Invité du journal de 13 heures sur France-2 M. Jacques CHIRAC Président de la République



Paris le 5 septembre 1995.

PATRICK CHENE - Monsieur Jacques Chirac, Président de la République, est l'invité de notre édition de 13 heures.
Merci, Monsieur le Président, d'avoir répondu favorablement à notre invitation.
Bonjour à tous. Cet entretien sera placé sous le signe de la rentrée, bien sûr. Rentrée scolaire pour évoquer l'éducation, mais aussi le terrorisme et la sécurité qui créent un climat particulier pour cette rentrée scolaire. Rentrée sociale, bien sûr : le ton a été donné hier à Matignon. On y reviendra avec vous, Monsieur le Président de la République. Et puis rentrée de la France dans le monde, on évoquera aussi avec vous les essais nucléaires et le conflit en Bosnie.
Mais une rentrée Monsieur le Président, ce sont des sentiments mêlés pour les Français : de l'espoir, parce qu'une rentrée c'est généralement un nouveau départ, mais aussi une inquiétude légitime dans le climat qui règne actuellement.
Aujourd'hui 13 millions de jeunes sont rentrés à l'école. Est-ce qu'ils ont plus de raisons d'être optimistes qu'inquiets, quelles raisons leur donnez-vous ?


LE PRESIDENT : - Ils peuvent être inquiets dans la mesure où le nombre de jeunes au chômage est aujourd'hui considérable et inacceptable. Ils peuvent être optimistes car il existe des raisons et des chances. Vous savez, j'ai fait de la lutte contre l'exclusion et de l'insertion des jeunes dans notre société les deux grandes priorités de ce septennat. Il y a des moyens à mettre en oeuvre. Alors s'agissant des jeunes, on peut citer la nécessité d'une réforme de l'éducation leur donnant davantage de formations concrètes et aptes à les diriger vers les entreprises, une meilleure orientation également, qui n'est aujourd'hui pas très bonne. L'année dernière, tout le monde se précipitait vers la psychologie, cette année c'est la médecine. Il faut donner aux jeunes les moyens de connaître à la fois l'intérêt et les débouchés d'une discipline. Puis enfin, il faut un meilleur accueil en entreprise. En bref, je crois que les Français doivent comprendre aujourd'hui, les adultes doivent comprendre qu'il y a un véritable devoir moral d'insertion à l'égard des jeunes. Il faut en tirer toutes les conséquences.


QUESTION : - Alors, Monsieur le Président, on rentrera bien sûr dans le détail de toutes ces options et de ces décisions que vous allez prendre. Mais ne pensez-vous pas pour terminer avant de s'intéresser à l'actualité du jour, que cette injustice sociale qui frappe parfois le pays ne commence pas à l'école ?


LE PRESIDENT : - Si, sans aucun doute. Toute la réforme nécessaire doit reposer sur une nécessité, qui est de rétablir l'égalité des chances à l'école.


QUESTION : - On en parle dans quelques instants. Pour l'instant, on s'intéresse à cette rentrée scolaire. Pour engager maintenant notre entretien, nous allons évoquer, Monsieur le Président des idées qui concernent directement les Français : l'égalité des chances, vous l'évoquiez il y a quelques instants. Alors est-ce que cette inégalité ne débute pas pour une mère de famille, tout simplement, lorsqu'elle va acheter le cartable de son enfant et le remplir ?


LE PRESIDENT : - Si, sans aucun doute, mais elle ne se limite pas là. S'agissant du cartable, vous aurez observé que le gouvernement a décidé le triplement de la prime de rentrée scolaire qui va justement dans ce sens. C'est un pas dans la direction d'une meilleure égalité des chances, mais il y a bien d'autres domaines où les enfants ne sont pas égaux. On doit rétablir cette égalité.


QUESTION : - Alors, lorsque ces enfants ne sont pas égaux, comme vous dites, n'y a-t-il pas aussi une nécessité d'adapter l'enseignement ? On a des classes surchargées notamment, ce n'est pas la meilleure méthode pour pouvoir remonter vers le haut les enfants qui ont des difficultés.


LE PRESIDENT : - Surtout dans les quartiers difficiles... Mais, un effort est fait, là aussi, cette année. Vous savez qu'il y aura une baisse du nombre des élèves cette année. Il n'y aura pas pour autant de baisse du nombre des enseignants et cela crée une disponibilité que le gouvernement a décidée dans le cadre du contrat pour l'école, d'affecter aux classes des zones défavorisées et je crois aux écoles dans les quartiers défavorisés. Je crois que là aussi, c'est un pas fait dans la bonne direction.
De la même façon, la décision qui a été prise de donner dans les écoles primaires, une demi-heure de temps pour faire le travail qui, d'habitude, était fait à la maison, est aussi un pas dans la bonne direction, dans la mesure où il y a des enfants qui ont un environnement familial facile et d'autres qui ne sont pas dans cette situation.
Tout cela, vous l'observerez, va dans le sens - touche par touche, on pourrait multiplier les exemples - d'une amélioration de l'égalité des chances.


QUESTION : - On va donner des exemples justement. En banlieue, vous le disiez, on va mettre moins d'élèves. Mais est-ce qu'on envisage également une formation différente des enseignants, des enseignants particulièrement formés pour s'adresser à cette jeunesse en difficulté ?


LE PRESIDENT : - Je ne suis pas sûr qu'il faille une formation particulière. En revanche, ce dont je suis sûr, et ce qui ne se passe pas, c'est que les meilleurs enseignants, les plus expérimentés doivent être incités par des bénéfices de carrière ou par des primes à être dans les quartiers difficiles. Trop souvent, on voit dans ces quartiers des enseignants jeunes, de qualité naturellement, mais peu expérimentés. Alors que les plus expérimentés, les meilleurs, se trouvent dans le 7e arrondissement de Paris. Donc, il y a là une réforme des mentalités à faire pour encourager les meilleurs enseignants à aller dans les classes les plus difficiles.


QUESTION : - Alors, j'aimerais évoquer maintenant avec vous un sujet qui touche vraiment toutes les couches de notre population. On est assez léger dans le domaine des langues étrangères. Alors on est décidé enfin à faire quelque chose notamment dans l'apprentissage de l'anglais. Alors il y a des dispositions qui sont en train de se mettre en place, non sans difficultés je crois ?


LE PRESIDENT : - Oui, bien sûr. Il y a toujours les ronchons, n'est-ce pas, qui trouvent qu'on ne fait pas assez parfaitement. Ce désir de perfection est parfaitement légitime, mais à force de le souhaiter on ne fait rien.


QUESTION : - Là ce n'est pas simplement une sensation, les chiffres le montrent. On n'a pas pu installer partout, dans le primaire, l'éducation de l'anglais.


LE PRESIDENT : - Non, notamment parce qu'il y a eu des freins à la distribution en particulier des cassettes. Je ne dis pas qu'il y a tous les moyens nécessaires. Je dis qu'il faut prouver le mouvement en marchant. Commençons à apprendre une langue étrangère à nos enfants à 7 ans, ce sera un enrichissement à la fois culturel et professionnel pour eux. Puis si tout n'est pas parfait la première année, on améliorera les choses la deuxième. C'est la même chose pour l'année prochaine concernant l'enseignement de la musique.


QUESTION : - Alors on parle un peu de faux départ pour les langues étrangères, mais vous êtes déterminé, il y en aura en classe primaire pour tout le monde.


LE PRESIDENT : - Ce n'est pas un faux départ. Ne pensons pas que l'on puisse tout faire, que l'on ait les moyens de tout faire, de façon parfaite et instantanément. Il faut, je le répète, faire les choses avec un effort personnel. L'égalité des chances, c'est aussi une modification forte des rythmes scolaires.


QUESTION : - J'allais y venir, Monsieur le Président. Vous parlez justement de ce modèle étranger. On en parle souvent. On dit chez certains étrangers que cela se passe bien. Le matin, sont étudiées les matières de l'esprit "mens sana". L'après-midi : "in corpore sano". On s'occupe du corps et même également de la culture. Est-ce qu'on va arriver à cela un jour ? Est-ce que c'est votre volonté ?


LE PRESIDENT : - Vous avez vu les résultats exceptionnels et unanimement appréciés par les enseignants, par les parents, par les enfants de l'expérience qui se déroule à l'initiative du maire d'Epinal, Monsieur Séguin, à Epinal. Eh bien je crois et c'est la volonté du Premier ministre -que sur la durée d'un septennat - car cela ne se fera pas avec une baguette magique - il faut que nous ayons partout en France un système qui consacre le matin aux disciplines, je dirais, de la connaissance traditionnelle et puis l'après-midi aux disciplines sportives et aux disciplines de la sensibilité, les enseignements artistiques au sens le plus large du terme. Lorsque aujourd'hui nous avons des enfants qui ont facilement, en raison de leur situation sociale, accès à ces disciplines, donc à la culture, donc à l'épanouissement et d'autres hélas très nombreux qui n'ont pas cet accès, pour des raisons je le répète d'environnement social, c'est à ceux-là qu'il faut permettre d'avoir l'égalité des chances avec les autres, qu'il s'agisse des enseignements artistiques où qu'il s'agisse du développement des sports. J'ajoute qu'une réforme de cette nature a un autre avantage : elle donne un rôle capital à toutes les associations culturelles, sportives, et cette expérience est de nature à créer un très grand nombre d'emplois ce qui, aujourd'hui, n'est pas non plus négligeable.


QUESTION : - Les enfants sont-ils en sécurité dans les écoles ? C'est une question qu'on doit se poser dans le contexte actuel avec le terrorisme. Alors, quelles sont les mesures concrètes que vous allez prendre ? Les parents sont légitimement inquiets.


LE PRESIDENT : - Nous sommes frappés par le terrorisme. Je voudrais, si vous me le permettez, parce qu'il n'y a pas que les écoles qui sont en cause, rendre deux hommages. Le premier, à l'ensemble des forces de l'ordre, notamment la police et la gendarmerie, et aussi à la justice pour l'effort considérable, - sans précédent à ma connaissance dans notre pays - développé pour essayer de prévenir et de stopper la situation terroriste. Et puis, je voudrais rendre hommage aussi aux Français qui ont, je dois le dire, pris avec beaucoup de sérieux cette situation en accentuant leur vigilance et en acceptant les contraintes. Et ceci, malgré cette espèce de psychose qui a été développée il faut le dire pour une large part, par l'importance que les médias ont accordé à ces événements et qui a dépassé tout ce que pouvait en espérer comme encouragement les terroristes. Malgré cela, les Français sont restés calmes et il faut leur en rendre hommage.


QUESTION : - Si vous le voulez bien, je vais revenir très brièvement sur le retentissement médiatique. Vous vous doutez que ce sont des questions que l'on se pose tous les jours dans une rédaction comme celle de France 2. Peut-on imaginer une presse complètement silencieuse sur ce genre d'attentat, sur ce genre d'événement ou faut-il simplement en appeler à la responsabilité de chacun ?


LE PRESIDENT : - Vous allez voir, je n'ai ni conseil, ni a fortiori d'instruction à donner à la presse. Je m'abstiendrai donc de toute espèce d'intervention dans ce domaine. Je constate simplement que l'extraordinaire dérive médiatique, sans équivalent dans aucun pays du monde, qui a caractérisé ces attentats ont, sans aucun doute, dépassé tous les espoirs que les terroristes pouvaient mettre dans leur entreprise de déstabilisation de la société française. C'est un fait. Je ne juge pas, je constate. Alors, j'ai entendu dire que certains responsables des grands médias, en particulier, envisageaient de se rencontrer pour discuter ensemble de la façon de traiter ces événements. Je les y encourage vivement ! Chacun dans la vie doit assumer ses responsabilités. Je ne suis pas sûr que de ce point de vue nous soyons dans une situation tout à fait satisfaisante.


QUESTION : - Alors plus précisément maintenant, pour revenir aux attentats, qui en veut à la France ?


LE PRESIDENT : - Je reviendrai d'un mot sur la sécurité dans les écoles. Vous avez vu que beaucoup de mesures ont été prises pour le filtrage, y compris à l'égard des parents dont certains se sont plaints, mais dont l'immense majorité a compris et accepté les contraintes pour l'interdiction de stationner, pour l'enlèvement de toutes les poubelles aux alentours des écoles et on va continuer à prendre des mesures de cette nature pour assurer la sécurité. Ce n'est pas, naturellement, suffisant.
Et j'ai donné également instruction au gouvernement de prendre des mesures extrêmement fermes, dorénavant pour le contrôle aux frontières. Il est tout à fait évident que, dans la situation où nous sommes, le fait que l'on puisse franchir très facilement et sans contrôle les frontières dans un sens ou dans l'autre est une immense facilité pour des terroristes. Et par conséquent, j'ai demandé au gouvernement de prendre dès aujourd'hui des mesures très fermes de contrôle très strict sur l'ensemble des frontières de notre pays, notamment les frontières du nord.


QUESTION : - Est-ce que ceci peut remettre en cause les accords de Schengen ?


LE PRESIDENT : - Vous savez que ces accords, pour le moment, ne sont pas intégralement appliqués par la France parce que nous considérions que la situation n'était pas satisfaisante. Nous avons bénéficié du délai prévu dans les accords même, mais si la situation ne s'améliore pas, si nos partenaires ne prennent pas les dispositions permettant de contrôler réellement les frontières extérieures de la zone de Schengen, à ce moment-là nous en reparlerons.


QUESTION : - Alors, qui en veut à la France ? Je vous pose la question autrement, d'où vient le danger ?


LE PRESIDENT : - Il ne faut pas désigner sans preuve et j'attendrai que nous ayons des preuves pour désigner.


QUESTION : - ...la piste Islamique, du GIA...


LE PRESIDENT : - Oui, elle est la plus vraisemblable, vous avez raison de le dire. Mais enfin, pour le moment, nous n'avons aucune preuve. J'attendrai d'en avoir.


QUESTION : - Vous ne craignez pas un risque d'amalgame, car c'est quand même cette direction qui est donnée, un risque d'amalgame par rapport à la communauté algérienne qui vit en France notamment ?


LE PRESIDENT : - Nous avons en France une communauté musulmane importante qui est de rite malékite et qui est tout sauf intégriste, qui est une communauté parfaitement intégrée, qui souhaite être intégrée et qui en aucun cas ne conteste les lois de la République. C'est probablement elle qui a le plus à souffrir, potentiellement, de l'activité des terroristes et des intégristes. C'est une raison de plus à la fois pour éviter tout amalgame, bien entendu, mais également pour lutter contre ces intégristes.


QUESTION : - Alors, face à ces dangers, quel remède, la force seulement ou est-ce que l'on discute avec ces ennemis-là lorsqu'on les détermine précisément ?


LE PRESIDENT : - On ne discute jamais avec des terroristes. On ne parle pas la même langue qu'eux. Et donc, si l'on discutait on ne se comprendrait pas et comme nous, nous avons une morale et pas eux, on serait toujours en situation de faiblesse. Donc on ne discute pas.


QUESTION : - Votre réponse est claire, merci. Pendant dix ans il n'y a pas eu de vague terroriste, pendant un peu plus de dix ans même. Est-ce que la France n'a pas évidemment parce qu'elle était plus tranquille baissé un peu sa garde. Est-ce que l'on est toujours aussi opérationnel, les structures policières, judiciaires pour faire face au terrorisme ?


LE PRESIDENT :
- Je crois que nous avons dû baisser un peu notre garde et il ne faut jamais baisser sa garde. Le monde étant ce qu'il est, le danger potentiel est partout. Je voudrais dire que si nous avons baissé la garde, nous avons su très rapidement la relever. Je le disais tout à l'heure à l'égard des forces de l'ordre, l'action menée est une action qui fait peser aujourd'hui sur les terroristes une pression considérable qui n'est probablement pas étrangère à une certaine précipitation que l'on voit actuellement dans la mise en oeuvre de leurs mauvais desseins et notamment les ratages auxquels ils sont confrontés.


QUESTION : - Est-ce que vous pouvez unifier plus encore la réaction face au terrorisme, je pense à une sorte de "task force" qui unirait la justice, la police, toutes les polices ?


LE PRESIDENT :
- J'ai le sentiment que c'est ce qui est actuellement fait, le fait que le Premier ministre s'en occupe en permanence en liaison très étroite avec le Garde des sceaux et le ministre de l'Intérieur et la responsabilité des grands services qui sont en permanence réunis par les ministres compétents et le gouvernement qui à l'évidence - on le voit sur le terrain - marchent tous dans le même sens. Je crois qu'aujourd'hui cette coopération est bonne.


QUESTION : - Vous parliez tout à l'heure, Monsieur le Président, de la réaction des Français. Vous leur rendez hommage, d'ailleurs pour leur sang froid. Est-ce que néanmoins si cette vague de terrorisme continue, il va falloir changer quelque chose à notre vie quotidienne, peut-on s'y préparer ?


LE PRESIDENT : - Je ne pense pas que nous en soyons là ni que nous ne devions atteindre ce stade. En revanche, chacun doit être très vigilant. Et la sécurité d'un corps social c'est naturellement les moyens qu'il met à la disposition de l'ordre mais c'est également la responsabilité et la vigilance de chacun. Prenez la réaction qui a été celle de cet agent, de ce travailleur qui a trouvé la bombe du 15e dans la sanisette, elle a été spontanément une réaction responsable et je crois que tous les Français doivent être personnellement vigilants : regarder et prévenir.


QUESTION : - Alors que vous vous intéresserez tout à l'heure à la politique étrangère, en vous intéressant notamment à Mururoa et à la Bosnie, nous allons évoquer, si vous le voulez bien, la rentrée sociale maintenant. Alors, depuis hier, on pourrait parler de rentrée sociale avec une situation qui est plus ou moins bloquée avec les partenaires sociaux. Hier, on a donné le ton si je puis dire...


LE PRESIDENT : - Je ne dirais pas cela...


QUESTION : - Les partenaires sociaux qui sortaient de Matignon avaient l'air assez déterminés. Ce n'était pas le grand sourire tout de même. Est-ce qu'on s'y prend mal, est-ce que le ton ... ?


LE PRESIDENT : - Non, je ne dirais pas cela. J'ai lu ce qui a été écrit naturellement et j'ai observé qu'il y avait une prise de conscience de la nécessité d'un certain nombre de changements qui est partagée aussi bien par le gouvernement que par la plupart des partenaires sociaux qui doivent apporter eux aussi leur part à l'effort de réforme et de changement des choses, d'adaptation au monde moderne, à une situation qui fait que nous avons un nombre croissant de gens qui sont malheureux ; si bien que j'ai observé que la seule divergence de vue, m'a-t-il semblé, qui soit très nette, concernait les fonctionnaires, ce que je peux comprendre d'ailleurs.


QUESTION : - Nous allons parler donc des salariés de la fonction publique : on parle de gel donc du traitement des fonctionnaires.


LE PRESIDENT : - Non, ce n'est pas vrai.


QUESTION : - Vous préférez la pause, je crois ?


LE PRESIDENT : - Non, mais ce n'est ni un gel, ni une pause. Moi, j'ai le plus grand respect pour la fonction publique française. Je trouve que c'est une de nos grandes institutions. Elle n'est peut-être pas utilisée toujours aussi efficacement qu'il le faudrait mais cela ce n'est pas de sa faute. C'est la faute de ses dirigeants. Un certain nombre de réformes sont indispensables pour que l'Etat gaspille moins d'argent, pour que la fonction publique soit plus efficace, parfois moins contraignante pour les Français. Cela c'est un problème de réforme de l'Etat. La fonction publique aujourd'hui bénéficie de tout un ensemble de mesures qui ont été prises depuis M. Durafour, qui sont des mesures de revalorisation qui se déroulent sur le moyen terme. Prenons un exemple : l'année prochaine, la masse salariale de la fonction publique va augmenter de 2,3 %, à nombre de fonctionnaire égal.


QUESTION : - Oui, c'est toute la finesse entre l'augmentation de masse ...


LE PRESIDENT : - Oui ...


QUESTION : - Mais là, on parle de salaires ?


LE PRESIDENT : - Non, mais attendez ! 4,3 % pour une augmentation des prix qui sera probablement de 2,5 %. Tout ceci n'est pas remis en cause. Naturellement, ces mesures de revalorisation s'appliqueront. Deuxièmement, nous avons fait un choix. Toutes les grandes entreprises, vous le voyez, malheureusement des petites aussi, en raison de l'amélioration de la productivité notamment, licencient. On pourrait imaginer qu'il en soit de même dans la fonction publique. Nous avons fait un choix qui était le choix de maintenir l'emploi dans la fonction publique, c'est-à-dire de conserver le même nombre de fonctionnaires. Alors, honnêtement à partir de là, il y a des priorités qui se dégagent. Il y a hélas, dans notre pays, beaucoup de gens malheureux, de plus en plus. Il y a des exclus, il y a des chômeurs, il y a des jeunes qui ne trouvent pas de travail, il y a des RMIstes qui sont pour l'immense majorité d'entre eux des gens qui souffrent à la fois matériellement et psychologiquement. Nos moyens doivent être en priorité affectés à remédier à ces situations de crises individuelles qui touchent un nombre croissant de nos compatriotes. Les fonctionnaires ont leurs problèmes.


QUESTION : - Monsieur le Président. Une phrase importante de votre campagne, qui est restée dans tous les esprits : la feuille de paye n'est pas l'ennemie de l'emploi.


LE PRESIDENT : - Absolument !


QUESTION : - Donc, vous êtes en train de l'expliquer. C'est vrai qu'il faut travailler sur l'emploi. Donc, vous allez quand même agir sur la feuille de paye de la fonction publique, en l'occurrence ?


LE PRESIDENT : - Mais, Monsieur Chêne, nous l'avons fait. Le gouvernement l'a fait, notamment en améliorant au-delà de ce qui était légal le SMIC, en prenant un certain nombre d'autres mesures de revalorisation. Mais, s'agissant des fonctionnaires, la feuille de paye, c'est aussi la feuille d'impôts. Les fonctionnaires sont payés sur le budget de l'Etat. Or, nous sommes dans une situation, nous avons trouvé une situation avec des déficits considérables, un endettement considérable. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que cet endettement et ce déficit ont deux conséquences : des taux d'intérêt très élevés qui freinent l'économie et donc l'emploi et deuxièmement l'absence de moyens pour répondre aux urgences sociales indiscutables. Et donc, nous sommes obligés de réduire ces déficits. Chacun doit y prendre sa part. Autrement dit, il y a des priorités. Il faut affecter nos moyens à ceux qui sont les plus malheureux. Puis ensuite, petit à petit, aux autres. Je demande aux Français de le comprendre.


QUESTION : - Généralement, Monsieur le Président, lorsqu'on freine les salaires, ou lorsqu'on ne les gèle pas - vous n'aimez pas cette expression - dans la fonction publique, il y a en parallèle un appel au privé en disant peut-être aux chefs d'entreprises, en appelant à leurs responsabilités, en leur disant il faut vous aussi avoir cette attitude, cela va-t-il être ou le cas ou ne va-t-on pas avoir une fracture sociale qui va grandir entre des fonctionnaires qui n'auraient plus de traitements augmentés et le privé ? Imaginez le privé qui augmente de 6 % la même année !


LE PRESIDENT : - Oui, mais ce n'est hélas pas le cas. Il n'y aura aucun appel naturellement au privé qui gère ses salaires comme il l'entend. Je le répète, la feuille de paie, on doit bien le savoir n'est pas un ennemi de l'emploi dans la mesure ou elle génère de la consommation et donc de la production. Il ne s'agit pas non plus de ne pas retenir tous les droits des fonctionnaires. En gros depuis 3 ans, les augmentations dont ils ont bénéficié ont été à peu près le triple de celles des autres salariés. De cela aussi il faut tenir compte. Ils ont en plus une garantie de l'emploi. Alors il ne faut pas bien sûr les oublier ne serait-ce que parce qu'il faut aussi les motiver, mais il faut bien comprendre qu'il y a des priorités, et admettre que ces priorités viennent les unes après les autres.


QUESTION : - Une question assez précise à propos de l'Unedic qui réclamera peut-être une réponse courte : vous aviez promis 12 milliards de francs à l'Unedic, enfin cela a été promis dans un gouvernement précédent, pour favoriser l'embauche, pour financer le départ après quarante années de travail. Alain Juppé est un peu revenu sur cette décision hier, qu'en est-il ?


LE PRESIDENT : - Vous savez, je suis sûr qu'une solution sera trouvée entre les organisations syndicales et professionnelles et le Gouvernement sur ce point. Mais je voudrais dire simplement que notre priorité c'est l'emploi et que pour satisfaire cette priorité il faut diminuer les déficits et diminuer l'endettement, pour faire redémarrer l'économie avec des taux d'intérêt plus bas. Et par conséquent, là encore, la priorité n'est peut-être pas de donner à une Unedic à qui l'on a beaucoup donné quand elle était en déficit et qui aujourd'hui est en excédent, des moyens qui ne sont pas absolument nécessaires. Je suis persuadé qu'un accord interviendra sur la base du bon sens.


QUESTION : - Monsieur le Président, nous allons faire une petite pause dans la page sociale, car une dépêche nous apprend que les raids ont repris sur la Serbie. Alors nous allons parler de tout cela tout à l'heure, j'allais même vous dire que les résultats semblaient assez encourageants avec le retrait des armes serbes, et finalement les raids viennent de reprendre, alors votre réaction ?


LE PRESIDENT : - Premièrement, il n'y a pas eu de retrait sérieux des armes serbes, c'est la raison pour laquelle à 13 heures, les actions de bombardements, à la fois de l'OTAN pour ce qui est des bombardements aériens et de la Force de réaction rapide, pour ce qui est de l'artillerie qui est de loin la plus efficace, ont effectivement repris. Mais, il n'y a pas eu de véritable retrait. S'il y avait eu retrait, si les Serbes de Pale avaient tenu les engagements qu'ils ont pris hier, il n'y aurait pas eu de reprise des bombardements, ne serait-ce que parce que je m'y serais opposé.


QUESTION :
- On revient sur le social avant de revenir à l'actualité, notamment à Mururoa et en Serbie. Est-ce qu'il y a des questions taboues, je fais allusion là, à la petite divergence qui a eu lieu, enfin plus qu'une divergence, de forme ou de fond, vous allez me le dire, questions taboues sur les retraites et sur les rentiers, sur les salaires des fonctions publiques justement, tout ce qui a pu coûter sa place à un ministre du gouvernement Juppé, je fais allusion bien sûr à Alain Madelin ? Est-ce qu'il y a des sujets tabous notamment entre la frontière entre les acquis sociaux et les privilèges ?


LE PRESIDENT : - Il ne peut pas et il ne doit pas y avoir de sujets tabous. Nous sommes dans une démocratie qui doit être aussi transparente que possible. Et si l'on veut que l'opinion publique comprenne, il faut qu'il y ait des explications. Deuxièmement, nous sommes dans un temps profondément marqué par les conservatismes. Qu'il s'agisse de l'Etat, qu'il s'agisse des syndicats, qu'il s'agisse des forces politiques, il y a un profond conservatisme et le meilleur moyen de le conforter, ce serait d'avoir des sujets tabous. Le meilleur moyen de le faire tomber ou de l'ébranler, c'est de pouvoir parler librement de tout, donc pas de sujets tabous. Alors vous me citez le cas d'Alain Madelin - pour lequel vous le savez j'ai beaucoup d'estime et d'amitié - mais je voudrais simplement dire que l'on ne réforme pas en opposant une catégorie de Français à une autre catégorie de Français. On ne réforme pas en cherchant des boucs émissaires. On réforme en cherchant à rassembler tout le monde. Alors je comprends qu'il y ait ceux qui défendent leurs mandants, c'est naturel, leur chapelle, leur groupe, mais le gouvernement, lui, doit avoir pour souci de renforcer la cohésion nationale, de privilégier ce qui rassemble les Français, d'éliminer ce qui les divise et de ne pas répondre à des sollicitations particulières, mais de répondre à des exigences générales et nationales. Mais vous savez, en toute hypothèse, la volonté de réforme reste la même, cela n'a rien changé dans ce domaine.


QUESTION : - Alors une dernière question, pour une réponse assez brève. Alors qui peut payer davantage ? Est-ce qu'il faut oser, est-ce qu'il faut demander plus à ceux qui possèdent ?


LE PRESIDENT : - Oui, sans aucun doute.


QUESTION : - Pour combler le déficit ?


LE PRESIDENT : - Naturellement, plus que pour combler le déficit, pour assurer les exigences de la solidarité. Tout à l'heure je vous disais en commençant ce journal que les deux priorités de mon septennat, c'est d'une part l'insertion des jeunes et d'autre part retrouver la cohésion sociale, lutter contre l'exclusion. La cohésion sociale ne se retrouvera qu'avec plus de solidarité et la solidarité cela suppose qu'on le demande à tous.


QUESTION : - On va engager la deuxième page de cet entretien, avec la politique étrangère et la défense et on va développer l'actualité brièvement dans ce domaine avec le premier tir d'essai nucléaire qui semble imminent du côté de Mururoa en tout cas les observateurs sur place en sont persuadés, à Papeete , la capitale de la Polynésie, on est fébrile d'un côté comme de l'autre, c'est à dire du côté des antinucléaires bien sûr et du côté de l'armée, on se livre à une petite guerre d'images (...). Notre correspondante.


LE PRESIDENT : - En Bosnie...


QUESTION : - En Bosnie, bien évidemment.


LE PRESIDENT : - Comme vous veniez de parler de Mururoa.


QUESTION : - Bien évidemment, c'étaient les deux sujets qui nous intéressaient maintenant, Mururoa et la Bosnie. Non il n'y a pas de tirs à Mururoa pour l'instant !


LE PRESIDENT : - Ce sont des essais.


QUESTION : - On en parlera dans quelques instants. Vous vous êtes beaucoup impliqué d'ailleurs à la fois dans les problèmes de défense, on l'a vu avec Mururoa et en politique étrangère. Est-ce que vous ne pensez pas, est-ce que vous ne craignez pas que les Français puissent penser que vous avez occupé beaucoup votre temps à cela, peut-être en manquant un peu de temps pour s'occuper de leur vie quotidienne. Il y a en tout cas des sondages qui montrent un peu cela ?


LE PRESIDENT : - Je voudrais dire deux choses ; la première c'est que la voix de la France, la place de la France dans le monde, c'est aussi le problème de tous les Français. Et puis, peut-être, ces événements sont-ils plus médiatiques que d'autres et masquent-ils d'autres préoccupations et actions qui sont les miennes. Je peux vous dire qu'il ne s'est pas passé de jour, depuis que je suis élu, sans que j'aie eu à me préoccuper directement, avec le Premier ministre, des problèmes concrets et quotidiens touchant notamment à la rentrée que vous avez évoquée tout à l'heure.
QUESTION : - Alors, parlons un peu de la Bosnie. La situation a évolué. On a vu d'ailleurs que les tirs venaient de reprendre à 13 H. Les raisons de cette évolution de situation ; est-ce l'attitude des Américains qui a changé, ou alors, j'allais dire le "coup de booster", pardon pour le terme, qu'a donné la France notamment avec la création à votre initiative de la Force de réaction rapide ?


LE PRESIDENT : - Vous savez, je crois qu'au départ on a commis une erreur en confondant l'humanitaire avec le militaire. Les casques bleus, peu armés, ne peuvent rien face à des hommes suréquipés, motivés, entraînés, etc. C'est pourquoi j'ai voulu, tout de suite après mon élection, passer de ce stade de l'humanitaire au stade du militaire, et c'est ce qui a provoqué la création de la Force de réaction rapide. Il fallait la mettre en place. J'ai ensuite renforcé ses moyens, notamment avec l'artillerie lourde, et aujourd'hui nous sommes, par conséquent, je dirais sur pied d'égalité avec les agresseurs. Moi je ne suis pas pour les Serbes, pour les Croates, pour les Bosniaques ou pour qui que ce soit. Je suis contre les agresseurs et pour la paix.


QUESTION : - Mais qu'est-ce qui a représenté le déclic de l'intervention ?


LE PRESIDENT : - Les Serbes de Pale ont imaginé qu'ils pouvaient, petit à petit, décourager la FORPRONU. Alors ils ont commencé par l'humilier, d'où ma réaction et j'ai entraîné avec moi les autres pays du groupe de contact. Ensuite ils ont pensé qu'ils pouvaient ignorer ces exigences. Ces exigences c'était simplement le cessez-le-feu, et ils ont continué à maintenir leurs armes lourdes notamment autour de Sarajevo, à se saisir de certaines enclaves musulmanes, vous vous en souvenez, il y a peu de temps, à bombarder les Bosniaques musulmans de Sarajevo et à un moment donné nous avons dit : "c'est fini !"


QUESTION : - Qui a dit : "c'est fini !", Monsieur le Président ?


LE PRESIDENT : - Eh bien, nous l'avons dit ensemble, je dois le dire. Enfin, j'ai été, Monsieur Izetbegovic, le Président bosniaque, l'a souligné fortement lors de son passage à Paris, j'ai probablement été celui qui a entraîné, effectivement, cette adhésion générale pour une riposte forte. Cette riposte, nous avions maintenant les moyens de la faire ; c'est d'une part l'Otan avec ces frappes aériennes, et c'est d'autre part la Force de réaction rapide notamment avec l'importante artillerie française mais aussi l'artillerie des Pays-Bas et de l'Angleterre.
Nous avons envoyé tous les messages nécessaires aux Serbes de Pale pour leur dire ce qui allait arriver. Ils n'y ont pas cru. Et donc une première vague a été déclenchée. Vingt sites ont été traités par les avions de l'Otan. Dix-huit sites par l'artillerie de la Force de réaction rapide, beaucoup plus efficace naturellement, parce que beaucoup plus précise cela va de soi. Et puis nous nous sommes arrêtés en disant aux Serbes de Pale : "est-ce que maintenant vous êtes prêts à négocier ?" Négocier cela veut dire quoi ? Cela veut dire, premièrement désenclaver Sarajevo, c'est-à-dire permettre le libre accès normal à tous vers Sarajevo, et nous l'aurons. Deuxièmement éloigner les armes lourdes des centres musulmans, notamment de Sarajevo. Et puis troisièmement arrêter les bombardements. Le général Mladic nous a dit hier d'accord. Très bien. Cette nuit on m'a demandé s'il fallait reprendre les tirs à 9 H du matin et notamment les tirs de l'OTAN. J'ai dit non. Attendons d'être sûrs que les Serbes ne tiennent pas leurs engagements, donc attendons midi. Ca a été 13 H pour des raisons techniques. A 10 H du matin, il était évident que les Serbes ne tenaient pas leurs engagements et qu'ils bougeaient quelques armes lourdes sans les retirer des périmètres de sécurité. Et donc nous avons dit, les Américains et nous, qui sommes dans cette affaire un peu les moteurs : reprenons les tirs à la fois de la Force de réaction rapide, artillerie, et de l'OTAN, aviation. L'objectif étant d'obtenir des Serbes de Pale qu'ils veuillent bien se mettre autour de la table et élaborer, accepter un plan de paix.


QUESTION : - Ensuite il faut décider de s'arrêter car il y a un danger, bien sûr, c'est de faire la guerre aux Serbes pratiquement ?


LE PRESIDENT : - Ce n'est pas du tout le problème. Et d'ailleurs j'ai encore parlé avec le Président Milosevic, Président de la Serbie de Belgrade, qui aujourd'hui est porte-parole théorique des Serbes de Pale pour la négociation. Il n'a pas du tout le sentiment que nous voulions faire la guerre aux Serbes. D'ailleurs, ce serait absurde ! Nous ne voulons faire la guerre à personne. Ce que nous voulons, c'est que la guerre s'arrête. Pour qu'elle s'arrête, il faut que l'agresseur cesse d'agresser. L'agresseur aujourd'hui, ce sont les Serbes de Pale. Mais il faut qu'ils arrêtent d'agresser. Et ils s'arrêteront.


QUESTION : - Une question qui préoccupe les Français : le sort de l'équipage qui avait été abattu, avez-vous des nouvelles ?


LE PRESIDENT : - Nous n'avons pas d'informations fiables dans ce domaine. J'ai simplement dit, il y a trois jours, au Président Milosevic, que je considérais que son autorité était en cause et que bien entendu, je le tenais un peu comme responsable de nos deux officiers. Mais nous savons qu'ils sont vivants mais c'est tout ce que nous savons de façon certaine.


QUESTION : - Merci. Alors on en vient non pas aux tirs mais aux essais nucléaires, alors je ne peux pas m'empêcher de vous poser la question : quand auront lieu ces essais ?


LE PRESIDENT : - Ecoutez, dès que les techniciens estimeront que le moment est venu.


QUESTION : - Alors, au vu de la réaction des Français ; des sondages - 63 % d'opinions défavorables à cette reprise - de la position du Commandant Cousteau, ce matin encore, qui vous demande de revenir sur votre décision ; de la réaction des pays dont on a parlé, est-ce que vous etes surpris, d'abord par cette réaction, et est-ce que cela a pu faire naître en vous quelques regrets d'avoir pris cette décision ?


LE PRESIDENT : - Surpris, non, parce que je sais que dans ce domaine l'irrationnel est fort, la médiatisation grande et les arrière-pensées politiques d'un certain nombre de nos amis entre guillemets importantes. Donc, je n'ai pas été surpris. Cela n'a jamais fait naître dans mon esprit le moindre doute. Le sondage des Français est peut-être plus intéressant. Si, en 1934, ou 35, ou 36, on avait fait un sondage pour savoir si la France devrait se doter d'une force mécanisée importante, je puis vous garantir qu'on aurait eu 80 % de gens qui auraient dit non. Vous disiez tout à l'heure qu'on avait un peu baissé notre garde en matière de terrorisme et je l'admettais même si je considérais qu'on l'avait relevée. Un pays qui veut vivre en sécurité ne doit jamais baisser sa garde. Notre force de dissuasion est l'élément essentiel de notre sécurité. Elle doit avoir la sécurité, la sûreté et la fiabilité incontestable et nécessaire. Pour cela, il fallait faire six à huit essais supplémentaires. Ils étaient prévus. Ils se seraient achevés en 92 sans que personne en parle si mon prédécesseur n'avait pas cru devoir - et ce n'est pas du tout une polémique, que je veux ouvrir, naturellement avec lui - les interrompre, interrompre la fin de ces essais. J'ai décidé de les reprendre parce qu'il en allait de la sécurité, de la fiabilité, de la sûreté de notre force de dissuasion dans un monde qui reste très incertain. Vous avez encore, dans les pays de l'ex-Union Soviétique, dont personne aujourd'hui ne peut dire ce qu'ils seront, ce qu'ils deviendront, quelles crises ils traverseront dans les cinq ou dix ans qui viennent, des milliers et des milliers de bombes atomiques. Donc, la France ne veut pas améliorer sa force de dissuasion , elle est suffisante. Elle ne veut pas créer d'armes nouvelles. J'ai dit clairement que nous prendrions, tout de suite après nos essais, une position claire pour le traité d'interdiction définitive : aucune forme d'essais même si minime soit-elle. Ce que nous voulons, c'est être assurés de notre avenir. Vous me disiez : les jeunes , il faut leur assurer un emploi, il faut leur assurer une place confortable dans la société et bien les y insérer. Je vous ai dit que c'était l'objectif de mon septennat. Mais il faut aussi leur assurer la sécurité et qu'on ne soit pas obligé, un jour, de porter sur nous le jugement que, au lendemain de la guerre ou pendant la guerre mondiale, on a pu porter sur ceux qui n'avaient pas su, qui n'avaient pas eu la vision nécessaire.


QUESTION : - On a bien compris que ces essais auront lieu. Les conseillers militaires, la direction militaire qui vous conseille a affirmé qu'il fallait sept à huit essais. Si d'aventure, parce que les militaires ont peut-être tendance à en faire beaucoup, à aller jusqu'au bout, au bout de l'aventure, n'allez-vous pas demander si au bout de cinq, six essais peut-être on a les informations nécessaires pour assurer la sécurité, qu'on en arrête là ?


LE PRESIDENT : - Attendez, ce ne sont pas les militaires qui commandent. Les militaires exécutent et d'ailleurs je dois le dire très bien.


QUESTION : - C'est sur leurs conseils que....


LE PRESIDENT : - Ils ont bien du mérite. Non, c'est sur le conseil des scientifiques. Si nous avons les informations dont nous avons besoin, notamment pour passer à la simulation, avant les huit essais nécessaires, il est évident que quel que soit l'avis des uns ou des autres, j'interromprai les tirs. Mon objectif, ce n'est pas de faire huit essais. Mon objectif, c'est d'avoir, d'une part, la sûreté et la fiabilité de notre arme de dissuasion et, d'autre part, la capacité de la simulation. Dès que nous les aurons - c'est un maximum de huit essais - mais dès que nous aurons ces informations, naturellement nous nous arrêterons. Et en toute hypothèse, nous nous arrêterons bien avant la date que j'ai indiquée qui était le 31 mai. Alors la France non seulement signera le traité qui à ce moment sera à peu près au point mais nous militerons pour l'accélérer, accélérer les négociations en cours, nous signerons le traité d'interdiction totale des essais nucléaires. Mais pour vous prouver notre bonne foi, vous savez qu'il y a entre les Nations qui discutent actuellement de l'élaboration de ce traité un grand débat : acceptera-t-on les petits essais ? Ne supprimera-t-on que les gros essais ? Eh bien, nous, nous avons pris une position simple : pas d'essais du tout. Et, pour le moment, je crois savoir que nous sommes les seuls à avoir pris officiellement cette position.


QUESTION : - Monsieur le Président, nous arrivons au terme de cet entretien. On a compris, je crois, ce que les Français attendaient de vous et de votre équipe. Pouvez-vous nous dire, en termes de conclusion, qu'est-ce que vous attendez, vous, des mois à venir et qu'est-ce que vous attendez des Français ?


LE PRESIDENT : - Des mois à venir et des Français, je dirais deux choses. La première, c'est qu'ils comprennent la nécessité des réformes et des changements nécessaires à notre société et que, par conséquent, ils en acceptent les contraintes. Ce sont des contraintes qui sont peu fortes mais quand on change les habitudes, notamment chez nous, il y a toujours des réactions épidermiques négatives. Il faut essayer de les maîtriser. Mais ce que j'attends surtout des Français, c'est autre chose : il faut qu'ils comprennent qu'une grande nation, une nation prospère, ne peut être qu'une nation où la cohésion sociale est assurée.
- Que le fait d'avoir une fracture profonde qui marque aujourd'hui notre société, c'est-à-dire des gens qui sont des marginaux, des exclus, de plus en plus nombreux, des assistés qui vivent je dirais aux dépens d'un nombre décroissant d'actifs que ça c'est une société en décadence. C'est moralement inacceptable à l'égard de ceux qui souffrent. C'est matériellement insupportable car on ne pourra plus l'assumer bientôt. Il est donc nécessaire de renforcer la cohésion sociale. Cela veut dire la solidarité. Cela veut dire que ceux qui ont les moyens doivent donner un peu de ce qu'ils ont pour ceux qui n'ont pas les moyens. C'est comme cela que l'on recréera les liens sociaux.
Toutes les grandes civilisations ont fonctionné de cette façon-là. Aucune civilisation n'a duré quand elle acceptait la fracture sociale des exclus de quelque nature que ce soit ou des marginaux. Il faut donc un effort de solidarité. Ce que j'attends des Français, je sais que je peux l'attendre des jeunes, car ils sont aujourd'hui généreux, ils ont compris les exigences de la solidarité. Mais ce que j'attends des Français en général c'est qu'ils comprennent qu'aujourd'hui l'effort de solidarité de la part de chacun est une nécessité si l'on veut avoir demain une France heureuse.