Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la Conférence internationale de Paris sur la microfinance.

Paris, lundi 20 juin 2005.

Monsieur le Président, cher Abdou DIOUF,
Madame,
Monsieur le Premier ministre du Maroc, mon cher ami
Monsieur le Président de la GRAMEEN BANK, cher Professeur YUNUS,
Monsieur le Directeur général, Cher M. Eduardo BAZOBERRY
Mesdames et Messieurs,

La communauté internationale s'est engagée à réduire de moitié la pauvreté dans le monde à l'horizon 2015. Cet objectif est sans aucun doute accessible. Mais, pour l'atteindre, il nous faut mobiliser des moyens importants et nouveaux. Et, parmi eux, la microfinance peut jouer un rôle déterminant parce qu'elle permet aux plus démunis de se projeter au-delà de l'horizon de la survie, de construire un avenir de dignité. Tous les exemples nous le prouvent.

Avec plus de quatre-vingt millions de bénéficiaires de par le monde, le développement de la microfinance a confirmé la justesse de la vision de son premier inspirateur, le Professeur YUNUS, à qui je veux particulièrement rendre hommage. Des réussites éclatantes démontrent le caractère universel de cet instrument pour lutter contre l'exclusion, car il s'appuie sur le meilleur de l'homme : la solidarité, la confiance, la dignité et l'esprit d'entreprise. Je suis heureux de saluer à cet égard l'action remarquable de Monsieur BAZOBERRY, en Bolivie, comme celle de Madame Maria NOWAK, dont l'Association pour le Droit à l'Initiative Économique illustre chaque jour son efficacité.

Forte de ces succès, la microfinance doit changer d'échelle. Passer de quelques dizaines de millions de bénéficiaires aujourd'hui à plusieurs centaines de millions demain.

Elle a trouvé sa place sur tous les continents et dans les stratégies de développement partout. En Asie du Sud d'abord, avec la Grameen Bank. En Afrique subsaharienne, où je tiens à saluer la mobilisation de la Francophonie et de son Secrétaire général, le Président Abdou DIOUF. Au Maroc, grâce aux efforts remarquables du Premier ministre, M. Driss JETTOU. Au Moyen-Orient encore. De leur côté, des institutions comme Planet Finance s'attachent à allier démarche de solidarité et usage de techniques financières avancées.

Pour aller plus loin encore, à l'occasion de l'année internationale du microcrédit, la France, avec ses partenaires allemand et britannique et le Groupe consultatif pour l'assistance aux pauvres de la Banque Mondiale, a souhaité réunir aujourd'hui à Paris les meilleurs spécialistes mondiaux du secteur. Vos propositions sont particulièrement attendues. En cette année du développement, elles mettront le potentiel de la microfinance au service des objectifs du Millénaire.


Libérer le potentiel de la microfinance, c'est d'abord établir un cadre légal et fiscal adapté.

La France, pour sa part, travaille avec ses partenaires africains de la zone franc pour accompagner l'effort d'adaptation de leurs législations. Ces travaux doivent avoir abouti dans un an et être suivis par une coopération active dans la mise en œuvre des réformes.

Il faut adapter les normes bancaires nationales et internationales aux réalités de la microfinance. Dans quinze jours, je proposerai au G8 d'engager, avec le Comité de Bâle et les institutions financières compétentes, une action de diffusion systématique des bonnes pratiques.

L'Europe, de son côté, doit se doter d'une réglementation communautaire dans les domaines de la banque et du crédit pour favoriser le développement de cet instrument.

Déjà la France s'est engagée dans cette voie, avec notamment la création du Fonds de cohésion sociale pour la garantie du microcrédit. Le projet de loi en faveur des PME, actuellement en discussion au Parlement français, prévoit un assouplissement important des conditions de prêts aux entreprises personnelles qui favorisera le développement de la microfinance.

Libérer le potentiel de la microfinance, c'est également mobiliser davantage les fonds privés. La microfinance a amplement démontré, au-delà de son intérêt évident pour le développement, sa viabilité financière. Le moment est venu pour les banquiers et investisseurs de prendre le relais des financements publics afin d'accompagner son essor. C'est l'esprit du développement durable, et c'est aussi leur intérêt.

Pour mobiliser davantage de fonds privés, les institutions publiques peuvent jouer le rôle de catalyseur. Grâce à des mécanismes tels que les garanties, la mobilisation de trois milliards de dollars de fonds publics par an, soit un triplement des moyens actuels, permettrait de porter à 600 millions, d'ici 2015, le nombre de ses bénéficiaires. Je demanderai aux prochains sommets du G8 à Gleneagles et des Nations Unies de prendre des engagements très forts à cet égard.

La France assumera toute sa part de cet effort. Elle a mis en place, une facilité de 20 millions d'euros pour le financement de la microfinance. L'Agence Française de Développement, dont je salue ici le directeur, doit mobiliser l'ensemble de ses instruments de garantie pour décupler au cours de la prochaine décennie le nombre de bénéficiaires de microcrédits attribués par les institutions qu'elle appuie.



Comme en Asie et en Amérique latine, la microfinance peut contribuer de manière significative à l'essor de l'Afrique. Elle doit constituer un élément à part entière de la stratégie de développement de ce continent. Cela démontrera, s'il en était besoin, que les capacités et les talents en Afrique ne demandent qu'à s'épanouir pourvu que soient levés les obstacles à leur expression.

Quatre échéances internationales majeures pour l'avenir de l'Afrique permettront cette année à la France de faire vivre le lien exceptionnel qui l'unit à ce continent. Un continent qui doit trouver toute sa place dans le monde moderne.

J'aborde le prochain sommet du G8, dans la continuité des engagements de Kananaskis et d'Evian, avec l'ambition de donner une nouvelle impulsion au partenariat entre la communauté internationale et le NEPAD. L'accord sur l'annulation de la dette multilatérale, décidée le 11 juin dernier par le G8, va apporter aux pays bénéficiaires un milliard et demi de dollars de ressources supplémentaires par an. C'est un progrès. Cela ne constitue cependant qu'un tout premier pas vers l'objectif d'augmentation de 25 milliards de dollars de l'aide annuelle à l'Afrique que tous les experts estiment indispensable pour arracher ses populations à la pauvreté. Pour y parvenir, il y faudra plus d'aide publique au développement. L'Europe vient de confirmer, lors du dernier Conseil européen, un effort collectif exceptionnel qui permettra d'apporter à l'Afrique 10 milliards d'euros supplémentaires chaque année. Elle attend de ses partenaires de l'OCDE un effort équivalent. Mais cela ne suffira pas. C'est pourquoi l'Allemagne et la France proposent au G8 d'appuyer le lancement d'un premier prélèvement international de solidarité sur les billets d'avion, pour financer notamment la lutte contre le sida et les grandes pandémies. Ce serait une initiative exemplaire, un premier pas décisif dans la mise en place indispensable de mécanismes innovants de financement du développement adaptés aux réalités du monde moderne. Car nous ne tirerons pas des seules ressources budgétaires des Etats riches ce qui est nécessaire au développement et qui représente un doublement des sommes actuellement attribuées au développement.


C'est à Gleneagles que va se jouer le succès ou l'échec du sommet des Nations Unies sur la réalisation des objectifs du Millénaire. Pourvu que l'esprit de solidarité s'y manifeste, nous renouerons avec l'espoir d'atteindre ces objectifs.

Dans quelques mois, en décembre, le sommet de l'OMC marquera une étape décisive vers la conclusion en 2006 du cycle de Doha, un cycle dont la réussite dépend de la prise en compte des intérêts spécifiques de l'Afrique, c'est-à-dire d'abord le maintien des régimes de préférence.

Enfin, en décembre encore, le vingt-troisième sommet Afrique-France à Bamako sera l'occasion de réaffirmer l'engagement de la France aux côtés de l'Afrique. Un engagement qui tire sa force d'une histoire partagée et d'une ambition tournée vers l'avenir.

L'Afrique d'aujourd'hui, c'est d'abord le continent de la jeunesse. Un continent où la moitié de la population a moins de dix-sept ans et revendique à juste titre son droit à l'avenir. Et je me félicite que le Mali ait choisi ce thème pour le sommet de Bamako. L'Afrique d'aujourd'hui c'est aussi un mouvement d'urbanisation sans précédent, qui concerne déjà près de la moitié de la population. Un continent en effervescence, l'un des creusets du siècle qui commence, un foisonnement artistique et intellectuel exceptionnel dont témoigne en ce moment même à Paris l'exposition de 84 artistes contemporains –« Africa Remix »– au Centre Georges Pompidou.

Ces évolutions profondes ne vont pas sans déstabilisation, ni parfois, hélas, sans violences, comme nous l'observons en Afrique de l'Ouest, dans la région des Grands Lacs ou dans la Corne de l'Afrique. Mais parce qu'elles expriment une dynamique puissante, elles portent aussi des opportunités nouvelles que les Africains perçoivent et qu'ils sont bien déterminés, je le sais, à saisir.

L'affirmation de l'Union africaine et l'implication croissante des organisations régionales dans la résolution des conflits ont fait progresser la paix sur le continent. Avec la création du NEPAD, les efforts de démocratisation, de saine gestion macroéconomique et de lutte contre la corruption ont permis de conforter la dynamique de la croissance, qui a dépassé 5 pour cent en 2004, pour la huitième année consécutive. Il faut souligner ce résultat remarquable. A côté de l'Afrique qui souffre, de l'Afrique qui a faim, de l'Afrique qui a besoin de notre aide internationale – je pense aujourd'hui particulièrement au Niger qui traverse une grave crise alimentaire–, il est une Afrique qui crée, qui innove, qui produit, qui consomme.

Ces résultats doivent nous inciter à aller plus loin dans la logique de partenariat avec l'Afrique, et cela dans cinq domaines clefs : la sécurité ; la santé ; l'éducation ; les infrastructures ; et le commerce.

La France n'a nulle vocation à jouer les gendarmes de l'Afrique. Elle s'engage pour la paix à la demande de l'ONU, de l'Union africaine ou des pays africains eux-mêmes. Surtout, elle apporte tout son appui au développement de capacités africaines de maintien de la paix. C'est le programme RECAMP et la création de la facilité de paix de l'Union européenne. Le sommet de Gleneagles devra marquer un engagement accru de la communauté internationale dans ce domaine. J'appuie les propositions qui y sont présentées par la présidence britannique : renforcement des capacités opérationnelles de l'Union africaine et des organisations régionales ; négociation, à l'ONU, d'un régime de contrôle des ressources naturelles détournées pour financer les conflits, comme les bois tropicaux ou les métaux stratégiques ; lancement d'un traité international sur le commerce des armes, notamment légères et de petit calibre. Parce que leur circulation incontrôlée nourrit la violence et alimente les conflits sur le continent.

Le deuxième axe, c'est la santé. La mobilisation contre les grandes pandémies reste de la plus grande urgence, car le paludisme tue chaque année plus d'un million de personnes en Afrique et le sida près de trois millions. La France vient de décider le doublement, de 150 à 300 millions d'euros, d'ici 2007, de sa contribution au Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Et j'appelle l'ensemble des grands donateurs à un engagement similaire pour la prochaine conférence de reconstitution en septembre 2005. Cent onze pays ont adopté, le 20 septembre dernier, la déclaration de New York sur les financements innovants. Je propose à leurs chefs d'Etat et de gouvernement de se joindre à l'initiative franco-allemande sur les billets d'avion.

Au-delà, le renforcement des systèmes de santé en Afrique et la mise en place de filets de protection sociale minimum doivent mobiliser les bailleurs de fonds internationaux. Les réflexions sur ce sujet sont encore embryonnaires et doivent être intensifiées, en intégrant par exemple le rôle que pourrait jouer la micro-assurance pour protéger les personnes travaillant dans le secteur informel.

Troisième axe, l'éducation. Il s'agit évidemment d'atteindre l'objectif d'éducation primaire universelle des garçons et des filles en 2015. Mais aussi de former, dans le secondaire et le supérieur, les cadres dont l'Afrique a besoin. La France mobilisera des moyens nouveaux pour développer des filières d'excellence en Afrique, en particulier dans les disciplines scientifiques et techniques. Elle encouragera l'émergence en Afrique même de pôles modernes de formation universitaire et de recherche, en coopération avec l'Agence universitaire de la Francophonie. Elle mobilisera à cet effet tous ses moyens, y compris ses programmes de bourses.

Quatrième axe, l'Afrique a besoin de routes, de voies ferrées, de ports, d'aéroports, de réseaux de télécommunications et d'énergie. Aller plus loin dans notre partenariat avec elle, c'est rendre toute son importance à la question des infrastructures, question trop négligée au cours des deux dernières décennies. Pour désenclaver les campagnes. Pour structurer les espaces économiques régionaux. Pour produire. Pour relier l'Afrique au reste du monde. Le financement des infrastructures constitue l'un des axes prioritaires du NEPAD et un test de sa réussite ou de son échec. Je défendrai cette cause ardemment lors du prochain sommet du G8 en Ecosse.

Sous l'impulsion du Commissaire Louis MICHEL, à qui je tiens à rendre hommage, l'Union européenne prépare une nouvelle stratégie européenne pour l'Afrique. J'appuie l'idée d'une augmentation significative des financements destinés aux infrastructures à vocation régionale.

L'Afrique doit trouver sa juste place dans le commerce international. Sa part y est tombée, en vingt ans, de 10 à 2 pour cent du total des échanges mondiaux. Cessons de nourrir l'illusion que l'Afrique est capable à elle seule de supporter un régime de pur libre échange. Il faut évidemment faire tomber les barrières intérieures. Mais il faut préserver les débouchés de l'Afrique et lui permettre de protéger ses propres marchés tout le temps nécessaire. Voilà pourquoi les pays développés doivent s'engager à améliorer, harmoniser et pérenniser, dans le cadre du cycle de Doha, les préférences commerciales qu'ils accordent aux exportations africaines. Voilà pourquoi, en juillet 2004, l'Europe a accepté, à l'OMC, de s'engager sur la voie de l'élimination de ses subventions agricoles à l'exportation, sous réserve d'une pleine réciprocité de la part des autres pays développés. Voilà pourquoi ces derniers doivent régler, dans un esprit d'équité, le dossier du coton, conformément au jugement de l'OMC. Voilà pourquoi les pays développés doivent reconnaître la légitimité d'un certain degré de protection du marché africain. A cet égard, je le répète, il est nécessaire de revoir en profondeur le concept des futurs accords de partenariat économique appelés à succéder à l'accord de Cotonou.



Mesdames et Messieurs,

Le succès de la microfinance prouve qu'il n'y a pas de fatalité à la pauvreté. Il nous démontre aussi que le développement n'est pas affaire de charité mais de partenariat, car c'est en combinant les logiques de solidarité et de responsabilisation que l'on humanise la mondialisation.

Solidarité et responsabilité. Telle est bien la philosophie exigeante qui inspire aujourd'hui l'ensemble de notre politique de coopération vis-à-vis de l'Afrique. Parce que l'Afrique change. Parce que le monde change. Et parce que, dans ce monde en devenir, l'Afrique doit prendre toute sa place, une place à la mesure de la richesse de ses cultures, de ses talents et des aspirations de sa jeunesse. Dans cette longue marche, elle trouvera, comme d'habitude, la France pour l'accompagner. Au nom du passé qui nous rapproche. Au nom d'un avenir –celui de l'Afrique, mais aussi celui de la France et de l'Europe. La France, l'Europe ne peuvent pas se concevoir sans une solidarité avec l'Afrique; Une Afrique en développement. C'est comme cela que nous pourrons construire l'avenir et nous ne pourrons le construire qu'ensemble.

Je vous remercie.