Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, de M. Amadou TOUMANI TOURE, Président de la République du Mali, et de Mme. Marie TAMOIFO NKOM, porte-parole des délégués de la jeunesse africaine, à l'issue du 23ème sommet Afrique-France.

Bamako (Mali) - dimanche 4 décembre 2005

M. AMADOU TOUMANI TOURÉ - Mesdames et Messieurs, je voudrais tout d'abord vous présenter nos regrets pour le retard que nous avons accusé. Vous savez que dans un tel forum, on ne peut pas tirer les conclusions sans donner la parole à certains, même s'ils ne veulent pas la prendre, il faut quand même la donner. Donc, nous sommes au regret des quelques minutes de retard que nous avons accusé.

Je commencerai tout d'abord par saluer la presse, l'ensemble de la presse et toute la presse. Je voudrais singulièrement adresser nos remerciements à la presse internationale, à la presse française, à la presse d'Afrique, aussi bien qu'à la presse du Mali, que cela soit les agences, que cela soit la presse radio, télévision et la presse écrite. Nous vous remercions pour la couverture et nous vous remercions également pour avoir donné à l'événement toute sa dimension, c'est-à-dire une large dimension et large diffusion.

Mais je voudrais remercier Jacques, sa chaleur humaine, sa spontanéité. J'ai dit que Jacques est vrai. Il ne fait pas semblant. D'abord, c'est un ami du Mali, mon ami et un passionné de l'Afrique qu'il connaît parfaitement, aussi bien les Etats, les régions que les hommes.

Je voudrais encore remercier l'ensemble des chefs d'Etat. Pour nous, c'était un record, un honneur, sinon un privilège pour le Mali d'avoir pu en accueillir autant. Nous nous sommes même permis, une cerise sur le gâteau, de recevoir pour la première fois une présidente de la République élue. Le Mali ne peut être qu'honoré.

Je préfère rapidement vous donner la parole mais je rappellerai cependant que nous avons été touchés par la déclaration qui a été faite hier par les jeunes, à travers leur porte-parole, qui ont dégagé leurs aspirations, qui nous ont dit les difficultés qu'ils vivaient, qui nous ont fait des propositions et qui se sont même permis de nous faire quelques menaces, en passant, que nous avons appréciées légitimement.

Les thèmes ont été débattus en huis clos. Le thème débattu ici, à la plénière, par ma déclaration de bienvenue, celle du Président BONGO, celle du Président CHIRAC. Nous avons entendu les déclarations du Prince, Son Altesse Royale du Maroc. Nous avons entendu également les messages du Secrétaire général des Nations Unies, empêché, qui a été remplacé par le Secrétaire général adjoint des Nations Unies.

Evidemment, il y a eu des sous-thèmes qui ont été traités par les différents présents, sur l'emploi, sur la jeunesse socio-économique, sur la jeunesse en pleine formation, sur la jeunesse d'immigration. Donc, sept sous- thèmes ont été traités par différents chefs d'Etat et à partir de ces thèmes. Nous avons engagé un débat qui a duré toute la journée d'hier, la nuit et ce matin.

Donc, c'est pour vous dire, Mesdames et Messieurs, la parole est à vous. Si ce n'est que, certainement, Jacques aura également quelques mots à dire avant que lui-même ne vous donne la parole. Je vous remercie encore une fois de toute l'attention que vous avez voulu porter à cet événement majeur que le Mali a pris le risque d'organiser.

LE PRESIDENT - Je voudrais tout d'abord m'associer aux remerciements exprimés avec toute la courtoisie qui lui est habituelle par le Président TOURÉ à l'égard de la presse nationale et internationale. Je voudrais aussi lui dire combien nous avons été heureux d'accueillir la première Présidente présente dans un sommet africain, la Présidente Ellen JOHNSON-SIRLEAF du Libéria. C'était, de sa part, un geste d'amitié que de venir alors qu'elle est évidemment en pleine organisation de son arrivée au pouvoir présidentiel. Je voudrais aussi saluer la présence qui nous a fait plaisir, pour la première fois, depuis 14 ou 15 ans, du Premier ministre somalien. Ce qui indique que la Somalie a retrouvé les voies de la stabilité et, je l'espère, du progrès. En tout les cas, sa présence nous a un peu réchauffé le cœur.

Et puis je voudrais remercier Marie TAMOIFO NKOM. Elle prononcera tout à l'heure quelques mots pour dire dans quel esprit elle est venue. Nous avons reçu l'adresse qu'elle nous a transmise au nom de l'ensemble de la jeunesse africaine. Nous y avons travaillé, nous avons consulté, nous lui apportons aujourd'hui notre réponse, positive sur un certain nombre de points, et comportant des engagements notamment sur une question qui tenait beaucoup à cœur aux jeunes que nous avons reçus ce matin, le Président TOURÉ et moi, longuement, pour développer ces questions et qui concerne le forum. Je confirme, chère Marie, que nous prenons l'engagement que vous souhaitiez dans ce domaine.

Je voudrais également, bien sûr, remercier chaleureusement le Président TOURÉ. Il a organisé avec cette qualité qui est la sienne, spontanément, cette gentillesse, cette efficacité, ce sommet tout de même important avec cinquante-cinq ou cinquante-six Etats présents, ici à Bamako. Il l'a fait dans les meilleures conditions. Chacun est parti tout à l'heure heureux et détendu.

Je tiens à lui exprimer à lui, et à l'ensemble de ses collaborateurs toute notre reconnaissance pour ce qui a été une réussite et ce n'était pas facile. Je voudrais remercier le peuple malien, le peuple de Bamako mais plus généralement le peuple malien qui a réservé à tous un accueil particulièrement chaleureux et qui restera dans nos cœurs, qui est allé droit à notre cœur.

Nous avons évidement évoqué les problèmes, nous en êtes déjà informés, nous répondrons aux questions que vous voulez nous poser. L'Afrique progresse sur la bonne voie mais trop lentement. Sur la bonne voie, c'est vrai dans le domaine de la paix, de la démocratie mais trop lentement sur le plan économique avec depuis quelques années, 5 % de croissance, ce qui est bien. Mais ce n'est pas suffisant pour lutter avec efficacité contre la pauvreté et pour répondre aux légitimes ambitions d'une jeunesse de plus en plus importante et qui représentera l'un des grands problèmes du monde de demain si l'on arrive pas à lui apporter ce qu'elle est en droit d'exiger, c'est-à-dire, les conditions normales lui permettant de rester chez elle. Conditions de paix et de démocratie, de liberté mais également, bien sûr, des conditions économiques et sociales, c'est-à-dire l'éducation, la santé, la formation, le travail. D'où l'importance, à nos yeux, de la présence de ces jeunes qui représentaient, en quelque sorte, les ambitions légitimes de la jeunesse africaine.

Nous avons évoqué l'ensemble de ces problèmes, en particulier ceux du commerce, où nous avons, tous, mis en garde certaines évolutions trop libérales qui risquent de nous conduire à une satisfaction donnée aux pays riches et aux pays émergents au détriment, en matière commerciale et notamment agricole, des pays les plus pauvres.

Nous avons évoqué le problème du développement qui ne pourra être une réponse crédible aux problèmes que j'évoquais à l'instant que dans la mesure où des moyens nouveaux seront mis en œuvre. Il faut, en gros, doubler et passer à 150 milliards par an l'aide publique au développement. Nous ne le ferons pas à partir du budget des Etats seulement. Par conséquent, nous avons beaucoup insisté sur l'importance capitale qu'il y avait à mettre en place des financements innovants qui permettent de rassembler cette somme, grâce à une taxation, sous une forme ou sous une autre, internationale. C'est vital.

Nous avons également évoqué le problème des crises, en particulier la Côte d'Ivoire, le Darfour et nous avons évoqué le problème de la préparation du Prochain G8. J'ai eu l'occasion de défendre auprès du Président POUTINE, qui organise le prochain G8 au mois de juillet prochain à Saint-Pétersbourg, l'idée de poursuivre dans la voie des G8 précédents s'agissant de l'Afrique sur les problèmes de l'éducation, de l'énergie et des infrastructures. Et je crois que le Président POUTINE a été sensible à ces arguments.

Nous avons enfin évoqué les problèmes des migrations. En ayant conscience que si on ne répond pas aux problèmes de la jeunesse, c'est-à-dire si on ne lui donne pas la possibilité de rester chez elle, le Président TOURÉ l'a évoqué tout à l'heure, elle risque de répondre par la colère mais aussi par la migration. Et dans les deux cas, ce sont de mauvaises réponses et qu'il nous appartient de transformer en une possibilité positive.

Voila les grandes lignes de ce que nous avons fait avant de répondre à vos questions. Je vais donner la parole à Marie qui pourra nous dire quelques mots sur la façon dont elle a reçu ce sommet.

MME MARIE TAMOIFO NKOM - Merci à tous ceux qui sont présents aujourd'hui, ici, pour cette conférence finale de presse. Nous sommes tout à fait heureux et satisfaits que ce sommet se soit conduit de cette manière et il nous a permis de partager avec vous les aspirations, les ambitions et les souhaits de toute la jeunesse africaine et de la diaspora.

Nous avons préparé avec les jeunes délégués, présents lors de ce sommet, une motion de soutien que je souhaiterais adresser à tous les chefs d'Etat d'Afrique et de France pour nous avoir offert cette occasion solennelle de partager évidemment tout cela. Et aussi, étant donné que nous ne nous attendions pas à une réponse aussi rapide, nous avions préparé des recommandations pour concrétiser l'adresse qui avait été lue. Je l'ai avec moi. Je vais vous la remettre bien que nous soyons surpris par la réponse et nous espérons que les engagements pris, ici, et la réponse que je viens de recevoir en votre nom et au nom de la jeunesse nous permettront d'améliorer beaucoup les conditions des jeunes et de la population africaine.

Au-delà de cela, nous sommes, avec tous les délégués qui sont présents et les autres qui n'ont pas pu être là, très heureux, très satisfaits que le choix du thème de ce sommet ait porté sur la jeunesse africaine. Nous vous remercions du fond du cœur. C'était un cri du cœur, vu le poids démographique de la jeunesse, l'acuité de ses besoins. Nous sommes tout à fait en attente de voir des actions concrètes être menées.

Et aussi, je voudrais dire, c'est vrai, le Président du Mali nous a dit, tout à l'heure, que l'adresse était une menace. Nous, nous pensons que c'est une adresse qui est consensuelle, qui est interpellative et qui, pour nous, est réaliste. Donc, nous espérons, avec tous ceux qui sont là. Nous vous remercions pour la réponse évidemment. Nous allons faire diffuser la réponse à tous les délégués, à toute la jeunesse africaine et de la diaspora pour qu'ils prennent connaissance de cette réponse là et puissent eux-mêmes juger des résultats. Je vous remercie.

M. AMADOU TOUMANI TOURÉ - Pour ce qui concerne la menace, pour moi, c'est une clause de style.

MME MARIE TAMOIFO NKOM - Merci beaucoup.

QUESTION - Monsieur le Président CHIRAC, dans votre discours d'hier, vous avez annoncé les nouvelles dispositions que la France compte prendre pour faciliter l'obtention des visas à un certain nombre d'Africains, de certaines catégories socio-professionnelles. Monsieur le Président, est-ce que cette décision peut être assortie d'un agenda qui permette réellement aux différents consulats de France en Afrique de mettre effectivement en application cette mesure ?

LE PRESIDENT - Il n'y a pas vraiment d'agenda puisqu'elle va être instantanée. Cela consiste, pour le ministre des Affaires étrangères français, de transmettre des instructions aux consulats français. De quoi cela s'agit-il en réalité ? Ce n'est pas des visas ouverts à tout le monde et sans limites. On s'est aperçu, on le sait très bien, qu'un certain nombre de gens ont, par nécessité, besoin de venir en France. Alors, il s'agit des étudiants, il s'agit de professeurs, il s'agit des artistes, il s'agit des industriels ou des chefs d'entreprise. Il y a toute une série de gens qui ont besoin de se rendre en France et pour lesquels c'est évidemment une contrainte excessive d'être chaque fois obligés de demander un visa et d'attendre, car il y a toujours des délais d'attente, ne serait-ce que pour des raisons administratives.

Ce que j'ai décidé, c'est que tous ces gens, qui ont des raisons normales de venir en France, pourraient obtenir des visas, premièrement, de longue durée et, deuxièmement, à entrées multiples. Ce qui leur permet de faire, une fois pour toute, la démarche et ensuite de pouvoir se rendre facilement en France sans avoir besoin de refaire une autre démarche. C'était une demande très fortement sollicitée de la part d'un certain nombre de pays et aussi de la diaspora africaine en France.

M. AMADOU TOUMANI TOURÉ - Je voudrais profiter pour reprendre la parole. D'abord, effectivement, le Président CHIRAC et d'autres certainement, et moi-même, nous avons souvent évoqué ces contraintes et vraiment, au nom de tous ceux qui ne pourront pas directement s'adresser au Président, je suis d'abord fier que cette décision ait été prise, sinon annoncée au Mali. D'autre part, Monsieur le Président, nous vous remercions au nom de tous pour ce geste que nous apprécions à sa très grande valeur.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez évoqué, tout à l'heure, des discussions qui ont eu lieu sur les crises africaines, notamment sur la Côte d'Ivoire. Pouvez-vous nous en dire plus et nous dire si, dans ce dossier, on a avancé, notamment en ce qui concerne la désignation d'un Premier ministre ?

LE PRESIDENT - Nous avons, le Président TOURÉ et moi, eu des entretiens avec, d'une part, le Président TANDJA, hier, qui est l'un des trois négociateurs, comme vous le savez et, d'autre part, hier également avec le Président MBEKI, et ce matin, avec le Président OBASANJO qui, lui, pour des raisons familiales, n'a pu rejoindre le sommet que ce matin.

Donc, nous avons évoqué ce problème et je n'aurai pas l'indiscrétion de dire ce qu'ils m'ont dit, naturellement, si ce n'est qu'ils sont tous les trois déterminés à faire le maximum pour arriver à une solution acceptable par tous de la crise en Côte d'Ivoire. Alors, ils sont partis, tout à l'heure, ou ils sont en train de partir, tous les trois, le Président OBASANJO, le Président MBEKI et le Président TANDJA qui les rejoint directement, pour Abidjan. Ils auront dès cette après-midi avec les représentants des partis politiques et avec le Président GBAGBO des entretiens dont ils espèrent qu'il pourra en sortir la désignation d'un Premier ministre qui, il faut bien le reconnaître, tarde beaucoup. Mais aucune décision n'est encore prise, si ce n'est la détermination de ces trois émissaires de grande qualité pour essayer de convaincre l'ensemble des parties prenantes ivoiriennes de se mettre au moins d'accord pour la désignation d'urgence d'un Premier ministre qui ait suffisamment de liberté et d'autorité pour, d'une part, faire le désarmement et, d'autre part, préparer les élections présidentielles.

QUESTION - Peut-on avoir une idée sur le problème de démobilisation et de réinsertion des enfants soldats ? Et sur la révolte des jeunes de banlieues en France, peut-on assimiler cela à une histoire de polygamie comme cela a été le cas ?

M. AMADOU TOUAMI TOURÉ - En ce qui concerne les conflits en Afrique, je disais hier tous les méfaits de ces conflits mais, heureusement, il y a moins de conflits internes en Afrique aujourd'hui qu'il y a simplement dix ans. Nous n'allons jamais exclure des conflits inter états qui grâce à nos organisations sous-régionales, nous permettent d'avoir un cadre de dialogue constant. Mais il va falloir, comme cela a été le cas avec le Mali et d'autre pays, borner nos frontières et nous mettre d'accord sur les tracés.

Vous avez parlé de ces enfants soldats mais je parle d'abord des jeunes. Ce sont les jeunes qui sont les vecteurs des conflits en Afrique. Ce sont eux qui se battent. Il n'y a pas beaucoup de vieux, d'anciens qui ont des armes et qui sont en train de se battre. Ce sont les jeunes qui se battent, c'est pour cela que je dis qu'ils sont les vecteurs des conflits mais il sont aussi les facteurs de la paix. Et si tous les jeunes décidaient, demain matin, de ne plus se battre, il n'y aurait plus de conflits internes en Afrique. Donc quelque part et très souvent, nous faisons appel à la conscience des jeunes dans le cadre de la paix.

Vous avez parlé des enfants soldats, je pense que ce sont des pages tristes de la guerre, non seulement sur d'autres continents, nous n'avons pas le monopole, mais il y a certains pays tels que le Libéria, la Sierra Leone et d'autres pays. Ce sont des enfants entre six, huit ou dix ans ; parfois l'arme a une taille supérieure à la leur. Mais ces enfants, ils s'amusent, drogués : ils ne sont pas partis à l'école ou ils ont quitté l'école. Ils veulent être utiles. Or, le seul commerce qu'ils portent dans certains cas c'est d'aller se battre donc ils se battent pour prendre, ils se battent pour être payés et se battent aussi parce qu'ils sont manipulés par des adultes. Heureusement, aujourd'hui, nous pouvons dire que ce phénomène s'estompe d'une manière considérable. Il y a beaucoup d'enfants que j'ai eu à visiter qui sont déjà dans des centres de réinsertion, des centres de formation. Il y en a déjà qui sont partis à l'école et qui commencent à s'installer.

Vous n'avez pas ajouté les réfugiés, ça c'est le drame des conflits en Afrique. Une personne qui a juste eu le temps de prendre son enfant sur le dos et un baluchon, abandonne tout, son passé, sa maison, ses morts et prend le chemin de l'exode en ne sachant pas même pas où aller. Très souvent, elle finit une partie de sa vie dans des cités, je ne dirais pas le mot, il est trop fort, dans des gourbis qui ont a été mis en place par le HCR qu'il faut saluer et remercier. La question des enfants soldats se résorbe de plus en plus également, non seulement grâce aux Etats, grâce aussi à la fin de la guerre et surtout grâce à l'action de l'UNICEF, du HCR, de la communauté internationale et aussi, surtout, aux efforts des organisations non gouvernementales.

LE PRESIDENT - Etant donné qu'une question a été posée, je voudrais simplement dire à l'auteur de la question que non, je n'estime pas qu'il y a un lien entre la crise que nous avons connue récemment dans les banlieues en France et la polygamie. Ceci étant, je rappelle que la polygamie est interdite en France.

QUESTION - Monsieur le Président, s'il y a aujourd'hui un phénomène traumatisant pour l'humanité, c'est bien le terrorisme et pourtant, lors des assises de la 60e Assemblée générale tenue en septembre passé avec plus de cent dix-sept chefs d'Etats et de gouvernement, parmi les thèmes à débattre figurait la définition à donner au mot terrorisme. Curieusement, l'unanimité fut dégagée en faveur de la lutte contre le terrorisme alors qu'aucun accord n'a été obtenu par rapport à la définition à donner à ces mots. Monsieur le Président, comment lutter contre un phénomène qui ne se définit pas ?

LE PRESIDENT - Mon cher Monsieur, ce débat est un débat récurrent qui n'est pas près de trouver sa conclusion mais qui ne change rien à la lutte contre le terrorisme, ni aux moyens mis en œuvre et à la coopération internationale de lutte contre le terrorisme. Tout simplement, sur le plan théorique, il est un peu " pollué " par le problème des actions de libération. Donc voilà, mais ce n'est pas ça qui met en cause, le moins du monde une détermination et une efficacité en matière de lutte contre le terrorisme qui, depuis quelques années, s'est considérablement renforcée et est beaucoup plus efficace.

QUESTION - Ma question s'adresse au Président TOURÉ et éventuellement au Président CHIRAC s'il peut apporter une réponse···

LE PRESIDENT - Vous pouvez interroger la troisième Présidente : c'est la première fois que l'on a trois présidents sur la scène ! On vous a demandé de ne pas l'interroger spécifiquement sur le texte qui lui a été remis parce qu'elle ne l'a pas encore étudié en détail, mais elle est aussi à même que le Président TOURÉ ou moi de répondre aux questions.

QUESTION - Je disais donc que le 10e sommet à Vittel en octobre 1983 avait pour thème "l'intégrité du Tchad" et à l'issue de ce sommet, officiellement, un appel était lancé à l'OUA, Organisation de l'Unité Africaine, pour lui demander, je cite, "de s'engager dans la recherche pratique des moyens d'en revenir à la paix au Tchad". On est pratiquement dans un cas similaire puisqu'un appel vient d'être lancé à l'institution qui a succédé à l'OUA, à savoir l'Union africaine, pour lui demander de s'engager dans la recherche pratique de moyens de trouver une solution au cas de l'ancien Président du Tchad, en l'occurrence Hissène HABRÉ. Je voudrais savoir si cette question a été abordée de façon formelle ou informelle, sachant que les chefs d'Etat des cinquante-trois pays qui étaient là, ou délégations en tout cas, connaîtront la question en janvier prochain ?

M. AMADOU TOUMANI TOURÉ - D'abord, comme vous avez parlé de 1983 : à partir de cette recommandation qui a été faite, un certain nombre de pays africains ont répondu à l'appel et se sont rendus au Tchad. Je pense qu'il y avait le Congo et d'autres pays africains, qui ont été prêter main forte, même si la solution après n'a pas été celle que nous avons souhaitée. Comme vous l'avez dit, effectivement, M. HABRÉ est depuis quelques années au Sénégal. Vous qui m'avez posé la question, vous connaissez le sujet certainement mieux que moi.

Cependant, il est passé devant une juridiction sénégalaise que nous respectons. Les droits ont été lus par cette juridiction et elle a décidé souverainement être incompétente pour pouvoir juger un ancien chef d'Etat des actes qu'il a posés lorsqu'il était chef d'Etat. Ainsi, il a été proposé et décidé que le cas HABRÉ sera évoqué par l'Union africaine. Je pense que c'est là que cela se fera, je crois bien, au prochain sommet qui se tiendra en janvier, c'est-à-dire dans un mois, à Khartoum, au Soudan. Je pense que n'avons pas spécifiquement parlé de ce cas. Cela ne faisait pas partie des sous-thèmes des jeunes, mais cependant, peut-être qu'entre chefs d'Etat, les gens ont plus ou moins échangé. Je ne connais pas ce qu'ils ont dit pour pouvoir interpréter fidèlement. Je pense que nous attendrons le sommet de l'Union africaine ; là, le cas HABRÉ sera posé sur la table et les chefs d'Etat africains se prononceront.

QUESTION - Ma question s'adresse au Président français e, éventuellement, aux deux autres Présidents. Monsieur le Président, une polémique s'est développée en France sur le passé colonial de la France et j'aimerais savoir, ici, en terre africaine ce que cela vous a inspiré ?

LE PRESIDENT - Je vais vous dire, cette polémique, que je comprends parfaitement, n'a pas du tout transparue dans les rapports, contacts, relations que nous avons eus pendant ces deux jours. Et donc, je ne peux absolument pas vous dire ce que cela a inspiré à nos hôtes. Donc, je n'ai pas plus de commentaires à faire sur ce point.

QUESTION - Ma question s'adresse au Président CHIRAC. Que vaut un sommet Afrique-France dont le thème est la jeunesse africaine par rapport aux récents traitements infligés par le gouvernement français à la jeunesse française d'origine africaine, la jeunesse des banlieues ?

LE PRESIDENT - Cher Monsieur, je vous laisse le soin d'expliciter exactement ce que vous appelez "le traitement infligé par la France à la jeunesse africaine des banlieues". Certains auraient pu imaginer, peut-être parce que de mauvaise foi, que ladite jeunesse africaine, ultra minoritaire, avait infligé elle-même des choses à la France. Mais, je ne vais pas entrer dans ce débat.

Je dis simplement qu'il y a un problème, cela ce sont des problèmes que nous avons évoqués. Il y a des problèmes qui sont liés aux migrations, qui sont liés aux conditions de vie dans un certain nombre d'endroits en France, qui ne donnent pas, en tous les cas, aux jeunes les chances suffisantes d'insertion et de développement et que nous nous efforçons de répondre à ces questions qui sont des vraies questions.

QUESTION - Justement j'allais enchaîner par rapport à la question de la situation dans les banlieues. On a eu la chance de rencontrer ces jeunes dans les banlieues. Ils nous disent que quand ils viennent dans leur pays d'origine, on leur dit : "non, bon, vous êtes des petits blancs". Quand ils repartent en France, ils sont rejetés. Alors, ils nous ont dit : "est-ce qu'ils ont leur place finalement dans l'océan". En fait, je voulais savoir comment faire en sorte que ces jeunes se sentent comme chez eux quand ils viennent ici et quand ils sont là-bas, en France ? Est-ce qu'au niveau du sommet, on a réfléchi sur le sujet ? La question s'adresse également à Madame la Présidente des jeunes.

LE PRESIDENT - Peut-être que, d'abord, Marie pourrait répondre, elle a, sans aucun doute, réfléchi à ces questions. Je ne pense pas que ce soit risible sur un sujet qui intéresse les jeunes, leur insertion, les problèmes auxquels ils sont confrontés que de donner la parole à un jeune, je ne vois pas ce qu'il y a de risible. Alors, je lui donne la parole.

MME MARIE TAMOIFO NKOM - Disons simplement que lors du forum de la jeunesse, nous avons tous ensemble, je ne faisais pas particulièrement partie du groupe de travail sur l'immigration, mais au sortir de là, il y a eu, au niveau de l'adresse, vous l'avez reçue, parce que l'adresse a été diffusée à tous les journalistes, il y a eu des recommandations qui ont été faites par ce groupe de travail. Ces recommandations-là proposaient justement la possibilité de pouvoir trouver des opportunités à la fois à ces jeunes qui vivent en Europe, soit sur place, soit sur le continent. Mais ce sont des propositions qui ont été faites par tous les jeunes et elles sont contenues au sein de cette adresse. Voilà, ce que je peux dire.

M. AMADOU TOUMANI TOURÉ - Moi, ce que je voudrais ajouter, c'est que les jeunes qui viennent au Mali, sont maliens. Ils sont venus découvrir la source et ils sont venus également identifier leur identité, si je peux me le permettre, avec la permission des Français, ils sont venus définir et retrouver leur identité culturelle.

J'ai rencontré plusieurs de ces jeunes, parfois des tout-petits ou petites filles qui sont venus au Mali pendant les vacances. C'est la deuxième, voire peut-être la troisième génération, qui se retrouve et lorsque je demande alors comment cela se passait, ils m'ont répondu : "Monsieur, cela s'est très bien passé et nous reviendrons". En fait, je pense que parfois, également, il faut que nous soyons positifs.

J'ai reçu il y a quelques jours, en marge du sommet du 8 au 9 novembre, des jeunes, il y avait une délégation de la diaspora qui était du Mali. J'ai eu à saluer M. Ladji DOUKOURE, son père et son frère. Ladji est français mais aussi malien. Il est champion du monde deux fois, 110 mètres haie et quatre fois cent en relais. Il y a un certain groupe de jeunes tel que Ladji tel que Malamine KONE, tel qu'une bonne partie de l'équipe nationale du Mali, avec presque 100 % de notre équipe de basket qui nous vient un peu de France et des Etats-Unis. Je pense qu'il faut parler aussi de cette immigration dont nous sommes fier.

Je voudrais vous faire savoir que chaque fois qu'ils sont là, ils sont chez eux. Ils contribuent, je prends Jean AMADOU TIGANA, qui a joué dans l'équipe de France des années. Mais Jean vient au Mali tous les trois mois. Qu'est-ce qu'il n'apporte pas comme matériel médical ! Presque même quelques hôpitaux qui déménagent en France et lui déménage le matériel sanitaire à Bamako. Il fournit nos villages, nos centres mais Amadou est franco-malien. Sa mère est française et son père est malien. Il ne l'a jamais oublié. Donc ceux de la prochaine génération qui viennent au Mali, incontestablement, ils sont maliens. Et surtout chez nous, je voudrais leur annoncer que la double nationalité est permise donc cela ne nous gênera pas du tout.

LE PRESIDENT - Je voudrais ajouter, par rapport à la question posée, que je ne crois pas que le problème se pose vraiment pour ces jeunes qui reviennent. Ils sont en général parfaitement accueillis dans leur pays. Ce que vient de dire le Président TOURÉ, ce qu'a dit tout à l'heure Marie, me paraît exact. Le problème, c'est leur intégration dans certains quartiers français.

Nous avons laissé, c'est ainsi, je le déplore, se développer depuis longtemps un certain nombre de quartiers que nous n'avons pas contrôlé, en réalité, et où les misères se sont accumulées, un urbanisme qui n'aurait pas dû être, qui n'était pas humain, des modalités de commerce qui ne l'étaient pas non plus. Tout ceci a créé des problèmes, des difficultés, des ressentiments, l'impression, à juste titre, que l'on était sur le bord du chemin, que l'on n'avait pas accès à la même considération que les autres, que l'école que l'on fréquentait n'était pas aussi bonne que les autres. Alors, tout ceci était partiellement exact et la reconnaissance de l'autre pour soi n'était pas assurée. Ce qui explique d'ailleurs, un ensemble de mesures qui ont été prises à juste titre, notamment la création de la Haute Autorité de lutte contre les inégalités, pour le respect de la personne humaine. Nous avons sans aucun doute d'importants progrès à faire, mais je peux vous dire que nous les ferons.

QUESTION - Je vais revenir sur l'enlisement de la crise en Côte d'Ivoire, n'est-elle pas un échec de la politique française dans ce pays parce que nombre d'Ivoiriens accusent en ce moment le Président français d'entretenir la rébellion pour garder une main mise et perpétuer un certain néocolonialisme à travers cette guerre ? Que répondez-vous, Monsieur le Président, parce que c'est un problème récurrent ? On accuse la France de rendre ce conflit complexe dans sa résolution ?

LE PRESIDENT - Je vais vous dire quelque chose : en dehors, d'une certaine presse qui est parfaitement aux ordres et, à ce titre, qui ne mérite pas la considération que l'on doit à la presse, je n'ai jamais entendu qui que soit de sérieux ou de raisonnable accuser la France d'entretenir la guerre civile en Côte d'Ivoire, tout simplement parce que c'est absurde. Naturellement, nous souffrons d'une situation dans un pays qui a toujours été très proche de la France, qui a été beaucoup aidé par la France, qui a des ressources importantes, qui mérite la paix et la stabilité et dont la situation est actuellement difficile.

Nous faisons beaucoup d'efforts pour essayer d'apporter notre contribution, sous le contrôle et aux ordres de l'ONU et de l'UA ainsi que de la CEDEAO. Les troupes françaises Licorne coûtent très cher à la France et je préférerais, de beaucoup, que l'argent en question soit donné aux paysans ivoiriens. Les troupes françaises Licorne ne sont pas là sur la seule décision française, elles sont là sous mandat de l'ONU, elles sont là sous mandat de l'Union africaine et elles sont là sous mandat de la CEDEAO. Alors, vous voyez, je me permets de vous suggérer d'élargir un tout petit peu votre domaine d'information.

M. AMADOU TOUMANI TOURÉ - Jacques me permettra peut-être, je ne poserai pas une question, mais je fais une contribution. Lorsque la France s'implique en Afrique, on dit qu'elle joue au gendarme. Lorsque la France décide de se replier, on dit qu'elle nous abandonne. Maintenant, il est temps que l'on sache ce que l'on veut. Je ne parlerai pas au nom de Jacques, mais je suis sûr et certain que toutes les troupes françaises qui sont quelque part, c'est avec l'accord de quelque part.

Ce que je voudrais également souligner ici, c'est que la France, malheureusement, n'a pas le monopole de l'accusation d'une certaine presse que je ne qualifierai pas. Le Mali aussi est accusé. Je peux regarder qui que ce soit, les yeux dans les yeux. J'ai tellement de peine au Mali, que je n'ai pas le temps de m'occuper de certaines choses ailleurs. Lorsque nous avons fait le défilé militaire, certains m'ont posé la question de savoir : "mais qu'est-ce que vous voulez faire ?". J'ai dit que je fête le 45e anniversaire du Mali et c'est tout.

Mais comment est-ce que vous pouvez comprendre que la Mali dont le port d'Abidjan est le port central, 1 228 km, nous avons 2 500 000 Maliens, nous avons autant de Maliens à Abidjan qu'à Bouaké ; nous perdons des milliards par an ; nous sommes complètement déstabilisés par les effets collatéraux de la question de la Côte d'Ivoire dans ce pays. Comment nous, le Mali, nous n'aurions rien à faire que de souffler sur les braises de la rébellion ivoirienne ?

Je voudrais qu'on transmette à la presse que le Mali a autre chose à faire que d'aider une rébellion. Nous savons ce qu'est une rébellion, nous. Nous l'avons vécue ici et nous avons trouvé une solution. Il nous a fallu beaucoup de courage politique pour le faire et nous l'avons fait. Et là, nous avons peu de leçons à recevoir de qui que cela soit. Je le dis ici, au nom du peuple malien, sur l'honneur, les yeux dans les yeux, je ne parle pas de quelques bandes de truands qui n'engagent pas le Mali lui-même, ni les Maliens. Le Mali a contribué uniquement, et dans l'honneur, à apporter sa petite pierre dans le cadre de la promotion de la Côte d'Ivoire. Il nous faut la paix en Côte d'Ivoire, parce que nous, nous étouffons, et c'est ce que j'ai dit au Président GBAGBO.

QUESTION - Monsieur le Président Jacques CHIRAC, le ministre Nicolas SARKOZY promet de remplir les charters vers l'Afrique depuis quelques semaines, pendant que, vous-même, vous annoncez l'extension de la délivrance de visas à des conditions préférentielles à une catégorie de la population. Est-ce que vous pouvez nous faire une synthèse de ces deux démarches ?
Au Président TOURÉ, est-ce que vous avez plaidé pour vos milliers de compatriotes africains qui seraient menacés par ces charters ?

M. AMADOU TOUMANI TOURÉ - Je pense que, pour ce qui concerne les Maliens, nous avons de l'amitié pour la France. Nous sommes courtois et nous respectons, nous, les règles de l'hospitalité. Jacques vient de dire publiquement, ici, hier : "je m'engage à donner des visas de longue durée à certaines catégories d'entrepreneurs qui vont se rendre en France". Je pense que cela, c'est un grand cadeau pour nous.

D'autre part, chaque fois que nous avons été sollicités pour donner un point de vue, pour donner un conseil, nous l'avons fait. Ensuite, nous sommes en train de quitter le thème pour faire une conférence de presse sur la France. Nous sommes ici pour parler de la jeunesse africaine. Je n'ai pas eu de questions sur cette affaire. Ceux qui veulent poser des questions sur la France au Président CHIRAC, eh bien, qu'ils partent à Paris.

Ici, nous sommes venus parler de notre préoccupation : c'est la jeunesse. Et le Président CHIRAC l'a dit, je l'ai répété, si nous ne trouvons pas une solution à cette jeunesse, elle n'a que deux alternatives. Soit, comme l'a si gentiment dit la présidente, elle a sa colère qui va se déverser dans le pays. Et cela sera malheureux ceux qui auront à faire à nos enfants, ou bien, ils vont partir, même dans les trains d'atterrissage des avions, croyant qu'ils pourront descendre comme des passagers qui sont dans la carlingue. Pour ce qui concerne le Mali, nous poserons le problème quand il faut, comme il faut, mais dans toute la courtoisie et le respect du partenariat que nous entretenons avec la France.

QUESTION - Le Mali, aujourd'hui, est en train de devenir une sorte de modèle de démocratie pour l'Afrique. Ma question est très simple : est-ce que vous ne vous sentez pas un peu isolé, quelquefois, dans ce type de réunions en tant que, effectivement, modèle de démocratie ou de fonctionnement démocratique ?

M. AMADOU TOUMANI TOURÉ - D'abord, je suis très heureux de vous l'entendre dire et surtout que vous le disiez aux Maliens, parce que, eux, ils ne le savent pas. Ce que vous venez de dire, les Maliens ne le savent pas et je suis très heureux que quelqu'un qui n'est pas Malien, excusez-moi du terme, c'est amical, "un blanc", vient le dire publiquement devant la presse malienne. Deuxièmement, nous souhaitons tout simplement que notre cas soit contagieux.

Je vous remercie.