28 août 1998

A la fin du siècle dernier, les immigrants venus d'Europe affluaient toujours plus nombreux sur la côte Est des Etats-Unis. Portés par l'espoir d'une vie nouvelle, riche de rêves et de promesses, c'est par la baie de New York qu'ils abordaient aux rivages du Nouveau Monde.

Porte de l'Amérique, symbole de tous les possibles, New York fête cette année le premier centenaire de son unification. La France est heureuse de s'associer à cet anniversaire car des liens privilégiés, les liens du coeur et de l'histoire, unissent cette grande ville à notre pays.

C'est en effet parce que le roi de France l'avait envoyé chercher un passage vers les Indes que Verrazane fut le premier Européen à découvrir la baie au XVIe siècle. Baptisé "Terre d'Angoulême" en l'honneur de François Ier le "paysage enchanteur couvert de collines boisées où débouche un très grand fleuve" eut ainsi pour premier nom un nom français.

Providentielle ou fortuite, cette première rencontre marqua le début d'une relation passionnée. Deux siècles plus tard, alors que la philosophie des Lumières se propageait et séduisait le monde, des Français s'engageaient avec enthousiasme aux côté des anciennes colonies dans leur combat pour l'indépendance sous la bannière de la liberté, la France devenait l'alliée la plus ancienne des Etats-Unis. C'est par les armes qu'elle scellait avec New York , première capitale fédérale et berceau de la démocratie américaine, une amitié qui ne se démentirait jamais.

Aussi est-ce tout naturellement dans le port de New York que fut placée l'oeuvre monumentale d'Eiffel et Bartholdi. Offerte par le peuple de France aux Etats-Unis, elle commémorait l'alliance historique. Plus qu'une étonnante oeuvre d'art, plus qu'une prouesse technique remarquable, la statue de cette femme brisant les chaînes de la tyrannie devint le symbole de la ville et la "Liberté éclairant le monde" s'imposa comme l'expression universelle de la dignité inaliénable de tout homme.

Au nom de ces hautes valeurs, New York a su être un phare pour les hommes libres, une terre d'accueil généreuse pour tous ceux que la dictature ou le désespoir contraignent à l'exil. C'est là qu'aux heure sombres de la guerre, des hommes de lettres français ont trouvé les moyens de poursuivre leurs travaux et organiser la résistance de la pensée et de l'esprit face à la barbarie.

Ce n'est pas, en effet, la seule fraternité de sang qui lie si intimement la France à New York. Ville d'art et de culture, elle abrite une part importante de notre mémoire collective et conserve dans ses musées quelques uns des chefs d'oeuvre de notre patrimoine artistique. André Maurois estimait que quiconque n'avait pas visité les collections new yorkaises connaissait mal nos impressionnistes. Cela est vrai, je crois, de toutes les écoles et de tous les arts; Cela est plus vrai encore des oeuvres que des New Yorkais philanthropes et amateurs d'art éclairés ont contribué à sauver de la ruine. S'ils n'avaient été transportés pierre par pierre sur les bords de l'Hudson pou y être reconstitués avec piété, certains de nos plus beaux monastères auraient sans doute définitivement disparu.

Cent ans après sa constitution, le "plus grand New York" reste la ville de tous les superlatifs. C'est là que bat avec force le pouls du monde moderne. C'est là que siège l'organisation mondiale des Nations Unies. C'est là également que se développe une communauté française particulièrement active. La cité géante compte aujourd'hui plus de Français que certaines villes de l'hexagone, des artistes français parmi les plus audacieux s'y sont installés, des écrivains francophones venus de toutes parts ont choisi de s'y fixer.

C'est dire qu'aujourd'hui comme hier l'amitié est vive entre les deux rives de l'Atlantique. La flamme de la liberté, brandie de part et d'autre de l'océan, nous unit à jamais. Elle nous rappelle notre histoire commune et nous exhorte à veiller ensemble au respect de ce que Montesquieu appelait "le bien suprême qui permet tout le reste".

Jacques CHIRAC