DISCOURS

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC,

PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

AUX XXÈMES ASSISES

DU CENTRE NATIONAL DES PROFESSIONS DE SANTÉ

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PALAIS DES CONGRES - PARIS

SAMEDI 27 MARS 1999

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

C'est avec plaisir, et ceci n’est pas une simple formule, que j'ai accepté l'aimable invitation de votre président à venir prendre part à vos XXes Assises. Notre dialogue a toujours été, pour moi, d'un très grand apport. Il se poursuit, le Président l’a rappelé tout à l’heure, depuis la création du Centre national des professions de santé. Il n'a jamais été interrompu. Vous le savez, je demeure en relation permanente avec vos représentants, que j’ai le privilège de rencontrer régulièrement.

Parce que vous fédérez l'ensemble des professionnels libéraux de santé, vous contribuez à forger et à exprimer leur identité commune. Cette identité plonge ses racines dans des activités de soins complémentaires qui trouvent leur unité au service du malade.

Dans un monde où la technique exige une spécialisation croissante et conduit parfois à vouloir tout compartimenter, vous avez compris très tôt la nécessité de surmonter les cloisonnements entre vos professions, dans l'intérêt du patient. Vous vous êtes réunis autour d'une conception des soins qu'inspire un humanisme profond, un humanisme qui porte aussi l'empreinte de la modernité. Vous êtes animés par une même confiance à l'égard des progrès continus de la lutte contre la maladie. Beaucoup d'avancées trouvent d'ailleurs leur origine dans la pratique de votre art et dans vos recherches.

Votre unité prend tout son sens dans un engagement partagé auprès de ceux qui souffrent. Rejetant les approches trop mécanistes du corps humain, vous rappelez que face à la maladie, face à la souffrance, face à la douleur, qui divisent le malade contre lui-même, chaque personne doit être prise en charge dans son unité profonde. Au nom de cette conception, qui est aussi une philosophie, vous affirmez depuis toujours la nécessité de la collaboration confiante et confraternelle de toutes celles et de tous ceux qui conjuguent leurs efforts au service des malades.

Vous êtes naturellement conduits à avoir une vision d'ensemble de notre système de soins. Votre exercice est, je le sais, profondément imprégné des principes et des valeurs de la pratique libérale, comme l’a indiqué tout à l’heure votre Président. Instruits par l'expérience acquise au contact des malades, forts de l'excellente image et de la reconnaissance que vous ont obtenu votre dévouement et vos soins, vous avez plus d'un titre à défendre notre système de santé, un système qui n'a guère d'équivalent dans le monde et qui a fait ses preuves, comme le disait le Docteur Maffioli, que vous entendez et que nous entendons défendre. Vous y êtes, je le sais, très fermement attachés, pour des raisons d'éthique et aussi pour des raisons d'efficacité.

Cet attachement, je le partage.

Notre système a réussi. Il est capable de s'adapter aux exigences des temps à venir.

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Nous avons une oeuvre à défendre, un modèle à soutenir.

Notre système de santé et de protection sociale a su répondre aux espérances de ses fondateurs. Il a été porté par le grand élan créateur de la Libération, à l'heure où le Général de Gaulle rétablissait nos institutions démocratiques et engageait le pays dans la voie de sa reconstruction.

Solidarité, démocratie et croissance : ces trois dimensions de notre vie nationale se sont révélées inséparables. De leur association dynamique est née la France moderne. Leur convergence n'a cessé de se vérifier. Elles demeurent pour l'avenir indissociables.

La Sécurité sociale est désormais inscrite au coeur du pacte républicain. Elle a donné vie à la Constitution sociale de notre pays. Je m'estime garant de cet héritage devant les Français. Personne ne peut concevoir de le laisser dépérir. Que la solidarité s'affaiblisse, et c'est l'équilibre même de notre vie démocratique qui sera atteint. Qu'elle chancelle, et les énergies qui mettent en mouvement notre société seront retenues par l'insécurité et par la crainte de l'avenir. Il en va de notre cohésion sociale. Il en va de notre capacité à relever les grands défis du XXIe siècle.

Au cours des cinquante dernières années, la France est parvenue à prendre en charge de formidables progrès scientifiques dans des conditions de qualité, voire d'excellence, que chacun reconnaît. De nos jours encore, les applications médicales du progrès scientifique ne cessent de s'étendre, qu'il s'agisse, par exemple, de l'imagerie médicale, des techniques chirurgicales, des thérapies géniques, des greffes, ou encore de la lutte contre la douleur. La médecine de prévention, pour le traitement du cholestérol, de l'hypertension ou de la décalcification, permet de mieux en mieux de tenir à distance des affections dont les effets étaient naguère lourdement invalidants voire mortels. Même si beaucoup de maladies graves -le cancer, les maladies infectieuses ou d'origine génétique- tardent encore à reculer, même si le sida est encore loin d'être vaincu, le doublement de l'espérance de vie au cours du siècle qui s'achève est là pour témoigner des progrès considérables de la santé. De ces résultats, vous pouvez être fiers, car vous y avez pris la plus grande part.

Si, de nos jours, l'espérance de vie continue à augmenter au rythme, chacun le sait, d'un trimestre par an, si les conditions de vie des femmes et des hommes de notre temps continuent à s'améliorer malgré les effets du vieillissement, nous le devons d'abord à l'efficacité de notre système de santé, à la qualité de votre formation et à la pertinence de vos soins.

Ces progrès ont un coût, bien sûr, mais nous avons collectivement réussi à les rendre accessibles à tous les Français, et nous l'avons fait dans de meilleures conditions qu'ailleurs.

Notre système est parvenu à garantir l'égal accès aux soins tout en préservant la liberté. Je pense à la liberté de choix du malade, mais aussi à la liberté des prescriptions et des décisions thérapeutiques, qui restent, aujourd'hui encore, la condition de la confiance entre soignants et soignés. Cette confiance est essentielle. Sans elle, il n'y a pas de diagnostic éclairé ni de traitement efficace, adapté et suivi. Elle demeurera toujours au coeur du lien thérapeutique.

L'alliance de la liberté et de la solidarité, cette combinaison originale et réussie de deux principes jugés ailleurs antinomiques -voyez l'exemple anglais, voyez l'exemple américain- fait la force de notre modèle. Nous savons bien qu'il ne pourrait résister à une dérive durable des dépenses d'assurance-maladie. Elle introduirait le risque d'une mise sous tutelle des professions de santé. Elle porterait en germes la menace d'un rétrécissement de la protection sociale.

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Après tant de conquêtes contre la maladie, certains pourraient être tentés de croire que nous avons atteint un pallier. Certains pourraient être tentés de penser que l'avenir de la santé est derrière nous. Certains pourraient imaginer que sous l'emprise des difficultés de financement, l'accès aux soins devrait inéluctablement subir des restrictions croissantes. Je n'en crois rien.

Il est vrai que notre système, durement éprouvé par les secousses financières, n'est pas exempt de faiblesses.

D'abord parce qu'une véritable gestion du risque maladie a tardé à se mettre en place, malgré l'indispensable réforme engagée en 1995 qui a prévu de vous confier de nouveaux instruments pour améliorer la qualité et l'efficacité de la dépense médicale.

Ensuite parce que l'offre de soins n'est pas organisée de manière suffisamment cohérente.

Les soins de ville et d'hospitalisation sont traités comme s'ils relevaient de deux mondes séparés, sans relation entre eux. Chacun sait par expérience combien cette approche est éloignée de la réalité ! Notre système de santé doit se donner les moyens d'une meilleure articulation des deux secteurs, assurer la complémentarité de leurs missions, éviter les reports de charge d'un secteur à l'autre, et garantir la continuité des soins du malade.

Déjà, la réforme hospitalière a permis d'expérimenter de nouvelles méthodes. Je souhaite que les processus de contractualisation, d'accréditation et d'évaluation initiés par la communauté hospitalière soient rapidement étendus. Il est également indispensable que l'harmonisation de la qualité des soins sur l'ensemble du territoire national soit très activement poursuivie. Les mêmes soins doivent pouvoir être donnés partout.

Une approche globale et régionale permettrait d'imposer une vision d'ensemble de la santé. Elle n'existe pas aujourd'hui. Il faut remettre en cause nos pratiques centralisatrices. La région, où s'expriment tant de forces d'initiative, est assurément le lieu le plus approprié pour innover, apprécier les besoins, observer l'évolution de l'offre de soins. C'est le meilleur échelon géographique pour définir et mettre en oeuvre une politique intelligente parce qu'adaptée aux réalités, qui devra prendre en compte la démographie médicale aussi bien que l'évolution de l'activité hospitalière.

J'ai souvent l'écho de votre perplexité sur les évolutions en cours et de vos interrogations sur l'avenir.

Mais une chose est sûre, au milieu de beaucoup d'incertitudes, les besoins de santé ne pourront que continuer à croître. C'est une tendance historique et universelle. Les progrès de la médecine et le vieillissement de la population dans nos pays en constituent la principale explication.

Une autre évidence s'impose : au cours des prochaines décennies, la santé demeurera au premier rang des attentes des Français, comme d’ailleurs, sans aucun doute, les autres populations. C'est une priorité nationale qu'aucun Gouvernement ne pourra négliger. Alors que tant de nouvelles victoires paraissent aujourd'hui à portée de main, l'effort séculaire qui conduit les chercheurs à conquérir sans cesse de nouveaux territoires contre la mort ne peut s'interrompre bien sûr.

La question n'est donc pas de savoir si la part de la santé augmentera ou non dans la consommation des Français, mais comment financer cette augmentation et comment optimiser la dépense.

Les perspectives ouvertes aux métiers de la santé sont vastes et prometteuses. Les exigences nouvelles qui s'imposent à vous au nom de la qualité des soins sont depuis longtemps portées par vos professions. Votre responsabilité économique est également devenue essentielle. Vous n'y aviez pas été suffisamment préparés mais vous en êtes désormais parfaitement conscients. Aucune de ces contraintes ne peut remettre en cause votre mission fondamentale et votre place dans notre société. J'ai la conviction qu'elles conduiront au contraire à les conforter.

Il faudra bien sûr accepter des changements, parfois difficiles, reconsidérer des habitudes, assumer de nouvelles disciplines. Il faudra trouver les formes d'un exercice professionnel qui va continuer à évoluer, faire progresser l'évaluation des pratiques, développer la formation médicale continue, utiliser davantage les ressources de l'informatique de santé. Il faudra mettre l'accent non seulement sur la qualité des soins mais aussi sur leur sécurité. La fonction que vous devez occuper dans l'organisation même du système de santé devra être plus clairement définie. De nombreuses questions devront être résolues. Elles le seront si tous les acteurs acceptent d'aller jusqu'au bout du dialogue pour poser les règles d'un nouveau contrat, avec un objectif clair : veiller à ce que chaque franc dépensé par l'assurance-maladie soit réellement un franc utile à la santé.

Est-ce toujours le cas aujourd'hui ? Nul ne se hasarderait à l'affirmer ! Chacun en porte une part de responsabilité. Il faut mobiliser toutes nos énergies dans cette direction. C'est votre intérêt. C'est celui des malades. C'est surtout l'intérêt de la société tout entière.

Le modèle français ne pourra être préservé sans faire appel à la responsabilité de tous.

Les professionnels de santé, dans leur pratique individuelle mais aussi dans leur engagement collectif : on ne rénovera pas en profondeur notre assurance-maladie sans leur implication personnelle, sans leur engagement personnel.

Les assurés sociaux. Ils doivent être incités à se sentir responsables de l'équilibre du système de santé, sans lequel les soins de qualité auxquels ils ont droit ne seraient plus correctement remboursés.

Les partenaires sociaux. Leur autonomie, désormais reconnue, doit être confortée par une pratique nouvelle des rapports entre Etat et gestionnaires, une pratique fondée sur la confiance et sur le contrat. Il faut consolider le paritarisme, lui fournir les moyens de réussir, lui donner des raisons de surmonter la tentation du découragement et du renoncement.

Le Parlement, enfin. Les objectifs de dépenses sur lesquels il se prononce doivent être aussi des objectifs de santé. La légitimité de la régulation des dépenses s'en trouvera mieux établie. Comme je m'y étais engagé devant vous en 1995, la Conférence nationale de la santé qu’évoquait tout à l’heure le Docteur Maffioli se réunit désormais chaque année. Je souhaite qu'elle avance sur la voie d'une évaluation de plus en plus objective des besoins de santé afin d'éclairer utilement les délibérations de la représentation nationale. Elle constitue le meilleur lieu pour permettre à vos professions d'élaborer des propositions et de porter les changements à venir plutôt que de les subir. Et pour veiller à ce que la politique de santé ne soit pas réduite à une politique des revenus des professionnels de santé et, à ce titre, je me réjouis d’apprendre que vous avez adopté un projet qui sera dans les prochains jours diffusé et apportera, je l’espère, une utile collaboration à la réflexion générale sur ces problèmes.

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Le renouveau de notre système de santé a été engagé. C'était indispensable. Les valeurs et les principes qui fondent votre exercice professionnel en sortiront renforcés. Mais il faut qu'une dynamique nouvelle s'enclenche, qu'un dialogue se noue, que les réformes nécessaires soient portées dans la durée par tous les acteurs de la santé et par les Français eux-mêmes.

C'est une responsabilité essentielle devant l'Histoire, l'histoire de notre société bien sûr, mais aussi l'histoire de l'homme lui-même, car au-delà des nouvelles conquêtes que nous espérons réaliser pour faire reculer la maladie et pour allonger notre existence, il s'agit aujourd'hui de nous mettre en capacité d'orienter plus nettement le progrès médical vers une meilleure qualité et une plus grande dignité de vie.

Derrière la maîtrise des évolutions de notre système de soins, ce qui est en jeu en réalité c'est notre capacité à ouvrir aux Français, à tous les Français, l'accès à un nouvel âge de la santé et de la médecine.

Dans ce combat, vous êtes, je le sais, en toute première toute ligne !

Je vous remercie.