Emission spéciale de TV 5 à l'occasion de VIème Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement ayant ele français en partage avec M. JAcques CHIRAC, Président de la République, M. Boutros BOUTROS-GHALI, secrétaire général de l'Organisation des Nations unies, et M. Nicéphore SOGLO, Président de la République du Bénin.

Cotonou (Bénin) dimanche 3 décembre 1995.

Madame,
Monsieur,
Bonsoir, heureux de vous accueillir ici même à Cotonou, au Bénin, à l'occasion de ce VIe Sommet de la francophonie. La francophonie, une grande famille, 49 pays très précisément, c'est-à-dire en gros le quart de ceux qui sont représentés à l'ONU. Vous pouvez suivre cette émission sur TV5, la chaîne internationale ; en gros une soixantaine de million de foyers raccordés et sur CFI Canal France International - qui elle-même alimente une centaine de télévision de par le monde. C'est aussi une contribution et une illustration de l'audiovisuel francophone.

Une émission événement avec trois personnalités qui si elles sont fréquemment interviewées, ne l'avaient jamais été ensemble. Je voudrais tout d'abord remercier le Président Nicéphore Soglo, Président du Bénin, qui nous accueille ici même aujourd'hui, le Président de la République française, M. Jacques Chirac, merci M. le Président et le secrétaire général de l'ONU, M. Boutros Boutros-Ghali. Vous vous connaissez bien donc je pense que d'une façon très naturelle vous allez pouvoir vous compléter.

Une émission qui sera également animée par mon confrère Jean-Pierre Peroncel-Hugoz, grand reporter au "Monde", spécialiste de la francophonie. Il y en a peu dans la presse donc nous le signalons, Jean-Pierre est spécialiste du Sud.

QUESTION - M. le Président Soglo, on est chez vous. On est à Cotonou devenue la capitale de la francophonie. Cinquante nations nous regardent, regardent vos travaux. Si on regarde un peu en arrière (100-150 ans) Cotonou était un tout petit point sur la côte des esclaves, pour rappeler ce mot maudit. Que de chemin parcouru depuis ! Est-ce que vous ressentez ce fait que Cotonou c'est aujourd'hui la capitale de la francophonie comme une sorte de revanche sur ce passé esclavagiste, sur lequel nous demanderons à M. Boutros-Ghali de s'exprimer ?

M. SOGLO : Non, nous ne voyons pas cela sous l'angle de la récrimination, ni de la revanche. Disons que c'est une reconnaissance. Ce que j'ai toujours dit, c'est qu'il faut que nous gardions la mémoire. J'ai l'habitude de citer la fameuse phrase d'Elie Wiesel : "le bourreau tue toujours deux fois, la seconde fois par l'oubli". Nous ne voulons pas oublier. Ceci dit nous voulons aller à la rencontre du monde entier, je crois que c'est ça également l'évolution du monde. La francophonie pour nous, ça nous permet d'accueillir une grande famille venant de ce continent et je crois que c'est ça le plus important. Cela, ce n'est pas une revanche, c'est simplement l'aboutissement d'une évolution.

QUESTION - Encore un mot, M. Boutros-Ghali, cette fois sur ce refus de l'oubli, sur ce passé esclavagiste. Vous avez inauguré cette porte du non retour, l'endroit sur la côte où jadis des esclaves africains étaient envoyés en Amérique. Est-ce que vous pouvez nous donner votre sentiment sur cette affaire ? Vous aussi vous êtes africain.

M. BOUTROS-GHALI : Je compléterais cette idée. Je voudrais que cette période rappelle à la communauté internationale ce qu'elle doit à l'Afrique, et qu'une des causes du sous-développement africain est cette perte des énergies africaines qui ont contribué au développement économique de l'Amérique latine et des Etats-Unis. Il est bon de rappeler ceci. Je parle d'une obligation morale, celle pour la communauté internationale de ne pas oublier l'Afrique. Surtout que nous sommes en ce moment, depuis la fin de la guerre froide, confrontés à une marginalisation du continent africain.

M. SOGLO : Ce que vous dites M. Boutros-Ghali, nous l'avons déjà dit. L'Afrique a perdu - je le tiens d'une émission sur TV5 avec des spécialistes - plus de 120 millions de personnes qui ont quitté ce continent dans des conditions dramatiques. On ne peut pas oublier cela, pas plus qu'on ne peut oublier Auschwitz, Treblinka et les autres. Je voudrais simplement que le monde sache, et j'avais l'habitude de le dire lorsque j'étais administrateur de la banque mondiale, que "je ne suis pas venu comme un mendiant" autour de cette table, je suis venu simplement demander réparation et justice.

QUESTION: - M. le Président Chirac, vous aussi dans votre discours vous avez fait allusion à ce passé terrible, pour vous c'est également l'un des éléments de compréhension, d'analyse, de ce qu'est aujourd'hui l'Afrique ?

LE PRESIDENT: - Oui, il y a en réalité deux volets. Il y a d'abord le volet moral. Il est exact que quatre siècles de génocide froid ne peuvent pas être purement et simplement oubliés. Nicéphore Soglo a raison lorsqu'il cite Elie Wiesel sur ce point. Les grandes puissances aujourd'hui qui ont été à l'origine de ces exactions dramatiques, sanguinaires, doivent se souvenir et doivent assumer cette responsabilité historique. Cela a duré quatre siècles. On parle naturellement de la traite des noirs, c'est à dire du départ, ce que vient de dire le Président Soglo, mais on oublie de dire que parallèlement ces nations et leurs grandes compagnies provoquaient sur le territoire africain des affrontements ethniques qui ont également produit un nombre de morts tout à fait considérable, sur le sol africain et en raison des luttes pour la traite des noirs. Il y a un deuxième volet. C'est que sur le plan économique, humain, le Président Soglo a raison de dire et Boutros-Ghali aussi, que l'Afrique ne serait certainement pas aujourd'hui, au niveau de ses énergies créatrices, ce qu'elle est, si elle n'avait pas subi cette hémorragie. Elle serait sans aucun doute différente. D'ailleurs vous observerez que dans les parties de l'Afrique où le phénomène n'a pas eu lieu, ou ne s'est pas développé, il y a des énergies qui sont beaucoup plus fortes. Donc c'est vrai que nous devons à tout point de vue nous souvenir et également réparer.

QUESTION :- Nous allons évoquer la situation de l'Afrique dans quelques instants. Je voudrais qu'on parle un peu de la francophonie. Peut-être que ce que le public en a vu, Messieurs, ce sont des discours importants, un grand nombre de chefs d'Etat, de chefs de délégation, je le disais, quarante-neuf pays maintenant. C'est quoi au fond pour vous, Président Chirac, cette notion de francophonie, au-delà de cette apparence un peu institutionnelle ? Quel est l'enjeu de ce que l'on voit là ?

LE PRESIDENT: - C'est la culture du monde des hommes, des sociétés. Une culture s'exprime essentiellement par une langue. Il est important que chaque langue, si modeste soit-elle soit encouragée. Quand vous voyez par exemple les efforts que fait un pays comme la Bolivie pour constitutionnaliser le plurilinguisme cela va naturellement dans le bon sens. Au niveau de la planète il est évident que l'on ne peut pas utiliser la totalité des langues de chaque ethnie, de chaque nation. Il faut qu'il y ait quelques grandes langues véhiculaires et nous nous trouvons aujourd'hui devant un phénomène, amplifié par les progrès technologiques, qui est l'élimination progressive, si l'on n'y prend pas garde des grandes langues, expression des cultures. Rien ne peut être pire que ce mono-culturalisme vers lequel certains voudraient nous pousser.

QUESTION: - M. le Président, ce n'est pas une machine de guerre contre l'anglais. On vous a entendu sur une chaîne américaine CNN, répondre longuement à une interview en anglais. Si je comprends bien, ce n'est pas un bras de fer contre l'anglais ?

LE PRESIDENT: - Pas du tout, naturellement pas du tout. Aujourd'hui, les circonstances font que l'anglais est une langue internationale et c'est très bien. Mais cela ne doit pas étouffer les autres langues qui doivent donc réagir. La francophonie doit réagir. Elle représente beaucoup de monde et beaucoup de pays, mais également ceux qui parlent arabe, chinois, hindi, espagnol, etc. doivent réagir de la même façon pour éviter d'être marginalisés ce qui serait une catastrophe pour la culture des hommes et du monde.

M. BOUTROS-GHALI : Je voudrais ajouter une autre idée à celle-ci. Personnellement, en tant que secrétaire général des Nations Unies, je suis hanté par la démocratisation des relations internationales. Nous allons de plus en plus vers une globalisation des problèmes et ce serait tout à fait inutile de promouvoir la démocratie à l'intérieur des Etats si l'autorité mondiale qui va s'occuper des problèmes globaux devait être dirigée par un système autoritaire. Donc il est important de démocratiser les relations internationales.

QUESTION: - Vous comptez sur la dimension politique de la francophonie pour y parvenir ?

M. BOUTROS-GHALI : Il est certain que la multiplicité des langues aide à la démocratisation, comme l'appel aux nouveaux acteurs des rapports internationaux. Aujourd'hui, l'Etat est l'acteur principal, mais les organisations non gouvernementales, les groupements culturels, les entreprises, les syndicats ouvriers, tous ces éléments sont de nouveaux acteurs qui pourraient nous aider à démocratiser les relations internationales.

QUESTION :- Je crois que ce qui sera la grande nouvelle de la conférence c'est le fait que la francophonie veuille maintenant jouer un rôle politique, un rôle diplomatique dans le règlement des conflits dans la vie internationale.

M. SOGLO: - C'est extrêmement important, cela permet de renforcer la démocratisation des relations internationales.

QUESTION: - Qu'est-ce que c'est ? C'est une mini ONU ?

M. SOGLO :- Je ne parle pas d'une mini ONU. J'ai besoin de nouveaux acteurs et la francophonie sera un nouvel acteur qui va jouer un rôle dans les relations internationales.

J'aimerais, si vous me permettez, revenir sur ce qui a été abordé auparavant. Pour nous, le français, c'est une langue de travail, une langue de développement, une langue de survie, c'est vrai. Comme l'a dit le Président Chirac, tout à l'heure : "il y a le ruisseau qui rentre dans la grande rivière". J'ai été longtemps dans, les organisations internationales et on y travaillait sur les problèmes de santé, d'éducation, d'hydraulique villageoise. On rassemblait des ressources, on faisait venir les meilleurs spécialistes et on sortait ces documents en anglais. Si on veut que je puisse simplement lire cela, même si je lis l'anglais, il me faut trois fois plus de temps que si c'était un document en français. Si j'envoie cela dans les états qui ont pour langue officielle le français, ils le mettent dans un tiroir. Est-ce cela le développement ? Je pense que ce n'est pas le cas. Et, sur le plan du principe, si les organisations comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire et toutes les autres veulent simplement aider les pays les plus pauvres de la planète (c'est de cela qu'il s'agit, des deux tiers des pays les plus pauvres de la planète qui se trouvent en Afrique au-dessus du Sahara), est-ce que l'on va les exclure en leur disant vous devez apprendre l'anglais C'est cela le problème. Est-ce que vous êtes pour le monopole ? Nous avons combattu, ici, le système du parti unique et du syndicat unique. Alors, je ne comprends pas du tout. Quelle logique y a-t-il derrière cela ?

QUESTION: - Il n'y a pas que le problème de l'anglais. Il y a le problème posé par les Français. Vous l'avez dit vous-même, M. Boutros-Ghali l'a dit aussi, le Président Diouf, des dirigeants arabes, africains, etc. ont souvent dit que les Français n'étaient pas encore sensibilisés à la francophonie. Vous avez dit qu'il fallait qu'ils s'y mettent à leur tour. Alors est-ce que vous vous plaignez parfois du fait que certains ministres français, encore récemment à Genève, terre francophone, s'expriment non pas en français, mais en anglais. En parlez-vous au Président Chirac, par exemple, lorsque vous le voyez à huis-clos ? Et quelle est la réaction française ? Parce que si l'on démoralise les troupes de cette façon, n'est-il pas très difficile de continuer à parler de francophonie ?

LE PRESIDENT: - Je m'excuse de vous interrompre, mais je peux vous dire que, j'ai donné instruction formelle aux ministres de parler leur langue pour deux raisons : d'abord, pour des raisons liées à la francophonie, il n'y a pas de raison de sous- estimer sa capacité à s'exprimer dans sa langue, mais pour une deuxième raison aussi, qui est d'efficacité, parce que lorsque l'on parle une langue qui n'est pas la sienne, on s'exprime mal et on est donc en situation d'infériorité par rapport à son interlocuteur qui lui, parle une langue maternelle. et donc, il faut toujours parler dans sa langue.

QUESTION: - Espérons que vous serez obéi, parce que ce n'est pas la nature de la note qui a été faite par la délégation française.

QUESTION :- Pensez-vous que les Français eux-mêmes sont sensibles à cette dimension de la francophonie ?

LE PRESIDENT: - Je pense que c'est une idée qui progresse, notamment dans beaucoup de milieux intellectuels. Je vois, par exemple, que pour la première fois, est ouvert un débat sur le fait de savoir, si nous devrions, dans la Constitution française, apporter une modification, un amendement qui permettrait de mentionner la francophonie, et nos responsabilités à l'égard de celle-ci. Cela veut dire que le sujet est aujourd'hui pris en considération, par l'opinion publique beaucoup plus que dans le passé.

QUESTION :- Il y a le nerf de la guerre. Votre propre conseiller pour les questions de francophonie, le romancier Denis Tillinac disait récemment : "le drame de la francophonie, il est d'abord financier". Partagez-vous cette analyse ? Et en période de restriction financière, comme nous le sommes aujourd'hui en France, où allons-nous prendre les crédits pour développer cette francophonie ?

LE PRESIDENT: - Oui, premièrement, il est vrai que le drame est financier, mais il n'est pas que financier. Deuxièmement, vous aurez observé que le gouvernement aujourd'hui, dans l'effort d'ajustement structurel, que la France doit s'imposer, a écarté des coupes et des économies budgétaires, quelques rares domaines dont les crédits relatifs à la francophonie.

QUESTION :- Madame Sudre, votre secrétaire d'Etat à la francophonie a vu cent quatre-vingt millions lui filer sous le nez dans le budget 1996.

LE PRESIDENT: - Non, ils seront compensés.

QUESTION :- M. le Président Soglo, lorsque l'on parle ici à Cotonou d'Internet est- ce un débat qui a réellement un sens pour vous et que vous vous appropriez donc, ou n'est-ce pas plutôt un débat concernant le Nord et ses technologies ?

M. SOGLO: - Pas du tout. Nous avons vu à Cotonou, avec la délégation du Québec, un petit appareil que j'ai reçu sur lequel on appuie. cela a vraiment l'air d'un gadget, mais pour les jeunes c'est formidable. Vous appuyez et vous voyez défiler des informations comme si c'était un dictionnaire. Je crois qu'il faut vraiment s'approprier cette technologie. C'est comme quand je suis allé au Japon, nous sommes allés dans les écoles et les enfants de quatre à cinq ans jouaient avec cela. Je suis allé également dans en voyage officiel aux Etats-Unis, c'est la même chose, je pense qu'en France également. En Afrique, il faut absolument que nous prenions ce train- là.

QUESTION :- Le débat ce n'est pas tout d'abord finalement l'enseignement initial, mettre les enfants dans les classes ?

M. SOGLO: - Il n'y a pas de dichotomie pour nous. De toute façon, nous allons commencer, comme dirait Camdessus qui est venu récemment ici, par la base de la base, c'est-à-dire par l'enseignement primaire, secondaire, etc. Mais, il faut que tout de suite les jeunes ne recommencent pas tout l'itinéraire des Européens ou des Américains. Ils peuvent immédiatement commencer par ces fameuses autoroutes, inforoutes, etc.

M. BOUTROS-GHALI: - Oui, mais vous voyez, moi, je m'intéresse à une autre dimension aussi. C'est cette volonté politique. Je suis hanté par cette marginalisation de l'Afrique depuis la fin de la guerre froide. Et je dirais que la francophonie est une manière de renforcer la volonté politique du Nord de s'occuper de problèmes de l'Afrique.

QUESTION: - Est-ce un club soudé la famille francophone ? Messieurs qu'en pensez-vous ? Y a-t-il au-delà des disparités économiques et culturelles quelque chose qui a effectivement un véritable poids ?

M. BOUTROS-GHALI - Je dirais que c'est une nouvelle courroie de transmission entre le Nord et le Sud. Nous avons besoin de multiplier les courroies de transmission. Nous avons besoin de lutter contre la marginalisation.

M. SOGLO: - Absolument. Et puis sur le plan personnel, nous nous connaissons, nous avons des liens très forts, et cela met de l'affectivité dans ce que nous faisons. C'est pour cela que j'ai dit, en France que nous allions combattre pour la francophonie, parce qu'il faut que les Français se rendent compte que nous sommes de leur famille. C'est vrai également pour les Canadiens. C'est vrai pour tous ceux qui partagent la même langue que nous. C'est le problème le plus important. Ce qui nous fait mal, c'est penser qu'en France on a le sentiment qu'une messe vient de se dérouler à Cotonou, mais qu'ensuite on mettra cela de côté. Nous, nous avons besoin de la francophonie. C'est nous qui avons besoin. Les Français en ont besoin également. Ils n'en ont pas conscience pour le moment. Nous sommes le futur grand marché. Il y a une dimension économique dans la francophonie, à savoir parler, manger, s'habiller francophone. C'est cela concrètement la francophonie aussi. Et cela il faut que nous le sachions.

QUESTION: - On va d'ailleurs parler de l'Afrique. Je voudrais revenir sur un mot que prononce fréquemment le Président Chirac: "L'afro-pessimisme".

LE PRESIDENT: - Je suis très impressionné par ce que dit le secrétaire général de l'ONU. Et il est très intéressant de voir qu'il s'associe à ce combat et qu'il considère notamment que c'est à la fois une nécessité et une courroie de transmission entre le Nord et le Sud. M. Boutros-Ghali est présent avec toute son expérience et sa compétence sur tous les fronts, intéressant l'ensemble des nations du monde. Qu'il s'agisse du développement, qu'il s'agisse de la paix, qu'il s'agisse de la culture, il est présent partout. Il considère que la francophonie c'est aussi son combat, lui qui est à la fois arabophone, anglophone, francophone. Il n'appartient pas à une partie du monde, plutôt qu'à une autre et il représente l'ensemble des espoirs de paix, de développement et de culture du monde. Il est très intéressant de voir qu'il prend parti délibérément pour la francophonie, comme il prend parti pour tout ce qui touche à la démocratie et à la paix. L'afro-pessimisme c'est un autre problème.

La francophonie, elle est importante, c'est vrai, telle qu'elle existe. Mais il y a une dimension dont on ne parle jamais : le français était, il n'y a encore pas si longtemps, une langue très implantée en Europe. Le français a reculé en Europe, dans un espace, culturel, économique, politique très important. Il faut donc aussi que nous réimplantions le français en Europe. C'est bon pour l'Europe, c'est bon pour la francophonie et pour cela, il n'y a pas d'autres moyens que d'exiger de la part de l'Union européenne et ce serait un progrès aussi pour la cohésion européenne, le trilinguisme. Si tous les enfants européens étaient conduits à apprendre trois langues, c'est-à-dire, la leur d'abord, leur langue maternelle, bien entendu, mais également deux langues sur pied d'égalité, ce serait un moyen extrêmement efficace pour réimplanter en Europe le français.

QUESTION: - La France compte proposer ceci à ses partenaires...

LE PRESIDENT: - Je le propose depuis longtemps, je vais continuer.

QUESTION: - Ils font la sourde oreille ?

LE PRESIDENT: - Oui, enfin, ce n'est pas tellement la sourde oreille, mais ils font dévier le débat en général.

QUESTION: - L'Afrique, M. Boutros-Ghali, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre initiative en faveur de l'Afrique ? Initiative économique, on se demande même si vous n'avez pas l'intention de finalement demander aux pays occidentaux d'effacer complètement la dette africaine, la dette à long terme qui se monte à peu près à deux cents milliards de francs, je crois que c'est à peu près la dette de la SNCF en France ?

LE PRESIDENT: - Oui, même un peu au-dessus.

M. BOUTROS-GHALI: - Je suis tout à fait d'accord pour la dette africaine et j'ai même participé pendant quelques années à des réunions de l'organisation de lutte africaine qui essayaient de trouver une solution au problème de la dette africaine. Mais, je pense qu'il est important de renforcer d'abord les institutions africaines, les institutions régionales africaines, la banque africaine pour encourager les états donateurs à effacer la dette. Est-ce qu'une des raisons de cette marginalisation de l'Afrique c'est la fatigue des états donateurs. Après tant et tant d'aides, et il faut reconnaître que ça a été une aide très généreuse, on ne voit pas de progrès, alors que si on se retourne vers certains pays asiatiques, on se rend compte qu'ils ont décollé. Alors, cette comparaison rend....

QUESTION :- Et votre initiative, celle des Nations Unies ?

M. BOUTROS-GHALI: - Concernant celle des Nations Unies, nous voulons mobiliser les institutions de Bretton Woods, la Banque mondiale, le Fonds monétaire. Nous avons tenu des réunions pour avoir un plan général d'aide massive à l'Afrique, mais nous cherchons aussi ce qui est plus important à mobiliser : l'opinion publique internationale, pour contrer la marginalisation du continent. Parce que les Nations Unies n'ont pas les moyens d'obtenir l'argent, ils ont les moyens d'inciter les Etats à participer.

M. SOGLO: - Dans le même ordre d'idées de ce que dit le secrétaire général des Nations Unies, j'ai dit tout récemment partout où nous sommes passés qu'il y avait des progrès. D'ailleurs le Président Chirac en parle souvent. Il y a des progrès dans le domaine de la démocratisation en Afrique. Il n'y a pas de doute, la vitesse varie. Deuxièmement, il y a également des progrès indiscutables sur le plan économique, sur le plan de la gestion efficace et transparente, sous l'égide ou la férule du Fonds monétaire, de la Banque mondiale, les organismes que vous avez cités tout à l'heure. Et cela rassure les investisseurs privés. C'est la vérité, il faut en parler. Et troisièmement, les pays se regroupent pour essayer de bâtir des marchés régionaux. J'ai été pendant deux ans, Président d'exercice de la CDAO, voilà ce qui se fait sur le modèle de ce qui s'est fait en Europe avec le Marché commun. Voilà la réalité.

On n'est pas venu demander la charité en pleurant. Nous sommes un marché. Moi, je suis venu en France en 1946, au moment où le pays était complètement par terre, au sortir de la seconde guerre mondiale, les Américains sont venus avec 1 % de leur PNB et l'OTAN, et ils ont reconstruit cette Europe, en disant : "il faut vous regrouper". L'approche régionale : c'est cela qui a donné un marché. Ils ont fait la même chose en Asie. Il n'y a pas de miracle. Ils ont mis suffisamment de ressources et d'assistances techniques, la même chose, les dominos sont devenus des dragons et en Afrique nous sommes sur cette voie.

QUESTION :- Cette démarche de la démocratie ne reste-t-elle pas fragile, M. le Président y compris dans votre pays ? Il y a quand même eu une roquette sur le centre où devait se tenir le sommet vous avez vous-même parlé de la renaissance de la stasi-béninoise.

M. SOGLO: - Pas du tout. Vous savez ça a déjà sauté à Paris, à Londres, partout. Personne ne trouve ça extraordinaire. Mais dès que cela arrive chez nous, alors on dit tout de suite... Non, cela n'a pas de sens. Nous sommes comme tout le monde. Que nous ayons des opposants ayant été dans le système totalitaire ancien et qui le regrettent, c'est parfaitement normal et cela se passe dans tous les pays de la terre.

L'important est le mouvement que nous avons impulsé. Nous sommes partis d'un taux de croissance négatif de 2 % chaque année. Dans la décennie 80 notre taux de croissance était de 4 % et après la dévaluation de 6 %. Voilà les faits. Je sais que ce sont ces éléments qui intéressent les médias.

QUESTION: - Non. C'est pour ça que l'on vous propose de vous expliquez et de commenter ce point. M. le Président Chirac, hier vous disiez dans un point de presse: " l'Afrique va nous étonner dans vingt ans".

LE PRESIDENT: - Oui, je le crois. Je m'intéresse beaucoup à l'Asie depuis très longtemps, et je me souviens de tous les experts, qui, il y a trente ou quarante ans expliquaient que l'Asie était au bord du collapsus, qu'elle était en train de s'effondrer économiquement, politiquement, socialement. Et moi, je n'y croyais pas. Je vois qu'aujourd'hui, ces experts naturellement sont démentis. Ils le sont neuf fois sur dix, mais cela n'enlève rien à leur autorité morale... Aujourd'hui, nous avons un certain nombre de gens qui disent "l'Afrique, c'est la famine, elle s'enfonce, ce sort les conflits, etc."

Il y a là, premièrement, une mauvaise expertise, comme toujours. Tout simplement parce que bien souvent les experts ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Ils analysent l'instant, mais n'ont pas de visions ou de prévisions. Deuxièmement, il y a peut-être aussi chez certains politiques, la volonté de justifier par là leur désengagement. C'est tout à fait clair en ce qui concerne les anglo-saxons. Les Américains n'ont qu'une idée, celle de se désengager en terme de développement, sans se rendre compte d'ailleurs que ce désengagement conduira forcément à la mise à cause de ce qu'ils souhaitent maintenir, c'est-à-dire une autorité politique dans le monde. Il y a contradiction à vouloir tout commander et à ne pas vouloir payer. D'ailleurs, je crois que le Président Clinton en est bien conscient.

L'Afrique, comme le disait à l'instant le Président Soglo, est actuellement en train de progresser, sans que l'on s'en aperçoive bien. Il a raison de dire que le progrès de l'Etat de droit, chacun a son rythme, que le progrès de l'amélioration, de la gestion des affaires publiques, notamment grâce à la meilleure coopération avec les grandes institutions internationales, cela progresse ; la conscience de la nécessité de faire des marchés régionaux, cela avance ; le développement de la diplomatie préventive et la conscience qu'il faut faire de la diplomatie préventive, on le voyait encore au cours de la séance de travail d'hier de l'Assemblée francophone, cela progresse. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que ce progrès s'analyse à l'extérieur en terme de confiance accrue et vous verrez que la confiance de l'extérieur va se renforcer. Or, quelle est l'une des raisons majeures pour lesquelles l'Afrique a connu ses difficultés ? Ses problèmes, voire cette marginalisation, dont Boutros-Ghali parlait tout à l'heure, c'est l'absence de confiance de l'extérieur.

Alors, on voulait bien faire de la charité tant que l'on était riche, maintenant on veut en faire moins, et on n'avait pas confiance à l'époque et aujourd'hui, qu'il s'agisse du monde économique ou du monde politique, vous observez tout d'un coup la naissance et le développement d'un phénomène de confiance qui est à l'origine de tout développement.

M. SOGLO: - Et nous avons nous-mêmes Africains, confiance en nous mêmes.

M. BOUTROS-GHALI :- Je pense quand même qu'il est bon de rappeler certaines choses. En 1945, au moment de la création des Nations Unies, il n'y avait que trois états africains qui étaient indépendants, aujourd'hui il y en a cinquante-trois, personne ne mentionne les radications de l'apartheid, il y a juste deux ans en Afrique, c'est une suite de victoires qui sont extrêmement importantes pour expliquer que l'Afrique avance.

QUESTION: - M. Chirac, au sujet des engagements français à l'égard de l'Afrique, on a bien compris que sur le plan culturel, sur le plan financier, la France maintiendrait ses positions. Alors la rumeur a circulé plus récemment que la France sur le plan militaire allait amorcer une sorte de désengagement et que par exemple les forces militaires françaises basées en Afrique à la suite d'accord avec plusieurs états africains allaient être réduites. Est-ce que c'est exact ?

LE PRESIDENT: - Ne croyez pas les rumeurs !

QUESTION :- Un mot, alors là, c'est très franco-français, pardon. En ce qui concerne le ministère de la Coopération, puisque nous sommes écoutés également sur ce point, il est clair en France, les pays du champ, comme on dit, garderont un interlocuteur spécifique, qui est le ministère de la Coopération?

LE PRESIDENT: - Oui, nous avons une relation particulière et une responsabilité particulière, des liens particuliers, avec un certain nombre de pays généralement d'ailleurs francophones auxquels nous sommes liés par l'histoire, par le sang versé en commun pour la défense des libertés, pour la lutte contre le nazisme, etc. Et, ceci explique ou justifie que nous ayons une structure administrative et politique spécifique, c'est le ministère de la coopération. Je sais que souvent en France, il y a eu des débats, notamment au ministère des Affaires étrangères, sur ce sujet, je peux vous dire en tous les cas que pendant ce septennat cette structure ne sera pas modifiée.

QUESTION: - On va parler d'un ensemble de dossiers de cette région. Moi, j'entends bien votre optimisme autour de la situation en Afrique, l'opinion publique, alors on va peut-être encore parler des médias, M. le Président, mais elle voit aussi des crises extrêmement tragiques, on a parlé du Rwanda ou d'autres points que l'on a évoqués, ou le Nigeria. Par exemple, sur ce premier dossier du Nigeria, comment avez-vous vécu cette réalité, à savoir donc la pendaison de neuf opposants tout près d'ici ?

M. SOGLO: - Personne n'a pu vivre une situation comme celle-là. Je crois que c'est simplement une réaction humaine. Mais nous sommes des hommes politiques et responsables, comme le disait tout à l'heure le Président Chirac comme l'a dit le secrétaire général des Nations Unies.

Qu'est-ce que nous voulons ? Dans la démocratisation qui est en cours certains marchent bien - enfin disons modestement le cas du Bénin. D'autres connaissent des difficultés, c'est le cas du Nigeria. Qu'est-ce qu'il faut faire pour aider ces pays là à vraiment aller de l'avant ? On n'a de leçon à donner à personne donc, voilà la question de fond. On a d'abord des résolutions sur lesquelles nous allons discuter, s'il faut condamner tout ça. Il y a des mesures qu'il faut prendre incontestablement sur le plan moral, sur le plan économique peut-être. Mais ce qu'il faut constater c'est ce que disait d'ailleurs tout à l'heure le Président Chirac à propos de l'Asie dans les années 50. C'était "l'Asia-pessimisme", la Corée, le Vietnam, la Birmanie, tout le reste et on disait Singapour c'est une ville-Etat qui n'a pas d'avenir. On disait que la philosophie bouddhiste, confucianiste, faisait que les asiatiques n'avaient aucune chance de déboucher sur le développement. Maintenant avec une bonne politique économique, avec une volonté politique, une confiance en soi on a ces résultats.

C'est vrai que ce qui se passe en Afrique est à mettre au crédit de l'ONU. Regardez, la Somalie est toujours un échec, mais ce qui s'est passé en Angola, ce qui est en cours, ce qui s'est passé avant au Mozambique, on est en train de régler cela. Cela n'intéresse plus personne mais il faut dire de temps en temps que ça marche quand même.

QUESTION: - En ce qui concerne le Nigeria, que l'on évoquait à l'instant, M. le secrétaire général, on n'a pas entendu finalement de choses extrêmement fortes à ce moment-là de la part d'une voix internationale pour condamner nettement, prendre immédiatement position ?

M. BOUTROS-GHALI : Il y a une discussion à l'Assemblée générale actuellement à New York pour adopter une résolution ; c'est à eux de décider ce qu'ils veulent. Moi, j'ai reçu hier une délégation du Nigeria qui est venue m'expliquer quel était leur cas et je pense que ce qui est important c'est d'essayer d'éviter une exacerbation du conflit, que ce soit de la part de la communauté internationale ou bien que ce soit de la part du gouvernement du Nigeria. Donc il faut trouver des formules. Je ne sais pas quelles sont ces formules, pour essayer de trouver une solution à ce problème.

QUESTION: - M. Boutros-Ghali, il y a deux autres pays anglophones que vous venez de visiter où il y a de graves problèmes internes : la Sierra Leone et le Liberia. Est-ce que vous avez pris des mesures, est-ce que les Nations Unies vont persévérer ?

M. BOUTROS-GHALI : Oui il y a des progrès au Liberia. J'ai rencontré des chefs, on a eu des discussions. On a obtenu un accord de paix qui était signé à Boujah. Nous avons obtenu une certaine somme d'argent pour aider le Liberia mais vous voyez là encore ce n'est pas facile.

QUESTION: - Le Nigeria joue un rôle important ?

M. BOUTROS-GHALI : Le Nigeria joue un rôle important. On a besoin du Nigeria pour terminer le problème du Liberia. Dans le même ordre d'idée j'ai examiné la situation en Sierra Leone qui est aussi difficile et nous encourageons - vous parlez de démocratisation - des élections le 26 février en Sierra Leone.

QUESTION: - On parlait du Nigeria, M. le Président !

LE PRESIDENT: - Permettez-moi de vous dire une chose, je suis frappé par le fait que l'on parle beaucoup de ces crises africaines qui sont dramatiques, je pense surtout au Rwanda et au Burundi, la région des Grands Lacs, et chaque fois on essaie d'expliquer que l'Afrique est une espèce de boîte à chagrin où éclosent spontanément des drames. C'est ce que disent souvent d'ailleurs des Européens, des Américains. Vous savez quand on regarde ce qui s'est passé en Bosnie et dans les pays de l'ex-Yougoslavie, les déportations, la purification ethnique, les assassinats sur une échelle considérable depuis trois ou quatre ans...

QUESTION: - Au Liberia il y a eu plus de morts qu'en Yougoslavie...

LE PRESIDENT: - Laissez-moi terminer. Je trouve que véritablement nous ne sommes pas fondés à donner des leçons. Je ne fais pas de comptabilité de morts, je constate que les atrocités commises ont été considérables, et que la communauté internationale - c'est-à-dire en réalité les Européens, disons les choses comme elles sont, et les Américains - n'a pas brillé par son efficacité. Ils ont été amenés par les Nations Unies sur le terrain, en ne leur donnant ni mission, ni moyens, et après on a dit "ils n'ont pas réussi". Ce ne sont pas les Nations Unies qui n'ont pas réussi...

M. BOUTROS-GHALI : Des atrocités similaires ont été accomplies en Géorgie et en Abkazie, je suis allé là-bas. Des atrocités terribles et on n'en a pas parlé.

QUESTION: - Donnez-nous votre regard d'Africain sur la crise en Yougoslavie, c'est une guerre intertribale européenne ?

M. SOGLO: - Epouvantable, non seulement là, mais en Tchétchénie, partout. Et je dis, "Dieu n'oublie personne". Pourquoi j'ai dit que c'était une affaire épouvantable ? Parce qu'on a connu en Europe, la seconde guerre mondiale, les camps, on a connu en Asie des guerres terribles et maintenant tout cela vient de l'Afrique. Je crois qu'inconsciemment les communicateurs, les Européens intériorisent une sorte de culpabilité, ce qui fait qu'on dit que "vous voyez au fond cela correspond à ça et justifie le passé". Mais la même chose s'est passée au moment où il y avait des histoires en Somalie et en Yougoslavie : des signes épouvantables !... Et en Tchétchénie, et ailleurs...

Alors comme ça on ne pourra plus parler de cannibales, de ceci, cela, on est obligé de regarder devant chez soi les réalités. Et à ce moment là je dis "Dieu je te remercie, si tu n'étais pas croyant tu es obligé de croire qu'il existe" parce que au moins il met les hommes exactement sur le même plan en disant "ce n'est pas la couleur de la peau, ils sont partout pareils" et il faut lutter de la même manière pour essayer de se rassembler, de mieux nous connaître et de briser un certain nombre de préjugés, de barrières, c'est tout.

M. BOUTROS-GHALI: - Et le Salvador, j'en parle parce que c'est le premier dossier dont je me suis occupé après mon élection. Il y a eu des atrocités terribles au Salvador. Il y a eu des brigades de la mort qui tuaient, il y a eu des jésuites qui se sont fait tuer avec le cuisinier, la femme du cuisinier, le chien, au milieu de la ville de San Salvador. Je veux dire que ces atrocités, malheureusement, c'est un commun dénominateur de l'humanité.

QUESTION: - Si on revient à cette affaire du Rwanda, au fond le Sommet de la francophonie peut prendre une résolution, peut déboucher sur une action claire, puisque je crois que le Rwanda n'a pas signé, n'a pas reconnu la démarche que voulait entreprendre ce Sommet ?

Est-ce qu'il est isolé au point qu'on puisse envisager même peut-être son expulsion provisoire de la francophonie ?

M. SOGLO : Non, on ne va jamais à des mesures de ce genre. Au contraire on veut essayer de les aider. Ils sont dans un drame. On essaie de les convaincre qu'ils ont besoin de nous. Ils sont libres d'avoir leur opinion sur un certain nombre de choses, mais nous ne pouvons pas rester les bras croisés, ça c'est certain. C'est ce que nous sommes en train d'essayer de leur faire comprendre.

QUESTION: - Est-ce que vous redoutez par exemple qu'une crise analogue ou en tout cas extrêmement grave comme celle qu'on a connue puisse à nouveau se dérouler dans ce pays ?

M. SOGLO : Vous savez, c'est difficile en histoire de dire que quelque chose ne va pas se passer.

M. BOUTROS-GHALI : Dans l'immédiat j'ai un problème j'ai deux millions de réfugiés qui se trouvent à Boucavou, à Goma et sur la frontière de Tanzanie. Pour moi il s'agit de trouver les sommes d'argent nécessaire pour nourrir ces deux millions de réfugiés qui ne veulent pas repartir. Ils ont peur. Donc nous montons toute une opération qui consiste à essayer de promouvoir une réconciliation, ce que nous avons fait au Mozambique, ce que nous faisons actuellement en Angola, ce que nous avons fait au Salvador où des mouvements insurrectionnels se sont transformés en partis politiques, c'est la démocratisation.

QUESTION: - M. Chirac, à propos du Rwanda on a prêté - c'est peut-être encore une rumeur - au Président du Rwanda, justement, des propos assez durs à l'égard de l'attitude des Français qui se trouvent dans son pays, disant même qu'ils allaient monter, ou qu'ils montaient, des ethnies, les unes contre les autres, Hutus contre Tutsis, etc. On vous prête des propos assez sévères à l'égard du Président du Rwanda, est-ce que vous pouvez expliciter un peu votre position ?

LE PRESIDENT: - Je n'ai pas très bien compris la réaction du Président du Rwanda, mais comme le disait à l'instant, le Président Soglo, ce que nous cherchons à privilégier, c'est ce qui nous unit, ce n'est pas ce qui nous divise. Nous ne sommes pas là pour condamner, nous sommes là pour essayer de comprendre et de nous associer dans un effort commun de paix. C'est vrai que la quasi-totalité des pays de la francophonie sont favorables à ce qu'une procédure sous l'autorité de l'ONU soit mise en oeuvre dans la région des Grands Lacs. Nos amis du Rwanda ont quelques réserves sur cette procédure et en préféraient une autre ; eh bien, nous en discutons. Nous n'avons pas l'intention d'ostraciser, nous avons l'intention de rassembler.

QUESTION: - M. Soglo vous allez être maintenant, pendant deux ans, au fond, le Président de la francophonie. Le secrétariat politique qui pourrait éventuellement prendre des décisions s'il y a des crises internes ou entre pays francophones n'existera que dans deux ans. Est-ce que si de nouveaux problèmes surgissent dans des pays ou entre pays francophones vous pourrez peut-être esquisser des initiatives qui préfigureraient ce secrétariat politique ?

M. SOGLO : Je crois que la décision est prise à Cotonou d'avoir un secrétariat politique qui sera mis en place au prochain sommet. D'ici là, il faut gérer cette période. Nous avons les structures anciennes, mais je crois que, comme l'a dit le Président Chirac, tous ceux qui ont pris la parole ont dit d'abord à Cotonou : c'est la réunion de la maturité, de la confiance et de l'offensive. On a dit, ce qui est important c'est d'avoir un porte-parole, nous avons les deux structures intermédiaires que sont le Conseil permanent de la francophonie et l'ACCT, là-dessus il y aura, on peut le dire, un secrétariat général. En attendant, je suis persuadé que d'abord nous serons plus présents pour l'équipement ça il n'y pas de doute dans tous les domaines. Je crois que sur n'importe quel problème maintenant la concertation se fera plus rapidement parce que la confiance existe entre nous et vraiment on peut dire que, ce n'est pas parce qu'il est là, mais avec le Président Chirac, on peut dire qu'immédiatement, nous pouvons tout de suite nous concerter et prendre un certain nombre de décisions et c'est cela qui est la force.

M. BOUTROS-GHALI : Il faut faire une médiation ad hoc qui nous sera très utile. Les Nations Unies n'ont jamais prétendu avoir le monopole de la solution pacifique des conflits internationaux, au contraire.

QUESTION: - M. le secrétaire général, si on réfléchit justement à d'autres espaces diplomatiques ou politiques, est-ce que cela ne veut pas dire un peu quand même que l'ONU ou disons que l'ensemble des Nations ne réussisse pas assez rapidement à désamorcer ces conflits ?

M. BOUTROS-GHALI: - Non, nous sommes confrontés à la multiplicité des crises alors à ce moment si on n'a pas les moyens d'intervenir nous devons mandater, c'est ce que nous avons fait. Nous avons mandaté la communauté des Etats indépendants pour nous aider en Abkazie et en Géorgie. Nous avons collaboré avec l'Organisation des Etats américains à Haïti. Donc nous faisons appel à des médiateurs indépendants, en tant que Président de la francophonie il peut jouer un rôle de médiateur et nous n'hésiterons pas à faire appel à sa médiation dans un conflit.

QUESTION: - Donc la famille francophone est mieux structurée finalement pour être un outil également utilisé par les Nations Unies et non pas concurrent ?

M. BOUTROS-GHALI : Certainement, il n'y a pas de concurrence, au contraire.

LE PRESIDENT : - Il ne peut pas y avoir de concurrence, et d'ailleurs la présence active du secrétaire général de l'ONU dans la réunion de la francophonie prouve bien que la francophonie est simplement un espace de solidarité qui a une réalité politique et qui peut avoir une force de médiation et qui à ce titre, intéresse le secrétaire général des Nations Unies, comme toute organisation capable d'intervenir notamment dans les crises intéresse le secrétaire général et favorise par le secrétaire général.

QUESTION: - Nous venons de parler il y a quelques instants de la situation en Bosnie. Je voudrais que l'on essaie d'être un peu plus précis, les téléspectateurs qui nous regardent parfois de très loin se posent peut-être la question. Est-ce que l'on peut dire aujourd'hui que la guerre en Bosnie c'est terminé ?

M. BOUTROS-GHALI: - Je pense que oui, la situation est nettement meilleure aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a quelques mois. D'abord parce qu'il y a eu un accord qui a été signé par les protagonistes du conflit. En second lieu parce que les grands acteurs se sont mis d'accord, au moment où nous avons traversé les différentes crises il n'y avait pas d'accord chez les protagonistes du conflit. Nous avons signé un cessez-le-feu le 1er janvier 1995 pour une période de quatre mois. Les quatre mois terminés il n'a pas été renouvelé et nous avions à ce moment-là des points de vue différents entre les principaux acteurs que ce soit l'Europe, les Etats-Unis, la Russie, le groupe des Etats non-alignés et il y avait divergence. Aujourd'hui il y a un accord sur les deux plans. Le plan immédiat, les protagonistes du conflit qui ont paraphé un accord, ils vont signer l'accord à Paris, je pense le 14, et ensuite il y a une coopération beaucoup plus positive. Il y a quelque chose de paradoxal évidemment au moment où il y avait la guerre, il y avait 20 000 hommes mal équipés, au moment où il y a la paix il y aura 60 000 hommes bien équipés. Mais nous avons accepté ces contradictions et ces paradoxes.

QUESTION: - Est-ce que d'une certaine façon, M. le Président, ce n'est pas une paix américaine comme on l'a dit ?

LE PRESIDENT: - Non cela c'est de la polémique. Mais en revanche, je voudrais revenir un instant sur les choses. C'est vrai que nous avons connu une période de trois ans pratiquement au cours de laquelle l'incapacité des nations occidentales à s'entendre aussi bien à l'intérieur de l'Europe, qu'entre les nations européennes et les Etats-Unis sur un plan efficace d'intervention, a conduit à une situation de crise larvée et permanente qui a mis d'ailleurs les troupes de la Forpronu, c'est-à-dire les troupes de l'ONU, dans une situation impossible et puis un jour nous avons tous dit : c'est plus possible il faut prendre les mesures qui s'imposent. Nous sommes aujourd'hui dans une situation où l'on peut espérer, où nous espérons tous que la paix va s'imposer d'elle-même, qu'il y a une dynamique de paix. Il faut attendre que tout soit bien réglé mais enfin on est peut-être aujourd'hui comme le dit Boutros-Ghali optimiste.

Mais moi je voudrais simplement faire une réflexion, j'ai observé ce phénomène de près, j'ai participé au changement de politique en mai ou en juin dernier, moi je tiens à rendre hommage à l'action de l'ONU.

QUESTION: - Elle a pourtant été décriée ?

LE PRESIDENT: - Mais naturellement parce que vous savez quand on veut tuer son chien, on dit qu'il est malade. Mais sans l'ONU avec des moyens très insuffisants, en nombre d'hommes et surtout en équipements, sans l'ONU, nous aurions eu une catastrophe beaucoup plus générale et un nombre de morts beaucoup, beaucoup plus considérable. Il faut voir quelle est la nature des affrontements qui existent sur ce plan. Qu'est-ce que l'on peut reprocher à l'ONU ? Rien. Pourquoi ? Parce qu'en réalité l'ONU pouvait mettre en place une force mais encore fallait-il savoir quelles étaient les missions qui été confiées à ces forces et les Etats occidentaux pendant trois ans ont été dans l'incapacité de donner une mission. Quand l'ONU a réussi brillamment au Cambodge, on en parlait tout à l'heure, c'est parce qu'il y avait eu un accord, qu'il y avait eu une volonté générale, qu'il y avait une mission claire, et qu'il y avait les moyens de l'ONU. A ce moment-là l'ONU réussit. Mais là on lui demandait l'impossible, on ne lui disait pas quelle était la mission, on ne lui donnait pas les moyens et ensuite on la critiquait. Il y a là quelque chose de profondément injuste et moi je tiens, pour avoir suivi cette affaire de très près, bien entendu à rendre hommage à l'ensemble de la Forpronu et à l'action de l'ONU, sans elle cela aurait été infiniment pire.

QUESTION: - Et là vous avez senti M. le Président que les personnels, les militaires qui sont sur place, les casques bleus auront une mission, très précise et que donc les belligérants ne seront pas tentés d'en découdre à nouveau ?

LE PRESIDENT :- Oui je pense que la mission sera précise, elle est précise, que les accords qui ont été signés à Dayton aux Etats-Unis sont des accords relativement clairs qui peuvent être encore améliorés sur le détail et notamment vous le savez nous avons quelques inquiétudes sur la situation à Sarajevo, mais tout ceci va s'arranger notamment comme le disait tout à l'heure le secrétaire général à l'occasion de la Conférence de Londres qui précédera la signature de la paix au cours de la conférence de Paris le 14 décembre. Tout ceci naturellement mérite d'être affiné en permanence, mais nous avons les éléments d'une paix. Nous avons la volonté de l'assumer et nous avons les moyens pour le faire puisque tout le monde envoie des hommes, enfin beaucoup de gens envoient des hommes avec des équipements adaptés. Donc nous pouvons être optimistes. Encore qu'en terme d'affrontement humain il ne faut jamais être totalement sûr.

QUESTION: - M. Boutros-Ghali, pour sortir d'une crise qui apparemment s'achève, pour sortir de l'Europe, allons vers ce que vous appelez une crise orpheline. Vous en aviez parlé pour la Sierra Leone, pour le Liberia, mais il y en a une qui est complètement oubliée, c'est l'Afghanistan et pourtant là le règlement attend. Que font les Nations Unies, que peut faire la communauté internationale ?

M. BOUTROS-GHALI: - Nous avons une mission qui est sur place. Nous avons un envoyé spécial qui me représente qui est l'ancien ministre des affaires étrangères de Tunisie, Mahmoud Mstiri, nous avons une aide massive que nous essayons de donner mais je suis d'accord avec vous c'est un exemple de crise orpheline où nous n'arrivons pas à obtenir l'attention de l'opinion publique internationale alors qu'il y a quelques années Kaboul faisait trois colonnes à la une.

QUESTION : - Un autre dossier qui a été très suivi dans l'actualité internationale, c'est la situation en Algérie. Des élections viennent d'y avoir lieu, est-ce que vous pensez M. le Président que le processus démocratique peut reprendre et que l'Algérie peut revenir sur la scène internationale ?

LE PRESIDENT: - J'en ai le sentiment et j'en ai surtout l'espoir...

M. BOUTROS-GHALI : D'ailleurs il y a des observateurs des Nations Unies qui ont témoigné...

QUESTION: - Dans la capitale, vos représentants étaient seulement à Alger ?

M. BOUTROS-GHALI : - Non, il y avait d'autres représentants qui se trouvaient dans les autres villes.

QUESTION : - Mais, pas de l'ONU?

M. BOUTROS-GHALI: - Non, mais il y avait des représentants de l'OUA, de la ligue arabe. Et vous savez ces représentants sont les mêmes diplomates. Nous n'avons pas d'observateurs. Nous-mêmes les engageons.

LE PRESIDENT : - Non, je crois que personne ne peut contester et d'ailleurs j'ai observé que l'opposition ne peut pas contester la régularité du scrutin, l'importance de la participation et le caractère tout à fait clair de la victoire politique du Président Zeroual. Je crois que c'est un premier pas probablement décisif vers l'établissement de la paix et de la stabilité en Algérie. Je suis sûr que l'ensemble des Algériens aspire profondément au-delà des clivages politiques, à la paix et à la stabilité. Et je ne pense pas que la communauté algérienne qui est une communauté modérée, soit en réalité tentée par je ne sais quelle aventure intégriste ou islamiste. Ce sont de bons musulmans. Ce sont des musulmans sunnites de rite malékite qui sont des gens modérés et qui aspirent surtout, je le répète à la paix et au développement.

QUESTION: - Vous pourriez rencontrer aujourd'hui le Président Zeroual sans aucun problème ?

LE PRESIDENT: - Le Président Zeroual est le président légitime de l'Algérie. Cela ne me poserait aucun problème.

QUESTION: - Alors, concernant l'Algérie et la francophonie, M. Soglo, peut-on imaginer un jour, par exemple, une démarche africaine ou afro-arabe qui irait voir cette Algérie où une personne sur deux parle couramment français et l'inviterait, sous une forme ou sous une autre - associé, observateur - à finalement participer à cet univers, auquel elle appartient de facto ?

M. SOGLO: - Non, je crois que c'est la démarche qui nous paraît parfaitement logique et normale. Quand vos amis ont des difficultés, il faut voir ce que l'on peut faire pour les aider. Mais, au contraire, ce serait pour nous en tout cas un immense plaisir d'accueillir nos frères, amis, soeurs algériens dans la grande famille francophone, Et là, je crois que dès que l'occasion le permettra, j'essaierai de prendre contact avec l'Algérie à ce sujet.

QUESTION : - Pendant la conférence, le VIe Sommet a accueilli deux nouveaux membres: la Moldavie, et Sao Tomé Principe... On avait parlé aussi d'Israël ? Alors, est-ce qu'il y a eu un problème au niveau par exemple des relations avec le Liban...

M. SOGLO : - L'Arménie aussi. Je crois que l'on examine sa candidature pour voir exactement comment...

QUESTION: - Cela est-il renvoyé au prochain sommet ?

M. SOGLO: - Probablement, je crois que d'ici là on aura l'occasion...

QUESTION: - Alors, justement concernant ce prochain sommet, on considère que celui qui se tient à Cotonou est un peu un coup de chapeau à l'hommage à votre démocratisation, au rôle pionnier que vous avez joué dans cette partie de l'Afrique dans le domaine du multipartisme. Mais on a été un peu étonné de voir que le prochain sommet se tiendra à Hanoi où il subsiste un régime marxiste très dur, un peu comparable à celui qui existait avant ici. Un régime de parti unique où on ne voit pas une délibération sauf sur le plan économique, je me tourne vers vous, M. Chirac. Cela paraît un peu contradictoire ou alors avez-vous des assurances que d'ici deux ans le Vietnam peut-être se sera un peu libéralisé sur le plan politique ?

LE PRESIDENT: - Vous me posez la question. Je n'ai pas du tout l'intention de porter un jugement sur les affaires intérieures du Vietnam et encore moins de m'ingérer dans la gestion. Le Vietnam est une très vieille civilisation. C'est un peuple prestigieux. Je connais bien le Vietnam. C'est une population qui veut rattraper le temps perdu, qui veut développer dans la stabilité et dans la paix sa richesse, sa croissance et qui veut affirmer son identité sur le plan régional dans son environnement. Et elle trouve une part de cette identité dans l'adhésion à la francophonie. Naturellement nous avons les bras ouverts et nous sommes très heureux que le prochain sommet soit à Hanoi. Nous irons, je vous le dis avec beaucoup de plaisir. Et c'est également un hommage rendu à une très vieille et prestigieuse civilisation, je le répète.

QUESTION: - M. Chirac, comment la famille francophone a-t-elle réagi à la polémique sur les essais ? Je pense notamment au Premier ministre belge que vous avez revu. Visiblement tout s'est très bien passé. Est-ce que la famille francophone, je serais tenté de dire, a été plus accueillante à cette réalité, à la poursuite des essais par la France ?

LE PRESIDENT: - La famille francophone n'est pas un peloton de cavalerie aligné dans l'ordre et par la taille et chacun y exprime son identité. Dans la famille francophone vous avez quelques pays qui ont approuvé la résolution de l'ONU condamnant les essais nucléaires. (En général d'ailleurs, pas ceux de la France en particulier), il y a parmi ces pays le Canada, le Vietnam, la Belgique et l'île Maurice. Ce n'est pas pour autant naturellement que cela créé un problème quelconque à l'intérieur de la famille francophone, je n'ai pas l'intention de juger les réactions des états à l'égard de l'initiative française, initiative pouvant être effectivement discutée mais que moi je considérais comme nécessaire.

Alors, en ce qui concerne les pays membres de l'Union européenne et qui, je l'espère réfléchiront à deux fois avant le prochain vote en Assemblée générale, le problème est un peu différent. Il y a au sein de l'Union européenne une solidarité renforcée et des accords pour progresser vers une défense européenne, qui me semble-t-il aurait exigé un peu plus de responsabilité politique. Mais cela n'a rien à voir avec la francophonie qui elle s'exprime librement sur tous les sujets. Et je remercie beaucoup la plupart des États francophones qui ont bien voulu s'abstenir de porter un jugement sur ce que la France considérait comme de son intérêt.

QUESTION : - M. le Président, peut-être encore un mot, nous évoquons dans cette émission la francophonie, l'Afrique et les questions internationales. Vous vous faites une règle : ne pas commenter, lorsque vous êtes à l'étranger, la situation en France. Quelle que soit la situation aujourd'hui à Paris, vous n'allez pas sortir de cette règle ?

LE PRESIDENT: - Non, vous savez je me suis toujours fait une règle de ne pas commenter à l'étranger, par respect pour nos hôtes, des problèmes intérieurs français. Ce qui ne veut pas dire, que je ne sois pas en permanence en liaison avec Paris, avec le Premier ministre, avec mes collaborateurs de l'Elysée pour me tenir informé de ce qui s'y passe.

QUESTION : - Si vous étiez à Paris, aujourd'hui, vous parleriez ?

LE PRESIDENT: - Je vous ai dit que je n'avais pas de commentaire à faire.

QUESTION: - En ce qui concerne le Bénin la fête francophone va se terminer. Qu'est-ce qui restera pour votre pays, M. SOGLO ?

M. SOGLO: - Je crois d'abord plusieurs choses. D'abord, comme vous l'avez dit c'est la reconnaissance des efforts que nous avons entrepris sur le plan de la liberté, de la démocratisation. C'est concret pour nous. Et j'ai été dans des camps de concentration ou autres, vers le petit palais. C'était un lieu de tortures, un peu plus loin, de l'autre côté du pont. Donc, c'est quand même un soutien, une reconnaissance de pouvoir dire "Voilà". Ce qui est important, c'est que tous les continents soient venus ici, puisque l'on parle du Vietnam et qu'il ne s'agit pas seulement de l'Europe et de l'Afrique. Toute cette grande famille ne savait rien. Tout était complètement cassé. La famille s'est dit on va quand même chez toi et ils sont venus en disant voilà on va te faire la France, le Canada, etc. C'est fantastique. Je pense que tout cela ne s'est quand même pas trop mal passé.

LE PRESIDENT: - C'est très réussi.

M. BOUTROS-GHALI: - Pour ma part, ce qui est très important dans cette conférence est le fait que chacun défend ses intérêts. Je pense que cela créé un nouveau momentum en faveur du dialogue Nord-Sud. On a ensemble ces dernières années prêté moins d'attention au dialogue Nord-Sud. Le fait d'avoir un sommet francophone qui se tienne en Afrique, à Cotonou, rappelle à la communauté internationale l'importance du dialogue.

QUESTION: - Alors, encore un mot sur la langue française puisque c'est elle qui nous réunit. Vous êtes un vieux routier de la francophonie. Vous êtes à l'origine de l'adhésion de l'Egypte à la francophonie. Vous avez ciselé plusieurs fois des mots sur le français, langue non alignée, sur, le français, langue subversive ? Le pensez-vous toujours ?

M. BOUTROS-GHALI : - Je le pense toujours. Je pense qu'il faut être subversif pour trouver des solutions aux problèmes globaux de demain. Il faut des idées nouvelles. Il faut de l'imagination politique.

QUESTION: - Vous pensez que le Français peut véhiculer cela ?

M. BOUTROS-GHALI: - Et la culture française depuis 1789 a véhiculé des idées nouvelles et je leur fais confiance. Elle véhiculera des idées nouvelles pour contribuer à la solution des problèmes nouveaux que le monde va affronter dans la prochaine décennie.

QUESTION: - Vous êtes d'accord sur cette langue subversive, M. le Président ?

LE PRESIDENT: - Oui, je crois que c'est vrai, et c'était avant 1789 puisque 1789 a même été l'aboutissement des idées subversives exprimées par les philosophes avant et encore avant par les réformateurs. Vous savez la plupart des grandes révolutions au XIXe siècle, notamment l'Amérique latine et ailleurs, se sont exprimées selon des termes, selon des visions, selon des ambitions qui étaient celles que l'on avait exprimées en français pour la liberté, pour la solidarité, pour la République, etc. Donc le français, historiquement est un véhicule subversif au bon sens du terme. C'est-à-dire qui remet en cause.

QUESTION : - M. Soglo, vous êtes d'accord ?

M. SOGLO : - Absolument.

QUESTION : - La Francophonie sera subversive ou ne sera pas ?

LE PRESIDENT: Non c'est quelque chose qui ressemble un peu à cela car déjà le fait de dire non au monopole, c'est déjà la diversité. C'est d'abord le thème que l'on avait adopté lorsque nous étions à l'Ile Maurice. C'est l'unité dans la diversité. Je crois qu'au fond c'est ça qui fait la force de la francophonie.

QUESTION: - Messieurs, merci d'avoir bien voulu participer à cette émission.