Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors du 30ème anniversaire du Conservatoire du littoral.

Rochefort - Charente-Maritime - lundi 18 juillet 2005

Monsieur le Président du Conservatoire,
Madame et Monsieur les ministres,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,

Je reviens aujourd'hui avec bonheur à Rochefort, à l'occasion des trente ans du Conservatoire du littoral.

Avec bonheur, d'abord, parce que cet anniversaire a pour moi une signification personnelle. La défense du littoral est pour moi l'expression d'une conviction ancienne et profonde. J'ai porté le Conservatoire du littoral sur les fonts baptismaux. J'ai suivi avec attention son action. A l'occasion de son vingtième anniversaire, en 1995, j'ai voulu que lui soit accordé le bénéfice de la dation en paiement des droits de succession.

Avec bonheur, aussi, parce que la Corderie royale de Rochefort est un monument exemplaire. Ce lieu exceptionnel de l'Histoire maritime de la France est aussi un atout pour votre région, un exemple de développement économique et touristique réussi. Le succès du Centre international de la mer ne se dément pas. Grâce à l'enthousiasme de passionnés, la réplique de l'Hermione, la frégate de La Fayette, se construit sous nos yeux.

La présence ici du Conservatoire n'est pas fortuite. Nous sommes dans l'un de ces hauts lieux où s'est tissée, au fil des siècles, la relation si particulière de notre pays avec la mer.

Qui ne ressent l'émotion du littoral ? C'est de là que les hommes sont partis à la découverte du grand large et du monde. Le littoral, c'est une liaison féconde entre la terre et la mer, entre les hommes et la nature.

Féconde, mais aussi fragile. C'est pourquoi sa protection doit aller de pair avec une gestion patrimoniale rigoureuse.
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La France mène une politique de protection du littoral globale et ambitieuse. Le Conservatoire en est le bras armé. Dans les dix dernières années, grâce à une politique d'acquisition volontaire, il a poursuivi avec vigueur sa tâche, pour assurer la sauvegarde des sites les plus précieux du littoral, en métropole et outre-mer. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 75 000 hectares ont été acquis à ce jour. 740 sites sont désormais soustraits à la pression de l'urbanisation, réhabilités, ouverts au public. En trente ans, le Conservatoire a assuré la préservation de 12 % des côtes de Métropole, soit 660 kilomètres sur 5500, auxquels s'ajoutent 120 kilomètres outre-mer.

De nouveaux sites emblématiques ont rejoint notre patrimoine national protégé : la Pointe du Raz en Bretagne, les zones humides des estuaires de la Seine et de la Loire, les anciens salins d'Hyères, le golfe de la Testa Ventilegne en Corse du Sud, la plage de Moya à Mayotte, la Montagne d'Argent en Guyane et la Montagne Pelée en Martinique. Le ministère de la défense vient de confirmer le transfert au Conservatoire de 37 emprises d'intérêt écologique, représentant plus de 1500 hectares.

Chaque année, trente millions de visiteurs arpentent les terrains du Conservatoire. Des activités pastorales, viticoles, salinières, d'ostréiculture, et même de production de sucre de canne, de vanille ou de cacao ont été maintenues ou réimplantées sur les sites acquis. C'est la preuve que le respect des équilibres environnementaux est compatible avec un essor harmonieux des populations humaines. Le Conservatoire fournit une démonstration concrète de cette réconciliation de l'écologie, de l'économie et du social. C'est-à-dire de ce que doit être un développement durable.

Pour la gestion de ses sites, le Conservatoire du littoral met en œuvre une action partenariale exemplaire avec les collectivités territoriales. Sur le terrain, grâce à son action et à celle de collectivités locales et d'associations, des gardes assurent le respect des sites, des animateurs dirigent les travaux et accueillent les visiteurs. Ils contribuent ainsi à cette mission essentielle qu'est l'éducation à l'écologie. Ce partenariat démontre que l'environnement peut contribuer à la création d'emplois et de métiers nouveaux, qualifiés, valorisants, en particulier pour les jeunes. L'environnement constitue également un outil de développement social : grâce au Conservatoire, des chantiers d'insertion ont été mis en place.

Notre littoral doit beaucoup à l'action du Conservatoire. Pourtant, tous les sujets d'inquiétude n'ont pas disparu. Les espaces naturels du littoral continuent à être grignotés. 12 % des logements neufs construits en France entre 1990 et 2003 l'ont été dans les communes littorales. Elles ne représentent, pourtant, que 4 % de notre territoire. La surface agricole littorale a diminué de près de 20 % dans les années 80.

Aujourd'hui, nous devons aller plus loin dans la protection de notre littoral.

Comme je l'avais souhaité, le Conservatoire va étendre son action en mer, en recevant l'affectation ou la gestion de parties du domaine public maritime. Des actions majeures ont déjà été engagées à Mayotte pour la protection du récif corallien, dans la baie d'Arcachon pour la protection de l'Ile-aux-oiseaux. De grands projets se dessinent : protection des rives humides de la Gironde, de la Camargue, du pourtour marin de l'archipel de Chausey, du Grand cul-de-sac marin de Guadeloupe. C'est un enjeu essentiel pour notre pays, qui a sous sa juridiction le deuxième domaine marin du monde. Enfin, la compétence du Conservatoire vient d'être étendue à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, à la demande de ces deux collectivités.

Nous avons pour ambition de préserver à terme le tiers de notre littoral, ce que vous appelez « le tiers sauvage ». Le Conservatoire dévoile aujourd'hui même un Atlas stratégique pour les cinquante prochaines années. C'est le fruit d'un impressionnant travail de cartographie des espaces littoraux protégés et de ceux qui restent à acquérir pendant les cinq prochaines décennies. Pour accomplir sa mission, le Conservatoire doit inscrire son action dans la durée. Des moyens financiers assurés et stables lui sont donc nécessaires, d'autant plus qu'il doit aujourd'hui faire face à une hausse très sensible du prix du foncier.

C'est pourquoi je demande au Gouvernement d'affecter dans les meilleurs délais au budget du Conservatoire l'intégralité de la taxe de francisation des bateaux, et en tout état de cause 80% dès 2006. Il s'agit d'une ressource pérenne, et d'une ressource évolutive. Cette affectation permettra une augmentation du budget d'acquisition du Conservatoire de plus de 40%.
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Monsieur le président,
Mesdames et messieurs,

Vous le savez, j'ai voulu qu'une Charte de l'Environnement soit inscrite dans la Constitution. C'est chose faite aujourd'hui.

La Charte s'impose à tous. Placée au plus haut niveau de notre Droit, elle y introduit des notions inédites : le développement durable, les besoins des générations futures et des autres peuples, la diversité biologique, l'épanouissement de la personne, le progrès des sociétés humaines, nos droits et nos devoirs vis-à-vis de l'environnement.

La politique littorale que mène la France, et qui s'incarne pour partie dans le Conservatoire, s'inscrit résolument dans cette perspective. Nous recherchons un juste équilibre entre les impératifs de protection du littoral et la nécessité de l'aménager raisonnablement. Notre politique littorale prend en compte la mer, la terre et leurs interactions. Le Gouvernement s'apprête à retenir une vingtaine de projets pilotes pour la gestion intégrée des zones côtières.

Pour prendre encore mieux en compte la protection de la nature, nous devons également avancer dans la constitution d'aires marines protégées. La France a déjà des réserves naturelles marines. Le projet de loi sur les parcs nationaux va permettre de mettre en œuvre un nouvel outil : le parc naturel marin, qui tient compte des spécificités des activités maritimes pour leur conciliation avec la protection de l'environnement. Dès la loi votée, nous pourrons examiner la création du parc marin des Calanques de Marseille-Cassis et celui de la mer d'Iroise. Je souhaite à cette occasion que, tout en assurant la concertation la plus large, nous fassions preuve d'une réelle ambition.

Alors que le littoral fait l'objet de pressions de toutes sortes, parfois contradictoires, nous manquions d'une instance de réflexion stratégique et de concertation de haut niveau. Le Conseil national du littoral, créé à la rentrée, viendra combler ce manque. Il sera composé de parlementaires, d'élus du littoral, ainsi que de professionnels et de représentants des associations concernées. A l'instar du conseil national de la montagne, il constituera un outil précieux pour l'aménagement et le développement durable du littoral.

Car un bon développement économique se doit d'être durable. De nombreux touristes fréquentent avec plaisir notre littoral. Le tourisme contribue très positivement à notre balance commerciale et comporte un formidable potentiel d'emplois et d'activité. Il convient toutefois, aujourd'hui, de remettre à niveau certaines infrastructures anciennes, ne correspondant plus à ce qu'attend une clientèle exigeante. Depuis 2000, la qualité des eaux de baignade s'est nettement améliorée. Plus de 95 % d'entre elles étaient conformes, l'été dernier, aux normes européennes. Nous devons néanmoins faire encore un effort important dans le domaine des stations d'épuration et des bassins de décantation des eaux de pluie. C'est par la qualité globale de son accueil, qui comporte bien évidemment une dimension environnementale forte, que la France pourra maintenir son attractivité dans un contexte de concurrence sans cesse plus vive entre destinations. J'ai demandé au Ministre du Tourisme que les troisièmes Assises nationales du Tourisme, à la rentrée, retiennent le thème du tourisme littoral.

Enfin, la loi littoral doit s'appliquer pleinement. Un soin tout particulier sera apporté à une application respectueuse de l'environnement de la récente modification de la loi littoral en ce qui concerne les « rus et étiers de cours d'eau ». Par ailleurs, un décret réaffirmera prochainement la destination fondamentale des plages, c'est-à-dire leur usage libre et gratuit par le public, et réglementera de manière stricte les « concessions de plage ».
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Mais il suffit parfois de quelques heures dramatiques pour réduire à néant tous ces efforts. Nos côtes ont trop souvent été à la merci des voyous des mers, à l'origine d'atteintes environnementales insupportables.

L'Erika, le Ievoli Sun, le Prestige : ces noms rappellent des catastrophes que nous ne voulons pas revivre. A la suite de ces naufrages, j'ai personnellement veillé à ce que la France mène une politique vigoureuse et pionnière contre les pollutions dues aux navires. La sécurité maritime a beaucoup progressé au large de nos côtes.

Nous avons obtenu la généralisation des pétroliers à double coque.

Nous avons obtenu, non sans mal, la définition, au niveau de l'Union européenne, de lourdes sanctions pour les actes intentionnels ou les négligences graves.

Nous avons obtenu de l'Organisation Maritime Internationale la définition d'une "Zone Maritime Particulièrement Vulnérable" au large des côtes atlantiques européennes. Dans cette zone, mise en place le 1er juillet, nos capacités de surveillance des navires à risques sont désormais renforcées.

Une Agence européenne de sécurité maritime, dont le président est français, a été créée. Le contrôle des sociétés de classification a été renforcé.
Le nombre d'inspections des navires a été accru. En 2001, moins de 10 % étaient contrôlés. Depuis 2 ans, nous avons dépassé la norme européenne : dans les ports français, plus d'un navire sur quatre est aujourd'hui inspecté. Je tiens ici à saluer l'action efficace qui fut celle de Dominique Bussereau lorsqu'il était en charge de ces questions.

Le système informatisé des Centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage, les CROSS, est opérationnel depuis octobre 2004, soit avec près de 3 ans d'avance sur la généralisation en Europe du suivi en temps réel du trafic maritime.

Enfin, l'Abeille-Bourbon et l'Abeille-Liberté s'ajoutent cette année à nos deux remorqueurs de haute mer existants.

Nous avons aussi considérablement augmenté nos actions de répression. Les rejets illicites à la mer de substances polluantes, les "dégazages", sont longtemps restés impunis. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Depuis le début de l'année 2003, 33 navires ont déjà été pris en infraction en mer et déroutés. Des juridictions spécialisées ont été créées. Les amendes qu'elles infligent sont dissuasives : il s'agit à chaque fois de plusieurs centaines de milliers d'euros.

Et parce que, malgré tout, des accidents peuvent toujours se produire, nous avons aussi obtenu que le plafond d'indemnisation du FIPOL soit relevé à près d'un milliard d'euros contre 170 millions auparavant. C'est effectif depuis le 1er mars.

Il faut maintenir la pression, et renforcer l'implication de tous les acteurs du transport maritime. L'amélioration permanente de la sécurité doit rester la priorité d'une grande nation maritime comme la nôtre.

Je saisis cette occasion pour rendre un hommage tout particulier aux femmes et aux hommes de la Société nationale de Sauvetage en Mer. Leur dévouement est exemplaire. Quelle meilleure expression de la solidarité que ces équipages de canots et vedettes qui n'hésitent pas, pour sauver des vies, à risquer la leur. Cette société, chargée d'histoire, n'a jamais failli à son devoir. La bravoure et le désintéressement de ses membres forcent notre respect et notre admiration. Au nom de tous, je leur dis merci.
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La France est présente dans tous les océans. Elle est présente dans la plupart des mers. Notre politique du littoral, aujourd'hui, c'est une vision globale. Sur l'ensemble de la planète, la pression de plus en plus forte des hommes sur le littoral peut constituer une menace pour la vie des océans.

Aujourd'hui, 60 % de la population mondiale vit sur un pourtour littoral de 60 kilomètres de large ; en 2025, ce sera 75 %. Dans le même temps, nous serons passés de 6 à 8 milliards d'êtres humains. Et l'impact des changements climatiques sur la hausse du niveau de la mer rendra encore plus vulnérables les implantations humaines sur le littoral.

Nous avons tous à l'esprit le terrible tsunami qui a frappé l'Asie le 26 décembre 2004 et nous a rappelé la grande fragilité des implantations humaines côtières. Dans les jours qui ont suivi, la France a souligné la nécessité de créer dans toutes les zones à risques, y compris la Méditerranée et l'Atlantique, des systèmes d'alerte comparables à celui auquel nous participons dans l'Océan pacifique. Cette proposition a été reprise lors de la conférence internationale de Kobé, en janvier dernier. L'UNESCO y travaille désormais et le dispositif se met en place dans l'Océan indien. La France met à la disposition des pays de la zone son savoir-faire technique et les compétences qu'elle vient de rassembler dans l'île de la Réunion.

Parallèlement, les implantations humaines mettent aussi en cause le développement durable de la mer. Car, pour abondantes que soient ses ressources, la mer n'est pas un vivier dans lequel on pourrait puiser à l'infini. La vie s'y concentre dans les zones bordières, c'est-à-dire peu profondes. L'essentiel de la biomasse végétale y naît et alimente la pyramide écologique. La plupart des espèces aquatiques, y compris celles du large, viennent s'y reproduire. Les atteintes portées à la frange littorale menacent donc, sans commune mesure avec sa superficie, la densité même de la vie dans l'ensemble des océans. Aujourd'hui, nous savons avec certitude qu'existe un risque majeur d'épuisement de nos océans.

Une grande partie de la biodiversité se trouve dans les pays du Sud. Mais le Nord est également comptable de cette biodiversité. Car elle est notre héritage commun. Elle est le patrimoine que nous devons collectivement léguer à nos enfants.

Or, beaucoup des pays du Sud sont surendettés, et le service des intérêts de leur dette les conduit parfois à surexploiter leurs ressources, menaçant la biodiversité. Le développement durable de ces pays est l'affaire de tous. Je souhaite que les "contrats de désendettement et de développement", qui permettent d'annuler totalement la dette des pays les plus pauvres et les plus endettés, puissent comprendre des programmes qui concernent la biodiversité. Nous pourrons ainsi convertir un certain montant de la dette bilatérale en programmes environnementaux dans les pays du Sud. Je demande au Gouvernement de prendre rapidement des initiatives en ce sens.
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Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Avec votre atlas stratégique, vous vous êtes donné un programme de travail pour le prochain demi-siècle. Mais en trente ans, que de chemin déjà parcouru par le Conservatoire du littoral ! Je salue le travail accompli : il a été précurseur. Les femmes et les hommes du Conservatoire portent un message essentiel : la mer, et plus largement la nature dans son ensemble, ne constituent pas une ressource infinie. Pour bien utiliser cette ressource, pour en tirer agrément, prospérité et richesse, il faut d'abord savoir la respecter et la conserver durablement. Malgré des avancées récentes, nous ne sommes qu'au tout début de nos efforts, des progrès immenses restent à faire dans l'utilisation raisonnable des ressources de notre planète, faute de quoi les générations futures pourraient voir leur épuisement.

C'est un combat qui exige toute notre mobilisation. Vous en prenez une part importante et je vous en remercie. Vous pouvez compter sur mon entière détermination.

Je vous remercie.