DISCOURS

DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

À L'OCCASION DU CONGRÈS DE L'UNION NATIONALE DES PROFESSIONS LIBÉRALES

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CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL - PARIS

VENDREDI 2 FÉVRIER 2001

Monsieur le Président du Conseil économique et social, Monsieur le Délégué interministériel, Monsieur le Président de l'UNAPL, cher Édouard Salustro, Mesdames et Messieurs,

Pour la troisième fois, depuis sa création, je suis heureux de participer au congrès de l'Union nationale des professions libérales.

Depuis 1977, j'ai vu grandir votre mouvement. Un mouvement qui regroupe aujourd'hui 58 syndicats et groupements professionnels. Vous êtes, à bien des égards, la voix par laquelle s'expriment les 500 000 professionnels libéraux et leurs quelques 900 000 salariés. C'est pourquoi j'ai tenu, en 1997, à ce que vous fassiez votre entrée à la Commission nationale de la négociation collective. Vous y occupez depuis lors toute votre place. Vous êtes un interlocuteur crédible et respecté des pouvoirs publics et aussi de vos partenaires du dialogue social.

C'est également avec émotion que je revois dans cette salle des visages connus de partenaires souvent rencontrés. Je tiens tout particulièrement à saluer le président Alain Tinayre qui est à l'origine de la création de votre mouvement. Il a su donner corps à sa conviction de toujours que, par-delà la diversité de vos professions, vous étiez réunis par des valeurs et par des exigences communes qui méritaient d'être mieux reconnues et mieux défendues.

Vous jouez, en effet, un rôle irremplaçable aussi bien dans des moments très importants de la vie de nos concitoyens que par vos missions auprès des entreprises. Au coeur, cela a été dit tout à l'heure à juste titre, des métiers de services, vous conjuguez exigence professionnelle et esprit de créativité. Vous avez tous les atouts pour occuper une place essentielle dans l'économie de demain.

Mais aujourd'hui, ainsi qu'en témoigne le thème de votre congrès -les professions libérales en danger-, vous vous interrogez, avec un peu d'inquiétude sur votre avenir.

Eh bien, moi, je vous donne ma réponse à cette interrogation : ce que vous apportez à notre société doit être, c'est vrai, plus justement reconnu. Il faut aussi lever les obstacles de toutes sortes qui entravent vos incontestables efforts constants de modernisation. * * * L'exercice libéral concilie le respect d'une tradition professionnelle exigeante et un souci permanent d'adaptation au service de nos concitoyens. En cela, il est, par vocation et par définition, profondément moderne.

Le professionnel libéral se distingue par le respect de règles fondamentales parfois héritées d'un long passé. Elles sont ce qui vous réunit : une compétence garantie par une formation de haut niveau, le respect de règles déontologiques et notamment des principes fondamentaux du secret professionnel et de l'indépendance intellectuelle, et enfin une responsabilité professionnelle engagée pour chaque acte.

Cette éthique de la responsabilité vous confère une profonde et incontestable légitimité. Par-delà la grande diversité de vos spécialités, vous êtes reconnus et recherchés, que vos activités vous conduisent à participer au fonctionnement de services publics, comme ceux de la santé, ou à exercer vos activités de conseil, de contrôle ou de certification indispensables au bon fonctionnement d'une économie moderne.

Vous connaissez aussi un développement important dans le secteur du conseil non réglementé notamment dans le domaine des nouvelles technologies. Le développement de ces activités répond aux besoins des particuliers et des entreprises ainsi qu'aux évolutions du marché du travail. Le passage d'une activité salariée, notamment d'encadrement, à une activité libérale, et réciproquement, devrait devenir beaucoup plus fréquent. Il est dans la nature d'une société moderne. Je sais que vous veillez à ce que cette évolution se fasse dans le respect des règles déontologiques qui font la spécificité de l'exercice libéral.

Plus généralement le siècle qui s'ouvre ne sera pas celui d'un modèle unique fondé sur la primauté de la grande entreprise et du salariat. Cela va de soi. Face à l'accroissement des besoins de services, face à l'accélération de la diffusion du progrès technique, les activités indépendantes, et parmi elles l'activité libérale, devraient prendre une place grandissante dans l'économie de demain qui sera d'abord celle de la créativité et de la réactivité.

L'attachement et la confiance de nos concitoyens et de nos entreprises, vous le devez aussi à la capacité d'adaptation dont vous avez su faire la preuve, sans d'ailleurs jamais transiger avec vos valeurs.

En quelques années vous êtes passés d'un cadre professionnel, pour une part protégé, à des modes d'exercice où la concurrence est devenue la règle.

C'est le cas, par exemple, dans le domaine du droit. La compétition existe, bien sûr, entre les professionnels, mais elle existe aussi entre les systèmes juridiques de droit écrit et les systèmes de "Common Law". C'est pour notre pays un grand enjeu. Un enjeu essentiel à la fois politique, économique, culturel et linguistique. Les professions du droit et, au premier chef, les notaires et les avocats sont aujourd'hui au coeur de ce combat. Je tiens à encourager les efforts des avocats qui ont su engager, dans un contexte de très forte concurrence, un effort d'adaptation remarquable pour mieux répondre aux besoins de leurs clients nationaux et étrangers et promouvoir les spécificités et les atouts de notre droit. Cet engagement doit être relayé par les gouvernements, notamment au sein de l'Union européenne, pour que le droit européen et international prenne le meilleur de chaque système sans abandonner la primauté au droit anglo-saxon.

Avec le développement de la concurrence, vous avez su accéder à de nouveaux marchés. Les exemples de vos réussites ne manquent pas. Je pense aux architectes qui multiplient les succès dans le cadre des appels d'offre pour de grands projets internationaux, comme je le vois sans cesse dans mes déplacements à l'étranger, et j'en suis fier. Je pense également à des réussites individuelles, très significatives, telles que l'accession récente d'une Française à la tête du premier cabinet d'avocats mondial.

Vos métiers changent aussi dans leurs contenus. Que ce soit en matière juridique, médicale ou technique les connaissances évoluent, chacun le sait, de manière accélérée.

L'UNAPL a pris conscience très tôt de l'importance de ces changements en créant, dès 1987, un premier fonds de formation continue. Et de cela, je voudrais lui rendre hommage. C'est un signe de responsabilité et de vision de l'avenir.

Vous êtes également en train de tirer le meilleur parti du développement des nouvelles technologies de l'information. C'est le cas des professions de santé, dans les relations entre confrères comme avec l'assurance-maladie. C'est le cas des notaires qui ont constitué, au niveau national mais aussi européen, un réseau de communication professionnel à bien des égards exemplaire.

L'UNAPL lance aujourd'hui, sur internet son " portail " des professions libérales avec l'ambition d'en faire, comme vous l'avez rappelé, une véritable " université virtuelle " au service de vos professions. Le mouvement, une fois de plus, est, par vous, lancé le premier.

Enfin, dans le souci de mieux répondre aux besoins de vos clients et de vos patients, vous vous engagez dans la mise en place de collaborations interprofessionnelles ou d'activités en réseau.

Avec l'internationalisation des entreprises et l'élargissement de leur champ d'activité, les services pluridisciplinaires offerts par les grands cabinets internationaux d'expertise et de conseil répondent à des règles et à de réels besoins. Les professionnels libéraux, qui n'exercent pas leur activité dans ces structures doivent pouvoir faire de même.

Cela rend cependant nécessaire la mise en place d'instruments juridiques nouveaux pour servir de base au développement de formes structurées de coopération entre les professionnels libéraux. À ce titre, l'UNAPL a vocation à faire converger les différentes réflexions conduites en ce domaine afin de proposer aux pouvoirs publics la création du cadre juridique le plus adapté au développement de l'interprofessionnalité.

Cette logique de fonctionnement en réseau est également essentielle, je crois, dans le secteur de la santé où elle peut contribuer, de manière déterminante, à l'amélioration de la qualité des soins. Le développement de la prise en charge en réseaux, qui était au coeur de la réforme de 1996, doit être encouragé par les pouvoirs publics et par l'assurance-maladie.

Si vous êtes profondément engagés dans une démarche de modernisation, vous estimez qu'elle ne saurait être synonyme de perte d'identité. C'est pourquoi vous avez pris des initiatives visant à faire reconnaître et à défendre vos spécificités tant dans le cadre de l'OMC qu'au plan communautaire où vous demandez l'édiction d'une charte de l'exercice libéral. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, notamment lors de la dernière conférence de Nice, soyez assurés de mon entier soutien dans ces actions qui me semblent nécessaires pour la modernisation, non seulement de vos professions, mais aussi de l'ensemble de notre économie. * Malgré ces atouts, malgré ces succès incontestables, vous vous interrogez sur l'avenir de l'exercice libéral dans notre pays. Il me semblait que deux causes principales expliquent cette interrogation et qu'elles appellent des réponses qui soient à la fois adaptées et rapides.

En premier lieu, certaines professions sont aujourd'hui confrontées aux retards et difficultés de modernisation des services publics auxquels elles concourent.

Je pense d'abord, bien sûr, au secteur de la santé. Celui-ci est fondé sur une logique originale, à laquelle nos concitoyens sont profondément attachés. Elle concilie financement collectif et exercice libéral.

Durant les années 1990, notre système de santé a été confronté à des bouleversements importants liés à l'accélération du progrès médical, aux attentes grandissantes des malades et à une situation de déficit financier sans précédent de l'assurance-maladie. Grâce aux efforts de tous, et d'abord des professionnels de santé, un processus de modernisation a été engagé. En raison notamment du retour de la croissance, nous sommes sortis d'une situation de crise financière aiguë.

La poursuite d'une démarche de modernisation en profondeur de notre système de soins exige évidemment l'engagement de tous les acteurs. La mobilisation récente des professionnels de santé est un appel à un dialogue ambitieux et constructif, notamment avec les pouvoirs publics. Il témoigne de votre volonté de sortir de la situation actuelle qui est bloquée par une trop grande défiance entre acteurs de notre système de santé. Par-delà les questions techniques, inhérentes à tout processus de modernisation, ce que vous attendez, c'est un message de confiance dans votre esprit de responsabilité. Et c'est cela, qu'après bien des réflexions contradictoires parfois, qui s'impose et c'est cela que chacun doit comprendre.

Un dialogue en confiance est la condition et la garantie que les réformes nécessaires s'inscriront dans la durée et profiteront pleinement aux malades.

Cette démarche ne doit avoir qu'un seul objectif : la qualité des soins. Pour cela, elle doit être globale et ne laisser de côté aucun des problèmes auxquels est confronté notre système de santé : de l'évolution préoccupante de la démographie médicale, aux lourds retards en matière de prévention en passant par la difficulté à distinguer l'essentiel de l'accessoire dans les prises en charge.

Il faut aussi aborder de manière constructive la question de l'évolution des dépenses d'assurance-maladie. On ne peut se satisfaire d'une situation dans laquelle les objectifs votés par le Parlement perdent toute signification. Elle conduit à stigmatiser les uns ou les autres des acteurs de notre système de soins alors que c'est l'absence de perspective d'évolution qui conduit à cette situation. Cela, pour ma part, je l'ai bien compris. Ce qu'il faut, c'est mettre en place, sans délai, les instruments d'une responsabilité individuelle fondée sur l'évaluation et le respect des bonnes pratiques médicales. C'est ainsi que nous parviendrons à l'essentiel : s'assurer que chaque franc dépensé par l'assurance-maladie est réellement utile à la santé.

Dans le domaine de la justice, les professionnels libéraux doivent pouvoir exercer leurs missions dans le respect de leurs exigences éthiques. L'accès au droit est, en effet, un facteur d'apaisement des conflits, d'équilibre aussi entre les individus, de renforcement de notre cohésion sociale. Notre service public, notamment dans le domaine de l'aide juridictionnelle, doit ainsi se voir allouer les moyens qui vous permettent de garantir l'effectivité du principe de l'égalité devant la justice, sans lequel il n'y a pas de société démocratique. * Pour conforter les professions libérales dans les missions essentielles qui sont les leurs, il faut encore que les pouvoirs publics prennent pleinement conscience que l'activité libérale est aussi une activité entrepreneuriale et que l'entreprise libérale ne saurait durablement subir un statut plus défavorable que celui des autres entreprises.

En juillet 1996, une étape importante a été franchie avec l'adoption de plusieurs mesures qui étaient d'ailleurs attendues de longue date permettant d'améliorer vos conditions d'exercice et de lever les inégalités injustifiées que subissaient les entreprises libérales. Plus de quatre ans après, certaines décisions importantes telles que celles consistant à faire bénéficier les professions libérales d'un statut de baux professionnels ou à faire passer le taux de la pension de réversion de 50% à 54% ne sont pas encore effectives. Il est plus que temps d'avancer. C'est le cas également de la décision d'exonérer de cotisations sociales, durant le trimestre de l'accouchement, les femmes exerçant une profession libérale.

Dans bien d'autres domaines encore, vous attendez de nouvelles réponses. Je pense à la réforme de la taxe professionnelle qui ne doit pas laisser de côté les entreprises libérales de moins de cinq salariés. Je pense à la nécessité de mettre en place pour les entreprises libérales des procédures de prévention et de règlement des difficultés. Je pense à la nécessité de créer un statut du collaborateur libéral, statut adapté à la spécificité de vos modes d'exercice et favorable à l'emploi des jeunes diplômés. Je pense enfin à la réduction du temps de travail, qui doit être naturellement adaptée aux caractéristiques à l'exercice libéral.

Je souhaite qu'une nouvelle étape soit, dans cet esprit et notamment sous votre impulsion, rapidement franchie. * Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Parce que vous mettez votre compétence professionnelle et votre responsabilité personnelle au service de nos concitoyens et de nos entreprises, vous méritez, c'est évident, l'attention et la reconnaissance des pouvoirs publics.

Acteurs essentiels, le Président du Conseil économique et social l'a tout à l'heure rappelé très justement, du fonctionnement de grands services publics, vous êtes prêts à contribuer à leur réforme. Mais vous estimez, à juste raison, que cet engagement doit être partagé équitablement entre tous les acteurs et qu'il doit se fonder sur une logique de confiance dans votre sens des responsabilités et dans votre sens de l'intérêt général.

Par votre dynamisme, vous créez de la richesse et de l'emploi et vous contribuez au rayonnement international de notre pays, cela je peux en porter témoignage, et notamment de son humanisme, de son droit, de ses valeurs. Mais vous attendez que les pouvoirs publics engagent les réformes nécessaires pour lever les entraves qui pèsent encore trop lourdement sur les entreprises libérales.

Ce message, pour ma part, je l'ai entendu et je l'ai compris. Votre effort de modernisation doit être poursuivi et cela dans l'intérêt, bien sûr, de vos entreprises, mais aussi dans l'intérêt de la France. Eh bien, sachez que je serai toujours, de ce point de vue, à vos côtés. Je vous remercie.