INTERVIEW ACCORDEE PAR

MONSIEUR JACQUES CHIRAC

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

AU JOURNAL NEERLANDAIS NRC HANDELSBLAD

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PALAIS DE L’ELYSEE

26 FEVRIER 2000

QUESTION – Quels sont les objectifs de votre visite d'Etat aux Pays-Bas ?

LE PRESIDENT – Ma visite d'Etat aux Pays-Bas n'est pas une visite diplomatique de routine. J'attache une grande importance à ce voyage. Les Pays-Bas, pour moi, sont une grande et forte nation. C'est une nation qui compte dans le monde, c'est une nation qui compte en Europe, c'est une nation qui a une forte identité. C'est une nation qui est très attachée à son indépendance. D'une certaine façon, la France a des caractéristiques un peu de la même nature. Par conséquent, le lien entre nos deux pays devrait être plus fort qu'il n'est aujourd'hui.

Alors, bien sûr, nous sommes deux peuples, si j'ose dire, qui ont du caractère. Et quand, dans une famille, il y a deux personnalités qui ont du caractère, il y a parfois des affrontements. Mais il peut aussi y avoir une forte solidarité fondée sur l'estime réciproque, sur la reconnaissance des qualités de l'autre, sur une vision commune dans bien des domaines. C'est un peu ces sentiments que je voudrais mettre en exergue à l'occasion de ce voyage.

J'ai toujours été frappé pas le fait que nos premières relations ont été marquées par l'amitié et l'estime réciproques que se portaient Guillaume d'Orange et Henri IV. Ce n'est pas un hasard, l'histoire n'est pas faite de hasards. C'est tout simplement parce que l'un et l'autre incarnaient, dans leur temps, ces qualités et peut-être ces défauts aussi, en tout cas cette forte personnalité qui caractérise nos deux peuples et nos deux nations. Si bien que, lorsque je vais aux Pays-Bas, j'ai le sentiment qu'au-delà des hommes, ce sont deux grandes nations qui vont se rencontrer et qui vont parler des problèmes de leur temps.

Je suis le premier chef d'Etat français à aller aux Pays-Bas depuis seize ans. Il y a eu souvent dans notre histoire commune, soit de l'indifférence, soit de l'irritation, soit de l'estime, et d'ailleurs il y a eu aussi des liens très forts qui se sont noués sur le plan aussi bien culturel et social qu'économique. Mais, depuis je dirai trois ans, depuis la période récente, je sens que ces liens se renforcent et, en quelque sorte, que nous nous reconnaissons. Entre 1992 et 1995, en trois ans, il y a eu trois visites ministérielles françaises aux Pays-Bas. Entre 1997 et 2000, il y a eu 24 visites de ministres français. C'est un signe. Il y a eu une volonté fortement exprimée, d'un côté par les autorités néerlandaises, et notamment par le Premier ministre Wim KOK, qui est quelqu'un pour qui j'ai beaucoup d'estime et d'amitié, et de l'autre côté aussi, naturellement, par les autorités françaises, et notamment par moi. Mais, là encore, ce n'est pas le hasard. Je dirai que ces sont les choses qui rentrent dans l'ordre.

Et tout naturellement, cette visite d'Etat, que j'ai souhaitée, à laquelle j'ai été invité, marque au fond à la fois ces sentiments d'estime et d'amitié, au-delà des sentiments moins forts qui ont pu prévaloir pendant un certain temps.

QUESTION – Est-ce que vous êtes préparé à être confronté à certaines déficiences d'image personnelle aux Pays-Bas ?

LE PRESIDENT – Je suis parfaitement conscient, et je disais tout à l'heure qu'il était naturel, entre peuples ayant des caractères affirmés, qu'il y ait, soit de l'incompréhension, soit des irritations. Alors, je ne m'offusque pas des difficultés d'image que je peux avoir aux Pays-Bas.

Ce que je voudrais essayer de faire comprendre aux Pays-Bas c'est que, sans rien renier de ma personnalité ou de mon ambition, sans rien renier des intérêts de la France, j'apporte tout simplement mon amitié. J'arrive en tendant la main au peuple néerlandais. Au-delà de cette considération que j'ai pour les Pays-Bas et que les Pays-Bas, au fond, ont pour la France, n'oublions pas, tout de même, que plus de 3 millions de vos compatriotes viennent passer leurs vacances en France et qu'énormément de Français vont chaque année admirer les trésors de la culture hollandaise. Cela, ce sont des réalités qui dépassent de beaucoup les petits froissements. C'est la réalité.

La réalité, c'est aussi que la France et les Pays-Bas ont des liens économiques qui sont extrêmement forts. Les Pays-Bas sont le septième exportateur mondial. Ils sont le premier investisseur étranger en France. La France représente plus de 10% des investissements étrangers en Hollande. Et puis, pour la France, qui a une certaine vision du monde, il est important de se concerter avec les Pays-Bas, de partager, si possible, avec les Pays-Bas cette vision du monde.

Les Pays-Bas sont une grande puissance, ils ont une envergure diplomatique importante, on le voit notamment par l'effort très important qu'ils font dans le domaine de l'aide publique au développement, on le voit aussi par la participation qu'ils prennent dans des opérations militaires de maintien de la paix. Ils sont actuellement membre du Conseil de sécurité des Nations Unies. C'est une nation avec laquelle l'Europe doit compter sur le plan de sa vision internationale et de sa politique étrangère.

Vous voyez, il y a, qu'il s'agisse du tourisme ou des investissements, qu'il s'agisse de la culture ou de l'économie, il y a en réalité des liens forts, un intérêt réciproque et donc une amitié, une estime réciproques qui existent entre nos deux nations.

QUESTION – Aux Pays-Bas, on vous connaît surtout pour avoir repris les essais nucléaires français immédiatement après votre arrivée au pouvoir en 1995 et pour avoir critiqué à plusieurs reprises la politique néerlandaise de la drogue.

LE PRESIDENT – Je sais que la critique aux Pays-Bas a été vive quand j'ai repris, pour les terminer, les derniers essais nucléaires, que nous avions interrompus. Je l'ai fait parce qu'ils étaient nécessaires pour assurer la sécurité de notre force nucléaire de dissuasion et aussi, je dirai, sa pérennité. L'intérêt national français l'exigeait. Et je suis tout à fait persuadé que c'est un argument que peuvent parfaitement comprendre les Pays-Bas.

Mais j'ajoute que, ces essais terminés, notre objectif atteint, nous avons immédiatement tenu les engagements que j'avais pris. Nous avons définitivement arrêté nos essais nucléaires. Pour cela, nous avons fermé notre site d'essais nucléaires dans le Pacifique sud., Nous avons signé le Traité portant interdiction des essais nucléaires, et donc nous nous sommes mis en position irréprochable au regard du souhait de nos amis hollandais. Donc, j'imagine que ce contentieux est définitivement terminé.

La drogue, c'est un tout autre problème. Nous avons une approche différente. Je sais, et je respecte, le sentiment des Pays-Bas, si fortement attachés à leur identité et à leur indépendance. Cela les conduit à avoir des politiques qui sont les leurs dans le cadre de leur système social. Le modèle social hollandais est un modèle pour lequel j'ai beaucoup d'admiration, notamment depuis le pacte de Wassenaar. Mais il y a d'autres politiques qui, à mes yeux, comportent des inconvénients. Alors je ne porte pas de jugement sur les inconvénients que cela peut comporter pour les Hollandais, mais cela comporte des inconvénients pour les autres, et notamment pour les Français.

Alors, nous nous sommes expliqué très sérieusement, M. Wim KOK et moi, sur ce sujet. Nous l'avons fait comme des amis ou comme des membres d'une même famille qui ont un différend. Naturellement, cela ne va changer ni la position sur le fond de la Hollande, ni la position de la France, mais cela a eu un résultat extrêmement positif qui a été de mettre en oeuvre une coopération douanière, policière et judiciaire qui, aujourd'hui, peut être qualifiée d'exemplaire. Donc, sur le fond, nous gardons chacun nos convictions. Mais, dans la pratique, nous avons beaucoup progressé. Je crois que c'est la bonne approche.

QUESTION – Le moment est-il venu d'appliquer intégralement le traité de Schengen à la frontière nord de la France ?

LE PRESIDENT – Le moment n'est pas venu de lever la clause de sauvegarde prévue par les accords de Schengen. Pour dire la vérité, pour moi, c'est un peu une question de principe. Je pense qu'il devrait y avoir au sein de l'Europe des Quinze, sur la plupart des grands problèmes, une harmonisation progressive des politiques. Sur le point particulier de la drogue, ce n'est pas encore le cas. J'espère que, petit à petit, nous arriverons à un résultat positif. Je ne pense pas qu'il serait bon, pour la France, et dans le cas de notre propre politique dans ce domaine, de donner un signal qui pourrait être mal interprété.

Tout le monde connaît quelque part, dans une famille amie ou dans sa famille, des jeunes totalement réduits à l'esclavage et qui sont conduits parfois à la mort ou à des maladies graves, comme le sida ou d'autres maladies infectieuses, à cause de la drogue. Et nous, nous ne pouvons pas accepter cela. Et c'est vrai que nous avons du mal à comprendre la philosophie des Pays-Bas. Mais vous remarquerez que sur tous les sujets qui nous occupent, bilatéraux, européens, économiques, sociaux, culturels, militaires, internationaux, nous n'avons pratiquement que très peu de divergences entre nous.

Ceci étant, je ne crois pas que l'on puisse dire que la situation actuelle présente de gros inconvénients sur le plan de la circulation.

QUESTION – Est-ce qu'on peut parler de la politique étrangère européenne, et notamment de l'Autriche.

LE PRESIDENT – Vous savez, nous pensons que l'Europe, à l'origine, a été construite pour assurer la paix, en créant des liens forts entre les nations qui la composent. Pour faire en sorte qu'on ne revienne jamais aux horreurs du passé. Et puis, petit à petit, on en est venu au développement économique, au progrès social et à l'existence internationale.

Je pense que l'appartenance à cette Europe suppose l'adhésion à un certain nombre de valeurs qui sont, en réalité, je dirai, des valeurs de l'humanisme, notamment la tolérance, le respect des droits de chaque homme. Si bien que, sans vouloir faire la moindre ingérence dans les affaires intérieures de l'Autriche, sans porter un jugement sur le peuple autrichien qui, dans sa très grande majorité, n'a pas voté en faveur du parti en question, je crois qu'il n'est pas dans la nature de la cohésion européenne d'accepter qu'il y ait, dans un gouvernement de l'Europe des Quinze, un parti qui est ouvertement extrémiste et xénophobe.

Vous savez, l'extrémisme et la xénophobie c'est, d'une façon ou d'une autre, une réaction latente dans tous les pays. Nous avons eu en France une extrême droite pendant très longtemps forte et que nous avons réussi à réduire. Tout récemment, José Maria AZNAR me disait son inquiétude à l'égard des manifestations de type raciste qui ont eu lieu dans une petite ville du sud de l'Espagne. C'est un phénomène latent, il faut y être très attentif. Il ne faut pas se mettre en situation de ne pas être très attentif à cela.

QUESTION – Est-ce que vous pouvez m'expliquer pourquoi il semble que la France et aussi la Belgique ont joué le rôle le plus fort dans ce combat ?

LE PRESIDENT – C'est peut-être ce que je vous disais tout à l'heure, cela tient au caractère des Français. Peut-être aussi est-ce parce que, pendant la guerre, un peu plus que d'autres, nous avons souffert des conséquences du développement des extrémismes.

QUESTION – En supposant que le FPÖ de HAIDER ait obtenu davantage de voix que ce qu'il pourrait normalement revendiquer, parce que beaucoup d'Autrichiens en avaient assez des grandes coalitions gauche-droite d'après la guerre, le danger n'existe-t-il pas que les différents pays de l'Europe se mettent à juger leurs coalitions mutuelles ?

LE PRESIDENT – Je ne juge pas les Autrichiens. Je ne critique pas les Autrichiens. Je ne fais pas d'ingérence dans les affaires autrichiennes. Je dis simplement que des pays qui appartiennent à l'Union européenne doivent être extrêmement attentifs à ce que les valeurs sur lesquelles est fondée l'Union européenne ne soient pas mises en cause.

QUESTION – Iriez-vous en vacances en Autriche cette année ?

LE PRESIDENT – Je n'ai pas de projet dans ce sens.

QUESTION – Au mois de décembre, à Helsinki, il a été décidé de travailler sérieusement à l'élargissement de l'Union européenne vers l'est et le sud, y compris la Turquie. La Turquie est-elle une démocratie ?

LE PRESIDENT – Mais, M. Chavannes, ce n'est pas un membre de l'Union européenne ! A Helsinki, nous avons accepté le principe de la candidature de la Turquie, mais naturellement lorsqu'elle remplira toutes les conditions, économiques cela va de soi, mais aussi politiques, ce que l'on appelle les critères de Copenhague.

QUESTION – Si l'Etat-membre qu'est l'Autriche se retrouve maintenant au banc des accusés, quelles sont les chances pour les pays candidats de franchir l'examen de passage ?

LE PRESIDENT – Pour entrer dans l'Union, il y a des conditions, il y a des règles du jeu. Alors il y a ceux qui les respectent, qui peuvent entrer, il y a ceux qui ne les respectent pas, ils ne peuvent pas entrer. Ces critères politiques, je le répète, ce sont les critères de Copenhague, qui excluent l'extrémisme et l'intolérance. Je recevais cette semaine le Premier ministre de la République tchèque qui m'a dit : "moi, j'ai immédiatement soutenu la déclaration des Quatorze concernant l'Autriche". Hélas pour son peuple, le Premier ministre tchèque sait de quoi il parle.

Nous avons des institutions, la Commission, le Conseil qui sont là pour juger si les règles sont respectées ou non. Je suis favorable à l'élargissement.

QUESTION – La France a toujours dit : l'élargissement d'accord, à condition de réformer d'abord les institutions européennes. Jusqu'à présent, peu de choses ont été faites dans ce domaine. Est-ce qu'en réalité cela veut dire que vous n'êtes pas très pressé d'élargir ?

LE PRESIDENT – Non, je dirai que c'est presque le contraire. La France et moi en particulier, et depuis très longtemps, a toujours été favorable à l'élargissement, c'est-à-dire à la reconstitution d'une famille européenne de plus en plus large à la fois démocratique et pacifique et prospère. La France a considéré, comme d'ailleurs tous ses partenaires, que nous étions arrivés avec quinze pays à la limite des possibilités de gestion et qu'au-delà on arriverait à des blocages, et qu'il était donc essentiel de réformer les institutions. C'était une ambition que nous avions tous depuis longtemps et qui aurait pu se faire au Sommet d'Amsterdam. Ce sommet d'Amsterdam a été un grand succès grâce à la présidence hollandaise.

QUESTION – Vous êtes trop aimable...

LE PRESIDENT – C'est vrai, c'est ainsi que nous le voyons. Mais en dépit de ce succès, un certain nombre de réformes importantes n'ont pas été faites, concernant la Commission, la pondération des voix, concernant la décision à l'unanimité ou à la majorité. Et l'on a dit, cela nous le ferons après. La mission qui a été, je dirai, presque officiellement, pas officieusement, donnée à la France, c'est d'assurer cette réforme pendant sa présidence, c'est-à-dire avant la fin de cette année.

Cela ne retarde naturellement en rien l'entrée des candidats. De ce point de vue, les positions des Pays-Bas et de la France sont très proches.

QUESTION – La politique de défense européenne est entrée dans une phase d'accélération depuis le sommet franco-britannique de Saint-Malo. La nouvelle attitude britannique a-t-elle permis de réaliser un vieux rêve français ?

LE PRESIDENT – La France a toujours été favorable à ce que l'Europe ait une capacité de défense. Je tiens à dire tout de suite, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, que ceci n'est en rien une mise en cause de l'OTAN. Cela ne touche en rien aux liens entre l'Europe et les Etats-Unis. Simplement, l'Europe, qui est maintenant la première puissance économique du monde, doit avoir les moyens, si elle le juge nécessaire, parce que ses intérêts sont en cause, d'intervenir militairement, même s'il s'agit d'un problème qui n'intéresse pas les Etats-Unis. Et d'ailleurs, je pense qu'une défense européenne est un élément qui renforce la défense atlantique, et pas un élément qui l'affaiblit.

Alors, à partir de là, nous avons pris une initiative franco-britannique à laquelle, petit à petit, les autres pays européens se sont ralliés. Et, s'agissant des Pays-Bas, qui ont une puissance militaire, je souhaite beaucoup que nous puissions renforcer nos liens et nos approches dans le domaine militaire. Mes entretiens avec le Premier ministre Wim Kok ont fait apparaître un rapprochement constant de nos points de vue.

QUESTION – La France a-t-elle trouvé un nouvel équilibre entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne, permettant de faire avancer cette défense européenne ?

LE PRESIDENT – Peut-être, oui, je crois qu'on peut dire cela.

QUESTION – Cela a-t-il changé l'équilibre politique entre la France et l'Allemagne ?

LE PRESIDENT – Non, notre relation avec la Grande-Bretagne est toujours aussi bonne. Mais l'amitié franco-allemande est un élément essentiel de la cohésion européenne. Je souhaite que notre relation avec tous les pays de l'Union, mais en particulier avec les principaux pays, les Pays-Bas, l'Espagne, l'Italie, et d'autres naturellement, se renforce petit à petit. Cela aussi, c'est un des objectifs de ma visite.

QUESTION – En 1996/97, vous avez voulu que la France réintègre la structure militaire de l'OTAN, dont le général de Gaulle était sorti. Cela a été rejeté. Qu'est-ce qui n'a pas marché ?

LE PRESIDENT – Nous l'avons envisagé, mais à certaines conditions. Et ces conditions n'ont pas été acceptée par nos partenaires. Et nous avons décidé de maintenir le statu quo. Cela marche très bien comme cela. La France conserve très largement son autonomie de décision et elle a ses propres moyens qui lui permettent d'intervenir quand et comme elle le souhaite. Nous ne sommes pas demandeurs de changement dans ce domaine. Du moment que la situation est bonne, que la coopération entre nous et l'OTAN est très bonne et qu'il n'y a pas de problème.

QUESTION – Quand la défense européenne pourra-t-elle affronter par ses propres moyens un nouveau Kosovo ?

LE PRESIDENT – Tout dépend de la nature, de l'ampleur, de la crise et, bien sûr, de l'intérêt que les Américains peuvent y porter. Je pense que l'Europe sera prête dans cinq ans à mettre en oeuvre et à projeter des moyens militaires suffisants pour pouvoir assurer la gestion d'une crise par elle-même, si ses intérêts le commandent.

QUESTION – Cela est-il compatible avec les budgets de défense actuels ?

LE PRESIDENT – Je suis, je ne vous le cache pas, un peu inquiet de voir le niveau, au total très faible, de l'effort de défense de l'ensemble de l'Union européenne, si on le compare naturellement avec l'effort de défense américain. Pourrait-on prendre au sérieux une politique de défense qui attendrait que l'essentiel lui vienne de l'extérieur ? Je pense que dans ce domaine les Européens seraient bien inspirés de faire un effort. Mais pour le moment on assiste plutôt à une baisse de cet effort qu'à la croissance. Je crois que c'est une erreur.

QUESTION – La France et la Grande-Bretagne se situent toujours à un niveau relativement élevé. Suffisant ?

LE PRESIDENT – Je ne crois pas que l'on puisse dire que le niveau est relativement élevé. Je crois que nous sommes vraiment au niveau minimum. Les Britanniques sont un peu au-dessus. Je crois que, globalement, il est de l'intérêt de l'Europe, pour l'avenir, d'avoir des moyens de défense suffisants. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas aujourd'hui.

QUESTION – Vous avez reproché au Congrès américain son isolationnisme lorsqu'il a refusé de ratifier en novembre le CTBT. L'Europe est-elle obligée de mieux se protéger ?

LE PRESIDENT – Je ne sais pas ce que réserve l'histoire. Il vaut mieux toujours compter sur soi-même que sur les autres lorsqu'il s'agit de ses intérêts. La prochaine présidence française de l'Union européenne aura ainsi pour objectif l'élaboration de l'Europe de la défense.

De même, nous espérons mener à bien la réforme des institutions, préalable à l'élargissement. A côté de cela, nous souhaitons répondre à un certain nombre d'attentes des citoyens européens. Parmi ces attentes, naturellement, tout ce qui touche à la croissance, à l'emploi et donc à l'innovation, tout ce qui concerne les jeunes, les universités, la recherche. Et enfin, ce sont deux domaines qui nous préoccupent de plus en plus, nous, les Européens, la sécurité alimentaire et l'environnement.

QUESTION – Etes-vous satisfait de l'économie européenne ? Le cours de l'euro est-il une cause d'inquiétude pour vous ?

LE PRESIDENT – La croissance est bien partie maintenant. Sur le cours de l'euro, je ne me fais pas beaucoup de soucis. Il a des marges d'appréciation très importantes. L'euro est un élément essentiel de la cohésion et de la puissance économique de l'Europe.

QUESTION – Etes-vous satisfait du rôle de la BCE jusqu'à présent ?

LE PRESIDENT – La BCE fait de l'excellent travail.

QUESTION – Prévoyez-vous toujours que le Président DUISENBERG abandonnera son mandat à mi-course pour céder la place à son collègue français TRICHET ?

LE PRESIDENT – Pas de commentaires...

QUESTION – Vous êtes la meilleure source pour répondre à cette question : quelle est l'actualité du gaullisme ?

LE PRESIDENT – Vous pourriez le demander à n'importe qui. Vous savez, ma famille politique est composée de gens qui ne sont en aucun cas les descendants du général de Gaulle.

Le général de Gaulle appartient à tous les Français et personne ne peut le revendiquer à lui tout seul. Il a marqué un moment de l'histoire de notre pays, il a incarné de manière exemplaire toutes les valeurs de la France. Et ceux qui se disent aujourd'hui gaullistes sont les disciples du général de Gaulle. Des disciples, avec tout ce que cela suppose d'indépendance du maître par rapport aux disciples.

Mais je crois que les idées qu'il a incarnées s'inscrivaient dans un moment de l'histoire. Les idées qu'il a incarnées restent pour beaucoup de Français des idées essentielles, qu'il s'agisse de l'indépendance et de la grandeur de la France, qu'il s'agisse des Droits de l'homme et du respect que l'on doit à l'homme.

Vous observerez d'ailleurs que c'est là une caractéristique qui est au moins autant néerlandaise que française. Nos deux pays, la Hollande et la France, sont deux pays du groupe de tête de l'Europe, deux des premiers fondateurs de la construction européenne. Ils appartiennent tout de même, d'une certaine façon, à une même pensée fondamentale. Ce qui fait que nous sommes les uns et les autres parfois un peu susceptibles, mais cela ne nous empêche pas d'être en réalité des amis. Parce que nous sommes des amis, des amis sûrs.