser la mobilité, la mixité, et briser toutes les logiques d'enfermement qui minent la vie de beaucoup d'habitants des quartiers.

Il y a enfin la question du service garanti en cas de grève. Il est en place en Ile-de-France depuis juin. C'est un progrès, on l'a vu lors des récents mouvements. Et il faut généraliser cette garantie partout en France.

Mais il y a aussi le problème du trop grand nombre de grèves. La voie normale pour résoudre les conflits, c'est d'abord le dialogue social. La grève ne doit intervenir qu'en dernier recours. S'agissant du mouvement actuel sur les lignes B et D du RER, il me paraît disproportionné pour ne pas dire incompréhensible pour les 700 000 usagers concernés.

J'en appelle à la raison et à la responsabilité.

30 - Comment obliger les offices HLM à entretenir leurs immeubles ?

La plupart des offices entretiennent convenablement leurs immeubles et les abords. L'an dernier, les organismes HLM ont passé un accord avec l'Etat dans lequel ils se sont engagés à favoriser des démarches de qualité, avec notamment des enquêtes de satisfaction régulières. Mais vous avez raison, il y a aussi des situations révoltantes. Les offices HLM sont des établissements publics qui dépendent des collectivités locales. Ce sont elles qui doivent d'abord veiller à ce que les offices offrent à leurs locataires une bonne qualité de service. On peut compter aussi sur les représentants élus de locataires, qui siègent au conseil d'administration de leur office HLM aux côtés des représentants de la collectivité locale. Ils doivent interpeller le conseil si ce service n'est pas satisfaisant. Il est évident aussi que le respect des lieux par tous les habitants facilite le maintien de la propreté des immeubles. C'est vraiment une question de civisme élémentaire, avec laquelle on ne doit pas transiger.

31 - Que vont devenir les médiateurs qui aident les familles à s'intégrer ?

L'une des grandes fragilités des sociétés modernes, c'est l'affaiblissement des liens sociaux traditionnels. Cela concerne tous nos concitoyens. La situation est souvent particulièrement difficile pour des familles immigrées. Tout ce qui peut contribuer à renouer les liens de proximité entre habitants et institutions ou entre habitants eux-mêmes doit être encouragé. C'est pourquoi je suis tout à fait favorable à la médiation, qu'il s'agisse de médiation sociale, scolaire ou culturelle. Dans les quartiers sensibles, je veux souligner le rôle primordial des adultes-relais, souvent des mères de famille. Non seulement les postes d'adultes-relais ne sont pas mis en cause, mais nous allons les renforcer. L'an prochain, leur nombre sera porté à 6000. Ils continueront leur action si précieuse dans les quartiers, pour accompagner les habitants dans leurs démarches, faciliter le dialogue avec les services publics et pour aider à prévenir et à résoudre les petits conflits de la vie quotidienne.

32 - Quelles mesures allez-vous prendre contre les mariages forcés et les violences faites aux filles ?

Mon sentiment est qu'après des décennies de progrès, les droits des femmes régressent dans notre société. De plus en plus, les femmes sont les victimes d'actes et de comportements qui les atteignent violemment dans leur corps et dans leur esprit. Une femme meurt tous les quatre jours des suites de violences au sein du couple. Plusieurs dizaines de milliers de jeunes filles sont mariées de force chaque année. Et de très nombreuses petites filles sont encore victimes de mutilations sexuelles. Ces violences sont d'autant plus redoutables qu'elles sont cachées dans le secret des familles, que les victimes sont souvent menacées lorsqu'elles osent briser la loi du silence et de la soumission et que certaines jeunes filles ne pensent même pas à se plaindre parce qu'elles n'ont jamais appris à vivre libres.

Le Parlement est en train de voter une loi qui nous dotera d'un arsenal très complet pour protéger les jeunes filles et les femmes, pour leur donner tous les moyens juridiques et matériels de dire non et pour réprimer avec beaucoup de sévérité tous ces actes barbares. Tous les services publics, la police, la justice et nos services consulaires à l'étranger bien sûr, mais aussi l'éducation nationale, les services chargés du logement et de l'emploi doivent faire de l'aide apportée aux femmes victimes une priorité de leur action. Le respect dû aux traditions et à la vie privée s'arrête là où commence le droit des femmes à vivre libres.

33 - Faut-il priver d'allocations les familles dont les enfants sont des délinquants ?

La suppression pure et simple des allocations familiales n'est pas une solution. Cela pourrait aggraver les dérives. Les allocations familiales sont destinées à aider les parents à élever leurs enfants.

Mais je veux le dire très clairement: les parents ont des devoirs vis-à-vis de leurs enfants et de la société. Ils doivent assumer pleinement leur responsabilité parentale, dans l'exercice de laquelle, ni l'école, ni l'Etat ne peuvent les remplacer. Lorsque les parents sont en difficulté, il faut les aider, les services sociaux sont là pour ça. Mais lorsqu'il y a défaillance des parents, ils doivent être rappelés à l'ordre. C'est tout le sens du contrat de responsabilité parentale qui va être conclu avec les parents dont les enfants posent problème, à l'école ou ailleurs. Si les parents refusent de s'engager dans une telle démarche de responsabilité, alors oui, on doit pouvoir prononcer des amendes ou suspendre provisoirement les allocations familiales et ne les rendre aux parents que quand la situation est rétablie. C'est ce qu'a décidé de mettre en place le Gouvernement.

34 - A quand une aide aux devoirs dans tous les quartiers ?

L'aide aux devoirs, c'est vraiment un moyen important pour assurer l'égalité des chances. Il faut qu'un maximum d'enfants en bénéficie, notamment dans les quartiers. L'aide aux devoirs est assurée par des associations, dans lesquelles interviennent de très nombreux enseignants, avec le soutien financier de l'État et des communes. Je rends hommage à leur action essentielle. Le plan de cohésion sociale apporte des moyens supplémentaires pour leur donner un nouvel essor dans les quartiers en difficulté. Et nous avons décidé de doubler les moyens des équipes de réussite éducative.

Aider chaque enfant en difficulté est aussi une priorité de la loi sur l'école: c'est le sens des programmes personnalisés de réussite éducative qu'elle met en place. Dans 350 lycées situés dans des zones sensibles, nous venons de recruter des étudiants qui se préparent aux métiers de l'enseignement justement pour faire de l'aide aux devoirs et donner des conseils de méthode. Ce dispositif sera étendu aux collèges dès 2006.

35 - Est-ce humain d'expulser des élèves sans papiers ?

Il faut d'abord rappeler que le droit français ne permet pas d'éloigner ou d'expulser des mineurs.

Pour les jeunes majeurs scolarisés, les Préfets ont la possibilité de délivrer à ces jeunes une carte de séjour temporaire portant la mention "étudiant" s'ils justifient avoir une scolarité depuis au moins l'âge de 16 ans et s'ils poursuivent des études supérieures, même en l'absence de visa long séjour mais sous réserve d'une entrée régulière en France.

Pour ceux qui ne sont pas entrés régulièrement en France, nous prenons en compte les situations humaines les plus délicates. Une circulaire récente du Ministère de l'Intérieur demande ainsi aux Préfets d'apprécier les situations individuelles au regard de la réalité et du sérieux des études poursuivies ainsi que de l'assiduité dont ils font preuve, aussi bien pendant les cours que lors des examens.

36 - L'apprentissage dès 14 ans, n'est-ce pas condamner les jeunes à un avenir médiocre ?

Sortons des vieux schémas qui opposent apprentissage et enseignement académique. Les deux sont des voies de réussite. Des passerelles doivent exister entre l'une et l'autre et cela à tous les niveaux d'enseignement.

Pour des jeunes qui ne trouvent pas leur voie au collège, ou dans les enseignements traditionnels et qui, faute d'autre solution, finissent par sortir du système éducatif sans qualification, l'apprentissage est une nouvelle opportunité. Ils pourront ainsi, à la fois maîtriser le socle commun des connaissances indispensables tout en obtenant un premier diplôme professionnel, CAP ou BEP, dans un métier qu'ils choisiront. C'est une chance nouvelle pour s'insérer dans la vie active, ou bien poursuivre ses études en préparant un baccalauréat professionnel puis un BTS, voire plus pour ceux qui le peuvent ou le veulent.

37 - Comment comptez-vous lutter contre l'inégalité des chances à l'école ?

L'égalité des chances est au cœur de l'exigence républicaine. Ce n'est pas un principe abstrait, et il ne s'agit pas seulement de mettre tout le monde sur la même ligne de départ. L'égalité des chances, c'est donner à tous la même chance d'être sur la ligne d'arrivée, en réduisant les inégalités sociales et culturelles.

L'objet de la loi sur l'école, c'est de donner à tous les élèves le socle de connaissances indispensable pour réussir. Nous avons aussi décidé, et c'est essentiel, de renforcer les ZEP.

Mais il y a aussi un autre grand défi à relever, c'est celui de l'orientation scolaire. Beaucoup de jeunes et leurs familles ont du mal à se repérer dans toutes les filières du système éducatif. Ils ne savent pas vers quoi elles mènent ni les compétences qu'elles requièrent pour réussir. C'est pour cela que nous créons un service public de l'orientation et de l'insertion professionnelle qui permettra de trouver les meilleures solutions pour chaque élève.

Par ailleurs, beaucoup de jeunes qui ont un fort potentiel n'osent pas s'orienter vers certaines filières d'excellence, parce que, venant de milieux défavorisés, ils pensent qu'elles ne sont pas faites pour eux. C'est un état d'esprit qu'il faut changer. C'est pourquoi j'ai souhaité que le recrutement des grandes écoles s'ouvre plus largement aux étudiants issus des quartiers, dans la voie qui a été ouverte par plusieurs établissements, notamment l'Institut d'études politiques de Paris ou l'ESSEC. Cette logique, il faut la généraliser à tout le territoire. J'aurai l'occasion de le préciser dans les prochaines semaines.

38 - Pourquoi on ne scolarise pas plus tôt les tout-petits ?

Aujourd'hui, en France, plus de 200 000 enfants de deux ans sont scolarisés : c'est plus d'un enfant sur quatre dans cette tranche d'âge. La loi prévoit cette possibilité en priorité dans les écoles situées dans les ZEP, les zones rurales et les départements d'Outre-Mer. Cela étant, ce n'est pas une solution miracle. Les tout-petits ont probablement davantage vocation à être accueillis dans des structures plus adaptées que sont les crèches. Les études montrent que la scolarisation précoce a peu d'effets sur la réussite scolaire à l'école élémentaire et nombre d'experts, médecins et spécialistes de la petite enfance, s'accordent même à mettre en garde contre les dangers d'une scolarisation à un âge trop précoce. D'ailleurs, la plupart des autres pays européens scolarisent les enfants à partir de trois, et même quatre ans.

39 - Comptez-vous augmenter les moyens pour lutter contre la violence à l'école ?

Oui. La violence à l'école est intolérable. C'est très perturbant, voire traumatisant pour les élèves que de vivre dans la crainte d'être agressé, racketté ou insulté. C'est aussi une cause majeure d'inégalité. L'école est un endroit où on doit pouvoir se concentrer et travailler dans la sérénité.

Pour lutter contre les violences, l'Education nationale travaille en partenariat avec la justice de proximité, avec les 4 600 correspondants police ou gendarmerie, avec les collectivités locales et les associations.

Nous renforçons aussi la présence des adultes à l'école : en plus des 43 000 assistants d'éducation, 45 000 emplois vie scolaire sont en train d'être recrutés.

40 - Avez-vous conscience que les violences urbaines révèlent un profond problème d'éducation?

La violence n'est jamais une solution. Le respect de la loi est une question de principe, sans laquelle on ne peut jamais rien construire. Mais, c'est vrai, au cœur de la réponse, il y a, bien sûr, l'éducation.

C'est à l'école que l'on acquiert les valeurs communes de la vie en société, comme la laïcité, les savoirs fondamentaux et que l'on apprend aussi le respect de l'autre. C'est pour cela que la Nation s'est engagée dans un effort massif pour l'éducation. Avec la loi sur l'école pour que chaque jeune acquiert un socle de connaissances essentielles pour réussir. Avec un renforcement des ZEP, comme l'a décidé le Gouvernement. Et je veux saluer l'engagement et le travail des enseignants. Ils font honneur à la Nation.

Mais il y a aussi le rôle fondamental de l'autorité parentale. C'est dans la famille d'abord que l'on acquiert les repères et, ce qui est capital à mes yeux, le respect de la règle. C'est pour cela, que j'attache tant d'importance à la responsabilité des parents sans laquelle on ne pourra rien construire de solide.

41 - Les médias ont-ils trop dramatisé les événements ?

Les médias français ont fait leur travail : ils ont montré la réalité, et les scènes auxquelles ont assisté nos concitoyens étaient parfois d'une grande violence. Il reste bien sûr que, par nature, les médias, en particulier la télévision, fonctionnent comme un miroir grossissant : c'est la puissance inhérente à l'image, et c'est au journaliste, et à lui seul, de s'interroger, pour savoir s'il doit ou non tout montrer. Dans le traitement de la crise des banlieues, nos médias ont généralement fait preuve de responsabilité. Je n'en dirais pas autant malheureusement de certains médias étrangers, qui ont souvent présenté les événements de façon biaisée et avec démesure.

42 - A quand l'ouverture de la télévision au métissage culturel ?

Le plus vite possible. Nous faisons tout pour cela. La télévision a une grande place dans nos vies. Elle contribue à forger les représentations que nous nous faisons de notre société et à faire émerger des cultures communes. Il est donc nécessaire qu'elle nous ressemble. On commence à observer une prise de conscience de cette nécessité, mais ce n'est vraiment pas suffisant. J'ai rencontré les principaux responsables il y a quelques jours. Nous allons renforcer les obligations des chaînes publiques et privées dans ce domaine et donner davantage de moyens au Conseil supérieur de l'audiovisuel. Nous allons aussi dégager des moyens financiers pour aider des films ou des séries qui valorisent notre diversité. Elle fait la richesse et l'identité de notre pays.

43 - Quelle est votre position face aux mots utilisés par Nicolas Sarkozy pour désigner les jeunes ?

En politique, le choix des mots est évidemment essentiel. Je l'ai dit, en France, tous les citoyens sont les filles et les fils de la République.

Il n'y a pas de catégorie de Français. Il n'y a que des citoyens libres et égaux en droit. Et quand une personne commet un délit où un crime c'est un délinquant ou c'est un criminel. C'est la loi qui le dit. Ce sont ces termes qu'il faut employer. C'est cela la République.

44 - La banlieue fait peur. Que proposez-vous pour mettre en valeur ses atouts ?

Dire que la banlieue fait peur n'est pas la réalité. Il y a des endroits où la délinquance est forte. C'est justement pour cela que l'Etat doit y être présent et lutter résolument contre la violence. Mais les banlieues, c'est aussi, comme partout, des lieux de réussites formidables, avec un engagement, une solidarité qu'il faut saluer.

La responsabilité des pouvoirs publics, c'est trois choses. D'abord, nous devons apporter une réponse aux aspirations très légitimes de chacun des habitants des quartiers en difficulté: vivre dans un cadre de vie digne, pouvoir progresser, par son travail, ne pas être confronté à des vexations répétées et à des discriminations. Avoir, tous, les mêmes droits et les mêmes chances. Il faut aussi sanctionner ceux qui enfreignent les lois et empoisonnent la vie de leurs voisins. Notre responsabilité, c'est enfin de mettre un coup de projecteur sur toutes les réussites, et notamment celles des jeunes. Sans flagornerie, sans paternalisme. Simplement montrer ce qui existe. Ainsi, j'ai été impressionné par la motivation et la détermination des jeunes lauréats de l'opération "Talents des Cités". Grâce à leur créativité, leur énergie, leur générosité, ils ont réussi à monter de très beaux projets et à créer leur propre entreprise. Ces jeunes sont tout simplement l'honneur et l'espoir de notre pays. Enfin, je crois beaucoup à un travail pédagogique autour de l'histoire des quartiers, de ceux qui les ont successivement peuplés, de leur parcours. J'attends beaucoup de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration qui verra le jour en 2007.

45 - Pourquoi l'inscription des jeunes sur les listes électorales n'est-elle pas automatique ?

L'inscription d'office des jeunes sur les listes électorales est prévue par une loi de 1997, dès qu'ils ont 18 ans. Le principe, c'est que nos jeunes compatriotes se retrouvent automatiquement sur la liste de la commune où ils habitent, sans demande de leur part.

Mais, en pratique, certains y échappent notamment les jeunes qui n'ont pas été recensés et ceux qui ont déménagé.

Voilà pourquoi nous étudions actuellement plusieurs mesures pour régler ces problèmes : notamment de pouvoir demander au juge de les inscrire après la date limite de dépôt des inscriptions.

46 - Je m'investis dans la vie locale. Et pourtant je n'ai pas le droit de vote. Pourquoi ?

Le principe, c'est qu'en France la nationalité et le suffrage sont liés. C'est un principe fondamental de la République.

Mais celui qui le veut peut devenir français. Un étranger qui a fait le choix de vivre en France et de s'investir dans notre communauté nationale peut être naturalisé et voter.

Bien sûr, certains soulignent que les étrangers ressortissants de l'Union Européenne ont le droit de voter aux élections locales et européennes. Mais nous avons en partage avec nos partenaires européens des éléments essentiels de souveraineté. Et dans le cadre de la construction européenne, nous avons engagé un mouvement vers une citoyenneté européenne qui progressivement viendra s'ajouter à la citoyenneté nationale.

47 - Oserez-vous régulariser les immigrés clandestins qui travaillent ?

Le travail d'immigrés clandestins est d'abord la marque d'une exploitation scandaleuse de la misère humaine.

Le courage ne consiste pas à s'accommoder de ces situations mais au contraire à les combattre.

48 - Y aura-t-il plus de diversité parmi les invités de la garden-party de l'Elysée en 2006 ?

C'est dans cet esprit que j'ai décidé, en 1995 d'ouvrir la réception du 14 juillet aux Français dans toute leur diversité. Pour moi c'est quelque chose qui allait de soi parce que l'Elysée est la maison de tous les Français.

49 - Allez-vous accorder des aides aux villes qui font vraiment participer les citoyens à la démocratie?

La mobilisation citoyenne et la participation de tous les habitants à la vie locale, c'est essentiel pour faire vivre des quartiers. On l'a vu au cours des dernières semaines, dans les quartiers où le tissu associatif est dense, là où les habitants sont véritablement impliqués, les difficultés ont été moins importantes et plus vite résolues. Mais tout cela ne se décrète pas. C'est un travail de longue haleine, qui suppose que les citoyens se sentent toujours écoutés et compris. La vitalité de la démocratie locale dépend beaucoup de l'action du maire et de l'existence des relais associatifs nécessaires. Ensuite, la loi offre beaucoup de possibilités pour favoriser les initiatives locales: je pense notamment aux conseils de quartiers ou de la vie locale. Ce qui manque aujourd'hui, ce sont des formes d'expression et de participation renouvelées. Nous devons être inventifs. Pour les jeunes qui le souhaitent, je veux mettre en place un service civil volontaire qui leur offrira un accompagnement personnalisé et leur permettra de faire s'épanouir leur volonté d'engagement dans la Cité.

50 - Comment faire comprendre aux jeunes qu'ils ont leur place dans le débat politique ?

Les jeunes s'investissent dans des causes majeures : l'aide aux plus démunis, l'environnement, le développement ou la paix dans le monde. Ils le font souvent dans un cadre associatif.

Ces questions sont des questions politiques majeures. S'ils veulent les faire avancer encore plus vite, ils doivent aussi s'engager dans l'action politique locale et nationale et ils doivent voter. Mais pour cela, il faut que les responsables des partis politiques prennent leur part de responsabilité en favorisant l'engagement des jeunes, et en encourageant leurs candidatures aux différents scrutins. Les élus locaux et la représentation nationale doivent mieux refléter la diversité de la France. Ils doivent faire toute sa place à la jeunesse.

C'est capital pour réconcilier les Français avec la politique. C'est capital pour l'avenir du pays.