INTERVENTION TELEVISEE


DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC


PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE


A L'OCCASION DE LA FETE NATIONALE


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PALAIS DE L'ELYSEE - MARDI 14 JUILLET 1998


P.POIVRE D'ARVOR -


- Monsieur le Président, bonjour.


LE PRESIDENT: -


- Bonjour.


P.POIVRE D'ARVOR -


- Interview au cours de laquelle, avec Arlette CHABOT, nous allons essayer de répondre au maximum de questions que se posent les Français, des questions concrètes qui sont le chômage, la semaine des 35 heures, la sécurité sociale, la croissance -qui semble repartir-, la fiscalité, la famille, la violence, la sécurité, l'immigration et puis aussi bien sûr les sujets comme la cohabitation et le jugement que vous portez sur votre Gouvernement et sur l'opposition.


Cela fait beaucoup de questions, bien sûr, et on va essayer d'y répondre un peu plus rapidement qu'à l'habitude, en trois quarts d'heure, si cela est possible, disons au fond en une mi-temps, avec des passes assez courtes.


Parce qu'il est assez clair que vous êtes un petit peu, comme tous les Français, sur un petit nuage, 36 heures après la victoire de l'équipe de France de Football. A votre avis, comment Aimé JACQUET est-il arrivé à ce après quoi les politiques courent assez souvent désespérément, c'est-à-dire à la confiance ?


LE PRESIDENT: -


- Il a une grande compétence, naturellement, ce qui lui a permis d'arriver à ce résultat. Mais je crois aussi parce qu'il incarne un peu le Français dans ce qu'il a de meilleur, sérieux, déterminé, humain, proche des gens, comprenant les autres, tolérant mais ferme. Enfin, je trouve qu'il a de grandes qualités.


QUESTION: -


- Est-ce qu'à votre sens, c'est un facteur, cette victoire, tout ce qui s'est passé autour de la Coupe du monde, c'est un facteur de cohésion sociale, d'intégration ou bien est-ce que, comme certains le disent, c'est une façon, disons, de ne pas penser aux grands problèmes du monde ?


LE PRESIDENT: -


- Je crois qu'un peuple a besoin, à un certain moment, de se retrouver, de se retrouver ensemble, autour d'une idée qui le rend fier de lui-même. Et au fond, cette victoire a montré la solidarité, la cohésion. Elle a montré que la France avait une âme, ou plus exactement, peut-être, qu'elle recherchait une âme et je souhaite qu'au lendemain de ces fêtes et de ce jour de fête on conserve quelque chose de fort de ce sentiment national.


A. CHABOT: -


- Monsieur le Président, vous prolongez ZIDANE, DJORKAEFF, qui sont les nouvelles idoles et puis incarnent cette France un peu plurielle. Est-ce que c'est un coup de pouce à l'intégration, un coup de frein au racisme, à votre avis ?


LE PRESIDENT: -


- Vous savez, la France -historiquement- a une origine plurielle. Nous revendiquons en permanence nos origines judéo-chrétiennes, latines, le fait que nous descendons des Gaulois, ce qui n'a rien à voir, nous avons un pays, dont le nom -la France- est emprunté à d'autres tribus, les Francs, qui étaient très différents. Il y a donc un ensemble partagé qui fait peut-être que la France a été le pays qui a le mieux ressenti, compris, la nécessité de l'intégration. Et aujourd'hui, c'est vrai, cette équipe à la fois tricolore et multicolore donne une belle image de la France dans ce qu'elle a d'humaniste, de fort, de rassembleur. Ce matin, je regardais, naturellement le défilé -j'y étais- je voyais aussi, ce qu'on ne souligne pas assez, que l'armée française qui a été ovationnée sur les Champs Elysées ; elle est également à la fois multicolore et tricolore et tout cela donne une belle image de la France.


QUESTION: -


- Alors, on disait justement que les Français sont heureux, on les a vus prendre le drapeau, s'embrasser. On dit même que c'est assez semblable à la Libération, c'est donc un moment fort. Est-ce qu'à votre avis donc, c'est l'effet Coupe du monde ? Ou bien est-ce que les Français, franchement, ne sont plus déprimés du tout ?


LE PRESIDENT: -


- D'abord, nous avons donné l'image d'une France qui gagne et d'une France qui gagne ensemble, et cela c'est extraordinairement porteur. Une France qui, pour une fois, s'éloigne des mesquineries, des querelles subalternes dont nous avons un certain secret, il faut bien le dire. Et cela, c'était quelque chose qui a été certainement ressenti très fortement.


QUESTION: -


- Vous avez souvent dit que votre rêve, au fond, si vous aviez été joueur en tout cas, aurait été d'être goal : c'est-à-dire l'ultime rempart. Aujourd'hui, on a envie de vous demander : à quoi sert exactement le Président de la République ? On le voit comme supporter numéro un, on le voit comme VRP en chef de la maison France ? Est-ce que vous avez bien trouvé vos marques dans cette nouvelle cohabitation ?


LE PRESIDENT: -


- Vous savez il faut d'abord se référer à nos institutions, à notre culture, à notre tradition démocratique et républicaine. Le rôle du Président de la République, c'est d'abord d'incarner les institutions et de les garantir, de garantir leur bon fonctionnement, parce que cela c'est la base même de la démocratie et de la cohésion sociale.


QUESTION: -


- En fait c'est l'ultime rempart ?


LE PRESIDENT: -


- Oui. Le rôle du Président, c'est aussi de défendre les intérêts de la France. Ses intérêts à moyen et long terme, lorsqu'il s'agit de son évolution, de son adaptation intérieure aux problèmes de demain et puis aussi ses intérêts à l'extérieur, sa défense bien entendu mais aussi ses intérêts commerciaux, ses intérêts politiques ou culturels, sa langue en particulier. De ce point de vue, mon rôle est à la fois de prendre des initiatives pour encourager, voire décider, les réformes importantes. Nous parlions du 14 juillet, je l'ai fait pour les armées, la grande réforme des armées ou la Justice. C'est aussi de donner l'impulsion en ce qui concerne la place de la France dans le monde et en Europe. Sur ce sujet il n'y a pas de coupures entre le Gouvernement et le Président de la République. Un monde qui devient de plus en plus multipolaire et où la France doit avoir un rôle important.


QUESTION: -


- Vous nous disiez, il y a un an, je souhaite que la cohabitation -qui démarrait alors- soit constructive. Alors, Monsieur le Président, est-ce qu'elle est constructive, et comment ?


LE PRESIDENT: -


- C'est ainsi que je la veux et c'est ainsi que je la vis. Il ne peut pas y avoir, à mon avis, sauf une crise politique majeure due à des événements imprévisibles ou exceptionnels, il ne peut pas, il ne doit pas y avoir de tiraillements. La France doit parler d'une même voix à l'extérieur, c'est ce qu'elle fait. Pour ce qui concerne l'intérieur, la France dans un dialogue démocratique doit trouver les bonnes voies à son évolution à l'intérieur.


QUESTION: -


- Et vous ne vous marchez jamais sur les pieds, il n'y a pas d'obstacles ?


LE PRESIDENT: -


- Il peut y avoir tel ou tel incident, d'ailleurs volontaire ou non, mais globalement, je n'ai pas le sentiment que l'image que donne la France à l'extérieur, c'est ce qui est important de voir, soit une image mauvaise. Je ne le ressens pas non plus, pour ce qui concerne les Français, qui n'ont pas, semble-t-il, de critique à exprimer en ce qui concerne le fonctionnement de la cohabitation. J'y suis très sensible.


QUESTION: -


- Il n'y a pas de raison qu'elle n'aille pas jusqu'à son terme ?


LE PRESIDENT: -


- Cela, c'est l'Histoire qui le dira.


QUESTION: -


- Le Gouvernement est apprécié par les Français, en tout cas c'est ce que disent les sondages, davantage que le précédent que vous aviez nommé. La croissance retrouvée y est certainement pour quelque chose, mais est-ce que ce Gouvernement y est pour quelque chose ? Dans la croissance d'une part et d'autre part que faire des fruits de cette croissance retrouvée ?


LE PRESIDENT: -


- D'abord la croissance, cela ne fait aucun doute. C'est un phénomène européen. Je dis européen parce que ce n'est pas vrai dans l'ensemble du monde. Nous avons une crise préoccupante en Asie, qui peut avoir le cas échéant des répercussions chez nous, même si elle n'en a pas eu jusqu'ici, notamment grâce à la perspective de l'euro, qui a donné confiance au marché en ce qui concerne l'Europe. Cette croissance, elle va nous donner des moyens supplémentaires, elle va permettre de réduire le chômage, notamment en ce qui concerne le chômage des jeunes. Nous devons être attentifs au fait que la croissance n'est pas suffisante pour réduire le chômage de longue durée qui, lui, a tendance à augmenter. Cela, c'est un grand problème. Parce que c'est par le chômage de longue durée que passe l'exclusion et donc il y a là quelque chose de très important à maîtriser.


QUESTION: -


- Le chômage baisse quand même depuis plusieurs mois maintenant...


LE PRESIDENT: -


- Le chômage des jeunes et le chômage global.


QUESTION: -


- Mais globalement, quand même ?


LE PRESIDENT: -


- Mais le chômage de longue durée a tendance à augmenter, et c'est ce qui est plus inquiétant, et donc je pense que nous devrions faire un effort particulier pour réduire le chômage de longue durée. Car, je le répète, au-delà de ce chômage, c'est l'exclusion.


QUESTION: -


- Et vous pensez que c'est ce Gouvernement qui a trouvé enfin la bonne clé pour faire baisser le chômage ?


LE PRESIDENT: -


- Le Gouvernement a sa responsabilité mais il faut savoir que, dans le domaine économique et notamment international, c'est comme un grand paquebot, ça ne vire pas comme une barque, et par conséquent la situation que nous connaissons actuellement est due pour une bonne part à l'assainissement des finances publiques qui a été, lui, le fruit des efforts des gouvernements précédents. Il ne faut tout de même pas l'oublier. Si nous avons un terrain propice à la croissance aujourd'hui, c'est pour une large part, grâce aux efforts qui ont été ceux des deux Gouvernements précédents et qui ont été, d'ailleurs, je dois le dire, poursuivis par ce Gouvernement. Enfin, il ne faut pas ignorer les responsabilités des uns par rapport aux autres.


QUESTION: -


- On parle de la répartition des fruits de la croissance ; vous parlez de réduction du déficit : est-ce qu'il faut aller encore plus loin que ne le fait aujourd'hui le Gouvernement, qui fixe un objectif de 2,3 % l'année prochaine ? Et pour baisser les impôts, comment fait-on ?


LE PRESIDENT: -


- Je crois que la France a de grands atouts, qu'elle a des handicaps, et parmi ces handicaps il y a une certaine facilité à dépenser de l'argent, sans d'ailleurs toujours contrôler l'efficacité de la dépense.


Je crois effectivement que nous devons lutter contre cette tendance, sans aucun doute réduire les déficits plus encore car avec 2,3 % nous serons encore parmi les moins bons de l'Union européenne. Je le crois. Et deuxièmement il faut diminuer -c'est tout à fait impératif- la pression fiscale qui est tout à fait excessive, qui est la plus élevée de l'Union européenne et qui est tout à fait excessive. Ce qui suppose, naturellement, une maîtrise des dépenses.


QUESTION: -


- Alors, justement, Lionel JOSPIN avait promis pendant sa campagne qu'il baisserait la TVA. Est-ce que cela vous paraît être la bonne piste, la priorité en ce qui concerne la réduction justement des pressions fiscales ?


LE PRESIDENT: -


- Cela, c'est un problème qui concerne le Gouvernement. Ce qui est sûr - on ne peut pas entrer aujourd'hui dans le détail - c'est que la pression fiscale dans notre pays doit être diminuée, sinon c'est un handicap sérieux pour notre compétitivité dans un monde où la compétitivité est de plus en plus importante.


QUESTION: -


- On parlait du chômage et de la baisse du chômage. Hier les 35 heures... Alors on connaît les réserves que vous avez formulées à plusieurs reprises à l'égard de la loi....


LE PRESIDENT: -


- ... C'est cela, sur les modalités...


QUESTION: -


- Est-ce qu'au fond il n'y a pas un côté positif ? Les négociations vont s'engager un peu partout dans les branches professionnelles, dans les entreprises, elles permettront peut-être d'introduire souplesse ou flexibilité ?


LE PRESIDENT: -


- Je souhaite effectivement que les négociations se développent, car j'ai une conception de la vie sociale dans notre pays qui passe par le développement de la concertation et la diminution des affrontements, souvent stériles, et ces négociations commencent. Je persiste à penser qu'il est très difficile d'appliquer ce genre de règle de façon uniforme et totale, sous forme de couperet et que si l'ambition des 35 heures est une ambition légitime, elle devrait être laissée, pour ce qui concerne sa mise en oeuvre, à l'appréciation des négociations locales, je dirais entreprise par entreprise.


QUESTION: -


- Le Gouvernement est revenu sur un certain nombre de dispositions notamment sur les allocations familiales. Est-ce que, à votre avis, cela va dans le bon sens ? Et par ailleurs, est-ce que vous trouvez que l'on honore suffisamment la famille traditionnelle, ou est-ce que vous avez des inquiétudes sur la manière dont pourraient se dérouler désormais les unions, les mariages ?


LE PRESIDENT: -


- Je ne sais pas ce que vous appelez la famille traditionnelle. Ce que je sais, c'est que la famille est et reste la cellule de base de la société, celle où l'on acquiert les qualités nécessaires pour assumer son épanouis-sement et son existence, et que la famille, en période de crise, comme celle que nous connaissons est de surcroît l'ultime et le meilleur rempart aux détresses, à l'exclusion. Donc il faut renforcer la famille, il faut la renforcer pour trois raisons : nous devons donner davantage de facilités aux femmes qui travaillent ; nous devons renforcer les moyens d'éducation des enfants au sein de la famille : c'est là que l'on peut leur donner les principes qui leur sont nécessaires ; et il faut renforcer la famille pour des raisons démographiques. L'avenir de notre pays dépend de la démographie, qui dépend de la famille. La caractéristique d'une politique familiale, c'est que le niveau de vie moyen des familles s'accroît plus vite que le niveau de vie moyen de la Nation. Ce n'est pas le cas actuellement ; j'ai eu l'occasion de dire récemment que je le regrettais.


QUESTION: -


Sur l'AGED..., sur les femmes qui travaillent, le retour dont on parle : tout cela vous parait intéressant ?


LE PRESIDENT: -


N'entrons pas dans le détail. Il faut aller plus fort, plus loin, plus vite dans le renforcement des moyens permettant à la famille de se développer et de jouer tout son rôle dans la société, qui est essentiel.


QUESTION: -


Alors, Monsieur le Président, le Gouvernement se trouve face au dérapage des dépenses de santé. Il n'est pas le premier. Aujourd'hui vous dites : "le plan JUPPE était insuffisant, il fallait aller plus loin si c'était possible", ou bien vous dites : "le Gouvernement ne s'est pas saisi assez tôt du problème" ?


LE PRESIDENT: -


Vous savez, la Sécurité sociale c'est le bien de tous, et tous les Français y sont attachés, naturellement. J'ai toujours dit, dès mon élection, que j'étais le garant de la Sécurité sociale. Elle était en mauvais état, il y a quelques années. Elle a cumulé des déficits qui mettaient en cause son existence ou son avenir. Il fallait donc réformer. Le Gouvernement de M. JUPPE a fait effectivement une réforme importante, très importante. Une réforme que j'ai approuvée sans réserve. Cette réforme était importante parce qu'elle faisait entrer le principe de responsabilité dans la gestion de nos affaires sociales. Le Parlement, pour la première fois, votait les objectifs de dépenses, les caisses s'engageaient, la profession médicale et les hôpitaux s'engageaient. Les deux premières années, 1996 et 1997, ont vu les dépenses de santé maîtrisées. Elles ont diminué, sans pour autant que ni les professionnels, ni naturellement les patients, n'en souffrent le moins du monde. C'est le système qui s'est amélioré. Les dérapages ont repris en 1998. J'ai eu l'occasion de dire au Premier ministre que je trouvais son jugement injustement sévère à l'égard du plan JUPPE, et qu'en réalité, c'est parce que, depuis un an on n'a pas fait en sorte que ce qu'il prévoyait soit mis en oeuvre sérieusement que nous nous trouvons après cette immobilité, en quelque sorte ou en partie, dans une situation de dérapage à nouveau des dépenses excessives qui vont exiger de nouvelles mesures. Mais je pense que l'application stricte du plan JUPPE aurait permis de régler une part importante du problème de notre assurance maladie.


QUESTION: -


A condition peut-être d'y mettre des formes.


LE PRESIDENT: -


Oui, probablement.


QUESTION: -


Alors, pour parler de l'évolution du Gouvernement à propos de la famille, notamment sur l'affaire des allocations familiales, il y a un autre domaine où on a l'impression que le Gouvernement change un peu, c'est celui de la sécurité. Et notamment par la voix de Jean-Pierre CHEVENEMENT, le ministre de l'Intérieur, qui dit : "la sécurité, c'est une priorité et un droit essentiel des Français". Est-ce que vous constatez vraiment cette évolution, est-ce que vous la reconnaissez ?


LE PRESIDENT: -


Oui, je suis tout à fait sensible à ce qui est fait dans le domaine de la sécurité. Je ne parle pas de la Corse, où j'approuve complètement la politique qui est suivie, il faut aller jusqu'au bout. Il n'est pas tolérable qu'il y ait en France des zones de non droit. La Corse était la plus spectaculaire, et il y en a d'autres naturellement, et c'est un effort qui doit être permanent.


Vous savez, il y a à la fois l'insécurité qui est probablement, avec le chômage, la principale préoccupation de nos compatriotes. Et il y a le sentiment d'insécurité qui est également psychologiquement grave. Et puis, il y a l'incivilité qui se développe terriblement, toutes ces femmes injuriées ou agressées dans le métro... Bref, toutes les incivilités, ce que l'on appelle maintenant les incivilités, c'est-à-dire les petites agressions qui rendent la vie impossible.


Alors il faut lutter avec beaucoup de fermeté -cela ne se fera pas du jour au lendemain- contre cette dérive. Il faut d'abord punir. Moi j'ai réuni pour de longs entretiens d‘une part des maires de villes difficiles, de toutes origines politiques, et de même j'ai réuni des chefs d'établissements difficiles. Ils sont unanimes, quelle que soit leur appartenance politique ou syndicale. Ils disent : " il faut punir, notamment les jeunes, car l'insécurité venant des jeunes et des plus en plus jeunes, est un problème majeur ". Il faut punir et punir vite. Il faut naturellement raison garder mais il faut punir et punir immédiatement, sans délai. Deuxièmement, il faut renforcer, là encore, le rôle de la famille ; c'est dans la famille que l'on peut acquérir les principes qui permettent d'avoir un comportement responsable.


QUESTION: -


Et globalement, une meilleure éducation civique, dans la famille, comme à l'école...


LE PRESIDENT: -


...oui aussi, une éducation civique à l'école, nous en parlerons peut-être. Et enfin il faut avoir une coordination, qui s'est beaucoup améliorée mais qui doit être encore renforcée, une coopération entre les différents responsables, qu'il s'agisse de la Police, de la Justice, de l'Education nationale, des services sociaux, des éducateurs, etc... Il faut une bien meilleure coordination.


QUESTION: -


Vous pensez que le Gouvernement est sur le bon chemin ?


LE PRESIDENT: -


Je crois que nous sommes effectivement, pour le moment, sur le bon chemin, avec un certain nombre de difficultés auxquelles nous sommes confrontés, qui tiennent à toutes sortes de dérapages que nous voyons bien, et qu'il faut absolument maîtriser.


QUESTION: -


Et sur l'éducation ?


LE PRESIDENT: -


Dans tous les cas, pour ma part, je considère que c'est, indépendamment des problèmes économiques et de leurs conséquences en matière de chômage, la préoccupation qui doit être la préoccupation essentielle des responsables.


QUESTION: -


Sur l'éducation, la société française vous paraît-elle adaptée au monde moderne ?


LE PRESIDENT: -


- On critique toujours beaucoup notre éducation, et il y a probablement lieu de critiquer. Je constate que tous les responsables économiques sont unanimes pour dire qu'en France nous avons la meilleure formation des hommes. C'est vrai, en particulier, pour les ingénieurs, pour les techniciens qui nous sont enviés dans le monde entier et qui sont l'un de nos atouts.


Alors il faudrait se fixer quelques objectifs. Je ne parlerai pas de la gestion actuelle, naturellement, mais je parle des objectifs dans dix ans, quinze ans. Pour les rythmes scolaires, il faut arriver à ce que les enfants travaillent le matin pour les disciplines de la connaissance et l'après-midi pour ce qui concerne le sport, les disciplines artistiques, l'accès à la culture, l'accès aux technologies modernes. Il faut également que l'on mette en place, enfin, un système de formation et d'éducation tout au long de la vie pour que les gens puissent en permanence acquérir les nouvelles connaissances, qui sont nécessaires, dans les nouveaux métiers qui arrivent de plus en plus vite. Il faut également éradiquer l'illettrisme. Dans ce domaine, on n'a pas fait de progrès depuis trente ou quarante ans et l'illettrisme est aujourd'hui l'obstacle le plus manifeste à l'insertion dans la société. Et enfin, je crois qu'il faut que l'on développe le trilinguisme, c'est-à-dire que tous les enfants, et notamment en Europe, devraient apprendre dès le plus jeune âge deux langues étrangères. Il y a beaucoup d'enfants qui sont trilingues en Europe ou dans le monde, pourquoi pas nous ?


QUESTION: -


- Et cela permettrait justement aux étrangers de parler peut-être davantage le français ?


LE PRESIDENT: -


- Et cela permettrait de réimplanter le français en Europe.


QUESTION: -


- Un problème qui n'est toujours pas réglé est celui des sans-papiers. Est-ce que le Gouvernement a trouvé un équilibre en réglant des cas difficiles et en refusant de régulariser tout le monde ou est-ce que, à votre avis, il s'est créé lui même une sorte de piège ?


LE PRESIDENT: -


- Dans ce domaine, je suis un peu critique, non seulement à l'égard de la situation actuelle, mais de la situation depuis longtemps. Je crois que l'essentiel, c'est de prendre une position et de s'y tenir. Il faut être pragmatique et non pas idéologue sur ce sujet.


Alors, il faut dire : " voilà, nous ne pouvons pas naturellement laisser tout le monde entrer chez nous, voilà les limites à ne pas franchir et voilà les mesures que nous appliquons pour que ces limites ne soient pas franchies ". Et ne plus changer de position. Chaque fois qu'il y a un changement de Gouvernement, nous avons un changement des lois. Cela, c'est typiquement français et naturellement cela envoie des signaux contradictoires et très mauvais, parce que les gens sont ainsi encouragés à venir chez nous. Ils se disent : " Ah ! quand les uns sont au pouvoir alors c'est plus facile, on va se précipiter ". Ce sont des débats stériles, tout à fait stériles.


Il faut avoir une réglementation et s'y tenir, et à mon avis, cette réglementation doit être ferme. Vous parlez de régularisation : c'est très bien ; s'il y a des gens qui doivent être régularisés, qu'ils le soient ! Je sais bien qu'il faut avoir une gestion humaine de ces affaires, mais on oublie que la régularisation est un amplificateur important de l'immigration. Comme vous le savez, le régularisé acquiert le droit familial, le droit de faire venir des gens de sa famille, et donc vous croyez régulariser une personne et en réalité vous régularisez toute une famille. Le rapprochement familial joue dans ce sens. Donc, il faut être prudent.


QUESTION: -


- Sur la Justice maintenant. Vous nous aviez donné l'impression, il y a un an et demi, d'être très désireux de voir couper le cordon ombilical entre le pouvoir et le Parquet. Et vous donnez le sentiment, au fil du temps, de revenir un petit peu sur cette position de principe. Est-ce que vous êtes content finalement de ce que le Gouvernement propose, puisque je sais que sur ce sujet il vous a évidemment beaucoup consulté ? Il y a eu beaucoup de dialogue entre vous ?


LE PRESIDENT: -


- Il y a en France, naturellement, une très bonne Justice. Elle a des défauts, et ces défauts il faut les corriger. D'où l'idée d'une grande réforme de la Justice, portant sur plusieurs années, que j'ai lancée et que je suis. Elle était fondée sur le rapport de la commission TRUCHE qui doit à mon avis être appliqué. Et elle est fondée sur trois volets essentiels.


Le premier volet, c'est avoir une Justice plus rapide, moins chère, plus proche et cela suppose une réforme importante des procédures et une augmentation des moyens mis à la disposition de la Justice.


Le deuxième volet, c'est le renforcement des garanties du justiciable. Ce qui suppose une réforme des procédures pénales et l'affirmation claire des Droits de l'Homme et de la présomption d'innocence. Nous sommes un pays qui aime donner des leçons en matière de Droits de l'Homme à la terre entière. On a raison, c'est probablement dans notre vocation. Mais un pays qui ne regarde pas sa propre situation où au regard de la présomption d'innocence et de son non respect, les Droits de l'Homme sont souvent, comme au regard de la détention provisoire, purement et simplement foulés au pied. Il y a donc là quelque chose qui doit être rétabli.


Le troisième volet, c'est l'indépendance et la responsabilité des juges. Indépendance et responsabilité. Car l'indépendance des juges ne doit pas être acceptée, et elle est nécessaire bien entendu, que si par ailleurs les juges sont responsables. Et je ne suis pas sûr qu'ils le soient suffisamment aujourd'hui.


QUESTION: -


- Et parfois, vous trouvez que l'on est à deux doigts d'un gouvernement des juges ?


LE PRESIDENT: -


- On est, en tous les cas, souvent à deux doigts de la mise en cause des principes constitutionnels relatifs aux Droits de l'Homme.


QUESTION: -


- Alors puisque l'on parle de la présomption d'innocence, est-ce que la mise en cause et la mise en examen de Roland DUMAS, Président du Conseil constitutionnel, vous paraît nuire à la sérénité de cette institution qui est censée donner le droit suprême ?


LE PRESIDENT: -


- Dans l'état actuel des choses, l'institution fonctionne. Pour M. Roland DUMAS, il y a ce qui relève de la justice, je n'ai pas de jugement à porter. Il y a ce qui relève de sa conscience, je n'ai pas non plus de jugement à porter. Il y a ce qui relève de ma responsabilité, c'est-à-dire, comme vous le dîtes, le bon fonctionnement d'une institution essentielle de la République. Pour le moment, ce bon fonctionnement n'est pas en cause.


QUESTION: -


Autre grande réforme : la modernisation de la vie politique. Vous l'avez souhaitée au lendemain des élections régionales et cantonales. Vous avez consulté, reçu des spécialistes et puis les élus, les Français. Avez-vous trouvé une idée nouvelle en discutant avec ceux que vous avez vus ?


LE PRESIDENT: -


- D'abord, je n'ai pas terminé ma réflexion. Ensuite, le Gouvernement réfléchit également. Je me suis d'ailleurs longuement entretenu tout récemment avec le Premier ministre et nous avons décidé de nous en entretenir à nouveau. Donc, je vous fais, si vous voulez, en un mot le point de ma réflexion. Il y a incontestablement une désaffection à l'égard de la vie publique de la part de beaucoup de Français. On l'a vu, il a suffi que l'on ait la Coupe du monde de football pour qu'un enthousiasme nouveau arrive qui est l'opposé de la désaffection. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Je crois qu'il faut d'abord renouveler. Renouveler cela veut dire davantage de femmes dans la vie publique. Les textes sont en cours et la réforme, une bonne réforme, va être mise en oeuvre. Il faut davantage de jeunes ce qui n'est pas facile. Il faut les inciter à s'engager. Revoir probablement le statut de l'élu, je veux dire le statut du parlementaire car il y a deux sortes de parlementaires en France et cela n'est pas juste. Il y a ceux qui ont une garantie, c'est-à-dire les fonctionnaires au sens très large du terme. Le jour où ils sont battus, ils retrouvent tout naturellement la position antérieure et donc leur moyen de vivre, alors que ceux qui n'ont pas ces garanties, parce qu'ils viennent du secteur privé, ceux là hésitent beaucoup à se présenter, parce que le jour où ils sont battus, ils n'ont plus les moyens de vivre.


QUESTION: -


Il faudrait qu'il y ait un filet de sécurité...


LE PRESIDENT: -


Il faut ou retirer le filet de sécurité ou établir un filet de sécurité pour les autres. Ce qui est sûr c'est que ceci rend difforme la représentation nationale. Cela la déforme. Le manque de femmes et le manque de gens venant de la société civile au sens le plus large du terme, déforment la représentation nationale au profit d'une catégorie que sont essentiellement les hommes fonctionnaires au sens très large du terme. Je caricature, vous le comprenez bien mais c'est un problème. Donc : renouvellement.


Deuxième élément, il faut plus de proximité et d'efficacité. Au fond, l'administration est trop omnipotente, et omniprésente. Il faut qu'elle comprenne et que petit à petit les réformes soient mises en oeuvre, pour moins contraindre et davantage aider aussi bien les citoyens que les entreprises.


QUESTION: -


Tout le monde dit cela depuis 30 ans...


LE PRESIDENT: -


- Oui, c'est vrai vous avez raison, mais il ne faut pas pour autant se décourager. On a tout de même fait des progrès : la décentralisation a été un progrès. Elle est inachevée, mais c'est un progrès et de ce point de vue, il est évident qu'il faut notamment avoir une administration qui pèse moins lourdement sur nos finances publiques. 25 % des Français actifs travaillent pour le service public, 15 % des Allemands ou des Anglais. C'est très caractéristique de la France. Deuxièmement, il faut avoir un système qui rapproche la décision de ceux qu'elle concerne. On appelle cela la décentralisation, la déconcentration, peu importe. Il faut qu'un certain nombre de décisions très nombreuses, qui sont encore prises à Paris, soient dorénavant prises beaucoup plus près du terrain et des contribuables. Et puis le troisième point, c'est la morale et la responsabilité. Il faut redonner toute son importance et sa valeur à la morale, comme valeur démocratique et républicaine. Naturellement, je combats vivement l'idée que la France serait un pays corrompu. L'image que l'on en donne parfois est totalement dépourvue de tout fondement, même si naturellement il existe des gens malhonnêtes, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Il faut les rechercher et les sanctionner mais le rétablissement, la réhabilitation de la morale est essentielle. Elle suppose, vous en parliez tout à l'heure, dès le plus jeune âge l'instruction civique, la réhabilitation des principes. Elle suppose aussi un contrôle peut-être plus strict du domaine politico-administratif. On a déjà fait des progrès avec les réformes pour le financement des partis politiques mais le contrôle, notamment des marchés publics, doit être beaucoup plus important pour que la situation soit plus transparente. Enfin, et je me suis beaucoup investi dans ce domaine, la grande corruption tenant aux grands marchés et les grands contrats internationaux. Vous savez, la première chose que j'ai faite lorsque j'ai été élu a été de convoquer mon Premier ministre, à l'époque Monsieur JUPPE, mon ministre de la Défense, Monsieur MILLON, pour leur donner des instructions extrêmement fermes dans ce domaine. La première chose que j'ai faite lorsque Monsieur JOSPIN a été nommé, ainsi que Monsieur Richard à la Défense, a été la même chose. Je leur ai dit : "Attention, voilà les risques que l'on court ! Je ne veux plus que des grands scandales, comme ceux que l'on évoque ici ou là dans le monde puissent se reproduire". Et je dois dire qu'aujourd'hui en France, ils ne pourraient pas se reproduire.


QUESTION: -


Les décisions sur les réformes engagées, car effectivement le Gouvernement en a édifié un certain nombre. Sur le cumul des mandats, par exemple, allez-vous faire en sorte que cela ne soit pas bloqué au Sénat ?


LE PRESIDENT: -


Ne rentrons pas dans le détail. Je suis favorable à la réglementation du cumul des mandats. Alors ensuite, est-ce qu'il faut un mandat, deux mandats... c'est une discussion au Parlement mais je suis favorable au cumul des mandats. C'est l'une des conditions du renouvellement dont je parlais tout à l'heure.


QUESTION: -


Vous étiez favorable aussi à la modification du mode de scrutin aux Européennes. Comment avez-vous été obligé de faire marche arrière. Est-ce aussi un revers pour vous ?


LE PRESIDENT: -


Vous savez, c'est un problème. Moi, je me suis prononcé il y a plus d'un an pour ce scrutin de circonscription. Mais j'ai toujours dit que c'est un problème qui concerne le Parlement, les partis politiques et donc il faut s'en remettre à leur avis. A l'évidence, la majorité de l'Assemblée nationale n'y était pas favorable. Il était normal de retirer ce texte. Je ne vois pas du tout pourquoi on en a fait toute une histoire. C'est le fonctionnement naturel de la démocratie.


QUESTION: -


Un dernier mot sur la prescription. Quand est-ce qu'un Président de la République nous dira, par exemple un 14 juillet, qu'il est favorable au quinquennat et qu'éventuellement il peut se l'appliquer à lui-même, car tout le monde est pour au début...


LE PRESIDENT: -


D'abord, ce n'est pas un problème personnel puisque, comme vous le dites, il appartient au Président ensuite de dire si oui ou non il se l'applique à lui-même. Simplement, c'est une réforme très lourde de conséquences, très lourde. Avec le septennat, nous avons un système souple, original qui a très bien fonctionné et qui a permis à nos institutions de s'adapter. Ce système laisse sa responsabilité au Gouvernement et donne de la durée au Président. Avec le quinquennat, c'est un système tout à fait différent qui normalement débouche sur un régime présidentiel. Alors le régime présidentiel, cela marche aux Etats-Unis plus ou moins bien : on voit aujourd'hui qu'avec un Congrès hostile au Président, il lui est très difficile de prendre des décisions. Mais cela marche, cela marche parce qu'il y a une culture américaine qui n'est pas du tout une culture idéologique, c'est une culture pragmatique. En France, je suis persuadé qu'un régime présidentiel irait très rapidement au blocage complet des institutions entre des opinions différentes et puis alors si ce n'est pas l'évolution vers le quinquennat, si ce n'est pas l'évolution vers le régime présidentiel alors ce ne peut être que l'évolution vers le régime parlementaire intégral. C'est-à-dire ce que nous avons connu sous la IVème République, c'est-à-dire l'impuissance et la paralysie de la Nation. Donc, je le répète, je vois beaucoup de gens très compétents qui sont favorables au quinquennat, peut-être, mais cela mérite en tous les cas une réflexion très approfondie : la France a une espèce de caractéristique, là-encore c'est l'exception française, qui peut être la meilleure, comme il y a deux jours, ou la pire.


Une des caractéristiques de l'exception française, c'est que chaque fois qu'il y a quelque chose qui ne va pas, on veut changer les institutions, si bien que nous sommes le pays qui a connu le plus grand nombre de constitutions de toute l'histoire du monde. Je ne suis pas sûr que ce soit bon ; nous avons probablement les meilleurs juristes du monde, cela a de grands avantages et un inconvénient, c'est qu'ils ont toujours des idées à défendre pour faire quelque chose de nouveau par rapport à ce qui existe. Cela peut être dangereux.


QUESTION: -


- Alors, on parle en ce moment beaucoup de ce qui rassemble les Français, notamment grâce au football. Mais il y a un sujet qui va sans doute à nouveau les diviser dans les semaines qui viennent, c'est l'Europe et la ratification du Traité d'Amsterdam. Est-ce que vous continuez à dire que, à droite comme à gauche, "c'est l'opposition entre les anciens et les modernes " ?


LE PRESIDENT: -


- C'est une affirmation un peu caricaturale. La France que nous avons vue dans la rue le 12 juillet au soir, était à la fois une France moderne, une France, j'en suis sûr, européenne, (d'ailleurs tous les sondages disent que les jeunes sont très largement favorables à la construction européenne) et une France de l'avenir et puis, il y a, c'est vrai, les gens qui ont des problèmes, des difficultés qui sont tous les jours confrontés à des événements qu'ils ont du mal à maîtriser ;généralement ce sont des gens souvent plus âgés. Je comprends parfaitement qu'ils aient peur en réalité du changement, quel qu'il soit et de la réforme, quelle qu'elle soit. Je voudrais simplement leur dire, que nous sommes dans un monde où se dessinent et se mettent en place, très rapidement, de très grands ensembles politiques, économiques et culturels : les Etats-Unis, la Chine, demain l'Inde, l'ensemble de l'Amérique du Sud, l'Asie du Sud-Est, la Russie, qui sortira bien sûr de ses difficultés, et le Japon également, malgré ses difficultés actuelles. Si nous sommes divisés, repliés, refermés sur nous-mêmes, il faut savoir que nous disparaîtrons. Notre seule chance d'avoir un rôle dans le monde de défendre nos valeurs, d'assumer notre niveau de vie, notre mode de vie, de le faire ensemble c'est d'avoir une Europe solidaire qui représente aujourd'hui trois cents ou trois cent cinquante millions d'habitants demain cinq cents millions et qui sera le premier pôle économique, elle l'est déjà, du monde, et donc le premier pôle politique, car elle est aussi le premier pôle culturel. C'est là que nous avons nos chances à la fois de développement, d'épanouissement et surtout de rester ce que nous avons vocation à être c'est-à-dire un grand pôle de démocratie et de Droits de l'Homme et de mieux vivre qu'ailleurs.


QUESTION: -


- Et ce discours, vous êtes obligé de le tenir à vos amis du RPR qui se partagent beaucoup, ils contestent parfois vos décisions, votre ligne de conduite.


LE PRESIDENT: -


- Mais c'est normal ! C'est ça aussi la discussion, je ne conteste à personne le droit d'avoir des idées différentes des miennes, je dis simplement que je ne détermine pas mes idées par rapport à celles des autres, y compris les miens, car vous avez parlé du RPR, je suis issu de cette formation politique et je ne renie rien, ni de mon passé, ni de ses ambitions naturellement, mais ce que je veux dire, c'est que je ne me détermine pas par rapport aux autres, je me détermine par rapport à l'idée que je me fais de l'intérêt général et de l'intérêt de la France. J'ai une conviction c'est que l'intérêt de la France c'est d'être un élément actif, un moteur de la construction européenne et que c'est ainsi seulement, qu'elle défendra non seulement ses intérêts mais aussi son identité.


QUESTION: -


- Philippe SEGUIN a l'air un peu moins européen que vous, vous ne désespérez pas de le ramener à votre raison ?


LE PRESIDENT: -


- Je n'ai strictement aucune leçon à donner à quiconque pour ce qui concerne les formations politiques. Ni à mes amis du RPR, ni au Président du RPR que j'approuve, que je respecte et qui est un de mes amis de très longue date, qui assume avec qualité la présidence dans un moment difficile de ce mouvement, je donne simplement mon sentiment.


QUESTION: -


- Mais quand même quand on voit une divergence sur l'euro, il y en a eu sur la justice, le RPR a l'air d'avoir des divergences avec vous ?


LE PRESIDENT: -


- Je vais vous dire quelque chose, Mme Arlette CHABOT, vous avez commencé par la constatation du grand mouvement qui a rassemblé les Français, parce qu'ils se sont sentis tout à coup forts, unis, respectés ; il faut lire la presse étrangère pour s'en apercevoir. Alors, naturellement, la vie de tous les jours porte son lot de médiocrité, de querelles et d'autres difficultés que je peux parfaitement comprendre, mais je vous demande, vous, de comprendre que moi, ce n'est pas mon problème, pas du tout, je dirai que cela ne me concerne pas et j'irai jusqu'à dire que ça ne m'intéresse pas beaucoup. Ce qui m'intéresse, c'est de voir aujourd'hui une France qui a eu une opportunité, une grande opportunité de rassemblement, de modernité, qu'elle l'a exprimée avec force, elle l'a exprimée il y a deux jours sur les Champs Elysées après la finale, elle l'a exprimée ce matin sur les Champs Elysées avec une belle armée française qui a donné une bonne image de notre pays.


Je regardais en coin de temps en temps l'ensemble des diplomates qui étaient là. Tous les diplomates sont dans la tribune. Je voyais à la fois leur intérêt, leur regard particulièrement appréciateur sur notre armée et au-delà, sur notre pays. Descendant les Champs Elysées pour passer les troupes en revue, je voyais les gens qui étaient là plus nombreux que d'habitude, qui étaient enthousiastes. Ils ne se posaient pas la question de savoir si tel parti politique et tel autre se préoccupent de ceci ou de cela. Ils étaient heureux parce qu'il y avait du soleil, qu'on était champion du monde de football et que l'armée française défilait bien.


QUESTION: -


Il n'y aura pas toujours du soleil, il n'y aura pas toujours des 14 juillet...


LE PRESIDENT: -


Espérons que cela durera le plus longtemps possible.


QUESTION: -


Quels conseils quand même vous donneriez à l'opposition, c'est important, qui est aujourd'hui un peu sonnée, désorientée qui est atomisée ? Pensez-vous qu'il faut qu'elle s'unisse, qu'elle aille vers une fusion, vers une alliance ou vers un émiettement qui, pour l'instant, n'a pas l'air de vous chagriner beaucoup d'ailleurs ?


LE PRESIDENT: -


Dans une démocratie, il doit y avoir une majorité forte et une opposition forte. Pour ce qui concerne l'opposition, d'abord elle ne sera forte que si elle est unie. Alors, les modalités de cette union lui appartiennent. L'union n'est pas l'unité, mais elle doit être unie. La deuxième condition de son efficacité, c'est d'avoir une vision de l'avenir, de l'exprimer au sein d'un projet qui puisse apparaître clairement dans l'opinion publique comme une alternative au projet de la majorité.


QUESTION: -


Pour l'instant on ne le sent pas venir.


LE PRESIDENT: -


Cela va venir, sans aucun doute. Troisièmement, il est nécessaire d'avoir une harmonie -dans nos institutions parce qu'elles sont ainsi- complète entre l'opposition et le Président de la République qui est issu de ses rangs. De même, qu'il doit y avoir la même harmonie entre la majorité et le Président de la République lorsqu'il est issu de ses rangs.


QUESTION: -


On parlait tout à l'heure de l'identification de la France, à cette équipe plurielle. Il est donc, plus que jamais hors de question de passer des alliances selon vous, avec le Front national et tout débat sur la préférence nationale est-il, à votre avis, déplacé ?


LE PRESIDENT: -


Sur les alliances, vous connaissez mon point de vue, je n'ai pas besoin de le répéter. Sur la préférence nationale, c'est un débat qui a fait couler beaucoup d'encre, qui a provoqué beaucoup de passions, de débats. Je ne suis pas sûr que ce soit un vrai problème. En revanche, je pense que disserter indéfiniment sur ce problème risque de devenir dangereux. En clair, il y a dans notre pays des étrangers en situation régulière. Je ne vois pas le motif ou les raisons compatibles avec nos principes humanistes, démocratiques et républicains, qui permettraient de ne pas donner à ces étrangers en situation régulière, les mêmes droits qu'aux Français. Cela serait tout à fait contraire à nos traditions, à notre histoire, à notre culture. En tous les cas je ne pourrais pas l'accepter.


Deuxièmement, il y a les étrangers, qui sont en situation irrégulière et ceux là il faut les expulser. Alors, je sais bien que c'est plus vite dit que fait. Mais nous devons non seulement avoir un système qui nous permet de sanctionner et d'expulser, avec humanité bien entendu, les étrangers en situation irrégulière, les empêcher également d'entrer, cela est tout à fait capital. C'est dans ce système que je ne vois pas très bien comment se situe le débat sur la préférence nationale.


QUESTION: -


A l'instant on vient d'entendre quelques frémissements du côté de l'arrivée de l'équipe de France. Vous avez vous-même votre petit Footix.


LE PRESIDENT: -


J'en suis très fier. C'est Michel PLATINI qui me l'a donné. On a beaucoup parlé de ce mondial. Il ne faut pas oublier qu'il n'est pas sorti du chapeau par un coup de baguette magique.


QUESTION: -


C'est-à-dire que vous y étiez pour quelque chose.


LE PRESIDENT: -


C'est surtout le Comité d'organisation : Michel PLATINI, le regretté Fernand SASTRE, qui pendant six ans ont travaillé et qui ont remarquablement organisé les choses. C'est également tous les bénévoles, des dizaines de milliers de bénévoles qui ont permis à tout de se passer parfaitement. Ce sont nos forces de l'ordre qui ont été exemplaires, je dois dire dans des conditions particulièrement difficiles, c'est notre magnifique stade de Saint-Denis. C'est tout cela aussi ensemble qui a fait que nous pouvons maintenant accueillir l'équipe de France qui est en train d'arriver à l'Elysée, vous l'entendez, avec reconnaissance, estime et amitié.


QUESTION: -


On a bien respecté les contrats, trois quarts d'heure, juste une mi-temps, le quatrième arbitre nous donne quand même les deux minutes de prolongation nécessaire pour vous demander à vous qui êtes au fond l'entraîneur de l'équipe de France, de la France en tous les cas : comment vous la sentez, quelles sont ses forces et ses faiblesses ?


LE PRESIDENT: -


La France a des forces. Elle a de l'intelligence, une culture, un humanisme qui font d'elle, un pays respecté dans le monde. Elle a une position géographique, elle a une formation professionnelle, je l'ai dit tout à l'heure exceptionnelle. Elle a les meilleurs ingénieurs et techniciens du monde, les travailleurs aussi. Elle a des infrastructures qui sont indiscutablement les meilleures du monde, une recherche très forte. Cela ce sont les atouts. Elle a des insuffisances, elle a des handicaps. Elle est imprévisible, et on nous le reproche beaucoup, sur le plan social pour un oui pour un non. Il y a des mouvements qui prennent tout le monde en otage. Tout d'un coup on prend une mesure législative qui n'était pas prévue et qui désarçonne les investisseurs étrangers, les investisseurs tout court. La loi sur les 35 heures a été de ce domaine. Elle prend parfois des mesures fiscales rétroactives. C'est incompréhensible pour l'étranger. Elle subit une pression fiscale beaucoup trop importante. Son travail est peu qualifié, trop cher et elle a des tracasseries administratives tout à fait excessives. Il faut aujourd'hui valoriser nos atouts et diminuer nos handicaps et c'est cela qui devrait être l'ambition à la fois de l'action du Gouvernement ou du programme de l'opposition.


Je voudrais juste dire une chose : vous l'avez vu, il s'est passé quelque chose, depuis quelques jours, la France a retrouvé ce qu'elle a de meilleur dans ses racines. Vous avez ici, trois mille cinq cents ou quatre mille jeunes, tout cela parce que Didier DESCHAMPS et toute l'équipe sont en train d'arriver. Il faut naturellement avoir conscience des besoins d'une société, mais il faut aussi avoir conscience de ses aspirations intellectuelles, culturelles, psychologiques, de son désir d'union, de cohésion, de force et c'est parfois ce que l'on a tendance à oublier. Je crois que l'homme politique moderne d'aujourd'hui ne devrait pas se contenter de dire : "je vais vous donner cela" comme on le fait en général. Il devrait dire aussi : "je vais vous aider à devenir cela" et je crois que c'est une des leçons que l'on peut tirer de ces derniers jours.


Patrick POIVRE D'ARVOR


- On va vous laisser rejoindre Aimé JACQUET. Nous avons entendu beaucoup de cris "JACQUET, Président", alors il faut peut-être que vous alliez vous inquiéter de la situation.


Je vous remercie beaucoup au nom d'Arlette CHABOT de France 2 et de TF1 de nous avoir accueillis pendant ces cinquante minutes.


LE PRESIDENT: -

- Merci beaucoup.